What have they done to us ? | ft Myrielle

En pénétrant dans les appartements gracieusement mis à notre disposition par nos hôtes Nerbosc, une douce chaleur m'enveloppa et j'en frissonnais de plaisir. J'avais trop tardé à rentrer de ma promenade quotidienne et mes chaussures de cuir avaient fini par boire l'humidité de la neige tout comme le bas de ma cape et de ma robe. J'étais gelée jusqu'aux os. Pourtant, cette sortie m'avait été salutaire. Je n'avais eu de cesse de laisser mes poumons s'emplir de cet air froid vivifiant et d'écouter le silence cotonneux de la nature endormie.
Je confiais à mes deux servantes ma cape et mes chaussures détrempées. Tandis que je me laissais déshabiller par Leah, je commandais à Alayne d'aller demander de l'eau chaude aux cuisines pour préparer une infusion qui devait réchauffer l'intérieur de ce corps transi. Lorsque celle-ci revint quelques minutes plus tard, j'avais déjà changé de toilette et Leah s'occupait d'en lasser le corset. Alayne entreprit de brosser ma chevelure avant de la tresser pour me refaire une mine acceptable. Sous leurs quatre mains habiles, je me laissais faire, fermant les yeux, prête à sombrer dans une torpeur réconfortante, assommée par la douceur de l'atmosphère des lieux après les rigueurs de l'hiver.

On frappa à la porte ce qui me tira de ma douce rêverie. D’un signe du menton, j’intimais à Leah d’aller ouvrir tandis que j’achevais d’ajuster mon corsage seule. Quelques instants plus tard, la jeune fille faisait son retour avec ce que je pensais être l'heure bouillante réclamée tout à l'heure aux cuisines. En lieu et place, elle arborait une mine pâle et hagarde.

« Eh bien, qu’est ce que c’est que cette mine ? A croire que tu as vu le roi Rhaegar en personne! »

A travers le reflet dans le miroir, j’adressais une œillade amusée à Alayne qui s’occupait de finir ma tresse et de chercher le moyen de l’arranger élégamment en chignon, une épingle coincée entre ses lèvres serrées. Comme elle pouffait, Leah réussit enfin à articuler:

« Presque madame… La... La princesse Rhaenys demande à vous voir. »

Le rire mourut dans la gorge d’Alayne dans un bruit semblable à un poulet auquel on aurait tordu le cou, si bien que je crû un instant qu'elle avait avalé l'épingle qu'elle tenait si imprudemment. Abandonnant ma coiffeuse, je me levais et passais dans le petit salon qui nous servait de pièce principale, le cœur battant, à la fois incrédule et pleine d'espoir.
Leah avait dit vrai. La vision qui m'attendait m'était familière: la chevelure de jais du Soleil de Dorne, le port altier et la détermination du Roi Dragon, Rhaenys était là.
A mon tour, je restais pétrifiée un instant par l'incongruité de la situation. Notre chère Wynafryd -que j'avais eu l'occasion de retrouver quelques semaines plus tôt à l'occasion des épousailles du cadet des Nerbosc- m'avait pourtant bien dit qu'elle se trouvait elle-aussi dans le Conflans, à Viergétang. Faire le lien entre sa présence ici et la mort du suzerain me demanda un effort de l'esprit, mais tout devint limpide rapidement.
Aussi, le choc de l'étonnement passé, je n'en oubliais aucunement mes manières -qui avaient par ailleurs été mon quotidien pendant des années- et j'exécutais, respectueusement, une révérence maîtrisée.

« Votre Altesse... L'honneur de votre visite est grand. Au moins autant que la surprise qu'elle représente. »

Mon visage se fendit d'un sourire chaleureux. Depuis plusieurs semaines, Corneilla retenait son souffle dans l'attente du procès d'Harry Rivers, et plus exactement de l'arrivée de son géniteur qui n'était pas bien en vue chez les Nerbosc. Plus le temps passait, plus son absence se faisait ressentir et constituait un affront supplémentaire pour la famille suzeraine. Le deuil de Tytos Nerbosc n'en était devenu que plus pesant encore et ce malaise grossissait chaque jour davantage.
Certes je m'occupais, mais après avoir lu les mêmes livres deux fois, arpenté les jardins de Corneilla seules ou en compagnie d'autres dames, les hommes demeurant la plupart du temps de leur côté, la Lionne que j'étais commençait à trouver les murs de sa cage trop étroits. Pourtant, j'avais connu l'enfermement à Pyk, le vrai, et je n'aurais pas eu l'ingratitude de comparer ces deux situations. Restait que la présence de la princesse et de ce visage si familier entre ces murs représentait une bouffée d'air pur.

