The last farewell | ft Alyria et Margaery

Le vent s’engouffrait dans la cape noire qui recouvrait les épaules de Rhaenys. Quelques petites mèches qui s’étaient échappé de sa tresse venait chatouiller son visage mais la jeune ne les sentait même plus. Ses yeux rouges retenaient péniblement les larmes qui l’envahissaient depuis plusieurs jours. Elle se tenait devant le bucher funéraire où reposait le corps de son père, sans vie. La folie avait eu raison de lui. Il avait quitté ce monde seul, sans famille à ses côtés, elle n’avait pas pu le protéger, elle avait échoué dans sa mission et son cœur souffrait plus que tout. La dernière fois qu’elle avait ressenti cette peine, sa mère venait de mourir. Dix-neuf ans plus tôt, elle avait connu ce sentiment, ce vide qui emplissait sa poitrine, la perpétuelle question qui tournait en boucle dans sa tête : comment vais-je faire sans lui ? Quel avenir sans lui ? Elle ne voyait rien devant elle, juste la douleur, la tristesse. Elle n’arrivait pas à réaliser, le choc de la nouvelle était passé mais son esprit refusait de voir l’évidence. Pourtant, devant ce tas de bois où le corps de Rhaegar Targaryen reposer, enrouler dans un linceul, la réalité se tenait devant ses yeux. Ses deux parents biologiques l’avaient quitté, avec Aegon ils se trouvaient orphelins. Si Alyria avait su remplacer Elia et prendre son rôle, qui le ferait pour Rhaegar ? Probablement personne car la seule personne qui aurait pu avoir cette tâche était Jon Connington, assassinée quelques lunes plus tôt.

Les Targaryen avaient rejoint Peyredragon pour un dernier adieu selon les traditions familiales. Ils étaient seuls : Rhaenys, Aegon, Margaery, Alyria et les petits Aerion et Aemon. Hura et Jaelix se tenaient non loin, observant la scène. Les deux dragons devaient ressentir la peine de leur dragonnier.

Rhaenys n’eut pas le courage de prononcer quelques mots laissant cela au reste des siens.  Elle ignorait si elle pourrait donner l’ordre à sa dragonne d’allumer le bucher. Son père avait eu la volonté que Hura lui hôte la vie si toute raison l’avait quitté. Cela n’était pas arrivé mais la dragonne ensoleillée allait respecter cela, en faisant en sorte que Hura l’envoie pour son dernier voyage près des dieux.

Une fois que chacun eu dit son petit mot à l’intention de l’ancien Roi des Sept Couronnes, Rhaenys releva la tête vers sa dragonne.
« Dracarys. » souffla-t-elle à mi-voix

Heureusement l’ouïe fine des dragons permit à Hura d’entendre le mot de haut valyrien prononcé par sa dragonnière. Elle marqua un léger temps d’hésitation avant que son gosier ne s’allume et qu’un jet de flamme vienne enflammer le bucher de Rhaegar Targaryen. Désormais il fallait attendre que les cendres prennent place avant d’aller les enterrer auprès de leur ancêtre.
Un dernier adieu. Un dernier voyage pour le Roi.

Revenir à Port-Réal n’était pas la volonté de la reine. Elle avait été forcée de revenir alors qu’elle demeurait en sécurité à Accalmie. Éloignée de la cour royale qui ne la divertissait plus, éloignée du Conseil qui ne la rassurait plus, éloignée des endroits qui ne la protégeaient plus, la reine espérait que la maison Baratheon saurait occuper toutes ces fonctions auprès d’elle. La divertir, la rassurer, la protéger. Mais la reine n’était plus maîtresse de son destin. Elle avait quitté Port-Réal quelques lunes plus tôt en tant que reine des Sept Couronnes, épouse de Rhaegar Targaryen. Elle y retourna, par la force, invitée par lord Stannis à écouter lord Tywin, pour y apprendre qu’elle ne l’était plus, que le Conseil Retreint avait destitué le roi. Elle n’était plus reine désormais mais ce n’était pas cela qui la rendait plus inquiète. Rhaegar n’était plus roi mais ce n’était toujours pas cela qui l’attristait le plus. Si le Conseil avait destitué son mari, cela voulait dire que son fils, Aerion Targaryen, était devenu le nouveau roi des Sept Couronnes, réalisant ainsi le pire cauchemar d’Alyria.

