Il y avait une différence entre voir et regarder. L'on voyait les choses, toutes les choses lorsque les yeux étaient ouverts. Un arbre frémissant sous les assauts d'une brise, un oiseau volant sous un Soleil radieux, un couple de nobles marchant tranquillement côte à côte... Autant de portraits qui, une fois regardés avec une plus grande attention, laissaient une impression différente. Ainsi l'arbre frémissant devenait un pommier presque mort dont les branches pliaient tristement sous le vent, l'oiseau un corbeau porteur de nouvelles sans doute liées au déclin de l’Été sous un Soleil plus haut de jour en jour et le couple semblerait davantage en train de se disputer que de badiner. C'était cela, la différence entre voir et regarder, et Desmera regardait toujours avec la plus grande attention car cela avait été l'une des premières leçons que lui avait enseignées Lady Olenna.

Elle se prit pourtant à remarquer que jamais – ou en de très rares occasions – elle n'avait regardé avec autant de ferveur. Elle observait. Scrutait. Et l'objet de son attention n'était autre que son promis. Lord Aethon avait était impressionnant lors de sa première joute, imprudent mais tout de même remarquable. Bien entendu elle avait soigneusement caché son intérêt pour lui durant l'affrontement et en dehors, mais elle devait lui reconnaître cependant de véritables talents pour les tournois. Il l'avait emporté bien sûr et elle l'avait applaudit comme elle aurait applaudit n'importe qui : avec le détachement et la sobriété qui étaient selon elle de rigueur. Mais toute sa froideur n'avait pas été remarquée par le jeune seigneur qui, toujours sur sa monture, s'approcha de la tribune de la biefoise, son casque toujours en main et un sourire insolent aux lèvres. La plupart des regards suivaient le chevalier mais déjà certains s'étaient posés sur le groupe de cousines et plus particulièrement sur Margaery. Les fiançailles entre Desmera et Aethon étaient officielles et de longues date, mais rien ne l'obligeait à saluer sa promise cependant il avait tout intérêt à présenter ses respects à la jeune Tyrell. La plus belle de toute, la fille du suzerain du Bief et l'une des jeunes filles à marier les plus désirées des Sept Royaumes.

_Demoiselle Desmera Redwyne, dit-il, surprenant tout le monde. Les yeux se braquèrent tous sur la belle insulaire qui n'était pas habituée à autant d'attention. C'est un plaisir que de pouvoir admirer pareille beauté dans cette lice, à dire vrai, vous honorez la foule de votre beauté. Oserais-je vous demander vos couleurs afin de briller?

La demoiselle de La Treille fixa quelques instants le beau brun qui semblait satisfait du petit effet qu'il avait eu sur la foule de spectateurs. Elle se força à ignorer le sourire entendu de Margaery, les gloussements puérils de ses cousines et les regards qui convergeaient vers elle. Elle se concentra uniquement sur lui, trop fier pour son propre bien. La jolie rousse regardait son fiancé, elle le regardait et finalement au bout de ce qui paraissait être une éternité elle se leva, détacha l'un de ses rubans cependant qu'il s'approchait et lui tendit le morceau de tissu qu'il accrocha à son gantelet.

_C'est moi que vous honorez Lord Velaryon, répondit-elle d'une voix douce qui trompa tout le monde sauf son promis et sa cousine. Portez-les fièrement, je sais que vous vous en montrerez digne.

Leurs yeux se croisèrent et Desmera leva élégamment l'un de ses sourcils, comme pour le défier de perdre, ce à quoi il répondit en inclinant respectueusement la tête avant de repartir.

Le tournoi reprit et rien de remarquable n'arriva. Les passes s'enchaînaient et bientôt l'on sonna la fin du premier tour. Une pause eut lieu pendant laquelle Desmera et Margaery discutèrent avec Gwayne Harclay, un jeune homme qui avait vécu quelque temps à Hautjardin et qu'elles avaient appris à connaître. Il n'était pas vraiment un ami, mais pas non plus un valet. Les deux cousines avaient toujours aimé s'entourer de personnes aussi surprenantes qu'utiles et le brun avait fait parti de ces personnes. La rose du Bief discuta aussi quelques instants avec la maîtresse que semblait désormais servir Gwayne pendant que Desmera souriait poliment tout en observant la jeune femme.

