Du côté du loup blanc... ft. Eleyn Blanetree

Il apparaissait fort étrange à la jeune femme de faire partie des attablés. Non pas qu'elle n'ait jamais assisté à une réception, loin de là, néanmoins, cela faisait bien longtemps qu'elle avait délaissé les bancs des convives pour faire partie de ces silhouettes alignées le long des portes, armes au fourreau et plastron étincelant. Elle ne put d'ailleurs retenir quelques oeillades en direction des gardes, sans parvenir à déterminer si elle les enviait ou si elle les surveillait. Un peu des deux, sans doute. L'habitude.

Puis, son regard tomba sur la table des mariés. Dacey et Robb semblaient bien s'entendre, sa soeur affichait un sourire véritablement gai qui lui faisait chaud au coeur. Aucune des filles Mormont n'avait été élevée dans le but ultime de trouver un bon parti, contrairement à la plupart des femmes de noble naissance de ce Royaume. Alysane s'était laissée guider par son envie, quant aux autres ... Et bien, elles semblaient aussi bien vivre leur célibat qu'Eleyn elle-même. Cette dernière était donc ravie que malgré l'origine convenue du serment qui l'unissait à l'héritier Stark, elle semble s'y adapter sans trop de peine.

Cependant, une certaine tension subsistait en la jeune capitaine. Nervosité qui n'avait rien à voir avec le sort de sa soeur - laquelle paraissant bien mieux vivre cette vaste réunion - mais plutôt avec la présence de Jon Snow à ses côtés. Lors de sa première visite à Winterfell, quelques semaines auparavant, elle avait été simplement contente de le retrouver après toutes ces années. Puis, elle l'avait revu plusieurs fois durant son séjour et quand elle était retournée à la Baie, une pensée qu'elle ne soupçonnait pas avait fait son chemin dans son esprit, d'abord fugace avant de devenir entêtante. Elle l'aimait bien. Vraiment bien. A tel point qu'elle n'avait pas hésité - ni réfléchi - à lui proposer d'être son cavalier pour ce soir. Autant dire qu'elle se sentait légèrement ... Ridicule ? Elle déglutit et avala une grande lampée de vin, comme pour se débarrasser de cette sensation désagréable, la seconde en l'espace d'un quart d'heure. Si elle continuait sur cette voie, elle allait finir par rouler sous la table.

Son levé de coude un peu facile, en plus de son port emprunté, avait-il attiré l'attention de Jon ? Vue l'attitude d'Eleyn, son angoisse devait sentir à dix lieues à la ronde. Allons, détend-toi un peu, imbécile ! On dirait une chèvre balancée au milieu d'une meute de loups ! Personne ne va te manger ici ! se morigéna-t-elle intérieurement. Si son invitation lui avait paru stupide, ce n'était rien comparé à ce qu'elle présentait maintenant. Elle se força à se détendre et renvoya un sourire tranquille au garçon.


" Excellent ! J'ai juste ... Perdu l'habitude des grands rassemblements. " En robe, en plus de ça. Lequel des Sept avait-il pu inventer une telle torture ? Elle se retint de tirer sur son corsage qui lui comprimait littéralement la poitrine. " Je veux dire, ailleurs que sur un champ de bataille. Bien que les deux sont assez similaires, quand on y pense. Le nombre de participants diminue à mesure que le temps passe et que le liquide coule. " Elle afficha une moue amusée avant de lever son verre dans la direction de son interlocuteur. Elle préférait tout de même les barils de vin aux bains de sang. " Et toi, comment vis-tu cette soirée ? Ton entourage te sied-il ? "


Le hasard étant bien fait, à peine eut-elle posé sa dernière question que ce fut le moment choisit par un trio de jouvencelles de l'autre côté de leurs tables pour glousser tout en lorgnant dans la direction du jeune homme. Elle dissimula sa grimace mi-railleuse mi-agacée derrière son verre. Heureusement, un autre Dieu avait eu la bonne idée de souffler à l'Homme l'invention de l'alcool, très utile pour noyer les mauvaises pensées. Elle doutait qu'il soit très bien vu de traîner une demoiselle hors d'une salle de banquet par les cheveux ...