- Ils vous attendent, votre Majesté.

Durant ces deux dernières années, Alyria avait bien profité de l’hospitalité de Peyredragon. Plusieurs séjours avaient été organisés et elle y avait vécu bien des choses. Mais aujourd’hui, il s’agissait du dernier séjour d’Alyria Targaryen dans cette demeure. Elle s’en était faite la promesse et l’avait confié aux Sept lors de ses prières. Après ce jour, elle ne mettrait plus les pieds dans cette demeure, ne s’y réfugierait plus, ne s’y rendrait plus, même pour quelques heures, minutes ou même secondes. Plus jamais.

- Je suis prête.

Vêtue de noir, voilée de noir, enveloppée de noir, la reine-mère suivit son bouclier-lige jusqu’au bûcher funéraire. La famille royale était au complet. Aegon Targaryen se tenait aux côtés de son épouse, la princesse Margaery et de leurs fils, le prince Aemon. Rhaenys Targayren était en première ligne, fortement observée par sa dragonne Hura, aux côtés de laquelle s’était posé Jaelyx. Alyria fut saluée par ses dames et les gardes royaux qui se tenaient droits à quelques pas d’un petit garçon aux cheveux blonds. Le roi. Son fils. L’atmosphère était lourde, accentuée par un silence horrible. La reine préférait se terrer dans ce silence, aussi horrible soit-il. Le roi et elle n’étaient pas amoureux. Aucun amour n’avait vu le jour dans leur couple mais une certaine affection, une amitié sincère, loyale et profonde. Elle avait de la peine de le perdre et écoutant les braves qui avaient pu dire quelques mots, elle ne put retenir une larme lorsque la princesse donna l’ordre attendu à sa dragonne. Puisse-t-il trouver la paix qu’il désirait tant maintenant qu’il est sur le point de reposer auprès de ses ancêtres.

Un frisson l'avait parcourut lorsque la forteresse s'était présentée à eux, implacable et glaciale, emplis de souvenirs trop récents pour s'être effacés dans les affres de la mémoire. La nuit qui avait sonné leur départ vers Accalmie restait dans son esprit, la peur de ne pas savoir ce qu'il se passait, les sursauts à chaque cris, à chaque coup d'épée. Mais cette fois, ce n'était guère pour y trouver refuge que les Targaryen se rendaient dans leur fief. Cette fois ce n'était pas qu'elle et la reine. Il n'y avait rien du luxe tapageur de la Cour dans cette réunion en rouge et noir, rien que le recueillement au sein d'une maison royale qui reposait à présent entre les mains d'un enfant.

Telle une mauvaise amie, la mort continuait de les poursuivre. Tandis que Margaery cessait enfin de pleurer sa chère grand-mère c'était la nouvelle d'un décès plus impactant pour le royaume qui était parvenu à ses oreilles, officialisant une décision qui avait été prise des semaines, des lunes plus tôt. Et tandis que la dignité demeurait sur les visages des enfants de Rhaegar, l'un trop jeune pour comprendre, les autres sans doute trop au fait de leurs devoirs pour laisser quoi que ce soit paraitre, la Rose s'était remémoré la disparition de son propre père. Mace avait sans doute été le parent le plus présent dans sa vie et sa disparition, aussi soudaine, avait laissé sa fille dans un désarroi qu'elle n'avait jusque là jamais connu. Alerie Tyrell avait bien tenté de prendre son rôle de mère plus au sérieux, d'être enfin maternelle mais cela ne remplaçait aucunement la tendresse de ce père envers celle qu'il nommait sa petite princesse, sans même savoir la portée prophétique de ce surnom. Elle se souvenait de la présence d'Aegon, la comblant de lettre, et de ses frères, de la bienveillance de ses amies et de ses cousines. Elle avait eut de la chance, songea-t-elle avec une pointe de nostalgie : la mort de son père avait eut lieu dans une période bien moins sombre qu'aujourd'hui et l'avenir semblait alors tout tracé. Une telle assurance n'était possible du côté des dragons, tandis que le continent se déchirait déjà sous la révolte d'un prince déchu du vivant de Rhaegar et que la couronne était léguée, bien trop tôt, à son plus jeune fils. C'était tandis qu'elle se remémorait les confidences de la reine à l'égard du destin de son fils que cette dernière fit son apparition. Toute de noire vêtue, comme ils l'étaient tous, elle portait sur elle les traces de la tristesse et de l'inquiétude et Margaery se demanda si, dans le brouillard de ces sentiments obscurs, Alyria Targaryen pleurait un peu l'homme qui avait été son mari avant de sombrer dans la folie. Son regard glissa sur Aegon, impassible et droit tandis qu'une de ses mains se posait sur l'épaule de leur fils. Aemon, lui, peinait à tenir en place, gigotant dans ses vêtements sombres, coulant des regards vers son royal oncle. Lui aussi n'avait pas conscience de la solennité du moment mais elle ne pouvait le prendre dans ses bras : il était à présent assez vieux pour commencer à apprendre l'étiquette et elle l'avait bien trop gâté jusque là.