Nous nous étions aperçues à Lestival à la fin de l'année précédente, mais la foule était telle, ses sollicitations si nombreuses et son état de future mère si avancé que nous n'avions pas pu échanger plus que des politesses d'usage et des sourires et regards amicaux.
La voir ici, en tenue de deuil, me rappelait combien le temps avait passé et comme nous avions changé. Son abdomen fin ne présentait plus aucune trace de sa grossesse tragique et il me semblait que les traits de son visage portaient une gravité qu'ils n'avaient pas autrefois. Moi qui l'avait connu à l'aurore de sa féminité, je la retrouvais dans une dignité toute royale et je ne l'en trouvais que plus belle encore.
Il avait fallu de longs mois à la Dragonne et à la Lionne pour s'apprivoiser et s'apprécier, mais aujourd'hui, par l'honneur qu'elle me faisait de sa visite, je mesurais le chemin parcouru.

Inévitablement, je laissais couler un regard en direction de la Septa collée aux talons de celle que je servis jadis. Figure sombre et austère, sa présence me mettait mal à l'aise et venait quelque peu ternir une joie sincère. Etait-ce parce que je n'étais pas aussi fervente que j'aurais dû l'être? Sûrement. Mais je ne manquais jamais mes devoirs envers les Sept, même si je ne les observais pas avec un grand zèle. J'avais en revanche peu d'affection pour le clergé qui les servait et une obéissance guère que de façade, à l'instar de beaucoup de Lannister qui n'aimaient guère se laisser dicter leur conduite par la morale.
Aussi, je ne pus réprimer un léger froncement de sourcils avant de reporter mon regard vers la princesse Rhaenys. Je connaissais sa piété profonde, mais, en plus de cinq années, je ne l'avais jamais vue, ni pensée, dévote. Aurait-elle tant changée?

L'étreinte que Rhaenys me réserva me surprit tout d'abord. Nous n'avions jamais été des plus proches, il y avait eu beaucoup de fierté et d'orgueil entre nous et nous avions prouvé à maintes reprises combien nous étions difficiles à apprivoiser. Mais son geste me montrait combien la distance et le temps qui s'était instaurée entre nous depuis mon mariage avaient pu affranchir bien des barrières entre le Dragon et le Lion. Nous n'avions pas été présentes pour nous supporter dans nos épreuves respectives, mais je comprenais qu'elle ne m'avait pas écartée de ses pensées, tout comme je l'avais gardé dans les miennes. Peut-être était-ce cela qui fondait les véritables amitiés après tout, ce sentiment de ne s'être jamais vraiment quittées malgré les lunes écoulées. Aussi, après cet instant de flottement, je finissais par l'entourer de mes bras à mon tour, non sans émotion, répondant ainsi à son geste.

La princesse brisa notre étreinte pour m'introduire la septa qui l'accompagnait. Je lui adressais à mon tour un salut poli mais sans chaleur. Sa présence que je ne comprenais pas jetait assurément une ombre sur nos retrouvailles. Que pouvait-elle bien faire collée aux talons de la Princesse des Sept Couronnes? Ne voyait-elle pas... qu'elle était de trop? Mes lèvres brûlaient de donner à Rhaenys des nouvelles de son ancien bouclier-lige qui se trouvait ici, et depuis peu à mon service. De comprendre aussi pourquoi il avait ainsi quitté Port-Réal et son entourage.
Mais j'avais suffisamment de jugeote pour savoir que ce sujet était exclus devant une septa... A l'époque, nous avions -ses dames de compagnie- suffisamment œuvré avec finesse et malice pour détourner tout soupçon à l'égard des relations qu'entretenaient la princesse Rhaenys et son ancien bouclier-lige. Et je n'étais pas bien sûre, moi-même, de ce que je savais, ou pensais savoir. Quoiqu'il en soit, un pacte tacite nous imposait à toutes la discrétion à ce sujet et je n'entendais pas le briser devant un témoin aussi inopportun... J'attendrais mon moment, il viendrait bien.

Tandis que l'on nous faisait enfin montrer des cuisines cette eau chaude demandée quelques longues minutes auparavant, j'invitais la princesse à s'asseoir sur une banquette à mes côtés. Sans qu'il ait été besoin de l'ordonner, mes servantes dressèrent deux tasses à infusion sur une petite table devant nous. Je n'invitais pas la septa à s'asseoir, ni ne lui proposait de se joindre à nous. Ma manière de Lannister de lui signifier à quelle point sa présence était indésirable.

