Par delà les plaines et les rivières

Darkdell, an 303, lune 6, semaine 4,


A l’attention de Lady Célia Van,


Veuillez excuser l’aspect quelque peu… empressé de mon écriture. Je crains que ce dernier point ne transparaisse que trop dans cette missive. Je tenais en effet à honorer la promesse que je vous avais faite avant mon départ aussi rapidement que possible. A l’heure où je rédige ces quelques lignes, je suis de retour en ma demeure, dans le sud Bief. Si le voyage a été long et épuisant, fort est de constater qu’il s’est déroulé sans encombre. Mon époux, ainsi que moi-même, avons pu retrouver nos terres et le reste de nos familles comme nous le désirerions. Ser Aladore m’a d’ailleurs demandé de vous transmettre ses propres salutations, ce que je ne pouvais que m’empresser de faire.


Je tenais également à vous remercier une fois de plus pour l’accueil que vous nous avez fait, alors que nous nous trouvions à Bois-de-Saule. Bien que les circonstances ne se prêtaient guère à de quelconques réjouissances, cela fut un honneur de vous revoir, vous ainsi que d’autres Ryger de ma connaissance. Je ne sais si nos chemins se croiseront à nouveau, ou pour quelles raisons si telle est le cas. Les corbeaux de Bois-de-Saule seront toujours les bienvenus à Darkdell, cependant. N’ayez crainte, aucune missive ne saurait me déranger. L’écriture est un exercice que je trouve fort plaisant, bien qu’il m’arrive de prendre du retard dans cette activité pour des raisons indépendantes de ma volonté. Vous connaissez aussi bien que moi les déboires inhérents aux vies que nous menons.


Toujours est-il que je ne peux qu’espérer que ce corbeau vous trouvera en bonne santé, vous ainsi que votre famille. Nous nous sommes retrouvés pour de bien tristes raisons et nous nous sommes quittés tout aussi tristes, pour des raisons évidentes. Puisse cette lettre nous permettre de partir sur d’autres bases et d’adoucir cette peine que nous ressentons encore, vous et moi, si vous le permettez.


A ce propos, peut-être me permettriez-vous une légère digression ? J’ai rencontré votre nièce, Lady Liliyana Ryger, peu de temps avant mon départ. C’est une bien douce jeune femme, dont je ne peux que reconnaître l’affection qu’elle portait à Lady Melantha. Nous avons eu l’occasion d’échanger quelques mots, elle et moi, alors que je lui rapportai ce chien auquel elle tient tant. Elle m’a semblé profondément marquée par les récents évènements. Aussi, je me dois de m’enquérir de sa santé, tant sa détresse m’a semblé importante.


Puissent les Sept veiller sur vous et sur votre famille,


Lady Melior Vouyvère, Seigneur de Darkdell.

Darkdell, an 303, lune 7, semaine 4,


A l’attention de Lady Célia Van,


Faire ce voyage était une chose des plus naturelles. S’il a été éreintant, je n’aurai pu souffrir du fait de ne pas avoir pu faire mes adieux à votre mère. Bien que nous nous soyons rencontrées tardivement dans nos existences, je suis heureuse que les Sept m’aient permis de la côtoyer. Si nos foyers et nos terres sont pour le moins éloignés, elle m’est rapidement devenue une amie précieuse et je ne peux qu’espérer que cela se poursuivra entre nous, voire entre les Vouyvère et les Ryger.


Mon époux est un homme particulier, diraient certains. Pour poursuivre dans les confidences, nous nous connaissons depuis l’enfance. Il a été l’écuyer de mon oncle durant des années et a vécu à ce titre dans la même demeure que ma famille. D’aussi loin que je me souvienne, nous avons toujours été proches. Un mariage allait de soi, à dire vrai, lorsqu’il nous a été annoncé que nos familles voulaient renforcer une alliance entre elles. Il est plus que mon époux. Il est également mon meilleur ami, à dire vrai. Si Darkdell est sa demeure au même titre que la mienne, jamais il n’a cherché à se l’accaparer comme cela a pu se voir en d’autres lieux. Si la loi de son Altesse la Princesse Rhaenys Targaryen a changé bien des choses, je crains que bien des femmes seigneurs ne soient en réalité mises de côté par leurs époux respectifs. Il faudra du temps pour que cela change, hélas.


