Comment aborder ce sujet ?

L’avantage avec un père comme le mien c’était qu’il était ambitieux, et que par conséquence, il transférait cette ambition sur ses enfants. Et dans mon cas, est-ce que je pouvais vraiment dire que j’étais ambitieuse ? ça c’était une autre histoire ! Mais en soit, il m’avait poussé, encore une fois, envie d’aller plus loin, de trouver et d’aller plus, encore plus loin dans mes recherches. Je fronçais légèrement le nez. Il m’avait poussé et j’avais plus qu’envie maintenant de repartir… Est-ce que j’étouffais tant que cela sur les îles de fer ? Je n’étais pas sûre… Mais je ne voulais pas me poser la question plus que cela. Seulement, il fallait maintenant que je patiente, mais que je me documente mieux que ce que je ne l’étais. J’avais passé une partie de la journée dans la bibliothèque pour trouver quelques documents sur ce qu’on avait parlé avec mon père la veille.

Autant dire que malgré la fatigue du voyage, j’avais eu du mal à m’endormir. Une fois les livres déposés dans ma chambre, la nôtre avec Gwendys en réalité, j’étais allée me chercher une pomme à la cuisine pour remonter là-haut, non sans jeter un coup d’œil à la cours ou deux de mes frères s’entraînaient. Merde… c’était lequel déjà parti chercher la relique… Boarf… L’un ou l’autre, c’était presque pareil en réalité. Presque parce que celui qui était parti était l’époux de Noane Harloi… Je crois que c’était Noane… Ah ! Greydon ! Greydon était parti avec Gy et restait Gran et… Gormond. Trop de nom en G dans cette famille… Faudrait aussi que mon père trouve épouse pour les deux grands dadais qui restait sinon il y allait avoir des bâtards. Et on était déjà trop nombreux. Quoi que sur treize filles… Il y avait combien de marié… Gwin et son Tisserand, Kyra et Tom Morru, Kyra avait toujours eut les pires goûts possibles en termes d’homme ! Et c’était moi qui le disais ! Gianas, Christys, Giya, Gillian, Gerias, Anera étaient pas mariées… Krestenne avait épousé un Forgefer… En vrai il n’y avait que trois de mes sœurs qui étaient mariées…

Enfin, moi et les mariages… Moins j’y mettais mon nez, mieux c’était. Et moins on me regardait pour cette possibilité, mieux c’était. Je finis par retourner dans ma chambre où j’avais laissé les livres, mais surtout un bordel énorme sur mon bureau entre les pièces de bois que je gravais pour m’occuper les mains et surtout les livres et mes carnets où je notais tout ce que j’avais appris cette dernière année. Je croquai enfin ma pomme en m’installant devant le bureau pour me mettre à parcourir ce qu’il y avait. Je plantai mes dents dans la chaire du fruit. Pas mal.

C’était pas simple, comme situation.


Gwendys avait tourné plusieurs fois sa langue dans sa bouche avant de trouver les mots justes. Enfin, aussi justes que possible. Comment pouvait-on annoncer une chose pareille à quelqu’un ? Comment pouvait-elle le faire à sa propre sœur, à son reflet ? Ce n’était pas comme la mort qui prenait d’un coup d’un seul un être cher. Le deuil se faisait petit à petit, on finissait par en guérir. Mais ça… Comment l’annoncer sans briser à nouveau Grayce ? Gwendys ne manquait pas de courage, ça non. Et pourtant, elle craignait plus que tout la réaction de sa sœur. Elle se souvenait de l’avoir vue, en haut de cette tour. Elle… Grayce aurait pu mourir, ce jour-là. Ses mains étaient moites à cette horrible pensée. Un pas de plus et… La Bonfrère souffla, comme pour se redonner un peu de contenance, un peu de courage. Elle aussi, aurait pu en mourir. De chagrin, de désespoir. Il fallait qu’elle soit prudente. Rah, elle n’était décidément pas la meilleure des messagères ! D’un autre côté, Grayce l’écouterait plus aisément que n’importe qui d’autre. Tel était leur fardeau...


Qui aurait pu tout lui expliquer ? Personne. Gwendys avait la certitude d’être la seule à pouvoir amener le sujet avec autant de douceur possible. Elle avait répété un moment, dans son coin. Seule, bien sûr. Sa dernière répétition datait de la veille. La Bonfrère sentait qu’elle ne pouvait plus attendre. Plus le temps passait et plus le risque était de Grayce découvre la vérité seule, ou qu’une autre personne qu’elle ne lui dise, au détour d’une quelconque conversation. Dès lors, sa décision était prise. C’était d’un pas assuré, bien que lourd, que la jeune femme s’était faufilée dans les couloirs du château puis dans les escaliers. Elle espérait trouver sa jumelle dans leur chambre. Et si ce n’était pas le cas, Gwendys imaginait pouvoir la trouver dans la bibliothèque. C’était là que son double passait la plupart de son temps, depuis qu’elle avait discuté avec leur père.


« C’est moi, Grayce ! J’entre ! » annonça Gwendys, sans plus de politesses.


Sa jumelle ne s’en formaliserait pas. Elles n’avaient pas de secrets l’une pour l’autre, de toute façon. Tout ce que Grayce faisait, Gwendys finissait par être au courant et inversement. Le regard de la jeune femme balaya la pièce quelques instants avant d’apercevoir sa jumelle assise à son bureau, le nez dans une liasse de feuillets divers. A moins que cela ne soit dans le reste de son fourbis ? Sans prendre la peine d’être discrète, Gwendys se glissa derrière sa jumelle, lisant les documents depuis derrière son épaule.