Et vint le mot, l'ancestral signal qui mettait la dépouille du défunt en feu, le mot qui n'avait plus été dit depuis la Danse des Dragons et la disparition de ces créatures, fragilisant génération après génération le pouvoir de la maison Targaryen. Jamais dans son existence, elle aurait pensé possible de voir l'une de ces créatures de près et pourtant, Hura et Jaelyx volaient régulièrement au dessus de Port-Réal, offrant une vue que personne n'avait eut le loisir d'admirer depuis des siècles. Pourtant, elle s'interrogeait souvent sur les bienfaits de ce retour miraculeux. Sans dragon, Viserys serait-il la menace qu'il représentait aujourd'hui ? Et tandis que le bucher funéraire brûlait, des étincelles voletant au vent, Margaery glissa sa main dans celle d'Aegon, posant l'autre sur l'épaule d'Aemon et ferma les yeux. Une dernière prière pour Rhaegar Targaryen dont l'âme rejoignait celle de ceux qu'il avait tant aimé.

Il n’y eu aucun éloge funèbre pour Rhaegar Targaryen, seul le silence régna avant que le feu du dragon ne vienne embraser le corps du Roi. Un silence pesant, un silence lourd. Peut-être était-ce mieux ainsi, lui que la folie avait ravagé si rapidement. Son esprit ne connaissant plus le silence reposant, sans cesse des visions à murmurer à ses oreilles, à lui chuchoter des mots pour l’influencer et le ronger jours après jours. Mais qu’aucun mot ne soit prononcé était douloureux, triste comme la fin de ce règne. Comment se souviendrait-on du fils du Roi fou ? Le fils de son père ? après le Cruel et le Fol, quel attribut donneront-ils à son père qui avait réussi à maintenir durant une dizaine d’années la paix à Westeros ? Se souviendrait-on de cela ? Ou la fin chaotique de son règne resterait la seule chose marquante ? Du dernier dragon ? du dernier argenté à celui qui avait subi une guerre fratricide dont il ne connaitrait jamais l’issue.

Une larme s’échappa des yeux sombres de la princesse ensoleillée. Une larme solitaire glissant sur sa joue. Celle-ci mourut sécher par le vent marin de Peyredragon. Quel serait la suite à tout cela ? Rhaenys n’en savait rien. Elle n’arrivait pas réellement à réfléchir à ce sujet. Elle devenait l’héritière de son petit frère, elle n’avait pas réfléchi à la question, elle n’avait jamais envisagé ce cas de figure. Et elle n’avait de toute manière pas le cœur à y réfléchir de suite. Elle voulait faire son deuil en paix, loin de la politique et de la guerre qui faisait rage. Arriver à surmonter sa peine et à tourner la page de ce chapitre de sa vie.