Toujours est-il que notre rookerie est ouverte à tous les missives que vous voudriez me transmettre. J’ai moi aussi bon nombre de parents qui vivent à plusieurs semaines de trajet de ma demeure. Le Bief est une région des plus vastes. Si ma sœur a épousé l’actuel Seigneur des Nègrebar, et que ma tante Rohanne a épousé un Cuy, les lettres sont bien le seul moyen dont je dispose pour avoir de leurs nouvelles. Cela et les mondanités dont seul le Bief à le secret, bien sûr. Les femmes m’ont toujours semblé être des voyageuses dans l’âme, tant il est fréquent que nous quittions notre demeure pour une autre au cours de notre vie.


Les Darkdell sont passés par une même période, raison pour laquelle je vous renouvelle mon soutien à ce sujet. Je ne suis pas devenue Seigneur de Darkdell car les Sept n’avaient donné que des filles à mes parents. Deux de mes frères ont survécu à l’enfance. Hélas, ils sont tous deux morts avant notre père. Ce n’est qu’en vertu de la loi de son Altesse la Princesse Rhaenys que je suis devenue héritière. Sans cela, Darkdell se serait retrouvé entre les mains de d’autres Vouivres. Aussi,  je ne comprends que trop bien le chagrin qui est celui de Lady Liliyana. Les Sept seuls savent à quel point le deuil est une épreuve douloureuse. Vous l’avez cependant dit vous-même, vous ployez mais ne rompez point.


Le temps fera son œuvre, de même que les soins que vous lui apportez. Avec vous et les autres Ryger, je n’ai que peu de doutes quant au fait qu’elle saura se relever de cette épreuve. La vie doit reprendre et suivre son cours. La chasse que vous décrivez en est un bon exemple. Si je n’ai pas pu m’y rendre, des affaires urgentes m’attendaient à Darkdell de même que mes chers enfants, j’ai appris qu’elle avait été fructueuse. Si quelques blessés ont été à déplorer, le spectacle a été des plus intéressants. Si l’expérience est reconduite, lorsque les tensions se seront apaisées, je me ferai une joie de me joindre à l’évènement et de vous en faire le récit.


Puissent les Sept veiller sur vous et sur votre famille,


Lady Melior Vouyvère, Seigneur de Darkdell.

Darkdell, an 303, lune 9, semaine 4,


A l’attention de Lady Célia Van,


Je vous prie de m’excuser pour mon silence durant cette lune. N’ayez crainte, votre corbeau est bien arrivée dans notre volière en un seul morceau. J’ai cependant du faire face à ces difficultés qui sont le plus souvent l’apanage des hommes gérant des maisonnées. Je ne sais si je vous en avais fait part mais mon époux et moi sommes les parents de trois beaux enfants. Notre fils aîné, Bertram, est à cet âge où il convient de le faire entrer petit à petit dans le monde des hommes. Il a quitté Darkdell il y a peu, afin de devenir l’écuyer de l’un de mes cousins. Préparer son départ n’a pas été de tout repos, pour des raisons que vous pouvez imaginer aisément.


L’idée de vous écrire n’a cependant pas quitté mon esprit. A présent que les Sept m’en ont donné l’opportunité, je prends donc à nouveau la plume ! Il est vrai qu’Aladore et moi nous sommes fort bien trouvés. J’ai conscience que ce fait est une rareté et qu’il me faut chérir ce présent qui m’a été fait. Nous avons passé une partie de notre existence sur les routes, pour le bien des Costayne et de leurs desseins. Une vie peu commune pour une femme, il est vrai. Sans doute est-ce l’avantage ; l’apanage, des seconds et derniers-nés. Avant d’être mon époux, il est également un ami de longue date, mon compagnon de voyage et mon confident.


Lady Melantha m’a parfois parlé des membres de votre fratrie et de leurs destins. Je suis cependant désolée d’apprendre le décès de votre sœur aînée. L’Étranger est bien cruel avec les femmes que nous sommes, pour nous faire quitter ce monde en laissant derrière nous une vie débutant à peine… A dire vrai, j’étais fort proche de mes frères. Les perdre a été un réel déchirement, tout comme cela a été le cas pour mes parents. J’ai cependant bon espoir de pouvoir rendre aux Vouyvère leurs lettres de noblesse. La joie qui nous manque grandement également.


