Aux portes du changement, un coeur ouvert fait loi ¤ Jon

La bataille était terminée. Fort-Terreur avait été pris. Roose Bolton exécuté et seul son bâtard courrait toujours dans la nature. Eleyn en savait quelque chose sur ce dernier point, pour être la dernière à l'avoir vu et ce, bien trop longtemps à son goût. Elle n'avait rien obtenu de cette envie vengeresse qui lui tiraillait encore les entrailles, si ce n'était des confidences dont elle se serait bien passée, là aussi. Inutile de s'attarder sur la honte qu'elle avait ressenti lorsqu'elle était rentrée au camp des armées du Nord, bien des heures après celle où elle aurait dû se présenter. Le soulagement de la revoir saine et sauve avait lui aussi été très vite été supplanté par les paroles féroces de ses proches, pétris d'inquiétude. Elle avait beau ne pas être à l'origine de sa défection, il n'en restait pas moins que sa capture s'ajoutait à ses dernières frasques. Après tout, si elle s'était contentée de panser ses plaies dans sa tente au lieu de partir à la traque de Ramsay, cela ne serait jamais arrivé. Le ton avait bien failli monter avec les soeurs Mormont mais chacune en avait pris son parti, serrant les poings et balayant les reproches ou les répliques d'une pensée : elle était entière, les derniers jours avaient été rudes, il ne s'agissait plus de se disputer.

Ainsi donc, le combat pour récupérer Dacey avait touché à sa fin. Pour tout un chacun, il avait été l'heure de reprendre la route de ses terres, le coeur lourd des hommes perdus mais la fierté de la victoire se lisant sur chaque visage. Sauf celui d'Eleyn. Parce qu'elle savait que le sien n'était pas fini. Loin de là. Elle savait que Jon lui pardonnerait difficilement d'avoir outrepassé ses ordres et bien qu'ils se soient accordés une trêve après son duel contre Locke, puis plus tard sous sa tente, elle avait conscience que le moment viendrait où ils devraient en discuter. Si elle avait pu espérer, ne serait-ce qu'un instant naïf, qu'il passerait outre, sa disparition nocturne avait semblé être ce qu'on appelait communément "la goutte qui faisait déborder le vase". Elle avait retrouvé son compagnon au visage fermé, les traits durs et l'air tellement déçu que le garde en avait eu le coeur serré. Néanmoins, il s'était gardé de lui faire part de ses pensées et ne l'avait toujours pas fait depuis.

Car depuis, ils avaient eu le temps de regagner Winterfell. Ni un mot échangé sur le trajet, pas plus qu'une fois les portes passées. Pour tout dire, chacun se serait accordé à objecter qu'ils s'évitaient, tout simplement. Mutuellement. Eleyn redoutait la confrontation et s'arrangeait toujours pour pouvoir s'éloigner ou être occupée s'il était dans les parages. La guerrière frondeuse se retrouvait dépassée par la crainte d'une dispute dont, pour une fois, elle ne se moquait pas des conséquences. Elle connaissait ses soeurs par coeur, de leurs réactions jusqu'à la façon de se réconcilier avec elles ... Mais lui ? Si elle l'avait cru aussi doux que d'autres candides en était persuadés, elle se serait moins affolée. Grosse erreur. Quelque chose lui soufflait qu'il était bien moins placide qu'il n'en laissait l'image et elle n'avait aucune envie que leurs deux têtes de mule se heurtent brutalement.

Le petit jeu aurait pu durer encore un bon moment si un corbeau n'était pas arrivé à son attention. " Eleyn, je te prierais de te présenter sur l'Île dès que tes obligations te le permettront. " avait écrit Maege Mormont. Et quand Maege Mormont vous enjoignait poliment de ramener votre séant en sa demeure, ça sentait la croupe roussie. En des termes plus familiers, elle allait vous faire votre fête, murs tremblants, feu grégeois de récriminations et tout le barda. La jeune femme avait grimacé avant de froisser la missive. Elle l'avait senti venir, celle-là aussi, elle espérait juste ... Quoi, exactement ? Se faire oublier ? A peu de choses près. Quelle couarde elle faisait ! Quelle bravoure à acclamer ! Dans un ultime soupir, elle décida qu'il en était assez de sans cesse faire l'anguille et quitta sa chambre.

Une bataille après l'autre.

Lorsqu'elle avait déclaré chercher Jon Snow, un des gardes lui avait indiqué la forêt avoisinante. Au vu de sa dernière expérience, la perspective de retourner au fond des bois l'enchantait au moins autant que de devoir se planter sa dague dans la main, mais l'idée d'être effrayée par la nature elle-même lui seyant encore moins, elle s'exécuta. Au bout d'une poignée de minutes de marche, elle entendit un grondement sourd à travers les feuillages et un museau blanc apparut sur sa droite. Loin de dégainer, elle leva les mains en signe de paix.

" C'est moi Ghost. Eleyn. " Le loup cessa de grogner, non sans continuer de la lorgner avec, elle l'aurait juré, mauvaise humeur. Bien sûr, si le maître lui en voulait, il en allait de même pour la bête. Elle se retint de lever les yeux au ciel. Inutile de provoquer l'animal, d'ici que vexé, il soit tenté de laver l'affront à coups de crocs. " Tu veux bien me conduire à ton maître ? " Ghost se détourna et elle suivit le loup qui l'ignorait superbement. Il sembla même s'arranger pour la faire passer par les sentiers plus escarpés possibles et s'il avait été doté de parole, ne se serait certainement pas gêné pour se moquer de sa maladresse alors qu'elle trébuchait sur une racine. C'est ça, marre-toi pensa-t-elle, quelque peu blessée dans son orgueil.