Eleyn retint un regard noir. Elle aurait voulu que le liquide contenu dans son verre engourdisse autant ses oreilles qu'il le faisait avec ses réflexes. Il n'était rien de plus désagréable que les rires roucoulants de jeunes filles tout juste pubères : ils lui rappelaient un peu les rumeurs d'une basse-cour quand le paysan menait le coq à l'abattoir. Dissonances qu'elle occultait d'ordinaire, voire qui la laissait de marbre, mais là ... Elle jeta un oeil à Jon dont les joues s'étaient empourprées. Son ami devait avoir l'habitude d'attirer ce genre de faveurs - même s'il ne semblait pas en être friand vue sa réaction -, elle ne s'en étonnait pas. Non, ce qui l'étonnait, en revanche, c'était sa propre réaction. Parce que, tandis qu'elle guettait la réponse de son compagnon, elle se dit que rarement elle n'avait autant eu envie de claquer le bec d'une femme à ce point.

Elle n'appréciait pas davantage de ruminer de la sorte non plus, d'ailleurs. Elle ferait mieux de reprendre la conversation avant que le vin ne tourne dans ses veines et chercha un sujet plus approprié à cette soirée de fête. La main de Jon sur la sienne stoppa net ses réflexions et elle manqua s'étouffer alors qu'il lui assurait être tout à fait à son aise. Parce qu'elle était là. Son visage n'avait désormais plus rien à envier à la couleur du vin.

Elle cacha son malaise dans un toussotement. Evidemment, la scène n'avait pas échappé au trio de pintades et Eleyn eut l'impression qu'elles riaient à ses dépends. Presque statufiée, elle ne sut ni que dire, ni que faire. Le garçon ne l'avait pas habitué à de tels discours, aussi charmants et doux furent-ils. Elle risqua un oeil vers leurs mains jointes avant de le relever vers un Jon hilare. Cette simple vision, au lieu de la braquer un peu plus ainsi que cela aurait dû, la détendit d'un seul coup et elle joignit son rire au sien.


" Bien sûr que je le suis ! " s'exclama-t-elle joyeusement en réponse au spectacle qu'il avait imaginé pour elle. Elle écouta le reste de ses expectatives avec un amusement sincère, ses sourcils se fronçant légèrement à l'évocation de tissus tâchés. Une lueur carnassière passa dans ses prunelles. " Effectivement, cela ne gâcherait rien à l'ambiance, au contraire ... "


Lorsqu'il entrelaça leurs doigts, elle ne fit pas mine de s'en défaire. Elle n'en avait aucune envie. Au contraire, elle lui rendit son geste. Elle aperçut Maege, laquelle l'observait depuis la table nuptiale et la garde aurait juré entrevoir l'esquisse d'un sourire sur les lèvres toujours si strictes de sa mère adoptive avant qu'elle ne se détourne d'elle. Grisée par cette impression - peut-être illusoire -, ainsi que par l'alcool, elle sentit la tension refluer définitivement. A la place, une envie irrépressible de profiter du moment, sans contraintes ni réflexions s'empara d'elle. De là à mettre ses désirs à exécution, il y avait un pas ... Que le jeune homme risquait bien de lui faire franchir. Sa dernière phrase lui apparut comme un défi. Il ne pouvait ignorer le peu d'importance qu'elle accordait à sa tenue et surtout, à quel point elle l'abhorrait. Il fallait plus qu'une robe pour lui faire oublier ce qu'elle était vraiment. Ou plutôt, ce qu'elle pouvait faire, même sans épée. Surtout sans elle. Elle n'avait peut-être pas les bonnes manières des autres dames, néanmoins, elle connaissait leurs façons de procéder.


