Le sel de la mère — Arwen&Alys

Pour la première fois depuis longtemps, Alys se réveillait à côté d’un corps. Un corps nu, moite, lourd,  plein. Elle en fut surprise, quand il s’offrit à son regard alors que les rayons du soleil de l’aube perçaient la vitre sale de la chambre dans laquelle elle avaient passé la nuit. Ils avaient passé la nuit. C’est qu’elle n’y était plus habituée. Une nausée la prit, et elle ne sut pas bien si c’était cette vision, l’alcool qu’elle avait ingéré la veille, ou l’odeur qui régnait à Sortonne, où elle logeait depuis que le tournoi pour l’anniversaire du couronnement du Roi avait commencé, qui l’avait provoquée. Elle s’extirpa alors de la couche silencieusement, lentement, autant pour elle que pour cet autre qu’elle ne voulait pas réveiller. La tête lui tournait ; ce devait être l’alcool, alors, déduisait-elle de son état. Le regard rivé sur l’extérieur, elle n’osait bouger que par petits à coups, de peur de provoquer un enchaînement d’événements qu’elle n’avait plus envie d’assumer, maintenant le matin venu.

Laissant le corps endormi derrière elle, elle quitta la chambre pour rejoindre une autre petite pièce où elle s’habilla à la hâte. Aussi vite qu’elle le put, elle se précipita hors de ces appartements où sa famille était installée et dans lesquels elle étouffait déjà. Après quelques détours dans un château qu’elle ne connaissait pas, elle poussa des portes qui la menèrent, enfin, sur un contrefort extérieur. L’air putride qufi régnait sur le fief, toutefois, ne lui permis aucun répit. Les Sunderland vivaient sur la mer comme les Grafton, Alys connaissait bien l’air marin et l’odeur de poisson au réveil. Goëville était bien différente de Dolcesoeur, toutefois, qui ajoutait à ces odeurs un goût pourri qui ne passait pas, malgré le vent. Cherchant désespérément un endroit où cette odeur la lâcherait, elle trouva un coin de tourelle où le vent apportait suffisamment d’embrun pour couvrir, au moins un peu, le goût de l’odeur. Évidemment, un banc de pierre avait été installé-là : elle n’avait pas dû être la seule à repérer le soulagement ressenti perchée sur ce point de vue. Le jour était déjà bien levé, il devait être huit heures, peut-être neuf, quand Alys s’assit face à la mer et ferma les yeux à nouveau. Malgré l’apaisement que lui procurait le vent sur son visage, sa tête lui tournait encore un peu.

Elle resta un moment, plongée dans ses pensées, les yeux clos et le sel s’accumulant peu à peu sur sa peau. Au bout de ce qui devait être une vingtaine de minutes, elle se sentit mieux, et se redressa un peu pour se lever finalement et se pencher sur le contrefort. Depuis se point-là sur le fort, elle était au dessus de l’eau. Là, elle avait presque l’impression d’oublier.

Le vent soufflait si fort dans ses oreilles, elle était si concentrée sur le remous de l’eau qu’elle n’entendit pas, derrière elle, quelqu’un arriver.

J’avais presque passé la nuit à regarder mes enfants dormir. Pour ma part, je somnolais dans un fauteuil en les regardant dormir. Les quatre avaient voulu dormir tous ensemble et je n’avais pas cherché à négocier pour qu’ils dorment séparés… Ils étaient encore petits… Lucerys dormait, roulé en boule contre sa jumelle qui le tenait dans ses bras et Nestor et Corwyn était de chaque côté, blottit contre eux. Je les regardais avec tout l’amour du monde… Je gravais cette image dans mon cœur et dan mon esprit. Comme-ci en faisant ainsi, je pouvais l’envoyer à Maegor pour qu’il puisse les voir par mes yeux. Je finis par quitter mon fauteuil où j’avais passé la nuit, dormant par à-coups pour veiller sur eux. Je rajustais ma robe grise brodées de cloche. Je préférais porter les couleurs des Belmore parfois et j’aimais cette couleur rehaussait de liseré violet. C’était très bien. Je me penchai pour embrasser le front de chacun de mes enfants.