Je vous en prie, transmettez mes félicitations à votre fille ! Le printemps semble décidément porteur de nombreuses promesses. Que la Mère lui permette de passer une grossesse calme et les garde en bonne santé, elle et son enfant à naître. Puis-vous demander s’il s’agit de son premier enfant ? Si vos pas devaient vous mener jusqu’à Darkdell, nous nous ferions un plaisir de vous accueillir. Notre maisonnée est de petite taille mais notre logis est confortable et peut accueillir plus d’une famille. Quant à nos murailles… J’ose espérer qu’elles nous protégeront une fois de plus, quoiqu’il puisse se produire dans les lunes à venir.


Que les Sept veillent sur vous et sur votre famille et en espérant avoir prochainement de vos nouvelles,


Lady Melior Vouyvère, Seigneur de Darkdell.

Darkdell, an 303, lune 12, semaine 4,


A l’attention de Lady Celia Van,


Je vous prie d’excuser mon silence. A dire vrai, j’avais grandement envie de vous répondre. Hélas, mon quotidien a été… disons troublé à bien des égards. Je tiens cependant à vous rassurer, je me porte pour le mieux, à présent. Les soins de mon Mestre ont eu le meilleur des effets et je dois dire que ces petits tracas me sont fort bien connus. Il semblerait que les Sept m’aient fait le don d’une nouvelle vie sur laquelle veiller. Vous-même êtes déjà passée par là plusieurs fois, Lady Celia. La fatigue m’a plusieurs fois prise, lorsque ce n’était pas les nausées, lorsque je souhaitais me remettre à l’écriture. Notre Mestre est cependant confiant, tout devrait se passer pour le mieux aussi bien pour moi, que pour cet enfant que j’attends.


Comme vous pouvez l’imaginer, cette nouvelle a réjoui plus d’une personne à Darkdell. Ici comme dans le Conflans, comme ailleurs, des temps bien sombres s’annoncent. Aussi, cette petite étincelle de vie n’en est que plus précieuse encore. Nous connaissons encore quelques réjouissances également. Ma belle-sœur a en effet pu épouser l’homme qu’elle aimait depuis bien des années maintenant. Tout cela n’a pu que nous mettre du baume au coeur. Puissions-nous tous trinquer à nouveau au plus vite, lorsque tout danger sera écarté.


J’ai été désolée d’apprendre le décès de Lord Perwyn. Veuillez accepter mes plus sincères condoléances à nouveau et mes encouragements, tous aussi sincères, au nouveau Lord Richard. J’espère que les quelques nouvelles que j’ai pu énoncer plus tôt vous permettront de retrouver quelque peu le sourire. Je vous sais bien entourée cependant, bien que le décès d’une mère, d’un père et d’un oncle ne puissent qu’être lourds à porter… Quand au sort de Lady Vance… Par les Sept, cette nouvelle m’a causé bien des émois. Je crains qu’elle m’ait également empêchée de vous répondre, veuillez m’en excuser. Je tenais Lady Liane en haute estime. Il m’est impossible d’imaginer comment une telle déchéance a pu se produire.


Je ne doute pas que votre fille sera bien entourée malgré votre absence. Je ne sais que trop bien que vous trouver à ses côtés revêtait une grande importance pour vous. Pour elle également, j’imagine. Je suis certaine qu’elle ne vous en tiendra pas rigueur et qu’elle préfère vous savoir en sécurité à Bois-de-Saule. Je ne doute pas qu’elle vous donne fréquemment de ses nouvelles. Du moins, aussi souvent que cela lui est possible.


Je ne sais si nous aurons l’occasion de nous écrire à nouveau. Sachez cependant que notre rookerie accueillera toujours vos corbeaux et que mes prières vous seront destinées également. Et ce, qu’importe le temps qui pourrait s’écouler. Je vous prierai également de transmettre mes vœux de bonheur à votre fils Cleos et à votre neveu. Nous vivons dans une époque pour le moins particulière. Ils ont cependant une chance de connaître un répit des plus salutaires.


Votre amie,


Lady Melior Vouyvère, Seigneur de Darkdell.