Ils trouvèrent ledit maître, apparemment occupé à s'entraîner. Elle pensa à rester en retrait mais vu de qui elle était accompagnée, difficile de ne pas troubler sa solitude. " Je ne voulais pas te déranger. " fut tout ce qui lui vint à l'esprit maintenant qu'elle était face à lui. Elle sentit sa belle détermination flancher bien qu'elle s'obstina à ne pas baisser le regard. Ce n'était pas ce qu'on pouvait qualifier de sage repentance.

Le moins qu'on pouvait dire était qu'il n'avait pas l'air ravi de la voir en ces lieux. Elle vit sa main raffermir sa prise sur le bois de son arc à peine se fut-elle annoncée et cela suffit à la jeune femme pour comprendre que le duel s'annonçait rude. Néanmoins, même jusqu'ici, elle gardait encore le mince espoir que quelques plates excuses suffiraient à faire redescendre la pression qui tendait les muscles de Jon. Après tout, il n'en possédait peut-être pas le nom mais à ses yeux à elle, il était un Stark. Famille réputée pour sa sagesse et la rareté de ses emportements. Pour son sens de la justice et de l'honneur, également. De ce qu'elle avait toujours connu du jeune homme, il semblait perpétuer ces valeurs et quand bien même, elle doutait qu'il entre dans une rage folle seulement à cause ... D'elle.

Grosse erreur.

A croire qu'elle avait déjà oublié la raison de son renâclement à l'affronter. A savoir, qu'elle se méfiait moins d'un homme prompt à dégainer et aux lèvres retroussées à la plus petite contrariété que d'un autre à la mine en apparence tranquille. Ils étaient les plus fourbes, les plus dangereux. Après tout, si un feu allumé n'hésite pas à tout détruire sur son passage, il suffit de réveiller un torrent endormi et il l'annihilera sans scrupules.

Malheureusement pour elle, elle avait provoqué ce dernier élément. Elle le sentit dans le silence qui s'installait et qu'elle ne savait comment crever sans faire montre de plus d'indélicatesse que sa simple présence ne l'était déjà. Elle l'entendit dans le ton de sa voix alors qu'il s'en chargeait enfin, la colère grondant, sous-jacente. Promesse de mauvaise augure. Son visage balafré lui renvoyait l'écho de plaies encore plus profondes, invisibles à l'oeil nu. Elle inspira.

" Jon ... " tenta-t-elle doucement. Mais rien d'autre ne vint. Elle faillit se mordre la lèvre, bêtement, mais la douleur de sa peau encore gonflée l'en dissuada juste à temps. De toute façon, il ne la regardait ni ne l'écoutait déjà plus, lui semblait-il. Il se concentra et de sa dernière flèche, il abattit un lapin quelques mètres plus loin. Ghost s'empressa d'aller la dévorer et l'espace d'un instant, ironique allégorie, elle eut l'impression d'être à la place de cette pauvre bête. A la différence qu'elle, était loin d'être aussi inoffensive. " Jon, écoute, je ... " Cette fois, qu'importe qu'elle eut peut-être trouvé les mots, ce fut lui qui l'interrompit. C'est donc pour ça que tu ne cesses d'en faire qu'à ta tête ? Ne pas me déranger ? Il se faisait cassant, presque agressif. N'importe quelle autre femme bien élevée en ce monde aurait certainement courbé l'échine et le menton en signe de reddition. La parole d'un homme faisait loi, une femme ne pouvait s'y soustraire. Sauf que lorsque l'on venait de la Baie des Glaces, comme Eleyn et qu'on avait grandi comme elle, aussi indépendante et peu habituée aux jougs de ces messires, il était difficile de se plier à cette coutume. " Je sais que je t'ai désobéi et crois-moi, je suis navrée d'avoir dû en arriver là. " répliqua-t-elle. Sa voix ne vacilla pas, pas plus qu'elle ne fit mine de ployer, bien que les battements de son coeur commençaient à s'emballer. Le contraste entre le Jon auquel elle avait affaire d'habitude et celui qu'il lui présentait en cet instant était trop saisissant pour la laisser indifférente.

Pourtant, elle n'avait pas hésité. A ne pas s'excuser. Parce que ce n'était pas son pardon qu'elle lui demandait. Elle se justifiait. Autrement dit, elle partait mal. Elle ça n'alla pas en s'arrangeant. " Tu refusais que j'exécute mon plan alors qu'il était tout ce qu'il y avait de plus sensé ! Les stratèges piétinaient, Dacey étaient aux prises avec cet immonde chien assoiffé de chair et de sang, qu'étais-je censée faire ? Attendre qu'ils nous la renvoient en plusieurs morceaux ou la tête au bout d'une pique ? Tandis que si j'entrais, seule, j'avais une chance de la faire sortir de cette forteresse au plus tôt. Au pire, si je m'étais faite attraper, ils n'auraient tué que moi. Et quelle importance tant qu'elle était sauve ? Je ne pouvais pas au moins ne pas essayer, Jon. Tu as une famille toi aussi, je pensais que tu finirais par comprendre le sacrifice que je m'étais préparée à faire. Que j'aurais fait, sans hésiter, s'il l'avait fallu. " Voilà qu'elle avait commencé à s'agiter, ses mains fendant l'air devant elle, aussi agacées que l'étaient ses paroles. Hargneuses, même. Son compagnon n'avait pas l'apanage de la sensation d'oppression. La colère bouillonnait dans ses veines depuis l'instant où elle avait vu sa soeur avec un couteau sous la gorge et ne l'avait pas quitté depuis. Oui, elle avait outrepassé les ordres d'un supérieur. Et alors ? Quelle soeur, quelle amie aurait-elle été si elle ne l'avait pas fait ? Comment aurait-elle pu vivre avec sa couardise ? Elle préférait mille disputes à ces perspectives.

Le seul ennui était qu'elle n'avait pas conscience que le problème ne résidait pas seulement dans sa petite mutinerie. Ce n'était pas le soldat, l'homme de guerre, qu'elle avait blessé. Seulement, pour l'instant, elle n'en avait aucune idée, ceci expliquant son discours emporté et sans demi-mesure. A n'en pas douter, elle n'avait pas que le caractère d'une mule, elle en possédait aussi les œillères.

