mad world || Arya&Robb

Le Suzerain est rentré tard dans la nuit.

On l’a aidé à atteindre la Tour dans laquelle il couche en le tenant sous l’épaule. On l’a allongé dans son lit, non sans prendre le temps de changer ses bandages, avec beaucoup de précautions. Son sombreloup l’y a rejoint, boitant, et l’homme s’est lui-même occupé de nettoyer ses plaies, encore trop mal cicatrisées après le long voyage entre Fort-Terreur et Winterfell. Vent-Gris a été forcé de marcher pendant près de quinze jours, une plaie sur le jarret tout juste suturée, pour rentrer du champ de bataille, quand lui a pu profiter d’être allongé dans une charrette recouverte d’une toile cirée sur la majorité du chemin. Les avantages d’être le Seigneur de Winterfell, sans doute. Le fait est, aussi, qu’avec cette fracture ouverte du tibia, il aurait eu du mal à marcher, ou en tous cas, il n’aurait pas pu le faire assez vite pour être rentré sur ses terres en moins de quinze jours. Personne n’avait envie de s’attarder trop longtemps sur les ruines fumantes de Fort-Terreur, et un procès les attendaient à Winterfell.

On lui a servi un fond de tasse de lait de pavot, il a demandé qu’on y ajoute du miel, pour que ce soit plus doux. Il a envie de dormir, même si c’est au prix de ne pas rêver. De toute façon, il ne fait que des cauchemars. Il l’a bue d’une traite, et a demandé qu’on ne le dérange pas, le lendemain matin. On voyait presque les lumières du jour poindre par sa fenêtre quand il s’est endormi.

Ce sont les râles de son loup, finalement, qui l’ont réveillé. La bête veut sortir, prendre l’air, sans doute. Son maître le trouve courageux, et voudrait l’être tout autant. Sa jambe est toutefois prisonnière d’un étau de bois et de bandages qui ne lui permettront pas de descendre seul les escaliers. Ça ne l’empêchera toutefois pas de sortir de sa couche et de faire quelques pas, se raccrochant à tous les meubles à sa portée, pour ouvrir la lourde porte de bois, et laisser sortir Vent-Gris. Inspiré, sans doute, Robb s’en va vers sa fenêtre, ouvrir les volets et laisser passer un filet d’air frais dans sa chambre. Il doit être midi, vu la position du soleil. Juste au-dessus de sa table de nuit, un petit miroir d’argent fait la taille d’un poing. C’est la première fois que le Seigneur rencontre son reflet depuis près de deux lunes. Ses cheveux ont poussé, ils descendent maintenant un peu en dessous de ses oreilles. Sa barbe est épaisse, sans doute plus hirsute qu’il ne l’a jamais eue. Il lui semble qu’il a vieilli.  Dans sa barbe, il grommelle. Ce sont ces Bolton, ils ont manqué de lui faire sa peau, et en plus, ils lui donnent des rides.

Un souvenir se rappelle alors au jeune homme : quand il a rencontré son père, en 298, ce dernier lui était apparu comme un homme beaucoup plus âgé qu’il ne se l’était imaginé. Le Suzerain du Nord avait, à l’époque, trente-cinq ans, et en paraissait cinquante dans les yeux de son fils aîné qui avait grandi auprès de créatures reptiliennes qui, elles, semblaient ne jamais prendre de rides.

Robb secoue le crâne, honteux de sa subite vanité. Dans les escaliers qui mènent jusqu’à sa chambre – celle du Seigneur de Winterfell, en tous cas – il entend des pas rapides, qu’il ne peine pas à reconnaître. Il n’a peut-être pas grandi dans ce château, mais il a appris à en identifier tous les habitants. Il se laisse alors retomber sur le bord de son lit, prêt à entendre, quelques instants plus tard, la voix de sa sœur et sa jolie figure passer dans l’entrebâillement de la porte. Sans frapper, s’il la connaît bien.

Robb sourit. C’est doux, d’être à la maison.

Avec Arya vient une odeur qui semble à Robb être synonyme de familiarité : celle d’un bouillon tout droit sorti des cuisines de Winterfell. Le Seigneur de ce château s’en serait léché les babines, si sa station debout ne lui donnait pas la nausée. Il est à peine resté une minute debout, mais des perles de sueurs glissent déjà le long de ses tempes. Sous sa robe de chambre sombre, il lui semble que ses bandages suintent, et qu’il faudra bien vite les changer. Il a l’impression qu’il a chaud, mais en même temps, la brise qui traverse sa chambre depuis la fenêtre hérisse les poils de sa nuque. La fièvre n’a pas tellement tari, depuis quinze jours. Il déteste cela, et alors qu’il parvient à peine à rester assis sans avoir la tête qui tourne, sa jeune sœur lui semble flottante de rapidité et de légèreté. Il est faible, elle est forte, et ça lui paraît être la chose la plus injuste et la plus insurmontable qu’il ait eu à affronter. L’espace d’un instant, il la déteste. L’instant d’après, il se déteste de faire preuve de pareilles pensées : comment en vouloir à sa jeune sœur, qui aurait d’ailleurs, il le sait bien, donné sa vie pour l’honneur des Stark ? Puis, c’est aux Bolton, à qui il en veut, de l’avoir mis dans pareil état. Sans eux, il n’aurait jamais eu à quitter Winterfell, ni à perdre, même temporairement, l’usage d’une jambe. A la fin de cette ronde de haine et d’envie, le Suzerain souffle d’épuisement. La haine ne mène à rien, ou alors, qu’à la fatigue de l’âme.

« Ne me gronde pas, je t’en prie » lance-t-il a sa jeune sœur, alors que celle-ci l’aide à relever ses jambes pour s’allonger dans son lit. Un sourire, amer pour ceux qui le connaissent bien, gagne ses lèvres alors qu’il cherche son regard. Il se veut rassurant quand il lui répond : « Moi aussi, Arya, je suis content de te revoir … » alors qu’elle le menace presque de le vendre aux Mestres. Si seulement, comme quand il était enfant, Robb craignait encore les remontrances de ces figures endrapées. Luwin, à son avis, est un peu comme ce bouillon qui fume sur le plateau qu’a rapporté sa sœur : trop familier pour lui faire peur, trop familier pour l’ennuyer.