Sous la surveillance de quelques gardes Targaryen, la famille se retira laissant le bucher se consumer lentement au rythme des flammes dansantes de Hura. Retournant vers le château dans le même silence pesant. Même la forteresse de Peyredragon était entourée d’un silence de plomb. Comme si le décès du Roi avait imprégné les murs du château. Rhaenys n’avait jamais réellement apprécié cette demeure de leur famille mais ce jour-là, elle la trouvait encore plus austère et désagréable que d’habitude.

Dans la salle de réception, quelques mets avaient été installé ainsi que des pichets de vins et des verres pour une collation car il était évident qu’aucun membre de la famille Targaryen n’avait réellement assez d’appétit pour un banquet en la mémoire du défunt Roi. Les serviteurs les attendaient, eux aussi de noir vêtu. Seul le blanc des royaux venaient trancher avec l’ambiance lugubre des lieux. Une fois dans la pièce, des verres leur fut proposé. Rhaenys en prit un, par convenance. Peut-être que noyer son chagrin dans l’alcool permettrait d’apaiser son cœur meurtri. Elle voyait déjà le regard désapprobateur de Gella face à un tel comportement. Une fois tout le monde servi, la jeune femme se tourna vers son frère, plongeant ses iris sombres dans les améthystes d’Aegon.
« A notre père. » souffla-t-elle.

La relation des enfants Targaryen avec le Roi n’avait pas toujours été au beau fixe mais leur douleur était en ce jour similaire, quoiqu’il est vécu avec.

Le silence fut maître des lieux pendant tout le processus. La famille royale se tenait devant le bûcher qui avait été dressé pour Rhaegar Targaryen. La reine-mère était vêtue et coiffée de noir. Ses dames étaient en noir. Les princes et princesses également. Le moment était solennel. Les Targaryens accompagnaient une dernière fois le défunt roi avant son dernier voyage. Le jeune roi, Aerion, puisque tel est son titre désormais, se tenait fièrement devant sa mère qui n’avait pas caché la réalité de la chose. L’enfant démontrait déjà, à son si jeune âge, une certaine maturité. Son regard passait du corps inerte de son époux au petit bout qui se tenait devant elle. Pas un seul regard ne fut donné à Rhaenys qui ordonna à sa dragonne, d’un seul mot, un seul petit mot, d’allumer le bucher. Le feu embrasa jusqu’à l’air ambiant et une vague de chaleur vient jusqu’à caresser la joue de la reine mère qui recula de quelques pas. Le silence demeurant roi de la situation, Alyria ne bougea pas lorsque le reste de la famille se dirigeait déjà vers le château. Elle voulait rester un moment seule, quelques secondes, quelques minutes, pour se recueillir. Ser Harlan prit soin de raccompagner le jeune roi également entouré des autres gardes royaux. Elle s’avança vers le bûcher et se remémorait ces presque vingt dernières années. C’était le temps qu’elle avait passé aux côtés de la princesse mais aussi aux côtés des Targaryen, aux côtés du roi. Elle n’était son épouse et sa reine que depuis quatre petites années mais ils se connaissaient depuis bien plus longtemps que cela. Évidemment, ils ne s’aimaient pas comme il avait aimé Lyanna ni comme elle avait aimé Chester. Mais leur affection l’un pour l’autre n’en demeurait pas moins véritable, touchante, appréciable. Le regard perdu dans les flammes, Alyria laissa s’échapper quelques larmes pour cet homme qu’elle a accompagné, qu’elle a consolé, qu’elle a conseillé, qu’elle a rassuré. Après quoi, il fut temps pour elle de rentrer. Ser Harlan était venue la chercher pour qu’elle rejoigne le reste de sa famille. Elle n’avait pas le cœur à manger quoi que ce soit ni boire quoi que ce soit. Aussi, elle fit simplement acte de présence, ne quittant pas son fils des yeux, scrutant les moindres parcelles de la pièce dans laquelle il se trouvait tous. Peyredragon n’était pas sûr. Port-Réal n’était pas sûr. Aucun endroit à ses yeux n’était sûr pour son fils. Mais en observant la scène, voyant la position des gardes royaux, se rappelant que désormais, ils étaient régis par la régence de Tywin, un homme en qui elle avait bien peu de confiance. Où cela les mènera ? Elle n’en savait rien. Personne n’en savait rien.