Un temps pour les regrets, un autre pour avancer - Feat Theon

Il trouvait étrange la manière dont, toute sa jeunesse, toute son enfance, il avait rêvé de Pyk. Pour le jeune pupille d'Eddar Stark, le fief des Greyjoy était synonyme de foyer, d'appartenance, les représentations de la seiche dorée ou de la silhouette accidentée du château suffisait à faire naitre en lui une nostalgie bien particulière. Quelque part, le jeune Theon en était sur : s'il ne se sentait pas à sa place à Winterfell, c'était parce qu'on l'avait arraché au sien. Il projetait alors sur son père, sur sa soeur, ce qu'il voyait chez les Stark, persuadé que s'il était resté à Pyk, la fierté qu'il voyait chez Lord Eddard lorsqu'il regardait ses enfants serait la même que celle de Balon Greyjoy l'observait, que le chaotique amour familial, tantôt tendre, tantôt querelleur, serait le même chez les Greyjoy qu'au sein de la meute de loup. Les années à Winterfell étaient presque parvenus à lui faire oublier la cruauté de ses frères aînés, devenus dans son esprit les martyrs d'une injuste répression, ou la facilité avec laquelle on l'avait mis dans le bateau des continentaux au profit d'un déchirement profond des siens de le voir partir. Toutes ces histoires que le jeune Theon se racontait le soir pour oublier sa solitude, pour survivre au mépris des nordiens, pour se raccrocher à ce qui faisait son identité était bien loin de la réalité. Balon Greyjoy n'était pas Eddard Stark et bien que son dernier fils, il n'avait pas été accueilli comme l'héritier tant attendu qu'il pensait être. On l'avait remplacé avec une facilité déconcertante. Pire, on l'avait remplacé par une fille. Les années suivant son retour, Theon les avait passé à ronger sa déception, sa rage de ne jamais être suffisant : Asha était parfaite, Asha était une fer-née dans l'âme, Asha était l'exploratrice, l'évidente continuité de son père. Et lui, il était encore une fois l'invité involontaire d'un château westerosi. Il avait trouvé du réconfort dans d'autre sphère. Auprès de sa mère, bien trop heureuse de son retour pour se laisser gagner par le scepticisme ambiant, l'inquiète de l'absence de son petit dernier marquant ses traits pour lui donner dix, si ce n'était vingt, ans de plus que son âge réel. Son éternel soutient lui avait trouvé une épouse en Alana Volmark, un brin de femme volontaire qui remplissait à merveille toutes les conditions pour succéder à la grande Alannys Harloi en tant que suzeraine, en tant que reine. Theon avait une affection sincère pour Alana : forcée de croire en lui en raison des liens conjugaux, elle avait été de précieux conseils, avait porté ses enfants, et s'affichait radieuse et conquérante à son bras. Oui, Alana était la reine dont il avait besoin, et elle faisait prendre tout son sens au concept de femme-roc. Mais la passion des premières années avait disparu et s'il la considérait toujours comme son phare dans la nuit, il n'avait plus besoin de sa bénédiction pour aller de l'avant.

Il n'avait pas eut l'intention de lui faire de la peine : en vérité, il ignorait quels étaient les véritables sentiments d'Alana à son égard. Si une tendresse était visible, sans doute encouragé par une complicité qui été née de leurs ambitions communes et accentuée par l'arrivée de leurs enfants, il n'aurait pu dire si elle l'aimait ou si elle se contentait de le tolérer, voyant à travers lui la couronne que son mariage lui promettait. Pourtant, le silence dont elle le gratifiait depuis plusieurs semaines était assez équivoque pour qu'il comprenne : lorsqu'elle l'avait vu, ce jour là, avec Volka, elle en avait été profondément meurtrie et lui, malgré les paroles de Roryn, ne parvenait à ne pas s'en vouloir. Guère le bienvenu dans sa propre chambre, poursuivis par son oncle et son apprentis prêtre à travers le château, s'agaçant des pleurs constant