Replaçant ses jambes, l’une après l’autre, sous ses couvertures, il retient grimaces et gémissements pour ne pas inquiéter Arya. Il la sait courageuse, mais il se souvient de la fin d’année 301 qu’il avait passée auprès d’elle, désespéré de la savoir blessée, et ce même s’il avait su rapidement qu’elle survivrait à cette attaque de loups. Un frère qui ne veut pas que sa sœur soit triste pour lui, en somme, surtout quand celle-ci déploie tous les efforts du monde pour le faire sourire.
Robb ne peut retenir une certaine lumière de venir agiter son regard à la mention de sa fiancée. « Elle est ici ? Son père aussi ? » questionne-t-il alors, manifestement avide d’une réponse qu’il connaît pourtant déjà. Les familles Nordiennes ont certainement dû commencer à arriver à Winterfell pour assister au procès Bolton, songe le Suzerain, qui avait fait en sorte que le tribunal puisse être monté le plus rapidement possible. Il n’avait pas envie de s’attarder plus que de raison sur quelque chose qui se terminerait, il en était sûr, par une tête coupée.

Arya lui propose de l’aide pour boire son bouillon, mais Robb, perdu dans ses pensées, n’est pas capable de distinguer si sa proposition en est une sérieuse, ou le fruit de ses habituelles taquineries. A nouveau, ses pensées se sont emmêlées, et il lui semble que la haine qu’il ressent le prend de nouveau à la gorge. Tout tourne autour de l’idée qu’après avoir tué des hommes, des Norrois plus encore, il va désormais devoir couper une tête. Peut-être même plusieurs, si les juges – ou les dieux – décident d’être d’humeur vengeresse à l’égard des Mormont. Robb se frotte les tempes, et fait signe à Arya de lui apporter le bouillon. « Pourras-tu t’assurer qu’on affute bien Glace ? » lâche-t-il laconiquement à sa sœur, sans se préoccuper de savoir si elle a envie d’imaginer des têtes mal coupées par une lame mal affutée quelques heures à peine après son petit déjeuner. « Je le ferais bien moi-même, mais je risque de croiser trop de monde en route pour l’armurerie, et comme tu le dis si bien, je fais peur à voir. » Content de son trait d’humour, Robb porte à ses lèvres, de sa main la plus mobile, le petit bol de bois rempli du liquide chaud. L’odeur, délicieuse, parvient à atténuer la ride qui s’était formée entre ses sourcils. « Merci d’être montée, Arya. Ce bouillon, c’était tout ce dont j’avais besoin. » Le Suzerain soupira, désolé et honteux du spectacle qu’il offrait à sa sœur. « Je suis ridicule, excuse-moi. C’est cette guerre … Je suis lassé des horreurs que nous ont fait vivre les Bolton, je voudrais qu’on en finisse au plus vite, c’est tout. Ca ira mieux après le procès. »

Mon frère aîné n’avait vraiment pas l’air bien… Mais qui serait bien avec ce genre de blessure ? Moi avec l’attaque des loups j’en avais des heures et des heures à fixer le plafond. Je m’étais demandé si j’allais survivre et s’il n’aurait pas fallu que je meure pour laisser les gens tranquilles, le mestre et les dieux en avaient décidé autrement… Mais moi ce n’était pas important, c’était hors de question que Robb meurt ! Et puis quoi encore ! Je serrais légèrement les poings en le regardant enfin s’installer. Je lui offris un sourire tordu.

« Je te gronderais si tu n’arrêtes pas de faire des bêtises et t’agiter ! »

Mais j’étais contente qu’il soit content de me revoir. C’était aussi mon cas. Et je parlais de Kylis je vis une petite lumière dans ce regard. Je pouffais légèrement.

« Ah tout de suite quand je parle de ta chère et tendre dame ça te réveillerait au milieu de la nuit. Peut-être est-elle là, peut-être que non ! »

Je lui fis un clin d’œil évidement qu’elle serait là pour le procès. Et prendre soin de son futur mari. Elle l’avait fait avec moi. Mais c’était autre chose. Je m’assis aux côtés de mon frère sans rien dire jusqu’à ce qu’il me demande d’affûter Glace.

« Je le ferais personnellement. »

Histoire qu’il puisse découper lentement et parfaitement ce maudit Bolton. Mais c’était autre chose. Je fronçai les sourcils à la suite de ses mots :

« C’est surtout que si tu tentes de sortir de ta chambre, je te fous une mandale et je t’attache au lit en interdisant à Kylis de venir te voir. »

Mes menaces étaient très sérieuses. C’était hors de question qu’il se balade tranquillement dans les couloirs aussi vite. Sauf si le mestre était d’accord, mais en tout cas…

« Je ne laisserais pas non plus Kylis si elle est là s’approcher tant que tu n’auras pas une tête descente. Alors plus tu vas rester au calme et te reposer, plus tu vas la voir vite. »

Je lui offris un regard lourd de sens : il devait se douter que je ne plaisanterais pas. Je lui offris un sourire lorsqu’il se mit à boire son bouillon. Voilà ! C’était bien… Je secouais la tête.

« Ne t’inquiète pas et ne t’excuses pas. Les dernières lunes n’ont pas été tendres avec toi… Entre la guerre des Marcheurs et la guerre avec le Bolton… Plus vite on s’en sera occupé, mieux cela sera pour toi. Tu pourras enfin te reposer un peu… Et le Nord aussi… »

Si seulement nous savions ce qu’il allait se passer par la suite… Mais c’était autre chose. Je posai une main sur son bras avec douceur.

« Tu n’as pas à t’excuser pour tout cela Robb, je comprends bien… enfin j’essaye de comprendre ce que tu ressens. Une fois que tout sera réglé… tu pourras épouser ta Kylis après tout. Ça je suis sûre que tu as hâte. »

J’essayais de lui changer un peu les idées.
   

Au Château de Winterfell ont donc commencé à arriver différentes familles nordiennes ; et si les Ombles, habitant Âtre-lès-Confins, sont arrivés, cela signifie sans doute que d’autres familles, plus proches géographiquement des Stark, parcourent elles aussi déjà les couloirs du Château. Les Cerwyn, les Corbois, les Tallhart, peut-être même les Manderly si la Blanchedague a pu les y porter. Robb songe à son reflet dans la glace : peut-il se présenter ainsi à sa fiancée ? Et les coups qu’il s’est pris sur le crâne lui permettront-ils de ne pas s’étourdir trop vite en sa présence ? Cela ne serait pas tout à fait digne de sa virilité … Arya se moque gentiment de lui, et Robb se laisse aller quelques instants à penser aux yeux bleus de sa promise, ainsi qu’à sa gorge, d’un blanc laiteux – il secoue le crâne, cherchant à reprendre le fil de ses pensées les plus raisonnables.

