[solo] Tant que mon cœur bat

Le ciel était de pierre au-dessus de moi. Le ciel de ma chambre était de pierre… Quand bien même j’avais le droit de sortir, de faire quelques balades… J’avais malgré tout l’impression d’être toujours enfermée dans une cage. Mes cheveux étaient répandus autour de ma tête. J’inspirais profondément alors que ma robe bleue était étendue autour de moi. Je fermai les yeux un instant pour ne plus voir ce ciel de pierre et me laisser retomber dans mes souvenirs et ma mémoire…

Je me souvenais encore des mains brutales des soldats quand ils nous avaient tirés du carrosse où nous étions transportés avec mes enfants. Jamais trajet ne m’avait paru à la fois si court et si long. Lucerys et Rose étaient accrochés à moi, je tenais Corwyn et Nestor dans mes bras… Lucerys avait hurlé de terreur en voyant les gardes et s’était réfugié derrière moi, terrorisé par la situation. Ils s’étaient tous mis à pleurer alors que je regardai droit dans les yeux mon beau-père, sans même baisser la tête, sans même paraître gênée ou honteuse. Je l’avais regardé droit dans les yeux sans ciller, les mains crispées autour de mes enfants. On nous avait séparés… De longues journées… De très longues journées où je restais assise à fixer le ciel au travers de ma fenêtre avec une servante dans la pièce. Et ensuite, on venait me chercher parce que les enfants pleuraient et hurlaient sans fins. Lucerys voulait sa mère, Rose me voulait également… Nestor et Corwyn… pareil… Ils me voulaient. Lucerys avait mordu ma belle-mère et Rose donné des coups de pieds aux nourrices. Ils ne voulaient que leur mère… Alors on me laissait passer du temps avec eux… Juste pour qu’ils soient calmes. Lucerys avait mit tant de temps à se calmer à la vue des gardes. Au début… il grimpait presque systématiquement dans mes bras lorsque j’arrivais avec un garde… Il s’accrochait, terrifié et pleurait de toute son âme.

Combien d’heure j’avais passé avec lui dans mes bras, mes doigts dans ses boucles brunes en le berçant, tout en lui racontant une histoire, à lui, à sa sœur à ses petits frères ? Combien de fois m’avaient-ils demandé où étaient leur père, leur frère et leur sœur ? Qu’est-ce que j’étais censée répondre à cela… Alors j’avais toujours dit qu’ils allaient bien… Qu’ils étaient loin, très loin, qu’ils étaient dans un beau château, avec des chevaux. Mais je n’avais jamais rien pu répondre quand ils me demandaient quand ils viendraient nous chercher… Qu’étais-je censée répondre ? Je ne pouvais rien répondre… Jamais rien répondre.

« Mère ? »

Je me redressai lentement, c’était la voix de Rose… J’inspirai profondément avant de me redresser, quittant mon lit avec lenteur. Je n’arrivais plus à trouver une occupation… de me mains tombaient les broderies, les livres… Mon esprit volait loin, si loin… mais à cet instant, il s’accrocha aux cheveux bruns de ma fille qui était dans le petit salon.

« Je suis là Rose. »

Nestor et Corwyn devaient être encore une fois cachés quelque part. Rose me fixa et fondit sur moi pour m’étreindre de ses bras. Je posai un genou par terre pour la serrer contre moi avec douceur avant de lui embrasser la joue. Depuis que j’étais toute seule, je gardais ce masque de froideur pour tous… sauf pour les seules choses qui me tenaient en vie. Je la serrai plus fort contre moi.

« Qu’est-ce qu’il se passe ma Rose ?
- Je me sentais triste, mère… Ils ont encore dit des tas de choses fausses sur toi et père.
- Ça va aller ma petite fleur. Ça va aller. Je suis sûre que tu leur as cloué le bec. »

Elle hocha doucement la tête et je passai les doigts dans ses cheveux.

Tant que mon cœur bat, je serais là pour eux…
Tant que mon cœur bat, je protégerais mes enfants.
   

Je plantai l’aiguille dans le tissu pour passer le fil de couleur grise. Je brodais une stupide composition de feuilles d’automne. C’était bien plus pou m’occuper les mais qu’autre chose. Et je ne le faisais même pas bien. Mes points n’étaient pas droits, rien n’allait dans cette composition. Je m’en moquais allègrement, je le jetterais au feu. Je m’en moquais, cela n’avait aucune importance après tout, qui le regarderait ? Personne. Je passai une main sur mon visage en regardant mon travail d’aiguille passable… C’était inutile. On frappa à ma porte et je posai ainsi le tout sur le petit guéridon de bois aux côtés de mon fauteuil.

« Oui ? »

Rose entra rapidement pour venir s’accrocher à mes genoux.

« Mère, Corwyn et Nestor se sont encore cachés… Je ne les trouve plus ! »

J’inclinai la tête avant de me lever pour passer une main dans les cheveux bruns de ma fille qui saisit ma main avec inquiétude. Je lui offris un sourire rassurant.

« Ne t’inquiète pas ma petite fleur, maman va les retrouver rapidement. Viens avec moi. »

Elle serra ma main et je l’entraînai avec moi dans les couloirs de l’endroit inhospitalité où nous vivions. J’avançai d’un pas rapide, j’avais une petite idée où ils pouvaient être. J’ignorai les regards des gardes, des servantes, des serviteurs… Qu’ils aillent tous au diable. Après quelques minutes de recherches je finis par pousser une porte pour les retrouver couché à même le sol, regardant le plafond.

« Nestor. Corwyn. »

Les deux garçons se redressèrent pour me regarder et je m’approchai d’eux pour les prendre dans mes bras. Rose se joignit aussitôt à nous et je les embrassai avec douceur.

« Pourquoi vous vous êtes cachés encore ? »

Ils restèrent silencieux et je ne cherchais pas d’autres réponses en les berçant tout doucement contre moi.

« Mère ?
- Oui Nestor ?
- Pourquoi Père ne vient pas nous chercher ? Il nous a abandonné ? »

Je fermai les yeux de douleur et les serrai plus fort contre moi sans rien dire, enfouissant mon nez dans ses cheveux sans rien dire pendant quelques secondes.

« Non, votre père ne vous a pas abandonné. Il vous aime tous les trois de tout son cœur. Tous les quatre. Il aime aussi de tout son cœur Lucerys. Je suis sûre qu’il pense à vous tous les jours.
- Pourquoi est-ce qu’il ne vient pas ?! Pourquoi il nous laisse là ? »

Corwyn était en colère. Je répondis aussitôt :

« Parce qu’il n’a pas le choix mon chéri. Il doit tout faire pour qu’on soit ensemble. C’est long, c’est très long je sais. Mais un jour on sera à nouveau tous les six ensemble. D’accord ? »

Tant que mon cœur bat, je ferais tout pour rassembler ma famille.
Tant que mon cœur bat… je ne laisserais pas mes enfants.