de sa très jeune descendance, Theon retrouvait la désagréable sensation de ne plus être à sa place. Et c'était ce moment qu'Asha avait choisie pour revenir, victorieuse, de sa quête avec le Compas, ajoutant à la liste de ses exploits, et creusant un peu plus son écart avec son cadet. Aussi, lorsqu'il avait entendu que les Bonfrère s'apprêtait à retourner vers l'Est, cela lui était apparu comme un signe. C'était pour cette raison qu'il avait demandé à voir son père ce jour là : il ne pouvait partir sans la bénédiction royale, cette même bénédiction qui ne lui avait plus été accordé depuis son retour de l'expédition contre Euron, depuis son pèlerinage vers Vieux Wyk. Durant des lunes, des années, Theon avait rongé son frein, tempérant autant que possible ses élans et le mécontentement de son équipage. Dagmer ne savait plus quoi faire pour calmer les esprits frustrés de devoir rester au port quand d'autre partaient pour le voyage d'une vie. Et pour le jeune prince, il était temps d'y mettre fin. « Convoquer est un bien grand mot ... Peut-on réellement convoquer un roi, Père ? » dit-il en tâchant de ne pas trop laisser transparaitre son agacement : une fois de plus Balon Greyjoy semblait mécontent. Arriverait-il un jour à obtenir plus de lui que cet air revêche et trop souvent déçu ?  Il y avait toujours plus urgent que lui : un conseil, une visite, une expédition ... Theon avait fait le deuil de la relation qu'il aurait aimé avoir avec lui, du fils qu'il aurait aimé être à ses yeux mais quelque part, il souffrait toujours de cette indifférence que son géniteur lui accordait. Malgré les années, malgré ses propres réussite, ils ne parvenaient à se comprendre, à se parler, pas comme il le faisait avec Asha, pas comme il l'avait fait avec Maron ou Rodrik. Les mains derrière le dos, Theon s'avança un peu, glissant son regard sur la décoration très sobres composée principalement de sculptures tentaculaires et inquiétante qui ajoutait au sinistre du lieu.  « J'voulais vous parler du projet des Bonfrère. Quand vous r'viendrez, y aura le nouveau conseil et j'voulais vous en parler avant. » dit-il, sa voix penaude ne parvenant à imiter l'assurance dont Asha usait pour s'adresser à leur père. Face à lui, il lui semblait être toujours le petit garçon constamment terrifié et caché dans les jupons de sa mère et malgré ses vingt cinq ans, malgré ses cinq enfants, son dragon et tout ce qui faisait de lui un grand contributeur pour la lignée, il ne parvenait pas à soutenir son regard. Il soupira, dissimulant son malaise derrière un mouvement de tête sur le côté. « Asha est r'venue, Alana a accouché ... J'ai fais tout c'que vous vouliez. Mais ça ... Ce voyage vers l'est ... J'veux y aller. » finit-il par dire avec force. Depuis son retour, il s'était consacré à regagner la confiance de la famille, après la messe d'Aeron, il avait voulu se joindre à la liesse mais avait été prier de rester à Pyke pour maintenir l'intégrité du conseil en l'absence de l'héritière. Si sa mère lui répétait qu'ils ne pouvaient pas s'absenter tous les deux de Pyk, fragilisant la lignée en cas de disparition, Theon était persuadé que c'était pour ne pas faire d'ombre à l'héritière. Une ombre qu'il avait lui même refusé d'être, publiquement, avant son départ pour Vieux Wyk ... Mais face au ton autoritaire de son royal paternel, il n'avait pas discuté, demeurant au château, assurant sa fonction. Puis c'était sa mère qui lui avait imposé de rester, rappelant le terme proche de son épouse et combien il serait déplacé de ne pas être présent alors qu'elle donnait naissance à ses enfants. Maintenant, il n'en pouvait plus, il voulait bouger, il voulait rappeler à tous qu'il n'était pas que le Capitaine du Trésor, qu'il était aussi capitaine d'un navire, qu'il était tout aussi capable que sa soeur, qu'il était plus, qu'il pouvait être plus.
