Une tempête venue du Nord Feat Selyse

An 305, lune 3, semaine 3 Ses longs cheveux blancs virevoltaient sur son dos, il y a bien longtemps quand elle n'était alors qu'une jeune fille, ils étaient d'un brun noisette s'accordant à merveille avec ses yeux sombres, qui n'avaient en rien perdu de leur éclat. Pendant plusieurs semaines, elle s'était retrouvée affaiblie dans son lit, mais la forme semblait lui êtes redevenu. Sans attendre qu'une servante vienne l'habiller, elle sortait avec sa longue chemise de nuit blanche. Lowa voulait retrouver le contact de la terre, sentir le vent sur son visage. Elle voulait revoir la mer déchaînée frapper son île, revoir Vertepierre. À jamais, dans son coeur, elle n'avait été autre chose qu'une tortue. Une fière Estremont et à ce moment précis, elle ne chercha qu'une seule chose, le contact des siens, ceux encore bien présent dans son esprit. Ses frères et sa soeur.

Avançant pied nu, elle ne croisa personne sur son chemin et finalement vint de s'arrêter auprès des Tortues des Selyse, mais pour elle, c'était bien plus que des simples bêtes, ils représentaient Eldon, son frère aîné qu'elle avait toujours admiré. Son petit frère qui n'était jamais loin de Lomas, mais lui était encore en vie, puis sa merveilleuse Cassana. Ils n'étaient plus de ce monde et pourtant, ils étaient là pour elle. D'une main frêle, elle vint caresser leur carapace l'une après l'autre et leur susurra :

- Vous vous rappelez de ce que disait père, que j'étais pire qu'une tempête venue du Nord, que rien ne pourrait jamais m'arrêter et pourtant, j'ai choisi une vie loin de vous. J'ai fondé ma propre famille, perdu mon fils aîné et déjà certains de mes petits-enfants. Je suis si fatiguée, mais la tempête venue du Nord ne disparaît pas si facilement...

Un sourire éclaira son visage, elle pensait à tous ses souvenirs d'autant, puis toute en attrapant une des lourdes pattes de la tortue qu'elle nommait Eldon , elle se rappela de tout ce qu'avait été sa vie. Elle avait aimé passionnément son mari, mais l'amour avait filé rapidement, elle l'avait finalement haït pour la perte de leur fils, pour cette guerre contre son propre sang, mais elle était en paix à présent. Il n'avait pas été si mal que cela, non, ils avaient fait de leur mieux.

- Oh Eldon, tu t'es bien occuper de mon petit Elias, je t'en remercie !

Là, elle se sentit de nouveau faible, comme si plus elle parlait, plus sa force lui échappait. Doucement, elle vint de s'allonger sur le sol, entourée des tortues et là, ses yeux se fermèrent. Elle voyait Vertepierre, elle voyait l'océan, elle sentait le vent venir du Nord et elle put attendre la voix de sa petite soeur l'appeler au loin. Une larme coula sur sa joue et un dernier soupir s'échappa de sa gorge. Lowa avait quitté ce monde et était en paix.  Elle était libre de devenir une tempête venue du Nord.

Quelque temps, plus tard, ce fut son fils qui la trouva. Elias s'arrêta net devant la vision de sa mère au sol, des tortues qui l'entouraient. Là, elle semblait dormir, mais il savait que le pire était arrivé. Il restait stoïque, silencieux près de celle qui lui avait donné la vie. Elle n'était plus et l'ombre venait de sombrer de nouveau. 

An 305, lune 3, semaine 3

« LOWA ! », la voix perçante de Selyse éclatait dans les couloirs vide de La Bäere, elle dominait tous les autres bruits environnement. À cet instant, il n'y plus aucun pas qui résonnait sur les planchers, plus de verre qui tintent les uns contre les autres, aucun grognement d'enfants, seulement ce cri assourdissant. Il ne laissait aucun serviteur indifférent, il explosait dans les coursives du château, interpelle les autres habitants qui se préparaient doucement pour affronter cette nouvelle journée. Pourtant, aucun n'osait sortir sa tête pour la questionner sur les raisons d'un tel hurlement. La dame des lieux continuait pourtant, elle vociférait une nouvelle voix ce prénom. Son inflexion montait davantage dans les aigues, elle devenait même désagréable à l'oreille, mais la jeune femme ne semblait pas s'en rendre compte. Sa gorge en devenait douloureuse, elle l'a grattait, s'irritait par l'effort. L'ancienne Houëtt sentait qu'elle aura besoin d'un thé au miel pour l'adoucir, mais seulement lorsqu'elle aurait régler cette histoire qui était comme un cailloux dans sa chaussure.