Naturellement, Eleyn ne s'était pas attendue à ce que pour toute réponse à sa tirade, il lui adresse un hochement de tête, comme pour dire "bien, oublions ça". Elle n'était ni naïve, ni stupide - du moins, pas sur ce point. Elle se doutait qu'il ne la laisserait pas s'en sortir aussi facilement et surtout, qu'il lui en faudrait bien davantage pour le ramener à un semblant de calme. Et de raison. Autre chose rentrait en ligne de compte mais cela lui avait tant échappé qu'elle avait omis ce paramètre dans son discours, persuadée qu'il ne s'agissait de rien de plus que d'un ego blessé. De toute façon, qu'est-ce que cela aurait-il pu être d'autre ? Les hommes étaient ainsi faits. La moindre menace à leur autorité ou à leur virilité et il fallait laver l'affront d'une manière ou d'une autre. Même son père, paix à son âme, pouvait se montrer redoutable lorsqu'il se sentait défié. La mine débonnaire de Rhenys s'effaçait alors, laissant place à des traits marqués par une dureté sans nom.

Tout comme Jon au moment où il se tourna vers elle.

Elle recula instinctivement, mue par un réflexe qu'elle ne se connaissait pas. La garde était plutôt le genre d'individus à foncer dans la mêlée, pas à tenter de s'en échapper. Les traits froids, tendus, à l'image des hurlements ou de la rage étaient son quotidien sur l'Île. Leur quotidien à tous. Elle avait affronté les beuglantes de Maege sans sourciller, les insultes de Sauvageons ou de Fer-Nés aux dents aussi sales que leurs âmes, le tranchant de sa lame pour toute réplique. Ou bien, elle hurlait plus fort, c'était selon. Mais Jon, lui, ne criait pas. Jon, c'était l'agneau parmi les loups. La gentillesse incarnée. Le combattant valeureux. Le bâtard, comme la plupart le nommait.

Sauf qu'elle s'était totalement fourvoyée, ou plutôt, son appréhension se confirmait : Jon n'était pas une proie, il était un prédateur. Qu'elle avait réveillé. L'eau qui dort, Eleyn, tu te souviens ? railla une petite voix, sans parvenir à couvrir les décibels de reproches qu'il lui adressait. Il était hors-de-lui. Si elle l'avait sans aucun doute mérité - bien qu'en l'instant, elle réussit à se convaincre du contraire - et si cela n'avait pas été lui en face d'elle, il y avait fort à parier qu'elle aurait déjà eu la main sur son épée. Parce qu'Eleyn ne faisait pas partie des fourbes, des tranquilles : ses réactions étaient toujours provoquées par la nature guerrière qu'elle avait travaillé dur à façonner. Elle ne valait guère mieux que d'autres, avec sa fierté décuplée et Jon se chargeait très bien de le lui rappeler en ce moment.

La nature s'était tue, des oiseaux qui s'étaient envolées afin d'échapper au désastre jusqu'à Ghost lui-même, semblant soudain bien chétif comparé à la stature dont s'était paré son maître. Mais la garde, elle, refusa d'esquisser le moindre pas en arrière supplémentaire. Elle osa même se redresser. Mâchoires contractées, lèvres pincées et poings serrés à s'en faire blanchir les phalanges, elle le fixait sans faire mine de céder le plus petit bout de terrain à son ... Adversaire ? Cet adjectif lui paraissait totalement ridicule. Parce que sous sa contenance bravache, elle se sentait se déliter petit à petit. Pas seulement à cause la crainte nouvelle qu'il lui inspirait, mais à cause de tout ce qu'il lui révélait à travers ses blâmes. S'il était rentré dans Fort-Terreur à son tour, s'il avait lui aussi bravé les ordres, c'était par sa faute à elle. Il était parti la chercher. Il lui disait qu'elle n'avait pas le droit de se considérer comme valant moins que Dacey. Qu'elle n'était plus seule, également. Et elle avait du mal à comprendre où il voulait en venir, même si, au fond, elle savait. Elle n'attendait pas ça de sa part. A dire vrai, elle n'avait jamais rien attendu, ni rien exigé de lui. L'esprit de la jeune femme partait en tout sens, effritait ses belles convictions. Trop d'informations à la fois. Dire qu'elle avait pâli aurait été un euphémisme tant elle faisait de la concurrence à un cadavre abandonné dans la neige.

Eh merde ! put-elle tout juste penser. Pas plus qu'une telle fureur, elle n'avait pas non plus vu tout ça venir. Bientôt, sa superbe ne fut plus qu'un mince vernis menaçant de s'écailler au moindre mouvement. Alors, elle ne bougea pas. Elle se contenta de fermer les yeux pour ne pas assister au spectacle des poings de Jon s'écorchant sur le tronc tandis que ses propres ongles s'enfonçaient dans ses paumes. Le silence revint. Un silence de mort maintenant que même la nature avait déserté les bois.