Darkdell, an 304, lune 6, semaine 4,


A l’attention de Lady Célia Van,


Il n’y a pas d’excuses à formuler, ma chère amie. Les temps sont durs, les temps sont sombres. Il s’agit d’une nouvelle épreuve que nous devons traverser, vous et moi. Nous en avons vécu bien d’autres et j’ose espérer que d’autres obstacles se dresseront devant nous. Nous sommes des battantes. Je crains qu’il s’agisse désormais d’un mode de vie à part entière, d’une arme comme une autre. Je suis heureuse d’avoir pu vous lire, de savoir que vous êtes toujours pareille à vous-même malgré les épreuves que vous traversez. Soyez toujours assurée de mon soutien à ce sujet.


J’aurai aimé vous répondre plus tôt. Je ne sais quelles nouvelles du Bief peuvent vous parvenir, dans le Conflans. Toujours est-il que la Seigneur que je suis à eu fort à faire. Mon rôle de mère m’a aussi accaparée, pour bien des raisons. Je ne peux vous cacher que la mort de Lady Liane y est pour beaucoup. Tout comme votre mère, j’avais beaucoup d’estime pour cette femme. Son décès m’a quelque peu ébranlée, bien que je ne pouvais guère me pencher sur ces sentiments pour des raisons des plus évidentes. Hélas, ce n’est pas la seule raison de mon silence.


Ma pauvre Célia, comme il me désole de vous annoncer de fort mauvaises nouvelles. Dans le Bief, le sang a coulé. Les gens de ma propre sœur se sont opposés aux miens et… Et je crains que les bannières des Florent aient été aperçues du côté ennemi… Je ne veux guère remuer le couteau dans cette plaie que la mère que vous êtes a reçu. J’ai beaucoup de respect pour vous, Lady Célia. De l’amitié également. Hélas, les mots de mon oncle ne peuvent être plus clairs et je ne peux les mettre en doute. Notre sang a trahi sans que nous ayons pu nous en rendre compte, la faute à la distance qui existait entre vous et votre fille et entre moi-même et ma propre sœur.


J’en apprendrais davantage lorsque mon époux sera en état de m’écrire, je suppose. Je suis désolée d’être un tel oiseau de mauvais augure. Que cela soit moi ou vous, nous n’avions guère besoin de cela, de devoir prendre des décisions aussi drastiques. Pour le reste, vous avez on ne peut plus raison. Cela fait maintenant trois lunes que mon fils, Gillian, a vu le jour. C’est un enfant en parfaite santé, une petite chandelle dans cette tempête que nous traversons. Mon époux n’a cependant pas encore pu le rencontrer… La bataille a eu un fort impact sur lui et je ne sais lorsqu’il me reviendra. Mon cœur est cependant léger, le sachant en vie et entouré de personnes compétentes pour veiller sur lui.


Prenez soin de vous, Lady Célia et que les Sept accordent leur protection à votre famille. J’espère pouvoir vous donner des nouvelles plus douces du Bief lorsque vous m’écrirez la prochaine fois.


Votre amie,


Lady Melior Vouyvère, Seigneur de Darkdell.

Darkdell, an 304, lune 8, semaine 1,


A l’attention de Lady Célia Van,


Votre détresse n’a pu que me toucher, chère amie. Il m’a fallu prendre un peu de temps pour rédiger cette lettre. Pour peser le poids de chacun de mes mots, de chacune de mes phrases. Car je sais que votre cœur de mère est lésé. Je m’en veux d’avoir été un tel oiseau de mauvais augure. Cependant, je ne pouvais vous laisser dans la méconnaissance de cette nouvelle. Vous deviez être l’une des premières au courant. Pour vous protéger, pour protéger les Ryger et les Van. Tout comme moi je me devais de prendre connaissance de cette vérité, afin de protéger les miens au mieux.