Son doigt cognait inlassablement contre la porte, doucement, car elle évite soigneusement de se faire mal. Une nouvelle fois, elle prononçait son prénom, « Lowa ». Elle l'énonçait avec dureté, un signe de son mécontentement et de sa colère. Elle utilisait cette intonation de voix uniquement lorsqu'elle était réellement agacée par quelqu'un, mais qu'elle se permettait uniquement d'utiliser en privé. Selyse avait l'impression de ressembler à sa mère dans ses moments-là, malheureusement... La doyenne du domaine ne lui répondait pourtant pas. Même si elle sait que cela allait envenimer la situation, elle restait muette au appel de sa belle-fille. Alors, la Dunn entra dans la chambre sans même y être invité, mais elle rencontra le vide. Il n'y avait aucune vieille femme dans les draps du lit à baldaquin, ni assise dans son fauteuil douillet à lire un libre et encore moins devant la fenêtre à espionner tout le monde. Il n'y avait plus âme qui vive dans cette chambre. Ce qui attisait encore un peu plus sa mauvaise humeur. Maugréant dans son coin, elle réclamait un thé au miel à l'une des nouvelles domestiques aux manières désastreuses et aux rires de canard.

Dans ses appartements, Selyse tournait sur elle-même, se demandant où cette vieille folle pouvait se trouver. Elle allait mieux depuis quelques jours, sa nouvelle stratégie et sa disparition en étaient les preuves ultime. Assise, puis debout, la jeune femme ne tenait plus en place. Elle réfléchissait à un nouveau plan, plus perfide, plus machiavélique pour répondre correctement à l'attaque de cette vieille tortue. Elle ne pouvait pas la laisser gagner. Et tandis que la domestique qu'elle nommait Gerti, mais qui en réalité se nommait Serra, déposait le plateau sur la petite commode de Selyse, celle-ci réclama que son thé devait être servit dans son jardin. Gerti/Serra s'exécuta alors, suivant sa maîtresse, les mains chargés d'un plateau trop lourd pour elle dans les longs couloirs, puis escaliers, puis chemin de gravier pour finalement le déposer sur la table de sa maîtresse. Pourtant, même si le cadre l'apaisait habituellement, Selyse était encore trop agacé pour s'asseoir. Tasse à la main, elle inspecta les rosiers, l'herbe. Ce n'est qu'à ce moment précis, le nez plongé dans une rose rouge, qu'elle vit son époux. Et dans ses bras, le corps d'une femme aux cheveux d'un gris brillant. « Lowa ? », sa voix était à peine plus forte qu'un miaulement.

Jamais l'insulaire n'avait été particulièrement douée pour décrypter les émotions humaines, mais un seul regard partagé avec Elias lui permit de comprendre. Sa mère n'était plus. Il emmenait son corps dans sa chambre. Il allait pleurer la femme qui l'avait mise au monde et élevé. D'un pas plus lent et moins résolu, elle prit le chemin de gravier, puis les escaliers, puis les longs couloirs pour rejoindre le grand salon familial. Selyse ne savait pas très bien ce qu'elle devait faire, ni quoi dire, elle voulait simplement agir pour le mieux. Pour la première fois depuis son mariage, la Dunn souhaitait sincèrement protéger son époux. Qu'il ne soit pas celui qui annonce cette terrible nouvelle à ses descendants. L'émotion d'avoir perdu son mentor ne l'avait pas encore submergé. Elles étaient toutes là, les filles d'Elias Dunn, les petites-filles de Lowa Dunn. « Lowa », cette douceur dans sa voix lui était presque étrangère, comme si elle appartenait à une autre. Selyse avançait dans le salon, tentant de se rappeler la raison de son énervement, de ce que la vieille tortue avait encore fait pour provoquer tant de colère, mais rien. Elle ne se souvenait plus. Ce n'était plus important après tout. Elle n'était plus là... Son amie. La femme qui lui avait appris à être seigneur, à ne fléchir devant personne, surtout pas devant Elias, Elle. Tout simplement elle. « Lowa nous a quitté », l'émotion tant redoutée arrivait à se faufiler dans son esprit et bientôt, elle envahirait son corps. C'est à cet instant que Selyse comprit, Lowa avait gagné et que ce combat acharné pour être celle qui embête le plus l'autre allait terriblement lui manquer.