" Tu as fait la même chose que moi. " consentit-elle enfin à répliquer, la voix vibrante d'un mélange de colère mal contenue et d'appréhension. Elle terminait la phrase qu'il avait laissé en suspens dans son emportement. Finalement, chacun de ses mots étaient restés graver. Peut-être même ne s'effaceraient-ils jamais. " Tu as oublié les ordres, tu t'es oublié toi et tu as pris ta propre décision. As-tu pensé à ta propre vie lorsque tu l'as fait ? As-tu fait mieux que moi ? Considères-tu tes motifs plus valables que les miens ? C'est ainsi que tu vois les choses ? Parce que moi, je ne vois nulle différence. Excepté que je n'ai pas envisagé une seule seconde que tu serais prêt à lever un groupe d'hommes pour venir me, nous, récupérer. Si j'avais su ... " Elle s'interrompit. Si tu avais su, alors quoi ? Tu aurais obéi ? Bien sûr que non. Pas cette fois-ci, tu ne pouvais pas. trancha-t-elle intérieurement avant de reprendre, décidant d'attaquer autrement : " Si Dacey s'est faite enlever, c'est à cause de moi ! Nous étions seules dans ces bois, j'étais censée assurer sa sécurité, elle me faisait confiance ! Beaucoup trop ! Nous étions censées nous protéger l'une l'autre, comme nous l'avions toujours fait ! Ils nous sont tombés dessus et j'ai dû lâcher mes armes quand ils ont réussi à la maîtriser, sinon, elle mourrait. Et elle les a suivi parce qu'ils avaient juré de m'épargner si elle se laissait emmener. Tu n'as pas besoin de me rappeler comme tout ceci est de ma faute, je le sais déjà ! Je sais que c'était une mission suicide, mais si elle, avait été prête à suivre Bolton afin de me laisser la vie sauve, alors je le lui devais ! Je lui devais de la sortir de là ! Je devais réparer ce que j'avais provoqué ! " Sa phrase se termina sur un cri presque douloureux. Elle porta une main à sa bouche un instant. Elle n'avait confié cela qu'à Alysane, lorsque cette dernière l'avait surprise dans sa tente en train de défaire son armure. A Jon, elle avait seulement argué qu'elle voulait rentrer, comment et ses explications s'en étaient tenues là. La communication n'était décidément pas leur fort, au contraire de leur orgueil respectif. Elle inspira profondément afin de retrouver un semblant de contenance. " Je n'ai certes pas vu les souterrains mais crois-moi, j'en ai eu un aperçu plutôt vif quand ce fils de chien m'a gardé toute la nuit dans sa putain de cabane. J'ai vu les cadavres écorchés et le sang dont suintait chaque mur pendant qu'il essayait de me gaver de chair humaine et baladait ses mains sur moi, juste pour le plaisir de m'effrayer. Tu vas me dire, si je n'étais pas partie à la traque avec les autres, ça ne serait pas arrivé, ça non plus. Parce que je suppose que tu m'en veux pour ceci également ? Que c'était un autre défi à ton encontre ? " La goutte d'eau. Celle qui passe inaperçue dans un océan mais pas ici. Pas entre eux. Nouvelle inspiration, saccadée. " Et tu as raison. Parce que même si je ne savais pas tout, même si on ne s'était pas vus depuis des mois, même si je suis convaincue que si c'était à refaire, je le referais, je t'ai trahi. J'ai considéré les choses de mon seul point de vue alors que j'aurais pu, que j'aurais du, me reposer sur Alysane. Sur toi. " Son regard dériva de celui de Jon jusqu'à ses poings meurtris. Le coin de sa lèvre supérieure se souleva en une grimace. Vaincue. " Je suis vraiment désolée. "

Quelques semaines à peine auparavant, alors que Dacey lui avait demandé d'abandonner la Baie afin de rester auprès d'elle, Eleyn avait accepté. Néanmoins, juste après, elle lui avait affirmé que ce ne serait que temporaire, qu'un jour, sa soeur n'aurait plus besoin d'elle. Parce que tout changeait. Tout le monde changeait. Elle avait dit ça en pensant à la nouvelle Lady Stark, pas à elle, étant donné qu'elle n'existait pas vraiment en-dehors de l'autre, de son statut. Jusqu'à il y a peu, en tout cas. Car le changement avait commencé. Et continuait. Après tout, qui aurait cru qu'un jour, elle arriverait à reconnaître ses torts ? De même qu'à s'excuser. Sans arrière-pensée. Surtout, sans hurler.

Elle avait fait fi de ses beuglements, sourde à ses protestations incendiaires, déterminée à aller jusqu'au terme de son discours. Il méritait les excuses que la garde avait lâché, à bout de souffle, à bout de nerfs également. Comme lui. Parce que ce n'était pas suffisant. Et de toute manière, comment cela aurait-il pu l'être ? Il ne l'écoutait ni ne l'entendait. La corde de sa patience écourtée, puis limée avec application, avait cédé. Se serait-elle mise à genoux en réclamant son pardon qu'il aurait trouvé un nouveau prétexte, une énième rebuffade. Autant dire que malgré sa conscience éclairée d'avoir mal agi, elle se sentait terriblement ... Vexée. Oui, c'était le mot qui convenait. Elle avait ployé devant lui, en mot à défaut des gestes et il avait balayé son initiative d'un grondement rageur.

Elle n'avait aucune idée de la manière dont cette soif inextinguible de colère pouvait être assouvie. Elle avait parlé; il ne voulait pas entendre sa voix. Quelle autre solution lui restait-il alors ? On ne lui en avait pas appris d'autre. Quoi que ... Si la parole réglait bien des situations malheureuses comme celles-ci et qu'elle préférait user de ce stratagème ainsi qu'on le lui avait enseigné, elle ne pouvait ignorer comment d'autres s'y prenaient afin de parvenir à cette fin. Lorsque les mots vous manquaient, il était aisé de faire rentrer le reste de son corps en scène. Elle le sentait dans ses poings serrés, écho à la posture agressive de son compagnon. Elle l'appréhendait jusqu'aux tréfonds de ses entrailles grondantes, pulsant dans ses veines. Eleyn aurait dû ployer définitivement, accepter que le loup gagne cette partie. C'était raisonnable et légitime. Sauf qu'elle n'y parvenait pas. Non parce qu'elle ne savait pas faire - elle avait courbé l'échine devant d'autres avant lui - mais parce que finalement, elle n'était guère en meilleur état que lui.