Je passais une main dans leurs cheveux à tous, ils dormaient toujours profondément et je m’autorisai à sortir. Uniquement après leur avoir laissé un petit mot pour leur dire que j’étais allée voir la mer. Je passai rapidement par ma chambre pour me rafraîchir un peu et natter mes cheveux pour dégager mon visage. J’avançai dans les couloirs pour grimper sur les contreforts jusqu’à voir la mer. Je ne connaissais pas bien ce domaine… Mais qu’importe, j’avais aussi besoin d’air un peu. J’avançai souplement en respirant l’air frais. Cela faisait du bien… Mon esprit voguant loin sur les vagues alors que je continuai d’avancer jusqu’à tomber sur une dame aux cheveux bruns que je reconnus. Alys Royce. La sœur de Gérold. Ma nièce. J’avais toujours été plus proche de Gerold que d’elle… Mais entre femme ! Elle avait l’air un peu fatiguée. Je m’approchais d’elle avec un petit sourire.

« Bonjour Dame Alys. Comment vous portez-vous ? »

Pour une fois que je n’avais pas les molosses de Vaelarr sur le dos… C’était bien… C’était très bien. Je restais à quelques distances pour ne pas la gêner alors qu’elle était penchée pour regarder la mer. Le vent soufflait dans nos oreilles et nous apportait la musique de la mer.

Derrière la Dame de Roches-Aux-Runes, penchée au-dessus de l’eau comme pour apercevoir, dans le fond, une étoile de mer, une figure aux cheveux d’or, élégamment vêtue et élancée apparaissait. La brune reconnut ainsi sa tante, Lady Arwen, la plus jeune sœur de sa mère Shirrei de la Maison Belmore. Tellement jeune, d’ailleurs, qu’Alys et la désormais épouse Wydman avaient le même âge. Si Alys ne se trompait pas, elle devait même avoir une ou deux années de plus qu’elle, quelque chose comme ça. Les deux femmes s’étaient souvent croisées, dans l’enfance, et avaient été compagnes de grands jeux auxquels Alys avait adoré s’adonner. A l’occasion de festivités, de tournois et autres anniversaires, elle retrouvait enfin, dans les salons feutrés de différents fiefs valois, tantes et cousines pour jouer. Alys, en effet, n’était entourée que d’horribles frères qui refusaient tous ses scénarios de mariages alambiqués et autres dînettes dignes des meilleurs palais de Westeros pour favoriser des jeux de chevalerie qui ne l’avaient jamais emballée, essentiellement parce qu’elle était coincée dans des rôles de demoiselles en détresses qui lui demandaient de se tenir, potiche, pendant des heures sans bouger, comme un lierre ayant pris racine sur un rocher.

Une inquiétude blanche enveloppait Alys à l’idée qu’Arwen puisse deviner son trouble. Elle serra la mâchoire et secoua le crâne discrètement, clignant des paupières salées par la mer pour récupérer ses esprits, alors que sa tante la saluait. Elle lui adressa une révérence polie, comme l’on doit le faire devant une aînée. Alys avait honte de l’allure qu’elle présentait à la vue de cette parente qui la surprenait au sortir d’une nuit que la brune peinait encore à s’expliquer. « Ma tante, bonjour » entama-t-elle, lissant les plis de sa robe qu’elle avait enfilée à la va vite et qui s’étaient pris, comme une voile, dans le vent des remparts de Brisants. Un sourire, plein d’affection, commençait à se lire sur son visage alors quelle reprenait ses esprits. « Bien, bien, je suppose » s’embrouilla-t-elle pour répondre à sa tante qui lui demandait comment elle allait. Elle ne voulait pas mentir effrontément à Arwen et passer pour un charlatan, mais ne souhaitant pas non plus s’embarquer dans une litanie où elle se déverserait en lui contant tous ses malheurs : les deux femmes, quoi que parentes, ne se connaissaient pas assez bien pour cela. « Pardonnez-moi, vous me trouvez en de bien étranges circonstances … je ne m’attendais pas à trouver quelqu’un ici de si bonne heure, après les festivités d’hier. » Ce n’était pourtant pas Alys qui avait trouvé Lady Arwen, mais bien l’inverse. Se mordant la langue d’en avoir peut-être trop dit, Alys tira ses cheveux en arrière d’un geste inquiet.  « Je suis bien heureuse de pouvoir vous croiser dans une plus grande intimité qu’au milieu de cette fête, toutefois, Lady Arwen. Cela faisait longtemps que nous n’avions plus eut l’occasion de discuter. » Des couleurs semblaient regagner le visage de la Dame de Roches-Aux-Runes, en même temps que ses esprits. Elle ne se souvenait plus, s’il fallait dire vrai, de la précédente discussion qu’elle avait entretenue avec sa tante, qui avait duré plus de quelques minutes, et qui avait consisté en plus que des banalités. Avant la guerre, songea Alys.