" Tu as raison, je ne m'en remettrais pas. " répliqua-t-elle, feignant d'être offusquée. Aussitôt, ses traits retrouvèrent cette moue taquine et, prétextant vouloir se saisir d'une coupe remplie de dattes, elle en profita pour se pencher sur Jon et murmurer à son oreille. " En revanche, je n'ai aucune considération pour celles des autres. " Elle se rassit convenablement et lui adressa un clin d'oeil tout en enfournant un fruit séché. " Messire, si vous voulez bien m'excuser. "


Elle avait parlé assez fort, jouant sur ces convenances dont ils se moquaient si bien, poussant même le vice jusqu'à s'incliner respectueusement alors qu'elle se levait, son verre à la main. Abandonnant son comparse sur ces mots, elle se dirigea vers l'autre bout de la table. Certains des convives avaient délaissé leurs sièges de manière à pouvoir discuter avec de vieilles connaissances d'autres tablées, à l'image du Lord en grande conversation avec l'une des filles Karstark. Cette même fille qui avait eu le regard lourd pour le jeune Snow. Et voilà que son interlocuteur tenait justement un verre à moitié plein à la main. Heureuse fortune. Il suffit d'une légère pression du coude à Eleyn pour déstabiliser le Lord déjà bien aviné. Le cri que poussa la demoiselle alors que le liquide se répandait sur son corsage fut le son le plus délicieux que la brune ait attendu de sa part.

Tandis que le pauvre bougre se confondait en excuses - vu le monde sillonnant les allées et sa propre ivresse, il n'avait même pas remarqué qu'on l'avait délibérément poussé -, la garde continua sa route jusqu'à l'issue la plus proche, soit le couloir menant aux cuisines apparemment. Une fois sur le seuil, elle se retourna et décocha son plus beau sourire bravache à son ami toujours assis. Elle espérait qu'il n'avait rien raté du spectacle et qu'il lui avait rappelé quelques bons souvenirs. Eleyn n'était pas qu'un soldat dévoué, elle pouvait également avoir la légèreté facile pour peu qu'on sache. Avant de s'enfoncer dans le couloir, elle lui fit signe de la rejoindre si l'aventure le tentait. Elle avait besoin de se dégourdir les jambes et tant qu'à s'éloigner des festivités, autant être bien accompagnée.

Le temps d'un instant fugace, la jeune femme se demanda s'il avait envie de la suivre. Si, d'ailleurs, il le ferait, tout simplement. Peut-être avait-elle trop présumé de leur complicité, ou simplement, peut-être s'était-elle montrée impolie, elle ne pouvait en être certaine. L'espace d'un instant, donc. Car celui d'après, Jon se levait et se dirigeait tant bien que mal dans sa direction, suivi de Ghost et de sa discrétion naturelle. Eleyn ne put réprimer un sourire qu'elle dissimula dans le dos de sa main tandis qu'elle s'enfonçait un peu plus dans les ombres du couloir. Des voix alpaguaient son ami, mais se tournaient également vers elle par extension, cherchant probablement le motif de cette soudaine pagaille. Si la honte ne l'étouffait pas, il aurait dommage d'embarrasser le garçon, lequel avait déjà bien assez à faire avec les quolibets des invités dérangés.

Le loup précéda son maître de quelques pas, assez pour que leurs regards se croisent et qu'elle lui renvoie un clin d'oeil. La bête couleur de neige exerçait un attrait fascinant sur elle, lui inspirait davantage de curiosité que de peur - bien qu'elle ne se serait pas risquée à s'y frotter. Avoir grandi près de femmes réputées pour leur connivence avec les ours devait expliquer son sentiment, ou peut-être était-ce à cause de la confiance qu'elle portait au garçon et qu'elle répercutait sur son compagnon. Quoi qu'il en soit, à peine eurent-ils retrouvé l'air frais que le loup disparut et elle en revint totalement à Jon, à leurs doigts qu'il avait de nouveau enlacé dans leur fuite en un geste qui paraissait à la garde étrangement naturel. Comme les choses pouvaient changer en si peu de temps ...