   

Theon n'attendait plus rien de son géniteur, du moins c'était ce qu'il voulait croire : il voulait croire que les années l'avait fait réaliser qu'il ne serait jamais assez et qu'il n'était pas assez sot pour courir après bénédiction et reconnaissance. Et pourtant, la manière dont son père s'adressait à lui lui rappelait que tout cela n'était que du flan. Faux, cette certitude d'être préparé à lire la désapprobation sur son visage. Faux, cette assurance que cela ne lui faisait rien. Cela ne lui faisait pas rien. Jamais. Pourtant, depuis qu'Ygg avait éclos, Theon se sentait différent. Pas au point de n'en faire qu'à sa tête en se moquant de tout et de tout le monde, juste assez pour répondre. Juste assez pour ne plus resté figé, paralysé par la mine patibulaire du roi, sa voix grave et imposante comme l'enfant qu'il avait été. Aussi tardif que cela était, du haut de ses vingt-cinq ans, Theon commençait à se rebeller contre le traitement qui lui était imposé. Cela faisait rire Asha qui le gratifiait d'une tape sur l'épaule ou d'une main dans ses cheveux bruns comme on félicite un gamin qui comprend enfin les règles du jeu. Pas certains, cependant, que Balon Greyjoy trouve cela très drôle, chuchota une petite voix dans son esprit et pourtant ...  « Et Asha est votre héritière, pas moi, comme tout le monde se plait tant à me le rappeler. Pourtant, elle navigue du Crépuscule à Dorne sans demander la moindre autorisation ... » grogna-t-il avec mauvaise humeur, opposant à l'argument de sa soudaine et immaculée importance à la réalité des injustices qu'il percevait. Soit disant trop important tandis que la véritable héritière naviguait sur les sept mers sans être ennuyée de tant de question. Dans le pire des cas, sa disparition ne serait pas une grosse perte, songea Theon : on lui reprochait déjà d'être plus continental qu'insulaire, passer d'Asha à Qhored satisferait sans doute tout ceux qui le méprisait pour avoir été pupille de Stark.

Cependant, Balon ne semblait pas fermé à la discussion ce qui était, Theon se devait de le noter, une première. Habitué à ce que ses refus ne soient discutables, le prince en resta surprise quelques seconde avant de reprendre. « Ygg. Et moi. » Des arguments, il y en avait plusieurs, mais ceux là était les principaux qui lui venait en tête tandis que le souvenir de son entrée en matière, l'urgence de son déplacement vers Lordsport. Pour autant trois mots ne suffiraient pas à convaincre Balon Greyjoy, Theon le savait. Il laissa au silence le temps pour l'homme de s'interroger sur le sens de ces quelques mots avant de reprendre. « Je n'ai pas quitté Pyk depuis l'indépendance et mes derniers voyages loin de Westeros remonte aux raids avec Victarion. Asha est votre héritière et je suis le sien, comment pourrais-je prétendre à pris au sérieux si je reste toujours sur les Iles à attendre mon tour ? » Au final, tout ce qu'il avait fait, enduré jusque là, n'aura servi à rien. A quoi bon abandonner le passé, Winterfell, Eddard Stark dans ce grand bucher si sa vie, elle, demeurait celle d'un sédentaire, reclus entre les murs de cette vieilles forteresse tombant en morceaux ? Quel roi serait-il s'il n'essayait même pas d'égaler Asha ? Quel père s'il envoyait ses enfants dans des aventures qu'il n'avait pas, lui même, vécu. Depuis l'éclosion, il se sentait bouillonnant d'envie, de découverte, de liberté. A la peur primaire de son premier vol sur Ygg, s'était invité cette sensation indescriptible qu'il n'avait ressenti que loin des iles, lorsqu'il était parti à la découverte des côtes d'Essos en compagnie de son oncle. Que Balon ne voit plus loin que sa propre succession paraissait naturel, mais puisqu'il était évident qu'Asha n'avait pas plus envie de se marier que de fonder une famille, de laisser un homme lui soustraire ce pouvoir pour lequel elle se battait depuis le retour de son frère, il paraissait évident qu'un jour, il reviendrait à Theon de prendre sa suite. Quelle confiance cette nouvelle reine aurait envers un petit frère qui n'avait jamais pris la mer seul ? Que confier à un homme qui ne connaissait de leur mode de vie que la théorie sans l'avoir jamais mis en pratique ? Il voulait aussi son heure de gloire, il voulait aussi se sentir fer-né jusque dans ses tripes, légitimes plus qu'il ne l'avait jamais été par le nom. C'était ce qui lui avait toujours fait défaut, c'était ce qui le retenait encore au bord du précipices. « Euron avait beau être ce qu'il était, il s'était forgé une belle réputation en naviguant vers l'Est. Oncle Rodrik dit que beaucoup d'ses bouquins parlent d'Asshaï comme origine des dragons, j'voudrais aller voir ce que je peux y apprendre sur Ygg, sur notre lien : comprendre Ygg, c'est comprendre comment protéger nos Iles. » Déjà exilé lors du retour de Theon, le Choucas passait pour être à moitié fou mais totalement perdu à la cruauté et à la perversité. Le jeune prince en concevait alors une image ambigüe, perdu entre les récits qui en faisait un génialissime tyran et ceux qui le décrivait comme un orateur de talent. Quelque soit le portrait, tous s'accordaient à dire qu'il avait une volonté à toute épreuve et que le sang même des Iles coulait dans ses veines. Preuve, aux yeux de Theon, que l'on pouvait avoir une case en moins et être malgré tout adulé. Il ne voulait pas être cruel, mais il aspirait, s'il devait rester l'éternel second, à avoir une légende aussi grandiose que celle ci. A quoi lui servait donc d'avoir un dragon si ce dernier se contentait de le suivre mollement d'ilot en ilot, de colonie de phoque en troupeau de mouton. Ygg avait, comme lui, soif de découverte et l'Est les appelaient tous les deux. S'il était une chose que son instinct lui hurlait, c'était que des réponses l'attendaient à Asshaï.