Arya affutera elle-même Glace ; Robb ne commente rien d’autre qu’un signe de tête affirmatif. Grand bien lui en fasse, si elle veut passer des heures à affronter cette monstrueuse épée pour s’assurer de son tranchant plutôt que de commander à l’armurier de s’en occuper… Si ça l’amuse, tant qu’au bout du compte, il peut trancher la nuque de Bolton d’un coup net. Le bougre ne mérite pas moins que cela. Sa jeune sœur est avide, depuis quelques lunes maintenant, de faire valoir ses capacités, son autonomie et son mérite dans le regard de son Suzerain de frère. Robb le remarque bien et se ravit de la voir grandir et assumer son rôle au sein du Château. Il n’ose pas encore prononcer le mot Lady en sa présence de peur qu’elle lui saute à la gorge, mais il sent qu’elle fait des compromis, elle aussi. Sans doute pas autant que Catelyn n’en fait sur les perspectives d’éducation qu’elle avait prévu pour sa dernière fille, mais tout de même. Entre autres choses, Robb a remarqué qu’Arya s’applique à faire en sorte que tous les invités de la Maison Stark se sentent accueillis par la famille Suzeraine. A ce jeu-là, on peut même dire qu’elle excelle, Lyanna Mormont en est sans doute la meilleure preuve.

« Je ne laisserais pas non plus Kylis si elle est là s’approcher tant que tu n’auras pas une tête descente. Alors plus tu vas rester au calme et te reposer, plus tu vas la voir vite. » Robb relève le crâne de son bouillon chaud ; il ne comprend plus : « Mais est-elle là, oui ou non ? Toutes les familles nordiennes ont-elles bien été invitées à ce procès ? Et Lady Bolton, fera-t-elle le trajet depuis la Veuve avec son héritier pour voir son bourreau être jugé ? Si les invitations n’ont pas été lancées, Arya, il faut le faire au plus vite, je n’ai pas l’intention de passer une Lune de plus autour de cette affaire, quitte à mener ce procès en huis-clos ! »

A bout de souffle après sa tirade, Robb se laisse glisser un peu plus sur son oreiller, remercie sa sœur et s’excuse de sa mélancolie. Pour la troisième fois dans cette conversation, Arya mentionne Kylis, usant et abusant de sa fiancée pour tenter de lui changer les idées. Finalement attendri par les tentatives de sa jeune sœur de lui permettre de penser à autre chose, Robb lui répond : « tu sais aussi bien que moi que si ça ne tenait qu’à moi, nous serions déjà mariés. C’est notre mère qui veut nous marier en grande pompe, et je n’ai pas la force que tu as pour refuser quoi que ce soit à la Dame de Winterfell … » Il faudrait alors attendre des Lunes et des Lunes que tout le Royaume puisse se presser sur la Route Royale et rejoindre Winterfell. La seule exigence de Robb, à vrai dire, est que son frère et sa sœur affairés dans les Conflans puissent-être là. Pour le reste … C’est Catelyn qui veut inviter tout le Royaume, et Robb s’en satisfait car si tout le royaume est invité, alors pourront l’être aussi Aegon et peut-être même Rhaenys, sans que ça ne rappelle trop sa condition de Loup ayant grandi parmi les Dragons, car il y aura tous ces autres invités de marque. Il semble à Robb qu’il lui faut entretenir ses amitiés d’enfance dans cette période troublée, et quoi de mieux pour le faire qu’un mariage ? « Allez, continue donc de me changer les idées. Que s’est-il passé au Château ces derniers temps ? Des nouvelles de Sansa ? Sa petite louve a-t-elle survécu à ses deux premières lunes ? »

Je pouffais légèrement en voyant mon frère complètement perdu à ma remarque sur Kylis. J’adorais le taquiner sur ce sujet-là ! C’était beaucoup trop facile de le faire réagir. Comme lorsque je lui avais proposé de cueillir un bouquet de roses bleues pour la jeune femme après la bataille de Winterfell ! Ah lalala ! Trop facile ! Beaucoup trop facile ! C’était autre chose. J’écoutais cependant les inquiétudes de mon frère en inclinant légèrement la tête. Mère ne me donnait pas autant de l’attitude que j’aimerais pour m’investir… Mais j’étais trop jeune. Selon elle.

« Je crois que mère a fait le nécessaire. Je crois que ta Kylis adoré dont les jolis yeux bleus te font virer pivoine est en route. Ne t’agite pas ou je t’attache au lit. Est-ce que c’est bien clair. »

Je pointais un doigt accusateur sur lui pour lui faire comprendre que je le ferais sans aucun doute avant qu’il n’évoque sa Kylis adorée. Mère voulait de grandes pompes… Mais je sentais que cela allait se faire sur le pouce, ou presque, pour plus d’efficacité. La Dame de Winterfell. J’inclinai la tête.

« Je crois bien que selon les évènements, les grandes pompes, tu pourras les oublier. Je pense surtout qu’une fois cette affaire réglée, tu devras l’épouser. Tu as besoin d’un héritier grand-frère. »

D’un enfant… J’adorais mon petit Brandichou, mais mon frère devait avoir des enfants le plus rapidement possible… Mais c’était autre chose. Lui changer les idées… Je secouais la tête.

« Tu parles de te changer les idées, tu penses à notre nièce en pensant à sa mort ! »

J’eus un rire.

« Non, sa fille va bien de ce que j’ai su, elle va bien, tète bien, grandie bien. »

Je hochais la tête.

« Sinon Micha va bien, on ne passe plus beaucoup de temps ensemble, il travaille à la boucherie avec son père. Il a perdu un bras tu sais lors de la guerre son père. Alors il l’aide, je ne crois pas qu’il aime beaucoup… mais il n’a pas beaucoup le choix. Sinon… »

Je soufflais sur une mèche de cheveux.

« J’en ai marre des leçons de mestre Ludwyn ! Il est adorable, génial… Mais je déteste rester toujours assise pendant des heures… C’est de plus en plus long… IL n’en peut plus de moi, il dit que je remue plus qu’un jeune louveteau fou. »

J’eus un sourire amusé, je le prenais assez bien ! Mais vraiment j’avais beaucoup de mal à tenir en place, mais ce n’était clairement pas à Robb qui j’allais parler de mes saignements ! Je passais mon tour et lui aussi je pensais. Il n’avait pas besoin de savoir cela… vraiment pas.

« Puis bon… je pense aussi que toi aussi tu auras bientôt ton petit poupon dans tes bras et que tu vas faire « areuh areuh » en tenant sa petite main. »

Je lui fis un petit clin d’œil.
   