« T’as trouvé des choses intéressantes ? » s’enquit la Bonfrère, sur le ton de l’habitude.


Il fallait qu’elle y aille en douceur. Ce n’était pas dans ses habitudes, tout le monde le savait ici. Elle était abrupte, c’était comme ça que le Dieu Noyé avait voulu qu’elle soit. Mais avec Grayce, tout était différent. Elle ne voulait pas la perdre. Pas encore. Pas comme la dernière fois.

Je plantais à nouveau mes dents dans la pomme pour en arracher un morceau jusqu’à ce que j’entende la voix de ma sœur. Je souris légèrement. Ma jumelle préférée !

« Tu peux ! J’suis habillée ! »

En pleins milieu de l’après-midi c’était normal. Mais ça c’était autre chose. Je tournai à nouveau une page du livre sans réagir à la porte qui s’ouvrait derrière moi avant de se refermer jusqu’à sentir une présence derrière moi. Gwendys. Elle lisait par-dessus mon épaule ce qu’il y avait dans le livre. Je remuai légèrement le nez avant de me frotter la joue.

« Pas vraiment. Père a raison, j’trouverais sans doute plus d’informations à Pyk et dans les bibliothèques des Greyjoy. Faudra que j’vois pour y aller d’ici quelque temps. »

Et ouais… C’était pas aussi facile que cela de partir en exploration ainsi. Je savais aussi qu’on partirait à nouveau pour une longue durée, mais ce n’était pas une raison. Puis il y aurait sans doute une organisation bine différente de ce que nous avions fait pour Essos, en plus avec Asha qui était pas là… Je pourrais pas non plus lui en parler. J’observai légèrement ma jumelle.

« T’es allée parler à Père toi aussi ? »

Elle semblait un peu… perturbée… Parfois, parler à père ça faisait un peu cet effet ! Mais normalement Père n’avait rien à lui dire ! Gran était pas au courant qu’à un moment j’avais cru voir Snöfrid en Essos, mais c’était autre chose. Gran ne savait pas et il ne s’était absolument rien passé ! Mais c’était autre chose après tout. Je pris ma pomme pour la tendre à Gwendys :

« T’as faim ? »

Elle pouvait taper un croc à l’intérieur, on partageait presque tout. Les seules choses qu’on ne partageait pas c’était nos amours : j’aimais les filles, elle les garçons. Du coup, ça on ne partageait pas ça, mais c’était autre chose après tout. Je me frottais un peu le nez en observant ma jumelle. Je sentais que quelque chose n’allait pas…

« C’est la grossesse de Noane qui t’inquiète ? »

C’était vrai que la belle sœur était couchée et qu’elle allait sûrement pondre bientôt ! Mais mère semblait pas inquiète plus que ça ! Et elle en avait eut quinze d’enfants !

Elle sourit, Gwendys. Elle sourit face à la bonne humeur qu’affiche sa sœur, aussi bien dans ses mots que dans son humeur. Ça lui coûte, de devoir briser tout ça… De devoir lui ramener autant de mauvais souvenirs... Sa jumelle a trouvé une nouvelle raison de vivre et ça se sent. Qui était-elle pour casser tout ça, pour envoyer valser tous les efforts qu’elle a pu faire ces dernières lunes ? Personne. La Bonfrère se mordille la lèvre quelques instants, alors que sa jumelle se trouve toujours dos à elle. Il le faut bien, pourtant. Elle n’aurait pas apprécié que Grayce lui cache une chose pareille, ça non ! Elles ne se brouillent pas, non, c’est pas pour elles ! Mais ça… Ça, ça aurait pu les séparer aussi certainement que ce que ce monstre d’Harren avait pu lui faire.


« J’vois, j’vois… Gwendys se fit plus songeuse. J’suis assez d’accord avec lui, ça pourrait être bien, que t’ailles à Pyk. T’as pensé à aller voir le Bouquineur ? T’sais, l’oncle d’Asha et Theon. Il a plein de livres, j’suis sûre que tu pourrais trouver ton bonheur dans ses livres. Si tu trouves pas ce que tu veux chez les Greyjoy, je te dirais d’aller mettre ton nez là-bas, ça devrait pas le déranger, j’imagine. »


Rien ne lui importait plus que Grayce, elle le savait, non ? Gwendys ne pouvait en douter. Juste… N’importe qui pourrait détester la personne qui annoncerait ce qu’elle avait sur le cœur à l’heure actuelle. Elle s’attendait à la colère de sa jumelle, à des larmes peut-être. A des cris, aussi. Elle avait tout imaginé, ces derniers jours. Mais au fond, elle ne savait pas comment Grayce réagirait. Elle avait… Elle avait peur, ouais. Même si elle ne voulait pas l’avouer ou même y songer plus que ça.