Dans ses propos, je devinais que Rhaenys devait bien savoir l'écho que les événements qui l'avaient touchée en ce début d'année avaient eu un peu partout dans Westeros. Et combien de questions sans réponse ils avaient soulevés. Son intention de vouloir m'éclairer me toucha et je lui adressais un sourire compatissant tout en serrant sa main avec la mienne:

« Altesse, je vous en prie... Vous ne me devez aucune excuse. Mon seul regret est de ne pas avoir pu être à vos côtés, d'honorer l'amitié dont vous me gratifiez. Mon oreille est vôtre, si tel est votre désir, mais ne vous sentez obligée de rien. »

Bien sûr, j'entendrais ce qu'elle aurait à me dire, ce qu'elle voudrait bien me dire. Il y avait, certes, bien des questions qui se bousculaient dans ma tête ces derniers mois lorsque me parvenaient, au coup par coup, les nouvelles de Port-Réal. Mais je n'avais rien à exiger. Pas seulement parce qu'elle était Princesse et que j'étais son obligée, mais parce que je savais qu'elle avait déjà dû vivre cette épreuve non seulement une première fois, dans sa chair, mais aussi à chaque fois qu'elle devait en parler ou à chaque fois qu'elle devait se produire à la Cour. J'y avais vécu, je connaissais son quotidien et je savais fort bien que peu de choses demeuraient privées au Donjon Rouge, même les épreuves les plus intimes. Je n'avais pas été là alors, et je ne pouvais pas le changer, mais je pouvais l'aider à se tourner vers l'avenir:

« Comment allez-vous à présent? »

Alors que nous nous installions confortablement côte à côte, le feu ronronnant mélodieusement dans la cheminée, j'écoutais les confessions de Rhaenys sur son état. Je devinais, à sa voix, combien son esprit était encore tourmenté. Aussi, je lui prenais gentiment la main:

« Assurément. Leur miséricorde est grande... » articulais-je, comme une leçon parfaitement apprise, plus à l'attention de la septa pour me montrer irréprochable que de la princesse. En vérité, je lui souhaitais de trouver la paix et si ce pèlerinage était pour elle le moyen d'y parvenir, alors je l'accompagnais de tous mes vœux. Cependant, j'étais bien placée pour savoir que cette entreprise pourrait être longue et hasardeuse. Et comme si elle avait su lire dans mes pensées, Rhaenys me retourna ma question. J'aurais dû m'y préparer, pourtant aborder ici et maintenant le sujet de ma captivité me prit de cours et me serra la gorge. Je m'efforçais d'esquisser un sourire mais la tentative était bien pâle:

« Je vais... bien. » Cette réponse par défaut qui revenait sans cesse à mes lèvres lorsque l'on prenait de mes nouvelles. Le souvenir de ma conversation avec Lucas me revint en mémoire cependant. Je lui avais promis d'essayer de m'ouvrir davantage à ceux et celles qui m'étaient chers. Allons, ça ne devait pas être si difficile... Je nuançais finalement: « Disons que j'ai encore besoin d'un peu de temps. »

Le regard pesant de la septa que je sentais posé sur nous ne m'incitais pas à libérer davantage mes états d'âme, un exercice rendu suffisamment difficile par mon orgueil naturel. Mais je me promettais de le faire si d'aventure cette figure impassible et raide voulait bien déguerpir et nous laisser en paix.
Rhaenys évoqua la naissance de la fille de mon frère alors que j'achevais de boire une gorgée chaude et je reposais la tasse sur la petite table devant nous pour lui répondre:

« Si, en effet. Je n'ai pu la voir que brièvement lors de ma dernière visite dans l'Ouest mais quel charmant petit être... »

Une merveille. J'aurais pu disserté sur Erena pendant des heures tant j'avais été sincèrement heureuse de voir ce nouveau membre de ma famille arriver dans ma vie. Mais je me retenais. Rhaenys avait elle-même amené ce sujet et je savais qu'elle n'aurait pas supporter de m'inspirer de la pitié. Pour autant, je ne voulais pas avoir l'indécence d'étaler tant de bonheur à la face d'une femme qui venait de perdre son enfant à naître alors même qu'il aurait dû avoir un âge sensiblement similaire à celui d'Erena.