Malgré les jours qui avaient passé, en dépit de toutes les pensées incongrues de faiblesse qu'elle avait chassé, elle ne se remettait toujours pas d'avoir failli à sa première promesse envers Dacey. Sans compter Ramsay. Ce fils de chien tout juste bon à finir en cette tripaille qu'il adorait tant, jouait également pour beaucoup dans cette fureur qui l'habitait. Chacun des derniers événements avait contribué à briser quelque chose en elle. Le mécanisme de son être était grippé et aucune huile, quelle que fut sa facture, ne parvenait à  faire revenir ce dernier à sa marche d'antan. Une conclusion fort frustrante car elle n'avait d'autre moyen que d'attendre. Attendre que le destin mette sur son chemin la solution.

Néanmoins, pour l'heure, elle en était encore loin.
Très loin, même.

" Alors qu'attends-tu de moi, par tous les Dieux ?! " s'exclama-t-elle en réplique plus cinglante qu'elle ne l'aurait voulu, sa voix toute retrouvée. Sa capacité à se mouvoir également. Si une part d'elle aurait préféré qu'elle reste à bonne distance de cette silhouette hargneuse, l'autre, bien plus prégnante, la fit s'avancer, comblant une bonne partie de celle-ci. " Frappe-moi si cela peut te faire du bien ! Car c'est tout ce que j'ai à t'offrir d'autre pour l'instant, Jon ! Mon visage ou n'importe quelle partie de mon corps qu'il te plaira de cogner ! Je n'ai pas d'autres preuves de mon aveu de culpabilité ! Rien ! "

Elle était aussi teigneuse qu'hébétée. Voilà où elle devait en arriver pour espérer le contenter ... La chose avait un goût quelque peu pathétique, quand on y réfléchissait. Néanmoins, elle s'y serait pliée. A défaut d'être capable de fermer sa grande bouche d'elle-même, elle pouvait lui donner l'occasion de le faire lui-même. Un exutoire plus, disons, concret. Peut-être l'aurait-il fait, d'ailleurs, elle ne le saurait jamais. Une branche craqua, bientôt suivi par le froissement de feuilles qu'on écrase dans la précipitation. L'apparition du Lord Stark eut le mérite de couper court à leur dispute. Eleyn se figea littéralement, son visage empourpré par la colère se faisant pivoine à cause de l'embarras. Telle une enfant prise en faute, elle recula, tête basse, parvenant tout juste à adresser des salutations déférentes dignes de ce nom à son suzerain. Et cela n'avait visiblement guère d'importance. Semblait-il que c'était après Jon qu'il en avait. Leurs cris avaient dû raisonner par-delà les murailles de Winterfell, suffisamment pour alarmer ses résidents. Ou alors était-ce un hasard malheureux. Qu'elle qu'en soit la raison, elle n'avait ni l'envie, ni le droit de le savoir - au moins savait-elle encore ne pas interférer dans les affaires d'autrui. Aussi la jeune femme s'empressa-t-elle de tourner les talons, laissant le soin au père et à son fils de régler leurs comptes. Un Stark furibond lui avait suffi pour l'instant. Voire pour le siècle à venir.

Ses pas l'emportèrent dans le chemin inverse, l'oreille sourde à la scène qu'elle avait abandonné derrière elle. Malgré la marche vive et le froid qui lui mordait le visage, Eleyn peinait à retrouver une contenance, à se défaire de la fureur qui animait chacun de ses muscles et faisait bouillir son sang. Réalisant qu'elle ne pouvait pas repasser les portes dans un tel état de nerfs, elle finit par stopper son élan. Durant un moment, elle observa autour d'elle, forçant son souffle à retrouver une cadence normale. Inspirer. Expirer. Une fois. Deux. Trois. Autant qu'il le faudrait. Son regard se perdit dans la cime des arbres, par-delà l'immense ciel gris qu'elle devinait à peine. Le silence était de mise, seulement crevé par sa respiration saccadée. Son esprit malmené refusait de lui faire grâce d'un semblant de paix malgré toute la bonne volonté qu'elle y mettait. Parce que la dispute était allée plus loin qu'elle ne se l'était imaginée et parce qu'il avait réveillé l'animal blessé en elle, il lui faudrait plus que deux-trois exercices pour s'en défaire. Et pourtant, malgré sa fureur, elle espérait tout de même que les choses se passent au mieux entre Eddard Stark et son fils. Bien d'autres n'auraient pas pu se vanter d'une telle marque d'affection.

Finalement, elle trouva le seul moyen efficace qu'elle se connaissait afin de se calmer. Arrêter de penser. Tout simplement. Elle l'avait expérimenté si souvent au cours de sa vie pour diverses raisons, alors pourquoi pas aujourd'hui ? Son côté tactique trop peu exploité ces derniers temps reprit le dessus, dessinant le plan des tâches qu'elle s'octroyait pour la fin de la journée. Ceci dans un seul et même objectif. Puisque Maege l'avait faite demander, alors elle partirait. Le lendemain même. Rien de plus compliqué. La petite voix tenta bien de se rappeler à elle, lui murmurant qu'elle fuyait sous couvert de remplir un quelconque devoir, cependant, elle la chassa à l'instar de toute autre pensée. La garde considérait s'être suffisamment démarquée - et non de la bonne manière - ces derniers jours, il était temps qu'elle redevienne celle qu'elle avait toujours été. Qu'elle retrouve son anonymat et son obédience caractéristiques. Le changement, hm ? Allez, à d'autres ! râla-t-elle tandis qu'elle reprenait sa route vers la forteresse.

Dacey étant occupée pour le reste de la journée et son intention étant de partir dès l'aube le lendemain, elle la fit prévenir de ses intentions par la voix de l'une de ses femmes de chambre en qui elle avait toute confiance. Puis, elle s'attela à ses préparatifs, ses gestes nerveux fourrant plus qu'ils ne rangeaient les affaires dont elle aurait besoin pour son périple. Elle ne souhaitait aucune escorte, soucieuse de ne retirer aucun homme à Winterfell et encore moins désireuse de compagnie. Il ne s'agissait pas là de la décision la plus sage ainsi que le lui fit remarquer un autre soldat. Les routes n'étaient pas sûres en ces temps troublés, surtout pour une femme seule. Elle risquait la capture, la mort ou bien pire encore. Son discours glissa sur elle tel un filet d'eau sur une pierre immuable. Peu lui importait. En réalité, pour quelqu'un que l'on targuait pour sa prudence, elle en avait tout oublié avec sa dernière rixe. L'amour, disait-on, avait cette tendance pour le moins agaçante à vous rendre plus stupide qu'un âne batté. Visiblement, elle n'était pas épargnée.