Si sa première remarque la laissa songeuse, la seconde lui arracha un rire. Elle prit la mine la plus innocente et surtout, la plus mal feinte, tout en répliquant : " Je ne vois absolument pas de quoi tu parles. Ce pauvre Lord a dû trébucher. Ou se dire que le rouge lui siérait mieux au teint. " Sa phrase se termina en un sourire en coin tandis qu'elle portait son verre à ses lèvres.

Un silence seulement troublé par les échos de la nuit et quelques rumeurs au loin s'installa. Eleyn sentait son esprit embrumé, comme engourdi, supposant que le vin ne devait pas y être pour rien. Cependant, elle dut reconnaître que la sensation était plutôt agréable. Cela la changeait. Plutôt que d'être perpétuellement à l'affut, le fourreau à portée de mains, elle pouvait se permettre un peu de détente sans conséquences.

« Je... Je dois bientôt partir au Mur. »

Ou pas. A ces mots, elle esquissa un semblant de grimace, comme si son vin avait brusquement tourné au vinaigre. Lorsqu'il évoqua sa promesse envers Jorelle, elle fit un pas en arrière et lâcha sa main, lui tournant un instant le dos, muette. Elle inspira profondément tout en cherchant une réponse adaptée derrière ses paupières closes. Pourquoi sa soeur ne lui en avait-elle pas parlé plus tôt ? Il y avait-il entre eux quelque chose qu'Eleyn ignora ? Non, dans le cas contraire, Jorelle n'aurait pas apprécié qu'elle invite le fils Stark à l'accompagner au mariage et le lui aurait fait savoir d'une manière ou d'une autre. En réalité, la garde avait été si absorbée par Winterfell ces derniers jours, qu'il était probable qu'elle ait raté certains projets. A l'image de celui-ci. Et pas des moindres. Elle n'ignorait pourtant pas le désir de la jeune femme de se rendre au Mur. Seulement, et bien ... Elle ne s'attendait pas à ça, voilà tout.

Elle abandonna son verre vide sur un muret et pivota à nouveau pour faire face à Jon, l'air bien moins détendu qu'elle ne l'aurait voulu. Comment lui expliquer les raisons de son comportement sans passer pour une écervelée ? Pire, une personne futile et égoïste. Elle força un sourire, plus résigné que véritablement joyeux - ce qu'il aurait dû être pourtant.

" Je suis contente de te savoir à ses côtés durant ce voyage. Elle sera sous bonne escorte. " Les routes du Nord n'était jamais sûre, les Sauvageons effectuant des percées récurrentes dans les terres. Même si Jorelle était tout à fait apte à se défendre seule, la savoir accompagnée la rassurait. Mais pas suffisamment pour lui faire oublier son trouble. " Je suppose que c'est le moment où je dois te dire que si tu comptes porter le noir, il s'agira là d'un grand honneur pour ta famille et surtout, d'un choix plus qu'admirable. Celui aussi où je te souhaite bonne chance et te dis que j'espère que cette nouvelle vie te satisfera ... " Elle fit une pause, le temps de combler la distance qui les séparait. Paraissait-il que l'alcool enhardissait et nul doute possible, la jeune femme l'expérimentait. Son sourire avait totalement disparu, laissant la place à un regard embrasé au-dessus de ses traits indéchiffrables. Cette fois, ce fut elle qui saisit les doigts de Jon, sa main libre se risquant jusqu'à sa joue pour une caresse audacieuse. " ... Sauf que, bien que je pense tout cela, j'espère avant tout que tu reviendras. "

Elle sembla hésiter, sa tête se penchant vers l'avant pour se reculer aussitôt. Et finalement, mieux revenir. Ses lèvres se posèrent sur celles du garçon, timidement, sans préméditation. Elle n'avait pas imaginé esquisser un tel geste ce soir, mais tant qu'à y être, s'il devait partir et qu'ils ne devaient plus se revoir, autant outrepasser les règles bienséantes qu'elle s'était imposée. De toute façon, puisqu'elle n'était visiblement pas en état de le faire, il serait à même de la repousser dans le cas où elle se tromperait de chemin.