« Ouais, un peu. J’pense qu’on y est tous passés, en fait. Mais bon, Père et les plantes… Gwendys se fend d’un rire. Disons que ça a pas duré longtemps, comme tu peux t’en douter. La jeune femme accepta la pomme qui lui était tendue avant d’y croquer franchement et de la rendre à sa jumelle. Merci bien ! Noane va bien, aux dernières nouvelles. Fin, autant qu’une femme enceinte rendue à son niveau. J’pense qu’elle a hâte que le bébé soit là, ce que j’peux comprendre. Tu t’imagines toi, te déplacer avec un ventre de cette taille ? Je sais pas comment M’man a pu supporter ça autant de temps. »


Une situation que Gwendys n’était pas prête d’endosser, ce qui ne la dérageait guère ! Au contraire, elle était bien heureuse de ne pouvoir prétendre à rien. Elle avait ses plantes, Grayce avait ses bateaux. Sans leur position, seul le Noyé pouvait savoir où elles en seraient. Séparées, déjà et sans doute un peu malheureuses aussi. Au final, les choses étaient bien faites et la Bonfrère ne voulait rien y changer.


« Je retournerai la voir un peu en fin de journée, ça lui fera plaisir d’avoir de la visite. Je suis allée chercher de quoi la soulager un peu. Les dernières lunes, se sont sans doute les pires. Gwendys marque une pause. Mais c’est pas de Noane dont je voulais te parler. J’suis désolée de te demander ça mais… T’as eu des nouvelles de Nuéclairs ? »


Évidemment que non. Elles en auraient déjà discuté sinon. Mais Gwendys voulait préparer sa jumelle encore un peu. Pour son bien, qu’elle imaginait.

Évidement que ma sœur et les livres… C’était une histoire d’amour bien plus forte que moi ! Mais ça allait, je trouverais bien ! J’étais pas très inquiète pour le moment. Je trouverais bien en discutant en fouillant. Puis la bibliothèque de Cormartel c’était clairement pas la mieux fournie ! Dans les bibliothèques des Mestres là je trouverais tout ! Mais j’avais ni moyen de m’y rendre, n même quelqu’un là bas pour m’y aider. Puis c’était pas le moment d’aller sur le continent. Je remuais légèrement le nez à sa remarque avant de hocher la tête.

« Ouep ! Père en a parlé d’aller l’voir les Greyjoy et tout. Pour l’instant, faut qu’on reste un peu là ! J’t’avoue qu’j’suis un peu vannée d’ce voyage-là. J’dois mettre au propre des tas d’choses, pis après voir si j’peux aller voir l’Greyjoy et Bouquineur ! »

Autant dire que j’adorerais trouver une carte parfaite du lieu, ou carrément un manuel de la langue qu’on pouvait trouver là-bas… Tout ce genre de chose. Mais j’étais presque sûre que cela serait impossible, Mais je trouverais et traquerais, ou inversement qu’est-ce qu’on s’en fiche !, la moindre information. Mais visiblement ma sœur était passée aussi par la discussion avec notre père. Comment dire ! Père était bien la seule personne sur terre qui pouvait me faire peur ! Mais c’était autre chose ! Et Noane allait bien, parfait. Je haussais un sourcil à sa remarque.

« J’imagine même pas comment mère était avec les trois mômes. Non et puis mère et quinze gosses donc cinq en deux grossesses… J’sais pas comment elle a pas craqué et envoyer chier père. »

La trouille peut-être ? Je repris la pomme pour croquer dedans sans plus rien dire avant que ma jumelle ne reprenne la parole. Le morceau de pulpe devient pâteux et un goût de cendre envahi ma bouche à sa remarque. Je déglutis difficilement. Nuéclair. Le fief des Kenning. Putain de merde. J’avalais difficilement. Mais j’inclinai la tête.

« Nan. Encore heureux. »

J’aurais préféré avoir des nouvelles de Snöfrid de Château d’Harloi…

« Qu’ils aillent crever les Kenning. »

Tous autant qu’ils sont. J’en avais plus rien à foutre. Ma Snöfrid me manquait toujours, c’était peut-être pour ça que j’avais cru la voir à Essos : parce qu’elle me manquait, que j’avais envie de la voir… Mais on ne pouvait pas réellement… Même si j’essayais de l’oublier et de cadenasser mon cœur.

Absente, Gwendys se contente de hocher la tête. C’est vrai que ça faisait un moment qu’elles ne s’étaient pas retrouvées ici et que ça serait un bien beau mensonge que de nier que cet endroit ne leur avait pas manqué. Si le goût de l’aventure leur avait fait oublier la fatigue et les mauvais jours, Gwendys les redécouvrait à présent et était bien heureuse de pouvoir prendre un peu de repos avant un nouveau voyage. Ça allait de soit qu’elle ferait en sorte de suivre sa sœur ! Qui essayerait de l’en empêcher, ici ? Personne ! Elles avaient été jusqu’à Volantis, ce n’était pas un petit voyage à Pyk qui ferait grincer des dents à leur père après ce qu’il leur avait déjà permis de faire.