Le septa ne bougeait pas d'un cil. J'avais crû percevoir dans les œillades que la princesse adressait à cette dernière, dans le ton qu'elle adoptait également, qu'elle avait tout autant hâte que moi que cette femme débarrasse le plancher afin que nous puissions être libres de nos paroles. Elle le faisait de manière plus subtile cependant, en montrant pâte blanche. En se montrant docile et repentante. Pour quoi au juste? Elle était du sang du Dragon, la Foi aura dû la craindre et non pas l'inverse. Ce n'était pas son attitude à elle qui m'indignait mais celle du clergé des Sept. Des impudents en robes qui manipulaient la parole et la volonté des Dieux pour s'accrocher à une parcelle de pouvoir. Qu'ils agissent ainsi avec le bas peuple permettait de garantir la paix et la docilité du troupeau, soit! Mais qu'ils fassent de même avec les nobles maisons, prétendant à la supériorité de la foi sur celle du sang m'indignait au plus haut point. Pour cette raison, ma défiance à leur égard était grande. Les Lions ne toléraient aucune laisse, fût-elle tenue par les Dieux.

Alors je décidais d'entrer de meilleure grâce dans le jeu qu'avait initié Rhaenys. N'étions-nous pas de parfaites femmes du monde? Ne nous avait-on pas modelé comme d'adorables poupées? C'était du moins ce que la société attendait de nous. Bien des aspects de notre vie n'étaient que comédie. Dans ce cas... Pourquoi ne pas donner à cette septa ce qu'elle attendait. J'enveloppais les doigts de la Dragonne dans les miens:

« Oh savez-vous que j'ai revu récemment notre très chère amie, Dinah Crakehall? Elle a demandé longuement de vos nouvelles, vous lui manquez beaucoup... »

Mon visage s'était illuminé d'un large sourire béat. Comme une parfaite petite sotte. Quoi de plus innocent que d'évoquer ensemble une vieille connaissance commune? La septa n'était pas dans l'entourage de Rhaenys depuis longtemps, et sans doute ne connaissait-elle pas toutes les familles de Westeros et tous leurs membres les plus obscurs. Encore moins ceux qui n'existaient pas.

Dinah Crakehall.

D. C.

J'osais espérer que Rhaenys n'avait pas oublié ce stratagème que nous avions développé toutes les quatre à l'époque pour couvrir leurs rencontres. Nous avions réussi à tromper la vigilance de bien des servantes qui laissaient trainer leurs oreilles partout. Le chevalier avait tour à tour connu plusieurs identités que nous faisions régulièrement tourner: Dyanna Caswell, Darla Castelfoyer, Deria Corbray... Aucune de nous deux ne pouvait parler franchement et clairement, pourtant nos esprits résolus ne s'arrêteraient pas à cela. Une légère pression sur les doigts de la princesse vinrent appuyer mes propos. Je voulais que Rhaenys sache que j'étais toujours son alliée, aujourd'hui comme hier.

J'avais acquiescé au doux souvenir d'Aelinor et de Wynafryd. Comme il me semblait loin ce temps où nous partagions nos journées, nos pensées les plus intimes, nos rires, nos humeurs aussi parfois. Même si nos différences avaient été nombreuses, avec le temps, il s'était créé entre nous une connivence indéniable et cette expérience partagée avait tissé des liens à vie. Aujourd'hui, malgré la distance, malgré nos propres chemins, je savais que je pouvais compter sur elles, tout comme mon soutien leur était acquis en n'importe quelle circonstance. Parce que j'avais bâti avec elles, toutes ces années, une complicité étroite du fait de l'éloignement de nos proches et de l'impitoyable vie de Cour, j'aurais toujours à cœur de défendre leurs intérêts quels qu'ils soient et où qu'ils se trouvent. Les Lions ne dispensent leur affection et leur amitié qu'au prix d'une sélection rigoureuse et exigeante, ils ne sont pas prompts à la retirer ou à la laisser se flétrir.

C'est pourquoi aujourd'hui encore, même après toutes ces années, je restais sensible à la situation de la Princesse et que, même si loin du Donjon Rouge, je savais toujours jouer ce jeu de dupes que j'avais appris à maîtriser à la Cour des Dragons. Je vis les yeux et les sourcils de Rhaenys commencer à se plisser et je me mis à douter. Peut-être avait-elle oublié? Comment lui faire comprendre alors que son ancien bouclier-lige se trouvait ici avec cette septa suspendue à nos lèvres?
Puis, soudain, une étincelle embrasa son regard qui s'agrandit et s'éclaira. Etais-je la seule à avoir remarqué ces joues qui rosirent? Je réprimais à grande peine un sourire, ainsi qu'un regard en direction de son chaperon craignant de lui mettre la puce à l'oreille quant au véritable objet de notre conversation, bien moins innocente que nous ne voulions le faire paraître. J'arborais donc malgré cette satisfaction intérieure un air neutre de parfaite lady, dénuée de toute malice.