Kylis n’est donc pas encore arrivée. Robb se sent étrangement soulagé face à cette idée ; il pourra donc espérer être un peu mieux remis de ses blessures avant qu’elle ne soit là. Que ses plaies soient encore un peu sanguinolentes, ça ne l’inquiète pas : après tout, Kylis est une femme du Nord, la vue du sang ne lui fera pas tourner de l’œil. En revanche, il s’est pris un coup sur le crâne qui lui fait apparemment toujours perdre l’équilibre et le fatigue beaucoup : il aimerait que ça, ça cesse, de façon à ne pas avoir l’air trop faiblard devant sa promise. Il n’aime pas ça. Sans doute doit-il alors obéir aux requêtes de sa petite sœur, sûrement les mêmes que lui fera d’ailleurs leur mère, et après encore le Mestre de Winterfell : rester tranquille. A eux, il répondra qu’il le fera, il se reposera, pour mieux pouvoir manier Glace et l’enfoncer dans la nuque de Lord Bolton de Fort-Terreur sans ménagement. A Arya, il peut admettre qu’il le fera aussi pour ne pas perdre la face devant Lady Omble. De toute façon, elle l’a déjà deviné.

D’ailleurs, elle se range de son côté en déterminant qu’un mariage rapide sera une bonne idée, car le Seigneur de Winterfell a besoin d’un héritier. C’est vrai qu’au rythme où les guerres s’enchaînent, il faudrait assurer aux Stark leur pérennité entre les murs de Winterfell en produisant plus de louveteaux dans la meute. Qu’Arya se préoccupe de cela, toutefois, arrache un sourire à son frère. Où est donc passée la jeune fille qu’il a rencontrée, cinq années plus tôt, seulement préoccupée à chasser des lapins et à lustrer son casque ? A l’époque, leur père, encore à la tête de la maison Stark, s’inquiétait de la place qu’elle allait pouvoir trouver dans ce monde. Aujourd’hui, Robb sait qu’à défaut d’être une Lady telle que le sont Catelyn ou Sansa, Arya protègera le nom et la lueur des Stark.

Robb baisse les yeux quand sa sœur souligne sa morosité : il est vrai que sa nièce mérite des pensées plus joyeuses que celles de son éventuelle mort. A cet instant, le regard dans le vague, il réalise qu’il ne se souvient plus du prénom qui a été donné à la jeune louve. Il s’est tellement imaginé qu’elle ne survivrait pas qu’il a poussé loin, au fond de sa mémoire, le prénom que lui ont choisi ses parents. Robb grimace, tentant de faire remonter le souvenir du courrier de leur mère qui annonçait la naissance de la petite … La matriarche Stark s’était en effet rendue dans son Conflans natal à l’approche de l’accouchement, pour aider Sansa dans cette première naissance. C’était au début de la cinquième Lune, et très peu de temps après cela, Robb avait levé son ban pour partir à Fort-Terreur. Evidemment que le prénom de la petite lui a échappé. Comment, dans un contexte pareil, se souvenir des choses heureuses ? Et alors qu’Arya raconte comment le fils du boucher est forcé d’apprendre à découper des saucisses avec une seule main, Robb se souvient : Melina ! Micha, Melina ! Il sourit, content de lui, et songe qu’il lui faut écrire un courrier à sa sœur, et trouver un cadeau à cette petite. Quelque chose qui lui rappellera le Nord… Arya évoque ses leçons avec le Mestre du Château, et Robb songe qu’il sera sans doute d’une aide précieuse pour trouver quelque chose à envoyer à Vivesaigues …

« C’est de plus en plus long… Il n’en peut plus de moi, il dit que je remue plus qu’un jeune louveteau fou. »

Si Luwin se permet cette comparaison, c’est sans doute parce qu’Arya n’a plus rien d’un jeune louveteau. A quinze ans, Sansa était déjà fiancée depuis près d’un an, et Arya, à défaut de vouloir être une Lady, commence à en avoir l’allure … Bien sûr, Robb ne se permet pas d’énoncer à voix haute cette pensée, il tient à sa vie, mais il ne peut pas non plus rassurer sa sœur en lui disant que de toute façon, le Mestre est un vieux grincheux. D’abord parce que ce n’est pas le cas, et ensuite car ça ne serait pas lui rendre service. Il y a des choses qui ne s’apprennent que dans les livres… Et puis Arya savait bien que le jour où elle arrêterait les cours de Luwin serait sans doute celui où elle devrait se marier … Autant profiter du Mestre le plus longtemps possible, aussi grincheux soit-il, n’est-ce pas ?

Robb boit son bouillon, une cuiller après l’autre, et se sent revivre, réchauffé de l’intérieur. Pour finir sa tirade, sa sœur évoque à nouveau l’arrivée d’un louveteau, le sien, dans la meute des Stark. Il lui sourit gentiment : « Mais dis-moi, cette idée t’obsède ! Tu sais qu’en plus d’attendre les noces, il faudra attendre encore neuf mois après cela ! A moins que tu ne souhaites me pousser au vice, et que tu t’arranges pour faire monter Lady Omble dans ma tour dès ce soir ?! Dans ce cas, je dirais à Luwin d’insister sur l’éducation religieuse, et à Jon d'arrêter de te raconter ses aventures, fais attention ! » Robb espérait, avec cela, arracher à Arya une exclamation amusée.

Elle avait réussi son coup, la bienheureuse : il plaisantait.

J’adorais taquiner mon frère, pas que lui, sur tous les sujets possibles et inimaginable ! Bon peut-être que je ne le ferais pas sur le Bolton, il y avait des sujets auquel pour ma pat je ne riais pas non plus. Mais c’était autre chose. J’eus un grand éclat de rire à sa remarque avant de secouer la tête pour répondre avec une petite grimace :

« Par les Anciens ! Je sais comment on fait les bébés ! Je l’avais demandé à Père quand j’avais vu un étalon saillir une jument alors que j’étais petite ! Oh et puis… imposer à Kylis ta sale tête de poisson pas frais ! Je ne veux pas la faire fuir avant même le mariage ! »

Je me remis debout, incapable de rester en place trop longtemps.

« Enfin bon ! Je peux te taquiner là-dessus ! Moi j’ai encore bien, bien, bien des siècles avant qu’il ne m’arrive ce désagrément ! »

Je savais que j’exagérais un peu, mais plus s’était tard, mieux c’était. Je fis un tour sur moi-même avant de me remettre bien droite face à mon frère.

« Enfin en tout cas il t’arrivera plus vite à toi qu’à moi ! Pour le plus grand bonheur de mère. Et comme Sansa a eut une fille en premier… Je parie que toi aussi t’auras une petite fille en premier. »

De toute manière cela ne changerait pas grand-chose. Mais…

« J’ai réussi à te faire rire ! Et qui rit et mange ira bientôt mieux ! »

Oui, je venais de totalement inventer cette expression. Mais c’était un autre détail après tout. Je reviens m’asseoir paisiblement :

« Bon, et ton bouillon ? Il est bon ? Quand j’étais… enfin après l’attaque des loups, j’avais même du mal à apprécier un bon bol de bouillon. Kylis était la seule à… forcer jusqu’à mon silence pour passer du temps avec moi. »

Quand je ne voulais plus voir personne. Elle était restée et ne m’avait pas du tout laissé le choix ! Mais c’était autre chose après tout.