« Va savoir. M’man est un mystère à ce niveau. Gwendys haussa légèrement les épaules. Noane sera bien entourée quand le bébé sera là. Ça et le fait qu’il a déjà assez de tantes pour s’occuper de lui une fois par semaine sans toutes les croiser, aussi. »


L’ombre d’un sourire passa sur le visage de la Bonfrère alors qu’elle prononçait ces mots. Une ombre qui devint vite un réel masque de froideur et de tristesse. Si elle savait… Quand elle saurait… Parfois, il fallait se méfier des vœux qu’on formulait. A croire qu’ils ne se réalisaient jamais comme on l’entendait. Le Kenning, Gwendys se refusait à prononcer son prénom, avait bouffé les pissenlits par la racine et en cela Grayce était vengée au-delà de toutes ses espérances. Mais à quel prix ? Gwendys tenta de se remémorer ses répétitions, ce petit discours qu’elle avait préparé pour annoncer la nouvelle aussi doucement que possible à sa jumelle. Mais aucune de ses phrases ne semblaient avoir l’écho nécessaire, à présent qu’elle se trouvait en face d’elle-même, d’une certaine manière…


« J’suis désolée, Grayce… Désolée pour tout ça... »


C’était sincère. Douloureusement sincère. Gwendys prit une profonde inspiration. Elle ne s’excusait pas souvent. Elle ne pouvait plus reculer à présent. Comme si c’était possible ? Il fallait que Grayce sache l’entière vérité. Plus les jours passaient et plus cette nouvelle devenait pesante. Elle avait déjà trop attendu, peut-être. Elle ne pouvait plus retarder l’inévitable, de toute façon.


« Le porc, il est mort. Il te fera plus jamais de mal, Grayce. Plus jamais. Gwendys déglutit difficilement, retenant difficilement les larmes qui lui montaient aux yeux. Elle t’aimait, tu sais. Elle t’a toujours aimée et… Elle t’a vengée, Grayce. Snöfrid, elle te l’a tué. Même si elle savait qu’elle pourrait plus jamais t’avoir après ça... »


Snöfrid avait sa reconnaissance éternelle pour cela. Pour avoir mis un terme aux agissements de ce monstre. Et dire qu’elle ne pourrait jamais plus lui adresser un mot, même pour la remercier. Qu’elle ne verrait plus jamais la Harloi, la Bonfrère se refusait à l’appeler par son nom d’épouse, en compagnie de sa jumelle. Mais t’inquiètes pas Snöfrd. Où qu’tu sois désormais, je veillerai sur elle pour toi, maintenant., songea la jeune femme, avec tristesse et amertume.

Comment on pouvait aimer être enceinte ? Moi, ça m’avait toujours dépassé. Les enfants j’aimais bien. De loin. Mais Gwen semblait ailleurs… Est-ce qu’un gars lui aurait brisé le cœur ? Si oui, j’allais le castrer. AH j’en avais rien à foutre, on faisait pas de la peine à ma jumelle ! J’eus un rire amusé à sa remarque sur Mère et Noane. Treize tantes…

« J’espère pour elle que ça s’ra un p’tit gars. Parce que si elle fait comme mère, putain y aura une Génération Bonfrère supplémentaire pas mariée ! »

Et elle me parla des Kenning, pourquoi est-ce qu’elle me parlait de ces chiens ? Pourquoi m’auraient-ils écrit ? À part pour me narguer ? Me faire du mal ? Pourquoi d’autre ? Non, je n’avais pas de nouvelles et c’était tant mieux.

La plume craqua entre mes doigts à sa remarque. Désolée ? Qu’est-ce qu’elle voulait dire ?! Elle s’était tue, et moi levée pour lui faire face. Entre mes doigts la plume brisée.

« Désolée de quoi Gwendys ? »

J’avais la voix grave, basse. Je voulais savoir. Le porc était mort… Kenning était mort ?! Qui l’avait tué ? Qui l’avait tué ?! Je me sentis pâlir à ses mots. Ma Snöfrid… a Snö l’avait tué. Un bref instant je revis son visage, aussi clair que si elle était devant moi, ses cheveux bruns, son sourire insolent, son nez, sa manière de plisser les yeux… Mes mains avaient attrapé les épaules de Gwen.

« Quand ? Quand est-ce que Snö l’a tué ?! Et comment ? Qui te l’a dit ?! Et où elle est maintenant ? Hein ? Où est Snö ?! Où est ma Snö maintenant ?! »

Je la secouais légèrement par les épaules, un feu brûlant mes entrailles sans que je ne sache si c’était de la colère, de la joie, de l’anxiété, de la tristesse… Où était Snö maintenant ?! Que je la rejoigne… Que je l’aime à nouveau comme avant. Que je la remercies un millier de fois pour ce qu’elle avait fait. Que je lui promette que plus jamais elle n’aurait à souffrir… Ou… j’aimerais juste la revoir rien qu’une minute… Je serrais toujours les épaules de ma jumelle, mes yeux plongé dans les siens comme-ci je pouvais y lire la réponse. Que j’espérais que ce chien ait crevé lentement ! En souffrant. Aussi longtemps que moi j’ai souffert.

A présent, Noane et son enfant à naître étaient bien loin dans ses préoccupations. Les mains de Grayce étaient venues s’agripper à ses épaules, finissant par les secouer. Gwendys le savait, que tout cela lui ferait du mal. Leur ferait du mal. Rien ne se passerait comme elle avait pu l’imaginer. Et pourtant, elle en avait imaginé des scénarios différents. Grayce avait retrouvé de sa joie de vivre durant leur voyage. La Bonfrère avait eu l’impression de retrouver sa jumelle durant ces quelques temps passés loin de chez elle. Et à présent… A présent elle avait tout gâché, tout piétiné. Mais Grayce devait savoir. Pour faire son deuil. Pour accepter que l’inévitable s’était produit d’une certaine manière.