Le ciel était magnifique… D’un beau bleu… Comme mon humeur, à la fois triste et pleins d’espoir. Léger, triste, profond et joyeux, comme la promesse que les jours gris passeraient et qu’un nouveau soleil se lèverait bientôt. Je regardais ma nièce. Nièce… Vraiment ? Alors que nous avions presque le même âge, à quelques années proches. Et quand bien même nous avions un peu joué ensemble il y a de cela… des années ? Des dizaines d’années ? Je ne savais plus. Mais en grandissant, j’avais été plus proche de Gerold que d’elle… J’offris un sourire très léger à la belle brune lorsqu’elle me salua. Il y avait une drôle d’affection dans sa voix. Je l’observais avec attention pendant quelques secondes. Avait-elle passé une horrible nuit ? Je notai sa tenue… qu’on pouvait dire légèrement froissée. Il était tôt, peut-être s’était-elle levé tôt pour profiter de l’or du lever du soleil ? C’était possible. Je m’appuyais contre le parapet en regardant la mer, je me demandais s’il y avait des étoiles de mer accrochées aux rochers. Peut-être pourrais-je amener les enfants tenter d’en trouver ? Cela pourrait sans doute les amuser beaucoup.

Elle… supposait ? Je fronçais légèrement les sourcils en l’observant. Avait-elle eu quelques malheurs dont elle ne voulait pas me parler ? Avait-elle peur de se déverser en larme sur une épaule maladroite lorsqu’elle tentait de consoler des gens ? C’était sans doute possible… J’inclinai la tête à ses mots. J’avais passé des heures dans des salons selon les bonnes envies de Valarr, charlatan de seigneur qu’il était… Mais mes enfants étaient ensemble, c’était le plus important…

« J’ai toujours aimé me lever tôt. Pour tout vous dire, j’ai surtout passé la nuit à regarder mes enfants dormir. Ce qui explique… la tenue. »

Je désignai d’un geste ma tenue identique, ou presque, d’hier soir. J’avais simplement lâché mes cheveux, enroulé presque dans des lierres de rubans et d’épingles pou une coiffure élaborée. J’étais bien mieux mes cheveux coiffés comme aujourd’hui. Bien longtemps que nous avions pu discuter… Je hochai la tête, les racines étaient profondes… N’est-ce pas ? Nous étions liés par le sang et peut-être aussi par nos rôles ? Deux mères avec des enfants arrachés à soit.

« Il est vrai… J’ai arrêté de compter les années. N’est-ce pas ? J’ai l’impression que cela fait une éternité… N’est-ce pas ? J’ai l’impression que c’était lorsque j’attendais mes jumeaux… Pour le couronnement… de Harrold Hardyng… Ou peut-être après ? Je ne sais plus… »

J’inclinai légèrement la tête vers l’eau.

« Que vous est-il arrivé pour que vous vous réveilliez si tôt ? J’espère que ce n’était pas un cauchemar. »

Nous en faisions assez en tant que mère. N’est-ce pas ? Je l’observai à nouveau…

« Vous ressemblez à votre mère… Je viens de le remarquer. »

J’eus un léger sourire, j’aimais tous mes frères et sœurs. Et cela même si j’étais la plus jeune. Le nom d’un de mes fils le prouvait. N’est-ce pas ?

La ville de Sortonne n’offrait pas grand-chose à la vue de ses invités. Les Sunderland et les Borrell s’étaient montrés accueillants, mais il avait fallu tourner le regard sans protestation face à l’état miteux du château Brisant, et fermer son odorat à l’odeur terrible qui régnait dans tous les espaces. Alys Royce avait su, toutefois, trouver son compte dans cette affaire : d’abord, elle avait pu applaudir Robar qui avait terminé troisième du Tournoi. Lui et sa compagne, Maddy, avaient retrouvé depuis quelque lunes leurs marques à Roches-Aux-Runes, après avoir vécu pendant près de trois ans sur l’Île de la Sorcière. Alys, si elle devait l’admettre, adorait les avoir auprès d’elle. Maddy, particulièrement, était un antidote à la morosité que pouvait prendre son quotidien. La Dame Royce avait aussi retrouvé son fils, Lucas, elle trouvait qu’il avait pris de la hauteur, ces derniers temps, et qu’il n’était plus le petit garçon qu’il avait autrefois été. Elle n’avait pas le temps d’être nostalgique, toutefois, souhaitant profiter pleinement de tous les instants qu’elle pouvait partager avec lui. Ainsi, malgré ses défauts, Sortonne offrait à Alys une échappatoire qu’elle considérait avoir largement mérité.