« Mais t’es en bien meilleur état que moi, heureusement. Au moins t’auras pas des cicatrices qui font peur sur le visage. »

Au tout début, quand les cicatrices étaient encore très visibles, j’avais fait peur à plus d’une servante entrant trop brusquement. J’avais fini par porter pendant quelque temps un masque. Le temps qu’elles deviennent un peu moins impressionnante.
   

Arya tournicote dans sa chambre, suffisamment pour lui donner le tournis, alors qu’elle évoque sa face de poisson pas frais et jure sur les Anciens qu’elle n’aura pas à subir les désagréments du mariage de sitôt.  Ça, de toute façon, Robb n’en fait pas son affaire : tant que Catelyn n’abordera pas le délicat sujet du mariage de sa fille cadette avec lui, il fera la sourde oreille. Et si Arya ne le sait pas déjà, elle doit se douter que son frère aîné a d’autres priorités que celle de lui trouver un époux qui réussirait la prouesse à la fois de lui convenir, mais aussi de représenter pour les Stark une alliance convenable. Mais pour ne pas trop brosser la louve dans le sens du poil, et ne pas trop la conforter dans sa posture de rebelle, Robb fit mine de ne pas l’entendre jurer combien de siècles elle avait devant elle avant de devoir partager la couche d’un homme – et pas d’un cheval – en buvant bruyamment une gorgée de soupe. Tu parles d’un Suzerain, pas même capable de dire à sa sœur que cette perspective serait plus proche d’une décennie que d’un siècle …

Et voilà que celle-ci en remet une couche avec son affaire de bébé en pariant sur une fille. Robb est prêt à se moquer à nouveau d’elle en la comparant à une jument en rut quand il se perd dans une pensée qu’il n’a encore jamais osé prononcer à voix haute : en réalité, il ne se sent pas prêt à être père, au combien la perspective de partager la couche de Kylis lui paraît idyllique. Père d’un fils, qui plus est, lui paraît encore plus difficile à imaginer. Il a lui-même été le fils d’un père qu’il n’a quasiment connu que par correspondance. Cette pensée lui tort la gorge, alors il répond, subitement moins enjoué : « Je crois que de toute façon, c’est pour une fille que je prierai les Anciens … Ne le dit pas à notre mère, elle ne comprendrait pas … »

Arya lui promet que celui qui rit et mange va bientôt mieux, et à nouveau, cette expression qui n’existe pas mais qui sonne tellement comme elle lui arrache un sourire. Il en est persuadé, surtout si, comme le suggère Arya, Kylis peut jouer aux infirmières, il guérira plus vite. « Ah ! Donc Lady Omble ne craint pas le sang, finalement ! Peut-être pourras-tu me l’envoyer quand elle arrivera, elle pourra moi aussi m’aider à cicatriser en passant du temps avec moi … »

Robb termine bruyamment son bouillon et se lèche les babines aussi goulument que peut le faire Vent-Gris après avoir dévorée une carcasse fraiche. Il lui semble qu’il a gagné un peu de vie rien qu’en buvant cette mixture. Il pose le bol sur sa couverture alors qu’Arya évoque ses propres cicatrices. Il a du mal à saisir quel ton sa sœur emploie quand elle raconte ce souvenir-là. Garde-t-elle de cette période un souvenir angoissant ? Devoir passer des semaines aux lits, à faire peur aux enfants … est-ce que ça lui a causé beaucoup de peine ? Est-ce qu’une colère, contre ces chiens de malheur, rougit encore ses veines ? « Tes cicatrices font de toi une véritable guerrière du Nord, ma sœur. J’espère sincèrement que tu les portes fièrement et qu’elles ne te rappellent pas un trop mauvais souvenir. » Il aurait menti s’il avait juré qu’il ne les voyait plus. De toute façon, Robb n’est pas certain qu’Arya aurait aimé l’entendre dire cela. Après tout, les cicatrices sont des marqueurs de souvenirs, et il n’est pas toujours douloureux d’en garder.  

J’observais mon frère, surprise qu’il espère avoir une fille en premier… Avant de me rappeler qu’il avait été otage. Je comprenais. Mais l’enfant d’un seigneur, fille ou garçon serait un bon otage. Sauf que je ne voulais pas penser à cela. Aucun de mes neveux et nièces ne seraient otage. Je préférais me proposer à leur place ! Mais je ne préférais pas parler de cela avec mon frère. Il n’avait pas besoin qu’on lui rappelle ces souvenirs qui ne semblaient pas toujours bons. Mais au moins c’était un vrai Loup malgré tout ce qu’on pouvait dire. J’inclinai la tête.

« Si t’as une fille comme moi, tu seras déçu, j’en suis sûre ! »

Autant me taquiner et le taquiner aussi un peu au passage. Je préférais parler un peu de Kylis qui semblait toujours bien le motiver à guérir vite ! Même s’il mangeait aussi bien que Vent Gris ! Nymeria n'était pas non plus la plus délicate du monde ! Mais elle me ressemblait aussi sur ce point ! J’eus un rire franc à a sa remarque. Mais c’était qu’il était plus mordu que moi ! Ah cet humour Arya ! Tu devrais en faire ton métier !

« Tu m’offres quoi si je te l’envoie très vite pour qu’elle joue à la soigneuse avec toi ! Je pense quand même qu’elle sait mieux recoudre les gens que broder ! »

Elle ne brodait pas aussi bien qu’on aurait pu s’y attendre ! Mais venant de moi c’était mesquin : en rien je n’aimais broder et je ne faisais aucun effort. Vraiment, je préférais les cours du mestre aux leçons de la septa que j’esquivais toujours au maximum. Je parlais un peu des cicatrices de mon visage. J’en avais d’autres, à l’épaule et au genou, mais c’était un autre détail. Je les frottai machinalement.

« Je m’y suis habituée et au moins cela prouve que j’ai survécu. Et maintenant elles sont beaucoup moins visibles qu’au début. Je n’en ai plus honte. C’était compliqué au début, mais ce n’était pas comme-ci ici on pouvait les cacher avec une pâte ou quelque chose comme ça ! »

Je fis une grimace

« Grr !!! Regarde ! Je suis une vraie nordienne sauvage ! Comme l’imagine les p’tites sudistes qui ont peur de tout ! Grrr ! »

Est-ce que j’étais infernale ? Totalement ! Est-ce que je faisais ça pour faire rire Robb ? Parfaitement ! Je nouveau mine de grogner et mordre.