« Elle te l’a crevé, ouais… Et bien comme il faut, j’espère. Gwendys renifla en maugréant cette phrase. C’était pendant qu’on était absentes, pas longtemps après son mariage. Je t’ai rien caché, je te le promets… pour la première fois, la voix de la jeune femme s’était légèrement brisée. Je l’ai su y’a peu… Quand on est rentrées, j’ai eu droit au petit interrogatoire comme toi. C’est là que j’ai su. »


La Bonfrère avait relevé la tête, son regard croisant celui de sa jumelle. Elles se ressemblaient tant. C’était pire encore lorsque l’une d’entre elles était triste ou en colère. Ou les deux. Gwendys en savait beaucoup et très peu, contrairement à ce que Grayce pouvait croire. Les Kenning devaient en savoir plus mais jamais la Bonfrère ne se risquerait à retourner dans cet enfer pour tirer des réponses plus précises. La thèse officielle était simple. Snöfrid Harloi, Gwendys se refusait toujours à l’appeler Kenning, avait assassiné son époux avant de disparaître en mer. Depuis, plus rien. En tout cas, personne ne semblait avoir entendu parlé d’elle entre leur départ et leur retour…


« Personne sait où elle est Grayce… Gwendys avait posé ses mains sur celles de sa sœur, se dégageant doucement de sa prise. On avait déjà pas pu obtenir justice pour toi, Sœurette. Alors pour elle ? Elle savait que ça serait un voyage sans retour, j’crois… Gwendys se mordit la lèvre inférieure. Personne sait vraiment ce qu’il s’est passé. Elle l’a tué le soir de leurs noces et le lendemain, elle était plus là. Elle a pris la mer juste après ça, si tu veux mon avis. »


Gwendys avait tendu les bras vers sa jumelle, l’enveloppant de son étreinte. Elle la serra fort contre elle, contre son cœur. Pour qu’une fois de plus, ils puissent battre ensemble. Snöfrid n’était plus là et la Bonfrère s’en désolait. Elle n’aurait jamais la possibilité de la remercier. Elle avait vengé Grayce mais en avait payé le prix fort. Qui sait où elle pouvait être, à présent ? En Essos ? Dans le Nord ? Gwendys ne l’imaginait pas sans son bateau et se refusait à la croire morte.


« Je suis désolée, Grayce. répéta-t-elle, comme pour apaiser la tempête qui dansait dans ce cœur qui battait contre le sien. Je suis sûre qu’elle est vivante. C’est pas possible autrement. Mais où ? Ça, j’en sais rien… Et pourtant, j’aimerai te donner une réponse. Si ça tenait qu’à moi, tu serais déjà sur un bateau pour la rejoindre. »


Mais elle n’y pouvait rien. Une année, c’était long sans la moindre piste...

CJe n’arrivais pas à saisir complètement tout ce qu’il se passait dans ma tête, dans mon cœur. Ma Snöfrid, l’étoile la plus brillante dans mon ciel d’amour… Elle qui revenait chaque nuit dans mes rêves et mes bras pour passer un temps infini et fini avec moi. Elle avait tué celui qui nous avait fait tant souffrir. Et maintenant où était-elle ? Est-ce que j’étais condamnée à vivre toujours avec cette étoile qui ne pourrait souffrir d’aucune comparaison ? Même avec celle de Gwendys. Parce que Gwendys et moi partagions la même étoile. Mais c’était comme-ci je venais de la perdre une seconde fois. Elle avait été mariée à cette chose immonde et elle l’avait tué… Je laissai Gwendys faire incapable de bouger. Elle qui avait les réponses… Les seules réponses que je n’aurais à jamais. Parce que personne ne savait. Personne ne savait plus que ce qu’elle venait de me dire. Vivante… J’enfouis mon visage dans le creux de l’épaule de Gwendys pour laisser d’amères larmes couler sans que d’autres qu’elle ne puisse jamais savoir.

« Ma Snöfrid… Ma Snö… Elle l’a tué… Elle l’a tué… »

J’aurais aimé le tuer avec elle, mais j’étais partie, et nous n’avions plus jamais eu d’autres contacts que nos dernières rencontres, nos dernières nuits ensembles. Son rire, son sourire, sa tête sur mon torse… Et maintenant elle était partie… Mais elle était vivante. Si elle était morte je l’aurais su… Et brusquement un doute vrilla mon estomac. Je me redressais, quittant le réconfort des bras de ma sœur pour essuyer mes joues maculées de larme.

« Est-ce… Est-ce que tu te souviens de la fois… »

Je m’obligeai à inspirer plusieurs fois pour calmer mon cœur.

« La fois, quand tu es venue me chercher au chantier naval et qu’en rentrant… J’ai… J’ai cru voir Snöfrid ?! Est-ce que tu t’en souviens. »

Elle s’était retournée, et j’avais cru que ce n’était pas elle. Et si je m’étais trompée de peur que cela soit elle ? Et… Et si c’était elle finalement ?!

« Et si c’était elle ?! Et si cela avait réellement été Snö et qu’elle n’a pas osé venir me voir ?! »

Pourquoi n’aurait-elle pas osé ? Elle me savait folle d’amour pour elle après tout. Gwendys m’aurait couverte, mon frère n’en aurait rien sut après tout !