Elle avait la sensation, toutefois, que tout s’était emballé. Que, ravie par le déroulé des événements, elle s’était laissé aller à l’instant présent, laissant la vague tout emporter sur son passage. Andar lui avait proposé sa main pour l’emmener danser, et après tous ces verres, son toucher avait été comme un coup de harpon dans tout ce qu’elle avait essayé de contrôler ces dernières années.

D’un geste lent, Alys essayait de rassembler ses cheveux déjà salés pour se donner une allure plus présentable. Les seuls doigts de sa main en guise de peigne, elle tentait de leur faire retrouver un ordre. Sa tante, toutefois, témoignait elle-aussi d’une tenue peu soignée : elle non plus n’avait pas beaucoup dormi. « Les festivités sont terminées, de toute façon. Il sera bientôt l’heure de rentrer. » Plus besoin, ainsi, d’apparaître sous ses meilleurs atours. Alys pourrait rentrer chez elle, le visage de cire, tentant de ne pas laisser apparaître le trouble dans lequel la laissait sa dernière nuit.

Lady Arwen essayait de se souvenir de la dernière fois qu’elles s’étaient croisées ; elle mentionnait les Eyriés, et le couronnement d’Harrold Hardyng. La Dame Royce sourit affectueusement : « Ma tante ! Il n’y avait pas encore de royaume valois, à cette époque ! » Et Harrold Hardyng n’avait certainement jamais été leur roi … La Wydman devait être fatiguée de sa nuit passée à veiller ses enfants, et il est vrai que vu la situation, le lapsus était amusant : ils étaient à Sortonne pour fêter le couronnement de Viserys, après tout. Elle lui souriait doucement, elle ne voulait pas se moquer. Pour ne pas enfoncer le clou, elle répondit simplement : « n’étiez vous pas au mariage du suzerain avec Mya Nerbosc ? Autrement vous devez avoir raison, c’était à l’occasion de la visite de Rhaegar dans le Val. » Harrold Hardyng, qui ne manquait jamais une occasion de s’amuser, avait en effet invité une bonne partie du royaume à fêter sa prise de fonction comme suzerain du Val. Tout cela semblait bien loin, désormais.

Manifestement, sa tante voulut toutefois changer de sujet. Elle lui demanda ce qui l’avait emmenée à se lever si tôt. La question surprit la brune, dont le visage se figea un instant. Une averse semblait s’être subitement abattue sur son corps, car elle ne savait pas comment répondre à cela. Elle en ressortait largement refroidie. Cela dut se voir sur ses traits, puisque Arwen lui trouva des similarités avec sa mère : voilà une comparaison qu’elle n’avait plus entendue depuis longtemps. Cela la troubla d’autant plus qu’elle bafouilla un peu, pour répondre : « ah bon, vraiment ? que nous trouvez-vous en commun ? » C’est vrai qu’Arwen était aussi blonde que Sharra était brune, et qu’ainsi, les sœurs ne pouvaient pas être comparées facilement. « Cela fait bien longtemps qu’on ne m’a plus comparée à Lady Grafton … » précisa-t-elle, perdue dans ses pensées. Elle l’avait appelée par son nom d’épouse, car c’était ainsi qu’Alys connaissait sa mère : comme une Grafton bien plus que comme une Belmore. Sharra participait désormais à l’éducation de son petit-fils, un Royce, puisqu’il vivait désormais comme pupille du Seigneur de Goëville. « Ma mère, toutefois, est toujours bien mieux arrangée que je ne le suis ce matin. Ne lui dites pas, je vous prie, qu’elle a l’allure de quelqu’un qui vient de faire un cauchemar, ou qui se réveille après une soirée trop arrosée, elle risquerait de mal le prendre … » Alys sourit un peu à nouveau, amusée par cette idée. Elle en avait profité pour glisser, aussi, une explication à l’allure qu’elle devait avoir ce matin, en espérant que sa tante la trouve satisfaisante ...