Eleyn ne se posa pas la moindre question. Qu'est-ce qu'il lui avait pris, pourquoi maintenant, pourquoi lui, comment elle justifierait son erreur de jugement s'il se dégageait de ses lèvres, ce qui les attendait s'il ne le faisait pas ... En toute logique, elles auraient dû défiler et résonner telles de terribles sentences. Sauf qu'il n'en fut rien. Ni au moment où elle franchit les limites de la simple amitié, pas plus qu'à celui où il lui répondit dans le même élan, bien que lui aussi hésitant au début.

Il fallait dire que jusqu'ici, malgré la réalité de ses sentiments naissants, elle n'avait qu'à peine afin de les lui faire comprendre - son invitation de la veille étant ce qui pouvait s'en rapprocher le plus. Il y avait même fort à parier que sans ces circonstances exceptionnelles, elle ne s'y soit pas risquée. La jeune femme n'était pas très à l'aise dans les relations humaines, c'était un fait, alors faire part de, disons, désirs cachés ... Autant lui demander d'escalader le Mur avec un couteau à beurre. Les Dieux soient loués, l'Homme avait inventé le raisin fermenté et la témérité due au jugement engourdi par ce lui-ci. Ainsi que par la perspective de rater quelque chose. Une chance certainement unique de ne pas avoir de regrets.

Il ne vint donc pas à l'esprit de la garde de rebrousser chemin. Particulièrement lorsqu'il l'attira contre lui. Elan de bravoure partagé, elle saisit les joues du garçon entre ses doigts, prolongeant avec la même ardeur le second baiser plus assuré qu'il lui offrit. La réalité encore emportée par leur échange, il lui fallut un instant avant de comprendre ce qu'il lui disait. On les regardait ? Vraiment ? Instinctivement, elle tourna la tête, son regard croisant l'ombre de silhouettes figées un peu plus loin. Elle ignorait si elles s'étaient réellement arrêtées à dessein, amusées par la scène, ou simplement si elles cuvaient à l'air frais, leurs yeux vitreux cherchant à discerner ce qui se jouait à quelques pas. Et là encore, cela lui importait peu. Ses joues se creusèrent en un sourire mutin avant qu'elle n'emboite le pas à Jon.

Au vu des renâclements que poussèrent certains chevaux alors qu'ils surgissaient dans les écuries, les canassons n'étaient pas ravis que les deux jeunes gens viennent troubler leur sommeil dument mérité. Indifférente à cette agitation, Eleyn attira son compagnon jusque vers les fonds du bâtiment où elle trouva un box libre, à l'abri de toute intrusion et surtout, des regards curieux. Le regard brûlant d'une fièvre connue pour son singulier remède, la paille craquant sous leurs pieds, elle retourna à l'assaut de ses lèvres tout en les entrainant vers l'unique mur de pierres. Le contact glacé de ces dernières contre son dos lui arracha un frisson mais ne l'empêcha pas pour autant ses mains de commencer à s'aventurer sous le tissu des vêtements de Jon, ses gestes trahissant un empressement qu'elle ne se connaissait pas.

Il lui apparut vite évident que d'eux deux, elle s'avérait la moins timorée. Plus surprise par l'hésitation du garçon que par tout le reste de cette étrange nuit, le souffle court, elle lui lança un début de regard interrogateur. N'en avait-il pas envie ? A en juger par son expression, elle aurait juré que si, pourtant. Mais alors, se pouvait-il que ... ? Qu'il soit ... Attendez. Les hommes ne découvraient-ils pas ces choses-là bien plus tôt ? Peut-être pas tous. Peut-être pas lui.