Retenant bon gré mal gré ses propres larmes, Gwendys caressa le dos de sa sœur. Elle était incapable de trouver les mots pour l’apaiser. Sa bouche lui semblait étonnamment sèche, sa gorge toujours aussi serrée. Bien sûr, elle avait été surprise lorsque Grayce lui avait dit qu’elle aimait Snöfrid. Qu’elle aimait une autre femme. En vrai, elle avait même été sceptique. Mais par la suite… Elle avait compris. Tout compris. La Bonfrère avait du mal à croire au concept d’âme sœur. Une seule personne à aimer, qui pourrait vous attendre toute sa vie durant ? Ce n’était pas pour elle. Mais Grayce et Snöfrid… Pour elles, la jeune femme aurait été prête à y croire. Et il avait fallu qu’on parvienne à les séparer.


Lorsque Grayce s’écarta, quittant son étreinte, Gwendys la laissa faire. La Bonfrère lança un regard interrogateur à sa jumelle. Il y avait une autre lueur dans le regard de Grayce. Elle avait une idée. Mieux, elle avait quelque chose à lui dire. Alors, Gwendys s’installa sur l’un des lits, prête à l’écouter. Sa jumelle semblait avoir du mal à retrouver son souffle. Alors, son double tâcha de l’apaiser à grand coup de signes. Comme pour lui montrer l’exemple, Gwendys prit une grande inspiration, avant d’expirer. Une fois. Deux fois. Trois fois. Là, voilà. Grayce reprenait le fil de son récit.


« Hum… Gwendys prit son menton entre son pouce et son index. Ouais, maintenant que tu le dis, ça me dit quelque chose, en effet. Un sourire étira ses lèvres. J’aurai jamais pu oublier ton regard, ce soir-là. En fait, il ressemble beaucoup à celui que tu as maintenant. »


Une petite pique, émoussée, plus amusée qu’autre chose. Grayce était emplie d’espoir, Gwendys le sentait. La Bonfrère mentirait en disant qu’elle n’était pas heureuse de voir sa sœur ainsi. Malheureusement, retrouver Snöfrid restait une tâche bien complexe. Même en admettant qu’elle était restée dans les Îles de Fer, il y avait tout un tas de criques, de cavernes et d’îlots où se cacher. Alors dans le vaste monde ? Si c’était bien la Harloi que sa jumelle avait croisé ce soir-là, elle en avait fait du chemin depuis son départ. Volantis, c’était loin. Très loin. Autant dire qu’elle pouvait être n’importe où à présent.


« Je peux pas te l’assurer, j’étais pas avec toi à ce moment. remarqua Gwendys. Après, en admettant que ce soit elle, elle a peut-être pensé qu’elle se trompait ? Même toi tu as eu un doute, tu l’as dis toi-même. Si elle avait eu un doute elle-aussi, elle savait pas où nous trouver pour vérifier. Ça lui aurait pris un temps fou pour remettre la main sur nous, surtout qu’on était pas mal occupées et pas mal en mouvement aussi. Puis peut-être qu’elle voulait pas se faire repérer non plus par un gars de notre équipage. Ça aurait fait jaser au retour, quand on aurait tous appris la mort de l’autre chien. »


Volantis, c’était pas comme leur île. Snöfrid aurait été bien en peine pour les retrouver. Plus encore sans se faire repérer, si c’était bien elle. Gwendys était pleine de ressources et elle aurait été ravie de les mettre au service de sa jumelle. Mais même pour elle, ça aurait été difficile de cacher une escapade pareille dans une ville qu’elle ne connaissait que peu. En plus de ça, Gwendys devait conserver un doute raisonnable. Volantis était une grande ville et croiser une personne qui aurait ressemblé à Snöfrid restait de l’ordre du possible. La Bonfrère n’avait cependant pas le cœur à le rappeler à sa jumelle. Elle était bien trop heureuse pour être privée de la sorte de son seul espoir.

J’étais très nerveuse, j’avais très envie de savoir de retrouver Snöfrid ! Les quelques lunes que nous avions passé ensembles avaient… incroyables. J’avais parlé de beaucoup de chose avec ma sœur, mais pas tout. Nous avions besoin chacune d’un petit jardin secret et je crois qu’elle n’aimerait pas savoir certains détails intimes. Je fronçais les sourcils à sa remarque.

« Il a quoi mon regard ? »

À cet instant, je ne savais pas du tout ce qu’il y avait dans mon regard. J’essayais de me souvenir de revoir la scène. Mais un visage aperçu quelques secondes dans une foule d’inconnus… Est-ce que cela pouvait réellement être elle ? Mais elle ne serait pas restée aux Îles de Fer, elle adorait Essos et voyager ! Mais peut-être que ma jumelle aurait mieux vu ? Je n’en étais pas sûre et elle me détrompa. Repérer part les gars… Je me laissais tomber, assise, sur le lit à ses côtés, posant ma tête sur son épaule.

« Je ne sais pas… Je ne sais plus… Snö a toujours aimé voyager, Essos. Elle avait pour projet de voyager, c’était pour ça qu’elle voulait qu’on soit avec elle sur son bateau. »

Bon moi… ce n’était pas que le travail que je pouvais faire, enfin si ! Mais pas que pour que cela. Parce que… sur ce bateau, peut-être que nous aurions dû partir plus vite… plus tôt. Si elle était partie avec ma jumelle sans moi… peut-être aurait-elle été heureuse ? Et peut-être qu’elle serait encore heureuse ? Encore là… comment une femme que je n’avais pas vue depuis tant de temps pouvait avoir encore un tel impact sur mon cœur, sur ma vie et sur tous mes sentiments ? Je glissais ma main dans celle de ma sœur pour la serrer.