« Grr ! je suis plus dangereuse que Nymeria ! »

Oui, alors non, elle-même avait bien souffert de l’attaque que j’ai subie, mais c’était autre chose. Je pris une serviette pour la tendre à Robb :

« T’as pleins de bouillon dans ta barbe espèce d’ours mal léché ! »

Je lui fit un clin d’œil.

   

Une fille comme moi  …

Ces mots résonnent dans le crâne abîmé du Suzerain du Nord. Sa sœur n’est pas du genre à tendre un bâton pour se faire battre … La plupart du temps, elle est même fière de ne pas être comme toutes ces dames écervelées qu’elle méprise tant. Que lui arrive-t-il ? A-t-elle oublié que ce n’est certes pas pour sa capacité à broder qu’elle est appréciée, au Château de Winterfell, mais bien pour mille autres qualités qui font d’elle une sœur merveilleuse, et sans doute bien une fille tout à fait digne pour Eddard Stark ? Penser à leur père serre la gorge de Robb, alors qu’il cherche une parole rassurante à dispenser à sa petite sœur. Quelque chose qui sonnerait comme des mots que leur patriarche aurait pu déclamer… Cinq ans après son décès, Robb n’a toujours pas l’impression de remplir, ne serait-ce qu’un peu, l’aura que faisait briller son père autour de lui. Et si Arya n’est pas certaine de son importance dans leur famille, c’est qu’effectivement, il a failli dans sa mission …

« Que dis-tu là, Arya ? Je serais bienheureux d’avoir une fille aussi courageuse et vaillante que toi ! Et puis si elle doit hériter du Nord après moi, j’espère qu’elle saura manier les armes aussi bien que sa tante... »

Penser qu’une éventuelle fille ainée devra prendre les armes pour poursuivre ses guerres amène un goût âcre au fond de sa gorge, qu’il masque d’une gorgée de bouillon. Il s’arrête-là dans ses élucubrations, ne souhaitant pas faire redescendre l’humeur joyeuse amenée par Arya, ou songer qu’il puisse la contaminer elle dans sa mauvaise humeur.

Robb se laisse alors aller à penser encore un peu à leur père, et se rappelle d’une phrase qu’il avait lue et relue, gamin, que son père lui avait écrite dans un courrier reçu pendant son pupillage à Port-Réal. « Il y a de la place pour toute sorte de loups dans notre meute … » confie-t-il à Arya. A l’époque, il s’inquiétait d’apparaître comme un dragon aux yeux des loups, un peu comme Arya s’inquiétait d’être une mauvaise fille aux yeux de feu son père.

Elle doit savoir, en tous cas, qu’elle est une sœur exemplaire. Robb rit à pleine dents quand elle lui demande ce qu’elle obtiendra si elle lui envoie Kylis rapidement. Il fait mine d’y réfléchir un instant, une main sur le menton, avant de lui rétorquer, mesquin à son tour : « de nouvelles aiguilles à tricoter, si tu veux ! Je pourrais même les faire sertir de petites têtes de louves aux yeux cristallins ! » plaisante-t-il. Il faut qu’il se note ça quelque part, c’est une très bonne idée de cadeau pour son autre sœur, Sansa, bien plus sensible aux activités manuelles telles que la couture qu’Arya, ou bien Kylis, comme semblait le sous-entendre sa sœur.

Arya évoque par la suite le souvenir douloureux de ses premiers mois passés avec ces balafres sur la figure. Robb grimace alors qu’il tente de lécher, perlant sur sa barbe, les dernières gouttes de bouillon qui lui restent. Il fait mine de sursauter et écarquille les yeux quand sa sœur, à côté de lui, se met à grogne et à patrouiller la chambre en imitant « une vraie nordienne sauvage ». Il rit quand elle grimace, imitant à la perfection sa sombrelouve, Nymeria. Définitivement, elle a réussi sa mission. « Arg ! A l’aide ! Qu’un preux chevalier vienne à ma rescousse ! Je suis attaqué par une louve mal lunée ! Brandooooon ! » Robb, qui aurait bien voulu appeler à l’aide Jon et Rickon pour continuer son théâtre, se rappelle que sa fenêtre est ouverte et qu’on risque de le prendre pour un fou s’il continue d’appeler à tue-tête ses frères, même ceux qui sont à des milliers de lieues de là. Arya lui offre une porte de sortie en lui tendant une serviette avec laquelle il essuie le coin de ses lèvres et sa barbe. « Un ours fatigué, tu veux dire ! » Il attrape du bout des doigts le petit miroir à côté de son lit, pour regarder une nouvelle fois son reflet. « J’ai quand même l’air moins pâlot, non, si on oublie les cernes ? Ce bouillon m’a fait le plus grand bien … » Sur son œil gauche, on voit encore la trace jaunie d’un œil au beurre noir, et à la racine de ses cheveux une petite bosse soulève encore la peau de son crâne. Il poursuit, faisant mine de ne pas s’intéresser à ces reliques de la Bataille de Fort-Terreur : « et toi aussi, Arya. Merci »

J’aimais ce que j’étais, à une époque, j’avais eu du mal à savoir exactement ce que j’étais, qui j’étais et ce que je voulais faire ! Mais maintenant, je me sentais bien, je me sentais fière de ce que j’étais et… En quelque sorte… J’assumais d’être différente et j’en étais fière. Je passais une main sur mes cicatrices que je sentais légèrement du bout des doigts, comme un petit creux dans ma peau. Quelque part, heureusement que j’avais ces cicatrices, j’étais très contente, ma valeur maritale était plus basse ainsi ! Oui, alors je m’y croyais peut-être un peu trop. De toute manière, je crois que je ne serais jamais amoureuse. Je souris à mon frère en secouant la tête.

« Je pense surtout que tu t’arracheras les cheveux avec son sale caractère et son incapacité à tenir en place plus d’une dizaine de minutes. Mais promis, je l’entraînerais personnellement et je lui apprendrais à remplir de mouise les matelas de ceux qui l’embêtent. »

Attaque que Sansa avait subit plusieurs fois ! Il fallait bien la taquiner un peu. Mais notre meute était grande et puissante. Tant qu’on veillait les un sur les autres… tout irait bien. Je hochais doucement la tête avec un fin sourire. Nous nous protégeons tous mutuellement… Cela serait bien.

« Tant que nous sommes unis, tout ira bien grand frère. »

Des… Je deviens toute rouge avant d’éclater de rire et de regarder mes ongles.