« Absolument. Elle m'a semblée se porter à merveille. Bien que j'ai crû lire en elle une certaine... mélancolie.»

Comment trouver le mot juste pour dépeindre l'impression que Ser Cressey m'avait fait en arrivant ici et en s'entretenant avec moi. D'avant, je le connaissais peu, nous n'échangions que dans le cadre de notre service commun à l'égard de la Dragonne. Pourtant, si je me souvenais de lui comme d'un homme bourru et peu amène, il me semblait que quelque chose s'était littéralement brisé en lui. Ce n'était pas un homme à inspirer de la pitié et je n'étais pas femme à en nourrir beaucoup de toute façon, néanmoins je n'aurais pas pu le laisser partir dans le vaste monde sans lui tendre la main. Il m'avait offert ses services, ce que j'avais accepté avec reconnaissance soulagée de trouver un rempart supplémentaire entre moi et les Fer-Nés. J'avais espoir que sa présence pourrait me faire sentir davantage en sécurité et que mes angoisses s'en trouveraient ainsi apaisées. Je terminais donc, toujours à mots couverts:

« Je lui ai offert une place dans ma maison. Vous savez comme moi comme elle est fiable et je pense qu'elle saura m'être d'un grand service. Si toutefois, vous avez le désir de la revoir, peut-être n'est-il pas trop tard...»

Corneilla commençait doucement mais sûrement à se vider du flot des invités venus pour des noces et restés pour des funérailles. Nous étions déterminés à rester le temps que s'éclaircissent les circonstances de la mort du suzerain du Conflans et Ser Cressey prendrait donc la route avec nous. Je me montrais prudente cependant afin de ne pas éveiller les soupçons de la septa s'il lui prenait l'envie de s'immiscer dans cette possible rencontre entre "Dinah Crakehall" et la Princesse. Rhaenys devait le savoir cependant, si elle souhaitait cette rencontre avec son chevalier, comme jadis, je ferais tout ce qu'il serait en mon pouvoir pour leur garantir sécurité et discrétion.

Une ombre passa dans le regard et sur le visage de Rhaenys me laissant comprendre que les états d'âme de Ser Cressey ne la laissaient pas indifférente. Qu'avait-il donc pu se passer pour que leur relation prenne cette voie?

Bien sûr, depuis le départ, le statut de la Princesse compromettait un quelconque attachement durable envers le chevalier, et son mariage ainsi que sa grossesse avaient certainement précipité le terme de cette relation qui les menaient tous deux dans une impasse. Mais les inclinaisons du cœur sont ainsi: imprévisibles et déraisonnables. A leur mine lorsque l'on évoquait l'un en la présence de l'autre, il n'était pas dur de deviner que leur séparation s'était faite dans la douleur, l'incompréhension et les non-dits.

Face aux inquiétudes de Rhaenys au sujet de la mélancolie de "Dinah Crakehall" , j'acquiesçais poliment:

« Je suis certaine que quelques mots de votre part lui seraient d'un grand réconfort. »

Peut-être n'aurais-je pas dû m'en mêler. Après tout, j'étais moi-même une femme mariée, respectable, qu'aurait-on pu penser de ce rôle d'entremetteuse que j'endossais volontairement? Mais si j'ignorais tout -ou presque- de ce qui avait pu les lier autrefois l'un à l'autre, ce qui m'était certain c'était qu'à cette époque, avec Ser Durran dans sa vie, Rhaenys semblait heureuse.

Et qu'aujourd'hui, elle ne l'était pas.

Alors qu'importe, mon amitié pour elle m'interdisait tout jugement et transcendait la bienséance et les convenances. Et ses derniers mots firent rater un battement à mon cœur. Je les attendais.
Un instant, il me semblait retrouver le Donjon Rouge et ses intrigues, ce goût de la transgression et de l'interdit décuplé par la présence sévère de la Septa. Reposant ma tasse dans sa soucoupe, je me mordis légèrement les lèvres pour en récupérer les derniers gouttes du doux breuvage qui y demeuraient accrochées.

« Bien sûr. J'en serais ravie, Votre Altesse... »

Le ton était neutre, désinvolte et sans passion. Le sourire, seulement dans le regard. Oui, nous savions encore si bien jouer à ce jeu.