L'amour d'une fille à son père | ft Elias Dunn

Balotée par les secousses inégales de la charrette qui les transportait, Leana songeait encore aux mots qu’elle avait reçu. Des termes couchés sur le papier et qui lui rappelaient des souvenirs d’antan. Ceux-là même qu’elle avait cru oublier mais qui refaisaient surface d’une façon assez brutale. Le ton dur, les traits toujours aussi marqués depuis la perte de celui qu’elle aimait encore aujourd’hui, la rousse aux reflets de blé admirait les divers paysages qui défilaient devant elles. Tantôt parsemés de quelques montagnes abruptes, tantôt envahis par l’horizon des plaines, tout lui donnait l’impression de s’enchaîner à une telle vitesse qu’elle aurait très bien pu perdre pied. Aurait pu. Car il ne lui suffisait que d’un simple regard en direction de la petite tête brune qui l’accompagnait pour se ressaisir et savoir exactement ceux vers quoi elles devraient tendre à présent. L’avenir était incertain, sa grand-mère lui avait répété à maintes occasions. Et mieux valait préserver les petits moments plus spontanés pour forger la force qui nous permettait d’avancer et de vivre pleinement. Une vie remplie d’aventures, qui, elle le savait n’était pas prête de s’arrêter de sitôt.

Intérieurement, Leanna espérait que les mots se rapprochaient en échos avec l’épisode qu’ils avaient connu. Cette sorte de lubie qui les avait beaucoup effrayés sur le moment, mais dont, une part d’elle, savait pertinemment qu’elle n’existait plus. Lowa était âgée. N’importe qui aurait pu prévoir une telle finalité, néanmoins, la petite fille à l’intérieur espérait que le souffle de la vie ne lui revienne encore pour de nombreuses années. Parce qu’elle savait au fond d’elle, qu’elle n’était pas encore prête à un tel départ. Elle ne le serait jamais d’ailleurs. Mais la petite graine de cet espoir souhaitait simplement retarder le plus longtemps possible l’échéance. Hélas, le Destin était seul juge dans un cas pareil. Et mieux valait garder à l’esprit les meilleures compilations que la vieille dame avait pu leur offrir à tous. Le sourire ne tardait pas à poindre sur le rebord de ses lèvres au rappel de l’un d’eux. Et c’est grâce à cela, qu’elle augmentait un peu plus la force déjà insufflée par sa fille.

Le trajet s’achevait enfin, et même si elles étaient engourdies par le voyage, Marya et Leanna ne purent se retenir de vouloir se dégourdir les jambes. Faisant arrêter le petit convoi à quelques mètres de la demeure des Dunn, Leanna fut la première à s’extirper avant de tendre les bras à son petit rayon de soleil. A peine eurent-t-elles quitter le transport que main dans la main, toutes les deux se dirigeaient vers le grand domaine de son père. Sourire aux lèvres, Leanna ne tarda pas à s’arrêter pour souffler quelques mots à l’oreille de sa fille qui s’empressait de courir jusque dans les bras de son grand-père. Heureuse de le revoir, malgré les années, malgré la distance, elle n’avait jamais retenu les louanges le concernant, surtout auprès de Marya qui méritait de connaître une vie aussi belle que ce qu’elle avait pu connaître (malgré les épreuves douloureuses). De son côté, la jeune femme accueillait avec chaleur l’étreinte de sa petite sœur. « C’est si bon de vous revoir. » soufflait-t-elle contre sa sœur alors que ses yeux fixaient son père. D’ailleurs, elle ne tardait pas à lui tendre la main pour le serrer à son tour contre elle, laissant ainsi libre court à Arwyn d’enlacer sa petite nièce.