« Fais les faire bien pointues que je puisse les enfoncer dans les yeux de nos ennemies ! »

Ça pouvait ressembler à de minis pieux après tout. Mais c’était autre chose. J’entrepris de faire le plus possible de grimace pour faire rire aux éclats mon frère. Et visiblement cela marchait bien. Amusée, je fis une petite révérence avant de rajuster un chapeau invisible sur ma tête.

« À votre service mon bon seigneur du Nord ! Je suis votre bouffon personnel ! »

Et oui, il avait une sale tête d’ours… Fatigué… mal léché… Je le laissais se regarder dans un miroir avec un fin sourire. Moins pâlot ? Je haussais un sourcil :

« T’es aussi blanc qu’un cul Robb. T’es un nordien je te rappelle. Tu seras toujours pâlot. Mais oui, t’as un peu moins de cernes. »

Ne pas faire la blague qui ressortait de sa tombe. Pas après le roi des morts, c’était hors de question. Je lui fis un clin d’œil.

« À votre service mon bon seigneur ! »

Je me penchais vers lui pour murmurer sur le ton de la confidence :

« J’avoue, je me cache ici aussi pour échapper aux leçons de mestre Edwyn. »

Je lui offris un grand sourire avant de me redresser.
   

Que n’aurait pas donné Robb pour grandir avec sa fratrie. Que ne donnerait-il pas pour ne jamais avoir eu subir ce pupillage.

Au lieu de n’avoir été qu’un vulgaire visiteur de Winterfell accompagnant le Prince Viserys pendant cette première Lune de l’An 299, il aurait ainsi été l’aîné de la grande fratrie des enfants d’Eddard et Catelyn Stark qui accueillaient un Prince Targaryen sur leurs terres. Quelle fière allure aurait-il alors eu ! Il s’imaginait bien là, bien droit à côté de son père, à faire une petite courbette à celui qu’il nommait aujourd’hui la vipère …

A ce titre, il n’aurait donc pas rencontré sa fratrie comme ça avait été le cas en 299, il aurait grandi avec Jon, Sansa, Arya, Brandon et Rickon, et ce dès leurs naissances respectives évidemment, puisqu’il est leur aîné. Ainsi, il aurait pu soutenir plus tôt Jon face à Catelyn, et aurait d’autant plus insisté auprès de leur père pour demander sa légitimation. Bien sûr, ils auraient par ailleurs pu partager les mêmes centres d’intérêt (les épées et les filles) dès leur plus jeune âge, comme il avait pu le faire avec Aegon dans sa jeunesse à Port-Réal... Il aurait appris à monter à cheval à Sansa, comme le font souvent les grands frères trop pressés que leur jeune fratrie puisse les rejoindre dans leurs jeux, et ils seraient partis tous les deux explorer les alentours de Winterfell, comme ils avaient pu le faire, mais trop peu de fois, après qu’ils s’étaient rencontrés en 299. Ensemble, ils auraient cueilli des fleurs et des myrtilles, qu’ils auraient ramenées à leur mère, pour lui faire plaisir. Il aurait rejoint Arya dans ses farces contre le Maestre, tout en faisant mine de les réprimander face à leur deux parents, bon aîné injuste et fayot qu’il aurait été. Il aurait appris à lire peu un peu avant la naissance de Brandon, quel plaisir n’aurait-ce pas été pour lui que de lui faire découvrir ses passages préférés des histoires des Rois du Nord en les lui lisant le soir, pour l’endormir … Quant à Rickon, c’est lui qui aurait prié leur mère de lui accorder un nouveau petit frère, un autre bonhomme qu’il aurait pu façonner à son image, tyrannique grand frère.

Si Robb continuait dans ce chemin de regrets, il finirait même par admettre qu’il aurait aimé se réveiller sur un matelas rempli de mouise par sa sœur cadette. Cette pensée lui arrache un sourire, amer cette fois-ci. Arya souligne toutefois quelque chose qui vient apaiser ses remords : cet éloignement originel n’a pas empêché l’union de sa fratrie, et tous les efforts que ceux-ci y mettent pour la maintenir. Il n’est donc pas tout à fait perdant. Et puis, la pensée qu’il puisse devenir l’ennemi de l’un de ses frères le terrorise trop pour qu’il puisse un jour agir contre eux. De toute façon, cette guerre qui l’a opposé à Bolton, de sang Nordien comme lui, lui a déjà trop fait d’effet. Il espère que sa fratrie continuera elle aussi à œuvrer pour la paix, d’abord dans leur meute, et puis pour tout le Nord après eux.

Arya, bien décidée à amuser son frère, détourne son idée d’aiguilles à tricoter en pointes d’acier destinées à crever les yeux de ses ennemis, mais ç’aurait été mal la connaître que de croire qu’un objet contendant ne deviendrait pas entre ses mains une arme sanguinaire. Et de toute façon, Robb l’a bien compris, elle est montée ce matin dans sa chambre avec la ferme intention de le divertir, usant pour ce faire de toutes sortes de sévices, comme celui de de s’abaisser au rôle de bouffon, faisant ainsi de lui un Roi. Il pourrait même aller jusqu’à la soupçonner d’avoir jeté dans son bouillon quelque racine magique, tant son teint lui semble avoir recouvré quelques couleurs, ne lui en déplaise. Elle lui fait une pirouette, Robb s’assoit donc un peu plus droit dans son lit pour baisser le crâne à son tour, maquant ainsi le respect qu’un Roi doit à sa Bouffonne. Mais la jeune fille, provocatrice jusqu’au bout des pattes, en profite pour lui faire une confidence : elle veut échapper aux leçons de son maître dont elle fait exprès d’écorcher le prénom, il en est sûr, en traînant dans cette tour. L’air outré, Robb-le-Roi tend alors le bras pour adresser à sa ménestrelle une claque sèche derrière le crâne, et fait mine de prendre une mine d’autant plus sérieuse. « Un peu de respect pour Mestre Durwyn, mademoiselle ! » lance-t-il sérieusement, sachant toutefois sa jeune sœur tout à fait capable de décoder mieux que cela son ton. « Ne compte pas sur moi pour faire de ma chambre ta niche, tu sais très bien combien le Mestre me terrifie ! » Robb affiche pour mieux être cru par sa sœur une façade contrite et craintive, avant de se laisser finalement aller à un nouveau sourire.

Il est heureux de pouvoir s’amuser avec sa sœur, au moins aujourd’hui, à défaut d’avoir pu le faire avant cette fichue année 299.

La claque de mon frère suivit de son ton courroucé me fit écarquiller exagérément les yeux avant d’obtenir sur mon visage une petite moue triste tellement exagéré que n’importe qui savait que nous jouions un jeu avec mon cher frère. C’était un plaisir de voir que malgré l’éloignement, il n’était pas un visiteur dans un domaine, mais il avait bien retrouvé ses racines ici ainsi que sa famille. J’étais très fière que mon frère soit heureux ici, dans sa famille, dans son royaume. J’eus un large sourire malgré tout de le voir s’asseoir bien confortablement dans son lit pour me réprimander comme une enfant. Une niche ?!