Le second tour commença enfin et les conversations tournèrent court sous les cris des hérauts qui annonçaient les prochains combats. Encore une fois, Lord Aethon était du premier affrontement et face à lui le cygne blanc sur champ bleu des Desdaings accompagnait Lord Alessander. Alors qu'elle s'attendait à un tour encore plus spectaculaire que le premier, la demoiselle de La Treille fut surprise de constater qu'un seul assaut suffit au seigneur de Lamarck pour désarçonner son adversaire. Le ruban du même bleu que celui du blason des Redwyne que Desmera avait offert à son promis se démarquait sur l'armure de celui-ci quand il leva une nouvelle fois le poing en signe de triomphe. Les adversaires suivants s'affrontèrent et bientôt la finale fut annoncée par Lord Connington.

Une nouvelle pause eut lieu alors que la piste était remise en état pour le dernier face à face. La rouquine ne voyait pas ce que faisait le seigneur de Lamarck mais elle pouvait facilement se l'imaginer. Il avait certainement déjà eut le temps de vérifier minutieusement ses armes pour s'assurer de leur parfait état et d'ôter son armure pour inspecter son corps, à la recherche de nouvelles blessures à panser ou de nouveaux bleus à masser. L'héritier de la maison Desdaings n'avait pas eu l'occasion de lui causer grand mal, mais nul doute que la peau de l'insulaire portait déjà son lot de marques. Son écuyer, quel était son nom déjà ? Terren ? Elle ne l'avait aperçu qu'une fois, mais il donnait l'impression de savoir ce qu'il avait à faire. Après s'être occupé de son maître, il s'était sans doute rendu auprès de la monture du Velaryon pour lui prodiguer ses bons soins. Les tentures qui couvraient le destrier avaient sans doute grand besoin d'être époussetées mais ce genre de préoccupations ne le concernait pas, il avait sans doute préféré vérifier les sabots du destrier avant de revoir les sangles une nouvelle fois afin de s'assurer que la selle ne risquait pas de glisser ne serait-ce qu'à peine à la moindre passe. Et tout cela, le jeune écuyer l'avait sûrement fait après avoir mené l'étalon près de l'abreuvoir où il pouvait étancher sa soif.

Desmera se retint de pouffer de rire en pensant que c'était également ce que devait faire Lord Aethon. Étancher sa soif, à grands verres d'eau ou de citronnade, selon ce qu'il avait trouvé dans le pavillon à ses armoiries. Il avait toujours clamé haut et fort ne jamais boire de vin avant de remporter un tournoi, s'imaginant que ce trait d'esprit le rendait charmant. Mais la demoiselle de La Treille l'avait toujours cru sur ce point. Il n'était peut-être qu'un homme, mais il semblait plus enclin à faire preuve d'un peu de sagesse que ses semblables. Gardant ainsi l'esprit clair, il devait réfléchir à sa prochaine stratégie tout en buvant, penser aux précédents tours de Ser Santagar voire même aux joutes auxquelles il avait pu assister dans le passé, chercher ses faiblesses et des failles à exploiter. Le son des clairons résonnèrent et la jeune Redwyne s'imagina le jeune écuyer venir chercher son maître pour la finale, l'aidant à revêtir une dernière fois son armure. Le seigneur de Lamarck avait l'habitude de vérifier ses sangles et celles de son cheval lui-même après Terren, la jolie rousse le savait, tout comme elle savait qu'il échauffait toujours ses muscles avant de monter en selle.

Les deux hommes arrivèrent, fièrement campés sur leur monture respective. Ils saluèrent qui de droit, présentant une nouvelle fois leur respect à ceux qu'ils étaient venus distraire, avant de se rendre chacun de son côté de la lice. Desmera ne voyait pas le visage de son promis son son casque, mais elle devinait à sa posture qu'il se concentrait. Sans doute était-il en train de refaire la liste des faiblesses de son adversaire dans sa tête, la répétant inlassablement comme une litanie. Les armes furent levées et le signal donné. Les destriers filaient comme le vent, et elle s'imaginait que le seigneur de Lamarck continuait de réciter sa liste telle une prière silencieuse. Un éclair bleu attira l'attention de la jeune insulaire et elle ne lâcha pas des yeux le ruban qu'il portait au poignet qui se trouvait contre son cœur, tenant fermement son bouclier. Cela en était presque romantique. Elle voyait Lord Aethon sur son cheval mais ne regardait que ce petit bout de tissu. Soudain elle sut qu'il avait cessé de réciter sa liste. Il avait dû remarquer quelque chose chez son adversaire qui l'avait poussé à exploiter l'une des failles de Ser Santagar plus que les autres et il avait aussitôt resserré sa prise sur sa lance et ajusté son angle d'attaque. Désormais la seule chose à faire était d'attendre le choc.