Comme j’aurai aimé vous dire que mes hommes se sont trompés. Comme j’aimerai qu’il ne s’agisse que d’une erreur, qu’une d’une simple vue de l’esprit. Hélas, il n’y pas de doute possible, je le crains. Je partage votre douleur, Lady Célia. Ma mère partage la vôtre également, de savoir l’une de ses filles dans le camp adverse. Nous ne pouvons savoir ce qui a causé cette trahison. J’ai ressassé ma correspondance passée avec ma cadette, en recherche d’un indice, d’un début de réponse. Mes recherches en sont ressorties vaines, malheureusement. Je ne sais ce qui a pu pousser les Nègrebar à agir de la sorte. Tout comme je ne peux imaginer ce qui a poussé une grande et auguste famille comme les Florent de tourner casaque…


Le seul secours que je peux vous apporter est de vous transmettre des nouvelles s’il m’en parvient. Mon fief est en effet bien éloigné de celui des Florent. Vous avez cependant ma parole, je vous ferai par de toutes les choses qui pourraient me parvenir au sujet de votre fille. Ma famille dispose de certains liens avec les Tyrell. Non pas par le sang, mais par l’amitié ou le service. Lord Willos est un homme bon et doté d’un intellect des plus remarquables. Il a toujours eu toute ma confiance, même avant d’arriver à la tête de notre Couronne.


Je ne sais la manière dont il pense traiter ceux et celles qui se sont détournés de lui et de notre roi légitime. Je le sais cependant avisé. Je ne sais si ma voix pourra avoir un impact quelconque sur ses décisions au sujet des Florent, ni même si je dispose d’un quelconque pouvoir à ce sujet. Je suis cependant moi-même une mère. S’il m’est possible de plaider en faveur de votre fille pour une raison ou pour une autre, je tâcherai de le faire de la meilleure des manières. Je veux cependant croire que nos suzerains respectifs sauront faire preuve de discernement lorsque la paix nous sera revenue et qu’il sera temps de faire les comptes.


Veuillez faire part à votre fils et à son épouse de mes félicitations les plus sincères pour leur mariage. Il est bon et rassurant de voir que certaines choses s’évertuent à suivre leur cours malgré la guerre qui nous guette ou qui nous a déjà attaqué. Puisse les Sept et surtout le Ferrant nous apporter une victoire rapide et la moins coûteuse en vies possibles. Je ne peux que prier pour que nos enfants, et petits-enfants, puissent connaître eux aussi la paix après ce que nous aurons enduré.


Que les Sept veillent sur vous et sur votre famille. J’espère qu’un jour prochain, nos lettres respectives se feront plus légères. Ou que nous pourrons célébrer cette paix retrouvée comme il se doit.


Votre amie,


Lady Melior Vouyvère, Seigneur de Darkdell.

Darkdell, an 304, lune 10, semaine 2.


A l’attention de Lady Celia Van,


Ma chère, je suis heureuse d’apprendre que mes mots aient pu vous rassurer. Cette guerre nous met tous et toutes dans des positions pour le moins indélicates. Les frères combattent entre eux, les sœurs aussi et les parents pleurent leurs enfants perdus. Et lorsqu’ils reviennent… Par les Sept, je ne sais s’il est réellement possible de revenir entier d’une guerre comme celle que nous vivons. Vous aussi avez vécue la Rébellion du Cerf et vous en gardez un souvenir cuisant, tout comme moi. Il m’arrive encore de me demander si ceux et celles qui en ont été les premières victimes ont réussi à panser leurs blessures…


Ou si celles qui combattent actuellement, ou ont combattu, pourront continuer de vivre comme avant l’appel aux armes. N’ayez crainte, mon amie, ces mots resteront entre vous et moi. Vous craignez pour la vie de vos enfants, c’est là le lot des femmes de notre condition. Je ne peux l’affirmer avec certitude mais cela ne m’étonnerait guère que ma mère, Lady Alysane, prie aussi bien pour moi que pour ma sœur. Le cœur d’une mère ne peut souffrir de voir ses enfants séparés de la sorte, que cela soit à cause d’une dispute ou d’une guerre. Nous aimons plus que nous détestons et j’en connais plus d’une qui serait capable de pardonner toutes ses errances à son enfant par amour.