Son expression s'adoucit aussitôt pour se faire aussi assurée que rassurante. D'un mouvement, elle les fit échanger de place et recula d'un pas, ses doigts glissant jusqu'à sa poitrine où elle entreprit de défaire les attaches de sa robe une à une sans le quitter des yeux. Bientôt, un rayon de lune accrocha la teinte pâle de sa peau nue, révélant ses courbes irrémédiablement féminines malgré la profonde cicatrice qui ornait son flanc. Une fois débarrassée de l'habit maudit, elle en revint à Jon et, pressée contre lui, elle glissa à son oreille :

" Laisse-toi guider. "

Jamais elle n'aurait pensé prononcer des mots pareils, elle qui n'avait des hommes que l'expérience du combat. Elle espérait que ses soeurs, de même que son imagination, avaient été prodigues dans leurs conseils à ce sujet. De l'art de la guerre à celui de l'amour, paraissait-il que seul le motif de la passion différait. Elle s'empara des mains du garçon, les guidant ses hanches, puis plus haut, encore plus haut ... Bien. Ce soir, elle mènerait la danse tandis qu'ils apprendraient tous les deux.

Le sommeil d'Eleyn pouvait tantôt se faire léger, tantôt profond. Tout dépendait de ce qui l'entourait, de si menace il fallait se méfier ou, tout simplement, de son épuisement de la journée. Sur l'Île, elle ne dormait généralement que d'un oeil, prête à intervenir au moindre son de cor. Quant à Winterfell, aussi sécurisée que soit la forteresse Stark, elle peinait à s'abandonner aux bras de Morphée. Peut-être, justement, parce qu'elle n'était pas habituée à ce que rien ne vienne la troubler.

Néanmoins, cette nuit-là, sur la paille inconfortable et peu après qu'ils eurent retrouvés leurs souffles, elle ne s'était pas faite prier et la torpeur l'avait lourdement gagné pour les plusieurs heures qui suivirent. Elle qui n'avait jamais partagé le lit - quoi que, dans la situation présente, le mot était plutôt inapproprié - que de ses soeurs après de longues soirées de discussion, n'avait pas encore connu l'agréable sensation de s'endormir contre le corps chaud d'un homme après un échange d'un tout autre genre. Elle n'avait pas éprouve ni l'envie, ni le besoin, de rester à l'affut du moindre bruit ou de s'inquiéter de quoi que ce soit. Ils étaient ainsi, l'un contre l'autre et c'était suffisant.

Ce fut le froid qui la réveilla, un frisson lui parcourant l'échine comme si sa peau lui soufflait qu'il lui manquait quelque chose. Elle ouvrit les paupières pour les refermer aussitôt, un éclair migraineux lui traversant les pupilles. Il lui fallut quelques instants pour se remémorer où elle se trouvait et quand elle le réalisa, comment elle y avait atterri. La réminiscence suffit à l'éveiller tout à fait et elle redressa en position assise, son visage se tournant vers Jon, lequel était en train de se rhabiller. Elle le dévisagea en clignant des yeux un peu stupidement. Il était donc encore là ? Pourtant, on lui avait assuré que les hommes avaient tendance à disparaître dès l'ouvrage accompli. Le fils Stark ne faisait visiblement pas partie de ces spécimens, constat qui, inexplicablement, la rasséréna plus qu'il ne la surprit.