« Wouaf ? »

J’imitais un chien entrain de faire le beau. Un peu plus et je tirais la langue ! Je repris malgré tout un air craintif comme-ci mon frère pouvait bien tenter de me faire du mal. C’était impossible ! Mon frère était une bonne patte. Patte, niche… Anciens que j’étais drôle. N’importe quoi Ara.

« Mon pauvre frère, t’es pas aidé dans la vie de tous les jours avec une telle sœur comme moi ! Digne d’un bon Bouffon. Mais je suis liée à toi ! Jusqu’à ce que tu m’offres la sainte chaussette de la liberté ! Et ensuite je serais un bouffon libre ! »

Je pris un petit air angélique avant de m’asseoir un peu en secouant la tête. À force de m’agiter dans tous les sens, j’avais une petite pointe de chaleur qui me montait aux joues.

« Ah ! Ce qu’il faut pas faire pour prendre quelques nouvelles de son frère aîné et le faire un peu rire ! »

J’aimais créer ce genre de souvenir entre nous deux simplement. Mais pas le temps de s’installer et commencer à lire, même si j’aimais cela, je me remis debout sur mes deux jambes bien vaillantes comparée à celles de mon frère. Je ne savais pas comment je faisais pour ne pas lui donner le tournis en tout cas, mais j’étais surtout très fière de lui offrir quelques éclats de rire. Je penchais la tête sur le côté en l‘examinant. Les bleus prendraient lentement une teinte myrtilles puis il y aurait bientôt plus rien… Mais il restait un détail à régler.

« Je pense vraiment que tu devrais te raser un peu. Parce que bon… T’épouse pas une Mormont qui aime les ours. Tu épouses une Omble toute délicate et douce ! »

Je disais cela, elle n’était pas une petite chose fragile, c’était un peu tout l’inverse. Ce n’était nullement une petite chose du sud. Une vraie et fière dame du nord.

« Dis-moi, avant que je ne reparte, est-ce que tu veux jouer aux dés ? En espérant que tu ne sois pas trop mauvais perdant. »

Je n’aimais pas beaucoup perdre ! Mais, si c’était pour faire plaisir à mon frère, je pouvais bien ravaler mon mauvais côté de a personnalité. Je secouai un peu la tête.

« Ou alors, je te fatigue trop et tu préfères que je m’en aille pour te laisser te reposer ? »

Peut-être qu’effectivement il ne voulait plus me voir et voulait se reposer enfin. Et non pas gérer une petite sœur qui dépensait une petite partie de son énergie dans ses pitreries juste pour tirer un sourire à son frère. Quoi que cela partait d’une bonne intention… Je me penchais vers lui.

« Et crois-moi, entre le mestre et Mère, crains plus Mère. Parce que c’est pas parce que tu seras père de famille ou quoi, que si elle veut te coller une fessée cul nu, elle le fera. »

Je hochais la tête, un petit air terrifié sur le visage. Mère n’avait jamais levé la main sur nous. Jamais. Mais elle n’en avait pas besoin.

Et quand voudrai-je ? Tout arrêter ? M’éloigner ? Céder ?  

Le Suzerain du Nord se laisse aller à quelques pensées morbides qui l’envahissent. Il sait que d’autres que lui qui laisseraient leur place avec joie. D'autres qui ne veulent pas du pouvoir qui leur est donné à eux, les administrateurs régionaux. Certains attendent la mort. Sera-ce son cas, un jour ? Cela reviendrait à les laisser gagner, non ? Tous ces Bolton et autres avides de sa place…

Robb Stark a trouvé la nature humaine plus palpable ces derniers temps, capable de s’unir face aux Spectres du Roi de la Nuit et de se déchirer quelques semaines plus tard autour d’une affaire de gouvernance. C’est ce qui l’attriste, ce qui le remplit de colère, ce jour. Sa sœur s’applique avec grâce à sucrer un peu sa journée en lui apportant ce bouillon et en imitant Nymeria à la perfection, mais Robb a l’impression que l’amertume continuera de le poursuivre quelques temps. Il ne bénéficie grâce à elle que d’un petit temps de répit ; il se rassure en estimant que c’est cela de pris.

Arya réclame une chaussette comme moyen d’accéder à la liberté, et Robb songe à la cruauté que représenterait de lui offrir une de celles qu’il porte aux pieds. De toute façon, il ne peut pas se contorsionner pour l’attraper, son corps est douloureux et rigide. Il se contente alors de sortir une jambe de la couverture en laine, et de gigoter ses orteils : « Prends-la toi, si tu veux ta liberté ! »

Le rose lui monte aux joues et il secoue le crâne quand sa sœur lui indique qu’il devrait se raser, car sa promise n’aimerait pas les ours. Cela fait des semaines qu’il n’a plus songé à cela : se faire beau pour sa mie. Il espère que ces prochaines semaines seront plus douces, qu’elles lui laisseront plus de temps pour les choses de la vie, et permettront qu’il mette de côté celles de la mort. Le Suzerain veut une suzeraine, Winterfell a besoin de se reconstruire, quel meilleur moyen pour cela que le mariage ? « Tsss, tais-toi et dis-moi, toi tu les aimes ours ? triton ? cheval ? ne me dit pas Géant, s’il te plaît … » Il la taquine et sait bien qu’il réussira à tirer d’elle un regard outré, si ce n’est pas une exclamation…

Arya lui propose une partie de dés, qu’il accepte sans rechigner : « Allez, une partie, si tu me promets de ne pas dire à Luwin que c’est chez moi que tu te cachais … ». Arya, à ce propos, lui indique que ce n’est pas du Maestre dont il devrait avoir peur, mais de Catelyn Stark. Il hausse un sourcil, étonné de ce que suggère sa petite sœur : leur mère, les battre cul nu ? jamais de la vie, un regard lui suffit bien assez. Mais Arya doit le savoir comme lui … Il lui montre du doigt une petite commode, et dit : « quelques dés sont cachés dans un tiroir » Il doit en avoir cinq ou six, fabriqués dans un bel ivoire sans défaut. « Comment notre mère pourrait-elle donc frapper son pauvre fils ?! » Il prend, pour convaincre sa soeur, un air de chien battu que Vent Gris ne saurait imiter. « Lui qui a grandit loin de ses siens, dans un nid de dragons ... Impossible ! En plus, elle trouverait cela dommage d'abîmer un si beau visage ! »

Le Suzerain rit.