Elle remontait une coursive lorsque la frénésie de la cour principale attira son attention. Se penchant légèrement, elle aperçut un attroupement d'hommes en armure accompagnés de chevaux attelés et arrêta le premier garde qui passa près d'elle. " Que se passe-t-il ? " Lequel n'était apparemment pas des plus ravis d'avoir été alpagué, bien qu'il prit la peine de lui répondre : " Le Val a demandé l'aide du Nord. Le Lord Stark y envoie une troupe. " La jeune femme fronça les sourcils. " Qui les mènera ? " Elle savait les Stark pris sur leurs terres pour l'instant et elle voyait mal Eddard Stark se passer de son capitaine ou tout autre homme d'importance pour un si long voyage, alors oui, qui ? " Le bâtard, il semblerait. " Le garde haussa les épaules avant de s'éloigner.

Évidemment ! Elle aurait dû s'en douter ! L'expression 'son sang ne fit qu'un tour' ne lui avait jamais paru si appropriée. Traits tirés et grimaçants, elle s'empressa de rejoindre la cour principale où les futurs renforts s'éparpillaient, certains saluant leurs proches, d'autres arrimant les derniers sacs. Elle les ignora, se frayant un chemin jusqu'au seul d'entre eux qui l'intéressaient. Et qui n'allait certainement pas s'en sortir aussi aisément.

" Alors c'est donc ça ? Tu t'en vas ? " l'alpagua-t-elle vertement tandis qu'elle le rejoignait près de sa monture. " Après avoir dépensé une énergie folle à me reprocher mes propres défections, tu n'as rien trouvé de mieux que de m'imiter ? De nous séparer à nouveau ? "

Peut-être pour toujours. Peut-être était-ce ce qu'il voulait, après tout, qu'en savait-elle ? Elle aurait voulu ajouter qu'il aurait au moins pu lui dire au revoir, un mot, n'importe quoi afin que cela ne se termine pas de la sorte. Lui dire que non, cette fois encore, elle ne voulait pas qu'il parte. Qu'en réalité, c'était pire encore cette fois, car elle réalisait s'imaginer fort difficilement loin de lui. Sauf qu'elle en avait déjà bien assez révélé avec sa dernière question. Sa voix elle-même exprimait davantage de détresse que de colère et elle se serait flagellée allègrement pour cette marque évidente de sottise.

Le laconisme dont fit preuve Jon, ajouté à ses l'inexpression, avait de quoi faire rater quelques battements même aux coeurs les plus endurants. La garde sentit ses joues s'empourprer et s'apprêtait à lui asséner une réplique cinglante quand un sourire dérida son compagnon. A n'en pas douter, s'il n'avait pas été aussi clair sur ses intentions dans son discours suivant, ou la forteresse aurait résonné des cris sauvages de la guerrière, ou sa main aurait fait un aller-retour sur la joue du gaillard. Bien qu'elle approuva la dérision, elle supportait mal qu'il puisse rire à ses dépends.

Cependant, il en avait toutes les raisons. D'une part, parce qu'il fallait avouer qu'il venait de lui jouer un joli tour - avait-elle déjà éprouvé une telle appréhension ? Elle n'aurait pas parié son épée sur la question. D'autre part, car la tête d'Eleyn en cet instant devait valoir son pesant de dragons d'or. Estomaquée, elle se contenta de l'observer, rendue muette par ce soudain revirement. Et la décision qu'il lui imposait. Quitter le Nord ? Avec lui ? Maintenant ? La connaissait-il si mal pour croire que ... ? Cette dernière interrogation intérieure mourut dans son esprit avant même d'être totalement formulée. Finalement, elle ne se posait pas. L'évidence la percuta plus sûrement que le coup qu'elle avait manqué lui mettre une minute auparavant.

" Prends toutes tes affaires. Quelque chose me dit que nous ne reviendrons pas à Winterfell avant très, très longtemps. " L'ombre d'un sourire naquit sur les lèvres de la jeune femme tandis qu'elle s'approchait du jeune loup, pointant un index menaçant dans sa direction. " Ce n'est pas fini, Jon Snow. Tu ne t'en tireras pas aussi aisément. " argua-t-elle, sa mine légèrement amusée démentant le ton hargneux qu'elle avait employé.

Elle n'avait rien à ajouter et de toute façon, l'attention de Jon était déjà accaparée par un point derrière elle. Elle suivit son regard, surprenant le Lord Stark se dirigeant vers son fils. Ni l'un ni l'autre n'eut besoin de lui demander de disposer. A l'instar d'un peu plus tôt dans la forêt, elle s'empressa de laisser les deux hommes en tête à tête tandis qu'elle partait à la recherche d'un écuyer. Elle savait seller un cheval seule depuis longtemps, néanmoins, étant donné qu'il lui fallait aussi aller récupérer le fatras dont elle aurait besoin pour leur long voyage, en charger quelqu'un d'autre à sa place lui ferait gagner de précieuses minutes.