" Bonjour à toi aussi ... " répliqua-t-elle, également peu à l'aise. En un geste accordé, elle remonta la fourrure sur sa poitrine nue. Mais qu'est-ce qui t'a pris ?! enragea sa conscience. Il doit te prendre pour une catin de bas-étages maintenant ! Bien joué, vraiment ! Elle n'osait imaginer ce que son ... Ami ? Oui, elle espérait qu'il l'était toujours, ou peut-être davantage. Par les Dieux ! Quelle situation embarrassante ! Ses pensées s'emmêlaient et ses joues rosirent légèrement. Donc, elle n'osait imaginer ce qu'il devait penser d'elle après cette nuit. Sauf que malgré sa flagellation intérieure, elle s'avéra incapable de le regretter. De plus, le regard de Jon n'exprimait pas le moindre dégoût ou le plus petit désintérêt pour sa personne. Elle aurait juré lire une sorte de gaieté sous son malaise. Tu aurais surtout eu tort de t'en priver. railla une petite voix qu'elle ne se connaissait pas. Il lui sembla que cette dernière avait attendu bien longtemps pour s'exprimer, le moment parfait afin de lui faire savoir qu'il était temps de prendre ses propres décisions. Car si l'alcool avait désinhibé ses intentions, elles étaient bien là au départ. Elle ne pensait certes pas que les choses iraient aussi loin mais c'était elle qui avait impulsé le baiser, puis le reste. Elle l'avait voulu. Et choisi. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire qu'elle lui adressa sans plus aucune gêne. Non, vraiment, il n'y avait rien à regretter. Il s'enquit sur leur nuit et elle hocha la tête, sa mine se faisant espiègle. " Et bien, puisque je ne suis pas déjà partie en courant, je dirais que oui. Et puisque tu es encore là également, j'en déduis qu'il en va de même pour toi. " Si elle avait compris la première qu'il était aussi peu initié qu'on puisse l'être, le fait qu'elle ne l'était guère davantage n'avait pas dû échapper à son compagnon par la suite. Au moins, ils avaient découvert l'essentiel ensemble et elle n'aurait rien changé à cela.

La jeune femme finit par se lever, attrapant sa robe au passage pour l'enfiler. Leur relation avait beau avoir pris un nouveau tournant, la nudité n'était pas encore un point qu'elle assumait à la lueur du jour. Sans compter que le froid était plus que mordant et ôtait toute présomption lascive. Elle retira quelques brins de foin de ses cheveux emmêlés, tout en essayant d'y remettre un peu d'ordre. Les écuries ... Franchement, elle aurait pu trouver plus brillante, comme idée. Enfin, pour ça, il aurait fallu qu'elle réfléchisse. Ghost se rappela à eux par un hurlement qui manqua de la faire sursauter. Ils avaient disparu un moment et la bête se chargeait de les ramener à la réalité.

" Je crois qu'on te réclame. " déclara-t-elle, toujours en un sourire. Et il ne devait pas être le seul. Elle était supposée rejoindre les Mormont aujourd'hui, une sorte de dernière réunion avant le départ de Maege, puis de Jorelle. Peut-être même Alysane ou Jorelle la cherchait-elle déjà. La dernière attacha se referma sous ses doigts. " On risque de se demander où je suis passée moi aussi, alors ... " Elle revint vers lui, récupérant la fourrure sur ses pas afin de la lui tendre. Une fois qu'il l'eut récupéré, elle attrapa une brindille entortillée entre ses boucles brunes. " ... Alors je te souhaite un bon voyage jusqu'au Mur, au cas où nous ne nous reverrions pas. " Elle déposa un dernier baiser sur ses lèvres, prête à filer. Elle s'arrêta néanmoins à la porte du box, rivant ses yeux à ceux de Snow. " Je pensais ce que j'ai dit hier. J'espère que tu reviendras. "

Il lui avait expliqué les raisons de son départ et surtout, qu'il n'y aurait probablement pas de retour pour lui. Mais après tout, rien n'interdisait d'espérer. Elle retrouva la cour de Winterfell s'éveillant à peine, tout comme eux, un sourire digne de jouvencelle plaqué sur le visage. Quelle imbécile elle devait paraître. Et comme c'était bon. A vrai dire, tout l'avait été. Du début à la fin.