« Tu crois… qu’on pourra la revoir un jour ? Ou… que je guérirais de tout ce qu’il s’est passé ? »

La nuit je me réveillais encore trempée de sueur de souvenir et de cauchemars de ce que j’avais subi aux mains de Kenning et son équipage. Je serrais plus fort la main de ma jumelle comme pour ne pas sombrer à nouveau parmi les ombres. Pourquoi est-ce qu’ici tout me revenait plus fort à la figure ? C’était presque… insupportable. C’était Gwen qui savait à quel point la blessure était béante, c’était elle qui m’avait empêché de faire quelque chose qui l’aurait dévasté.

Amusée, Gwendys leva les yeux au plafond. Et dire qu’on lui reprochait son côté abrupte. Mais là n’était pas le plus important. La Bonfrère retrouva bien vite son sérieux. Elle tendit l’un de ses bras dans la direction de son double, l’attirant doucement contre elle. Doucement, Gwendys caressa les cheveux de sa jumelle, cherchant à l’apaiser, à la rassurer. Elle aurait aimé faire plus. Se souvenir de cette scène. D’un autre côté, tout cela n’aurait fait que donner de faux espoirs à sa sœur. Elle-même aurait pu croire à une coïncidence, n’ayant pas conscience à ce moment du destin qu’avait connu ce chien de Kenning et cette pauvre Snöfrid.


« Je sais, je sais. murmura Gwendys, en serrant davantage sa jumelle contre elle. Mais tu pouvais pas savoir. Personne pouvait savoir. »


Les mots de sa sœur lui déchiraient le cœur. Gwendys aurait voulu lui dire que tout cela finissait par passer. Qu’elle pourrait tourner la page, que ce n’était qu’un chagrin d’amour. Mais ce n’était rien de tout ça. Snöfrid et Grayce avaient été liées par l’amour. Gwendys avait eu du mal à l’accepter au départ, c’était vrai. Mais le reste… Tout cela avait viré à l’horreur la plus terrible, la plus atroce. Kenning, Grayce au sommet de la tour, prête à disparaître dans les eaux en contrebas, la disparition de Snöfrid… La Bonfrère en frissonna. Le pire dans tout ça, c’est que Gwendys n’était même pas certaine que sa jumelle et Snöfrid pourraient recoller les morceaux, si elles se retrouvaient un jour. Toute cette souffrance avait manqué de tuer bien des choses et était peut-être parvenue à tuer cet amour. Le secret ne les avait pas protégé bien longtemps…


« Je sais pas, Grayce. Je sais pas. Gwendys posa sa tête contre celle de sa jumelle. J’aimerai te dire que oui, que le monde est plus petit qu’il en a l’air et que c’est pas impossible. Qu’on finira par la revoir dans un port d’Essos et que cette fois on aura plus de doutes vu qu’on connaît la vérité. Mais je veux pas te mentir, Sœurette. Je veux pas. Tout comme je voulais pas te cacher tout ça plus longtemps. »


La main de Grayce se resserra autour de la sienne. Gwendys la laissa faire, resserrant son étreinte autour d’elle. Il ne restait plus qu’elles-deux, maintenant. Tout cela serait leur secret. Un de plus.


« Mais y’a quelque chose que je sais, par contre. La Bonfrère releva la tête de sa sœur en glissant son pouce sous son menton. T’es forte, Grayce. T’es plus forte que t’en as l’air ou que tu sembles le penser. Tu vas t’en sortir, tu vas guérir. Mes plantes peuvent pas grand-chose pour ça, et ça me désole, tu peux pas savoir à quel point. Mais tu vas guérir. T’es toujours là et je te laisserai pas partir, t’es prévenue. Gwendys esquissa un sourire qu’elle voulait encourageant. Ça va prendre du temps, je veux pas te mentir. Mais t’es vaillante. Snöfrid le savait. Elle voudrait pas que tu disparaisses, où qu’elle soit. On sait pas où elle est mais je veux que tu aies l’occasion de la revoir. Mais pour ça, faut que tu restes avec moi. »

Personne ne pouvait savoir. Personne ne saurait jamais. Qu’est-ce qu’il se serait passé si ce jour-là nous nous étions vu ne serait-ce qu’une heure après ? Ou avant. Nous ne le saurions jamais. Peut-être que tout aurait été différent. Peut-être pas. Essos ? Et si cela avait été réellement elle ? Je crois que nous ne le saurions à nouveau jamais. Alors je me laissais aller dans les bras de ma jumelle. La seule personne sur cette terre que j’aimais sans que cela n’ait de fin, la seule qui ne me jugeait pas… Jugerait jamais. C’était pour ça qu’importe où j’allais : il fallait qu’elle soit là. C’était elle mon foyer… Est-ce qu’elle le savait ? Je ne lui avais jamais dit. Est-ce qu’on la reverrait, ma Snö ? Je lui posais la question. Elle ne savait pas…

« T’es la seule à ne jamais me mentir… »

La seule à qui je ne cachais rien, que je ne pourrais trahir ou à qui je ne pourrais jamais mentir. Elle avait été la seule, lorsque le porc avait fait ce qu’il avait fait, à savoir que ce n’était pas normal que je disparaisse brutalement. La seule à qui j’avais entièrement tout raconté… La seule au monde qui avait pu me sauver ce soir-là. Aucune autre n’aurait pu. Je la laissais me relever la tête vers elle, m’offrant la vision de mon propre visage en reflet du mien. Un visage calme et confiant. Mon visage ? Non, celui de ma sœur.