Ledit écuyer envoyé à sa tâche et alors que Jon suivait son père dans les écuries, elle reconnut parmi la foule la femme de chambre qu'elle avait mandaté à Dacey. Par chance, cette dernière n'avait pas encore pu rencontrer la Lady Stark, aussi Eleyn n'eut-elle aucun mal à changer le message qu'elle souhaitait lui faire parvenir. Elle s'attendait à ressentir de l'appréhension ou de la culpabilité mais il n'en fut rien. Elle se rappelait de sa conversation avec sa soeur, sous le Barral. Tout comme la garde avait souhaité à la nouvelle épouse de pouvoir se passer de sa compagnie un jour, Dacey lui avait rendu son voeu. Ses paroles résonnaient encore dans sa mémoire : "Toi aussi, un jour, tu devras vivre ta vie. Ne l'oublie pas, si un jour, tu dois partir, n'attends pas ma permission, tu n'es pas sous mes ordres, tu es ma soeur.". Et c'était bien ces mots qui avaient suspendu ses interrogations et lui avaient fait retrouver sa voix face à Jon. C'était pour cette raison qu'elle partait. Elle ne fuyait rien, ni personne - ou peut-être un peu Maege, mais loin de sa colère, elle aurait le temps de s'apaiser. Elle faisait le choix de vivre par elle-même, voilà tout. Son coeur la guidait, pour le moment, vers un autre chemin.

Elle revint au moment où Lord Stark annonçait un changement dans leur périple initial. Ses sourcils froncés firent écho aux murmures de l'assemblée perplexe. La révélation qui s'en suivit lui glaça le sang. Sansa ? Enlevée ? Qu'était-ce donc que cette terrible nouvelle ? Par qui ? Pourquoi ? Comment ? Où ? Son esprit stratège faisait défiler des questions que sans doute tous se posaient mais que nul ne pensa à formuler à voix haute. Ce genre de considérations seraient éclairés plus tard, si c'était possible et si la nécessité l'exigeait. Pour l'instant, en tant que soldats du Nord, rompus à la confiance portée aux Stark et de nature loyale, ils suivraient aveuglément. Eleyn ne faisait pas exception. Le changement se faisait par étape et le sien ne faisait que commencer.

" Nous allons la retrouver. " La longe de son cheval entre les mains, elle avait rejoint Jon. La jeune femme affichait une mine résolue qu'il lui connaissait bien, un soupçon de douceur compatissante en plus. Ce n'était pas seulement la femme d'armes qui parlait, mais aussi la femme tout court, celle que, si elle ne s'y trompait pas, il voulait à ses côtés. " Je serai près de toi pour délivrer ta soeur, comme tu l'as été pour la mienne. " ajouta-t-elle, ses doigts frôlant l'avant-bras du garçon afin d'appuyer ses dires.

Nulle vaine promesse. S'il le fallait, elle était prête à consentir aux mêmes sacrifices que lorsqu'elle s'était introduite dans Fort-Terreur pour Dacey.

" Ce n'est pas fini, Jon Snow. Tu ne t'en tireras pas aussi aisément." lui avait-elle dit. Il avait légèrement ris à cette réflexion.

" Je sais Eleyn. Je sais. "

Il allait pour sortir des murs de Winterfell quand son père arrivait et le hélait. Avait-il oublié quelque chose, avait-il manqué quelque chose, devait-il faire quelque chose en plus ? Sauf que la nouvelle qu'il lui annonçait ... Il ne s'y était absolument pas attendu. Une belle claque qu'il recevait là. Il pensait qu'il allait pouvoir montrer de quoi il était capable et son père prenait le commandement tout compte fait. Faisait-il finalement assez confiance à Robb pour lui laisser Winterfell ? Jon descendait de sa monture pour le rejoindre et l'aider à préparer la sienne et là, seconde claque. Voilà qui remettait les pendules à l'heure, alors qu'il voulait s'en aller en pensant que Winterfell irait très bien, Sansa avait disparue. C'est alors qu'il pensait que, présent ou non, rien ne changerait pour Winterfell, sa soeur avait disparu. Il ne se posait guère de question là dessus : il fallait aller la chercher. Peu importe le niveau de relation ni ce qu'il devait faire. Il devait retrouver Sansa, comme il avait du retrouver Dacey. La question ne se posait pas.

Il montait sur son cheval et s'apprêtait à partir, bien décidé, quand Eleyn revenait le voir elle aussi sur son cheval. Visiblement elle avait entendu la nouvelle ce qui lui éviterait donc d'avoir à répéter une pareille chose, perdre son temps et sa salive. Et la boule de nerf revenait, prête à exploser au premier commentaire qu'il prendrait mal, à la première contrariété une tête allait voler, il le sentait. Il eût un sursaut quand Eleyn caressait son bras du bout des doigts, ne s'attendant pas à un quelconque contact physique. Ca n'était pas tant qu'il n'aimait pas les contacts physiques mais qu'il n'y était pas habitué, Eddard n'avait jamais été du genre affectueux et ça n'était pas Catelyn qui irait le câliner quand il en avait besoin enfant. Et surtout qu'à l'heure actuelle il était tellement repris par sa colère, ses yeux étaient devenus sombre, qu'il ne s'attendait pas à ce que quelqu'un le touche. Il tournait la tête vers elle pour la regarder alors qu'elle parlait mais pas un sourire ne franchissait ses lèvres.

" Je le tuerai. "

Fût sa seule réponse. Une voix grave qui n'avait cependant pas l'ombre d'un doute, il était sûr de lui, quand il le verrait, car il était intimement persuadé que Ramsay Bolton en était la cause, il le tuerait. C'était toujours agréable de savoir qu'elle serait à ses côtés, mais il ne pût s'empêcher pour lui même un commentaire tel que "pour une fois", car pour une fois elle ne partirait pas dans son coin en laissant Jon dans le noir total et il espérait que pour une fois elle ne lui ferait pas un mauvais tour, un coup dans le dos, qu'il n'aurait pas à nouveau à prendre des risques inconsidérés pour la sortir d'une quelconque histoire. Peut-être était-ce le problème, les deux voulaient tellement bien faire qu'ils prenaient des risques idiots et inutiles. Il n'y en avait pas un pour rattraper l'autre à se demander qui tomberait le premier, qui irait le plus loin.