« J’aurais souhaité que cela se fasse en d’autres occasions, mais je suis là maintenant. » Ses yeux brillaient légèrement, mais elle ne pleurait pas. Pas devant Marya. « Comment va Selyse ? Mylena et Cassana ne sont pas là ? » interrogeait-t-elle craintive de la réponse. Quelque chose lui indiquait qu’une nouvelle ne tarderait pas à lui être dévoilée. Comme par instinct, Leanna se mit à serrer fermement la main de son père, prête à entendre la révélation, serrant déjà la mâchoire pour ne pas inquiéter Marya, pour ne pas lui rappeler ce qu’est le deuil, alors qu’elle le connaît encore. « Marya, est-ce que tu veux montrer à Arwyn ce que nous lui ramenons ? » tentait-t-elle de dévier pour gagner du temps, pour essayer d’avoir ne serait-ce que quelques minutes avec son père. Parce que la petite fille au fond d’elle avait besoin de son père à cet instant, et elle désirait laisser la mère pour lui offrir l’opportunité de se raccrocher à son père.

Une légère brise lui fit fermer les yeux, le seigneur attendait, restait stoïque. Leurs arrivées avaient été annoncées et très vite sa solitude fit stopper par l'arrivée de l'intrépide Arwyn. Triste tout comme lui, mais à la fois excitée de revoir sa soeur et sa nièce. Pour dire vrai, elle essayait de garder bonne figure pour simplement ne pas s'écrouler. Ils se retrouvaient à deux à observer l'horizon, dans un silence plus apaisant qu'oppressant. Arwyn attrapa doucement la main de son père et ils restèrent ainsi jusqu'à les observer s'approcher. 

Comment lui annoncer ? Il lui avait écrit pour lui prévenir de l'état de Lowa, mais malheureusement, elles arrivaient trop tard. Un jour, plus tôt, sa mère s'était levée de son lit pour aller s'éteindre près des tortues de son épouse. Oui sa mère n'était plus et encore aujourd'hui, Elias avait du mal à l'accepter. Ayant même encore plus de difficulté que d'habitude à ouvrir la bouche. Le choc le faisait se renfermer dans sa coquille, même la vision de sa petite fille n'arrive pas à le faire sortir de son état stoïque. Alors qu'elle était spéciale en son coeur, il aurait voulu la prendre dans ses bras, la faire tournoyer dans les airs, mais c'était tout bonnement impossible. Par chance, Arwyn l'épaula dans cette tâche. Ses deux filles vinrent à s'enlacer avant que sa douce Leanna ne vînt à lui tendre la main et il put sentir contre la chaleur de son étreinte. Elle avait toujours réussi à l'apaiser et encore aujourd'hui, Elias arriva à reprendre son souffle sans en ressentir une souffrance inexplicable. 

« J’aurais souhaité que cela se fasse en d’autres occasions, mais je suis là maintenant. Comment va Selyse ? Mylena et Cassana ne sont pas là ? »

Oui, elle était là et pourtant, le père était encore incapable de parler, d'avoir une réaction normale. Finalement, Elias vint à se baisser à la hauteur de sa petite fille et lui embrasser la joue. Se relevant, il croisa le regard de sa fille et c'était comme une évidence qu'elle comprenait que le pire était arrivé, mais il ne put que répondre :

- Cassana n'a pas pu faire le déplacement !

Parler de l'état de Selyse et de l'occupation de Mylena lui était impossible, car il ignorait la réponse. Sa deuxième épouse avait toujours en concurrence avec sa mère, mais c'était un bon passe-temps, un amusement de Lowa et cela allait lui manquer, plus rien ne serait pareil sans sa mère et tout ce lieu lui rappelait sa présence. À ses yeux, la Baëre s'était sa mère. Tandis qu'Arwyn vint à suivre Marya, il s'empara de cet interlude pour ajouter :

- Suis-moi !

Commençant à marcher, il tournait le dos à son enfant et traversa une partie de la cour avant d'arrivée au lieu ou les tortues géantes de Selyse aimaient se reposer et là, il attrapa la main de sa fille et murmura :

- Elle a choisi de partir ici !