Cette lettre s’est faite attendre. J’espère que cela n’a pas causé de trop grandes inquiétudes à votre cœur, déjà fort malmené. Mon époux est revenu de Villevieille il y a peu. Je… Je crains que, tout comme vous, le sommeil me fuit depuis ce moment. Aladore est la douceur incarnée. Il sait se battre, et reste un fier chevalier du Bief, mais il a toujours préféré les mots à la pointe de son épée. Mon amie, je… Tout a tellement changé. Il voit des monstres que je ne peux voir. Je n’étais qu’une enfant durant la Rébellion du Cerf. Et pourtant, j’entends encore les cris de mon père, ceux de mon frère. Ils criaient jusqu’à en manquer d’air... Telle est la raison de mon silence, bien involontaire. Cette guerre me torture jusque dans mes rêves alors que jamais il ne me fut donné de ceindre une épée…


Je l’aime, vous savez. Plus que tout même. J’ai eu la chance de faire un mariage d’amour en plus de combler les volontés politiques de feu mon père. Cela rend la situation encore plus enrageante. Que puis-je faire si ce n’est prier pour son rétablissement ? Le simple fait d’être en sa présence me cause un trouble que je ne sais expliquer, tant il m’est douloureux de ne rien pouvoir faire pour lui porter secours. Je peux lever un bataillon, protéger mes gens, tirer les ficelles d’un commerce honnête mais cela… Cela reste hors de ma portée Il était… Il était si craintif, Lady Celia. Je n’avais encore jamais rien vu de tel. Vous qui étiez déjà une femme lors de la précédente guerre, avez-vous une solution à m’apporter ? Même minime, cela pourrait soulager mon cœur et mon âme. Je ne veux pas l’abandonner mais je ne sais comment m’y prendre pour y parvenir… Je ne veux pas me croire déjà perdante dans cette étrange bataille.


Veuillez excuser cet égarement de ma part. Je dois vous avouer que lire le nom de Flowers dans l’une de vos lettres m’a fortement étonnée. Pourriez-vous me donner le prénom de cet individu ? Au vu de son patronyme, il ne me semblerait que peu étonnant que son identité me soit inconnue. Si cela n’a que peu d’importance dans cette histoire que vous me comptez, j’aimerai me faire une idée de la personne dont il est question ici. Comme il est inconvenant d’imaginer votre petite Liliyana dans une telle situation ! J’ose espérer qu’il n’a pas eu l’occasion de lui faire du mal ? La pauvre enfant… Qu’importe que ses yeux ne peuvent se poser sur le monde qui l’entoure. Elle mérite un beau mariage malgré tout, et non pas de se mêler aux problèmes de la sorte !


Je ne sais qui pourrait prétendre à la main de votre protégée. J’ai cependant la certitude qu’il existe des hommes d’honneur dans ce bas monde qui sauraient l’aimer et la chérir malgré le mal qui l’accable. Vous trouverez une solution digne d’elle et du rang qu’elle occupe. Je partage cependant vos inquiétudes la concernant. De tels égarements devront être évités à tout prix à l’avenir. Votre nièce ne m’a pas semblé idiote. Les hommes sont capables de bien des bassesses, malheureusement…


Je vous renouvelle ma promesse. Je ne sais si je serais écoutée mais si la parole m’est donnée, j’en ferais bon usage. Une partie de mes troupes m’est revenue, en compagnie de mon époux. Une autre se trouve toujours aux côtés de mon oncle. En vertu de nos liens privilégiés avec les Costayne, nous ne pouvions que nous tenir à leurs côtés même après que leur demeure leur eu été rendue. Avec mon accord, mon oncle a également promis au père de mon époux de l’aider à secourir les membres de sa famille retenus en otage. Les prochaines semaines seront déterminantes dans ce but, bien que j’espère une issue favorable pour nous et pour les Costayne.


Jusqu’à ce dénouement, je suis dans la même situation d’attente que vous, ma chère amie. Puissions-nous nous tenir compagnie jusqu’à temps qu’il nous soit possible de nous réjouir de leur retour ou de la fin de cette guerre.


Votre amie,


Lady Melior Vouyvère, Seigneur de Darkdell.

Darkdell, an 304, lune 11, semaine 4.


A l’attention de Lady Célia Van,


Ma chère amie,


Mon cœur n’aurait pu être plus soulagé qu’au moment où mon époux passa nos murailles. Comprenez donc à quel point il peut saigner à présent, lorsqu’il m’est donné de le voir dans ce lugubre état. Nous vivons au jour le jour, un fait auquel votre humble servante n’est que peu habituée. Imaginez la honte qui m’accompagne dès lors. Ces images que vous décrivez, elles me sont si douces, si connues. Dès lors, la peur de ne jamais pouvoir les ressentir à nouveau n’en est que plus intense encore… Tant et si bien que le simple fait de se trouver en sa présence est une bien dure épreuve pour mon âme, à mon grand désespoir.