« T’es la seule médecine dont j’ai besoin dans ma vie Gwen. Tes plantes peuvent pas me soigner, mais toi oui… J’pourrais pas partir sans toi, t’es la seule personne avec qui dès la première seconde ça à toujours été à la vie à la mort… Toi et moi… contre le reste du monde… Ça à toujours été comme ça… »

Je soutiens son regard en posant mon front contre le sien.

« Du moment que t’es avec moi… tout ira bien, j’le sais. »

C’était la seule personne en qui j’avais plus foi que le Noyé même. Et heureusement qu'elle était celle qui m'avait annoncé pour Snöfrid.

Doucement, Gwendys berça sa jumelle contre elle. Le gros de la tempête était passé, on dirait. Il n’y avait plus de cris, plus de larmes. Juste une intrigante quiétude, comme celle qui suit un raz-de-marée. Elle aurait voulu être une meilleure messagère, avec des nouvelles plus heureuses et plus légères. Mais c’était impossible. Grayce avait raison, quand elle disait qu’elle ne lui mentait jamais. La Bonfrère jugeait que mieux valait une franche vérité, même douloureuse, à un doux mensonge qui ne rendrait la chute que plus abrupte encore. Et sa jumelle avait déjà bien trop souffert pour apprendre cette nouvelle d’une autre manière que de sa bouche à elle.


« Jamais. Mais je pourrais mentir au monde entier pour toi. Gwendys souriait. T’es pas ma sœur, t’es une autre partie de moi. Je laisserai personne te faire du mal, t’as ma parole. »


Snöfrid n’était plus là et Gwendys ne prétendait pas la remplacer. Mais elle pouvait veiller sur Grayce pour elle. Ça avait toujours été comme ça, de toute manière. Grayce et elle dans leur petit monde. Et la Harloi ne s’y était jamais imposée entre elles. Elle avait trouvé une autre place et leurs existences auraient pu continuer comme ça un moment. Peut-être même durant des années. Après tout, qui faisait attention à elles ? Si Snöfrid avait un certain rang dans sa famille, elles-deux n’étaient que des filles parmi tant d’autres et leurs fréquentations étaient bien moins scrutées que celles de d’autres jeunes femmes. Mais il avait fallu que ça se sache et que ce secret soit révélé à la pire des personnes qui pouvait l’entendre. Mais tout cela faisait partie d’un passé que Gwendys comptait bien faire oublier à sa jumelle. Snöfrid pourrait garder une place dans son cœur, là n’était pas la question. La seule chose que la Bonfrère souhaitait, c’était que sa sœur puisse penser à elle sans souffrir.


« Je serais toujours là. Même que t’en auras marre de me voir à force, tu verras. Gwendys avait repris son sérieux après cette petite pique. Si le Dieu Noyé a décidé qu’on serait deux à naître en même temps, je suis sûre qu’il avait une très bonne raison à l’esprit à ce moment. J’ai besoin de toi autant que t’as besoin de moi, Grayce. Si tu pars, je serais obligée de partir avec toi. »


Qu’importe ce que ça pouvait bien signifier. Si Grayce devait partir à l’autre bout du monde encore une fois, Gwendys la suivrait sans hésiter. On avait toujours besoin d’une guérisseuse, après tout. Personne ne s’étonnerait de la voir. Et dans de plus grandes largesses… Ce jour-là, en haut de cette tour, Gwendys avait bien cru mourir, elle aussi. Elles étaient pas faites pour vivre seules, l’une sans l’autre. Elle l’avait toujours su et c’était aussi pour ça qu’elle se devait de veiller sur Grayce. Alors que sa sœur appuyait son front contre le sien, Gwendys ferma les yeux. Elle n’avait même pas besoin de la voir pour imaginer ses traits. Elles se ressemblaient trop pour cela.


« Maintenant, faut qu’on soit fortes, toi comme moi. La Bonfrère avait rouvert les yeux. On va entendre des choses horribles sur Snöfrid, les Kenning ont du s’en faire les gorges chaudes. Je doute pas que des rumeurs se sont répandues un peu partout. C’est pire que des cris de mouettes. Mais on connaît la vérité et c’est tout ce qui compte. Faudra juste nous retenir de réagir. Ça va être dur mais on doit le faire. Pour nous deux et pour Snöfrid. »


Ça serait elles contre le monde, une fois de plus. Jamais les autres ne voudraient entendre leur version des faits. L’amour entre Snöfrid et sa sœur était proscrit ici. Rien que pour ça, elles devraient se taire. Une autre personne pourrait venir se venger de Snöfrid, sinon. Et Grayce pourrait à nouveau être victime des pires atrocités, chose que sa jumelle voulait éviter à tout prix. Elles devraient serrer les dents. Peut-être même que ça durerait des années. Mais elles devaient se protéger. Quant à la vengeance… Gwendys préférait ne pas y songer, quand bien même cette idée était alléchante. Mais Grayce avait déjà trop perdu. Il était hors de question qu’elle disparaisse aussi suite à un tel projet.