Ses yeux balayèrent la salle, incertains. Se remémorant Leeven, il se rappelait de ses difficultés et de la soudaine panique que sa disparition avait jeté sur leur peuple. Si Lord Sawane s'était enorgueilli d'avoir marié la petite bâtarde dragonnière à son rejeton infirme, amenant le dragon dans les possessions de sa maison, c'était toutes les Iles qui auraient pu bénéficier de la défense de la créature. Lorsqu'il avait obtenus son oeuf, Theon avait pensé que cela rétablirait l'équilibre de la maison royale mais Leeven avait disparu et lorsqu'Ygg avait éclos, il avait finit par rencontrer les mêmes question que la jeune femme avant lui. Il avait besoin de réponses, il avait besoin d'en savoir plus. Et il ne pouvait plus tenir en place. « Quand au reste ... Mon équipage a besoin de quitter les Iles, j'ai besoin de quitter les Iles. » appuya-t-il comme pour faire appel à cette part de Balon qui, elle aussi, devait réclamer sa liberté. Ils étaient insulaire, l'appel de la mer coulait en eux aussi certainement que le faisait le sang. Seuls les loups s'épanouissaient sur la terre ferme avait un jour devisé Roryn tandis que Theon lui partageait son mal être, les seiches, elles, ne sont jamais aussi vivante que dans l'eau. « Comment pourrais-je prétendre à porter le nom de fer-né, comment mes fils peuvent prétendre à être des Greyjoy, si je fait qu'un travail de comptabilité ici ? » demanda-t-il alors. il était honoré de sa place au conseil et de la confiance que réclamait la position qu'il occupait. C'était ses connaissances, durement acquises auprès de mestre Luwin, autant que son engagement auprès de Pyk qui l'avait conduit à examiner les registres du trésor avant la chasse à Euron. Se sentir utile lui avait redonné confiance mais à présent, il se sentait étouffé par cette fonction, par ce relai qui se faisait entre lui et Asha. Lui aussi voulait pouvoir partir à l'aventure et non pas les lire au travers des trésors ramené de ça de là. « Laissez moi y aller, père. Que cette grande expédition historique ne soit pas teinté que du cor des Bonfrère mais aussi de la Seiche Greyjoy, et qu'il retombe sur Pyk autant que sur Cormartel, la réussite de ce voyage. » demanda-t-il, jouant autant sur la carte du désir que sur celle du banneret ambitieux qui ne manquerait pas de l'éclipser si cette expédition était un succès. Lord Gorold était loyal, Theon n'en doutait pas, mais comme tous les ambitieux, il prenait des risques, n'en serait-ce pas un que de laisser les 3 Bonfrère reprendre la route pour représenter l’entièreté de leur peuple auprès des ports dans lesquels ils s'arrêteraient ? « Nous ne semons pas, mais nous ne pouvons pas non plus nous reposer que sur l'alliance dornienne ou les échanges avec les Nocturnes. Et la baie du fer-né sera recouverte de glace avant que Westeros ne nous rouvre leurs ports ... » rappela alors le jeune homme. Ils ne pouvaient montrer une trop grande dépendance envers Dorne, ils devaient continuer d'avancer sans plus jamais dépendre de quiconque. « Si nous diversifions nos alliances, nous pourrions revendre le fruit des pillages dans la baie des Serfs et obtenir des objets plus rare et précieux à revendre aux dorniens. Nous pourrions dépasser la renommée du Serpent de Mer et devenir un peuple que tous prendrait au sérieux. » Adieux l'image du fer-né pirate, de l'homme sans honneur, ils pourraient devenir un peuple à part entière, une nation avec sa culture, ses lois, ses choix parfois discutable, loin de ce que Westeros considérait comme civilisé ou non, mais un peuple aussi indépendant que le papier signé par le roi dragon, un vrai peuple connu de tous pour ses découvertes et non pour n'être que des bandits des mers.