Il voulait le tuer. Comme si cela allait régler tous ses problèmes, comme si une fois le rejeton de Roose Bolton mort tous les problèmes de Winterfell seraient derrière eux, comme s'ils pourraient enfin passer à autre chose et lui partir la conscience tranquille. Si seulement. Allez savoir dans quel état ils retrouveraient Sansa, dans quelles conditions elle était partie. Allait-il la violentée d'une quelconque façon, la tuer, il n'en savait rien. Ses mains serraient les rênes, le cheval partait de lui-même vers l'avant, ressentant probablement la tension du bâtard Stark et voulant probablement arriver le plus tôt possible au bon endroit pour se débarrasser de Jon. Il avait à nouveau cette envie de frapper quelque chose si ce n'est quelqu'un pour se défouler un bon coup. Frapper même s'il devait se faire mal à la main ou au bras, se défouler. Cela se voyait peut-être sur ses traits, peut-être pas, cette violence soudaine. Il respirait l'air frais du Nord, inspirait profondément.

" Il connaîtra la même justice que son père. Ca ne peut être que Ramsay Bolton. Qui d'autre aurait fait ça ? Qui d'autre peut être assez fou pour s'en prendre deux fois à la famille Stark ?! "

Ghost les rejoignait, bien que restant à certaine distance comme Jon le lui avait appris, pour ne pas effrayer les chevaux. Il restait à distance mais les suivait, tout comme il suivrait Jon jusqu'au Val, comme il suivrait Jon où qu'il aille, finalement. C'était un peu comme une partie de lui il semblait donc normal qu'il le suive où qu'il aille. Jon ne restait cependant pas à côté d'Eddard, sûrement cette crainte de lui parler, cette crainte de le décevoir aussi s'il venait à imploser. Comment Eddard Stark pouvait-il prendre autant sur lui ? Quel était son secret pour rester calme et posé en toute circonstance, ne jamais défaillir ? Jon avait encore beaucoup à apprendre de lui, sans nul doute.

Les traits de la jeune femme se figèrent alors que les paroles de Jon résonnaient à ses oreilles. Je le tuerai avait-il affirmé, sans l'ombre d'une hésitation, la voix aussi sombre et résolue que la mine qu'il affichait. Comme ses doigts abandonnaient le bras du garçon pour retrouver sa prise sur la longe de son cheval, son regard se para d'une étincelle inquiète qu'elle dissimula en le détournant un instant. Naturellement, elle ne s'attendait pas à ce qu'il soit tout sourire après la nouvelle que Lord Stark venait d'annoncer, cependant, sa réaction mettait au jour une facette de Jon qu'elle ne lui avait jamais vu. Plus qu'une ombre, peut-être étaient-ce les ténèbres de la haine qui risquaient de l'envahir. Et de le perdre. Bien d'autres avant lui s'y étaient laissés prendre.

Car Eleyn savait parfaitement à qui il faisait allusion. N'étant pas elle-même une adepte des coïncidences et de son cousin le hasard, persuadée que toute chose avait sa raison d'exister, tandis qu'Eddard Stark annonçait la capture de sa fille, le même nom avait aussitôt envahi dans l'esprit de la garde. Il semblait s'y répéter en une boucle mortifère, revenant sans cesse accompagné de l'image de ce faciès grimaçant aux yeux déments qu'elle avait dû observer des heures durant, entravée et désarmée. Comment en vouloir à Jon d'être prêt à un tel acte quand elle-même s'était promis de l'exécuter à la première occasion ? Comment ne pas le comprendre ? Elle ne put donc qu'acquiescer sans un mot. Ni un blâme ni une bénédiction pour autant. Il était libre de ses actes. Seulement, il découvrirait qu'avant d'accéder à la tête de Ramsay Bolton, il était toute une file d'attente qu'il devrait dépasser, Eleyn dans le peloton de tête.

Elle entendait la respiration de son compagnon rendue hachée par un regain de colère, laquelle agitait son cheval autant que ses membres, puis le reste de son discours hargneux. Ses prunelles cessèrent de fixer le vide pour en revenir à Jon, ses sourcils légèrement froncés au-dessus de ces dernières.

" Pour l'instant, nous n'en savons rien. " répliqua-t-elle tranquillement, soucieuse de le ramener à la raison à défaut de pouvoir l'apaiser. " Cela peut tout à fait être ce chien comme quelque brigand aux mauvaises intentions, voire un ennemi des Stark dont nous ignorons tout. Ne gaspille pas ton énergie avant d'avoir découvert toutes les cartes de la partie en cours, Jon. Ne te laisse pas aveugler ou assourdir par ta colère. Ou le moment venu, tu risques de commettre des erreurs que tu pourrais regretter jusqu'à la fin de tes jours. " Elle fit avancer son cheval de manière à se rapprocher un peu plus de lui. Elle n'avait pas la prétention de posséder la sagesse de certains Hommes, loin s'en fallait, mais au moins avait-elle vécu suffisamment de bataille et son lot de mauvaises décisions pour se permettre un tel discours. Elle n'avait de toute manière pas pour habitude de dissimuler ses raisonnements, qu'importait la manière dont ils étaient interprétés. " Justice sera rendue, nous en faisons tous le serment. Mais seul un bon jugement saura la rendre et pour ce faire, il ne faut pas se perdre en chemin. " Afin de dédramatiser ses paroles, elle lui offrit un sourire un peu pâle et caressa sa joue avant de s'éloigner car quelqu'un la hélait.

Le dos courbé sous ses paquetages, un domestique s'approchait afin de lui apporter les affaires qu'elle avait préparé. Un autre tenait son armure et elle sauta à terre pour que l'écuyer l'aide à la revêtir tandis que les employés chargeaient sa monture. L'armée ne tarderait pas à partir et il lui fallait être prête lorsque les portes s'ouvriraient. Elle marcherait vers le Neck et vers les réponses qu'ils attendaient.