Notre Mestre m’a fait bien des recommandations. Les suivre est parfois une réelle torture, plus encore lorsque la solitude se fait votre amie. L’encre semble être d’une autre couleur, comme si la lettre avait été écrite en plusieurs fois. Cependant, il s’agit d’un sacrifice inévitable. Les Vouivres ne se complaisent pas dans la douleur ou dans les pleurs. Cela a été mon cas bien trop longtemps. Un égarement passager, dont vous avez su me tirer. En cela, veuillez recevoir mes remerciements les plus sincères. Vos mots m’ont été bien précieux, plus que vous ne pouvez l’imaginer. Que mon courage m’ait quitté un instant, il m’a été rendu pour mon plus grand bonheur ! Il en va de même pour Aladore.


Bien d’autres familles  n’ont pas eu cette chance, les Sept aient les âmes de ces malheureux qui sont morts pour une cause bien plus grande qu’eux… Il m’arrive de songer à cette Rébellion. Celle durant laquelle tant de sang a déjà coulé. Dans ces quelques moments, ces idées se glissent dans mes pensées. Où en serions-nous si Robert Baratheon avait survécu ? Aurions-nous cette discussion ? N’y voyez pas là une quelconque envie de trahison, ou d’un futur qui aurait pu sembler préférable à ce destin qui semble être le nôtre. Les volontés des Dieux sont ainsi faites. Peut-être que les dragons ne voleraient plus à nouveau dans le ciel. Peut-être que toutes ces batailles dans le  Bief et dans le Val n’auraient pas eu lieu. Aurions-nous juste pu survivre à ces monstres venus du froid sans le feu de ces dragons pour les envoyer dans un Enfer dont ils ne ressortiront pas ? Tant de questions et si peu de réponses. Il m’arrive d’en avoir la migraine, la fatigue aidant…


Veuillez excuser cet écart de ma part. Être Seigneur au vu de ma condition n’est pas une chose aisée. Il me faut être sur tous les fronts. Être mère, épouse, garde malade, stratège et moi-même. Au fond, il ne s’agit que de plusieurs de mes facettes. Dans de tels moments, vous écrire n’en devient que plus précieux encore, ma tendre amie. Il me semble pouvoir vous apporter quelques informations quant à ce Flowers que vous me décrivez. Il s’agit d’un bâtard de la maison Des Essaims, si mes souvenirs sont justes. Vous me voyez navrée des libertés qu’il a pu prendre avec votre nièce.


En parlant d’elle, par ailleurs, il m’est difficile de vous conseiller quant à la conduite à suivre. Et ce, quand bien même les choses ont été arrêtées à temps. Votre désarroi à son sujet ne peux que me toucher. Laissez-vous du temps, Lady Célia. En des temps aussi sombres que ceux que nous connaissons, nous avons tous et toutes nos propres fardeaux et les porter se révèle souvent bien douloureux qu’importe leur nature. Grandir n’est pas une chose aisée, surtout lorsque nos repères se sont évaporés de manière brutale, comme cela a pu être le cas pour votre nièce. Laissez-la réfléchir quant à sa conduite. Montrez lui que son sort vous importe, que vous faites tout pour qu’elle ait un avenir à sa mesure, cécité ou non. Elle est encore jeune et la jeunesse ne se rend jamais totalement compte des sacrifices que leurs aînés peuvent faire à son intention. Mais par pitié, prenez soin de vous. Votre mission n’est pas achevée, au contraire. A mon sens, elle ne fait que commencer.


Permettez-moi de me répéter alors que cette lettre s’achève. Ne soyez pas trop dure avec vous-même. Suite à la disparition de votre mère, vous avez pris une toute nouvelle place dans votre famille. Il m’est impossible de douter que vous n’en êtes pas à la hauteur. Donnez-moi raison, c’est là un ordre ! Nous, femmes que nous sommes, nous menons des batailles bien différentes de celles de nos comparses masculins. Elles n’en sont pas moins primordiales à plus d’un titre. Prenez soin de vous, de vos proches et de votre chère Liliyana. Et puissent ces mots résonner en vous : Vous pouvez le faire.


Avec l’expression de mes meilleurs sentiments,


Lady Melior Vouyvère, Seigneur de Darkdell.