Mise à l'épreuve + Elias Buckwell

   

Sur la fin de son séjour à Castel-Farring et après discussion avec son petit cousin Jaremy, Lowell a décidé d’écrire un corbeau à Jack Buckwell pour voir s’il pouvait lui emprunter son petit fils. Elias est dessinateur ? Fort biens. Il ira aux Epois et le ramènera avec lui à Fort-Epine. Il a décidé de l’inviter pour que le jeune homme lui donne son opinion sur les plans du chantier de restauration des défenses en cours. L’invitation est crédible, et en fait, sincère. Lowell Blount n’aime pas trop le mensonge et les manœuvres. La décision revient à Jaremy et il ne remettra pas en cause la décision de son petit cousin, encore moins si Alyria donne son accord pour des fiançailles. Il s’agit simplement de se faire une idée par lui-même de ce que vaut le jeune homme. Car ici, Marla n’étant pas des plus objectives, et quant à Alyria elle-même, il voit bien qu’elle a d’autres ennuis, plus graves et plus prioritaires.

Mais ça n’est pas totalement un traquenard. Parce que Lowell est disposé, précisément, à lui laisser sa chance, ce qui n’était pas gagné jusqu’à il y a peu. A vrai dire, ses sentiments à l’égard de Elias Buckwell sont passées par un peu toutes les strates. A voir Marla si heureuse lorsqu’elle lui a parlé de ce dernier, avant Winterfell, Lowell était prêt à passer l’éponge sur le fait que Elias soit un Buckwell. Lowell a toujours été rancunier et il n’aime guère qu’on lui fasse affront, à lui ou sa famille. Mais doit-on créer pour un affront une rivalité et une inimitié aussi rude qu’elle s’étendra aux descendants de ceux qui le vécurent, même indirectement, jusqu’à ce qu’ils en oublient les raisons, qui seront perdues dans l’aube des temps et les souvenirs ? C’est ainsi qu’on créé les légendes familiales, certes, mais il a eu l’expérience de la rivalité avec les Reed pour s’en garder. Et puis, n’ayant rien contre lord Jack ou contre le père de Elias, Ruben, le Ferrailleur était disposé, au départ, à laisser sa chance à ce jeune chevalier. Mais voilà, il y a eu cette absence de signe de vie pendant des lunes, peu digne d’un homme honorable. Et Lowell Blount est très attaché à l’honneur. C’est qu’il vieillit et son caractère rigide ne s’est pas exactement arrangé avec l’âge. Il est devenu un peu plus conservateur et un peu plus traditionnaliste, en même temps que son côté rancunier a été un peu gommé par l’expérience. Mais il n’attendait que cette offense pour ressurgir. Voilà que par sa disparition brutale, Elias s’est trouvé assimilé à ses yeux à son oncle. Décidemment, les Buckwell ne valent pas grand-chose, s’est dit le Ferrailleur. C’était avant d’apprendre les raisons de ce silence, et il s’est fait plus indulgent. C’est un gamin d’été vivant sa première guerre,  et quelle guerre ! Elle a brisé des hommes plus vieux et aguerris que lui, Lowell le sait, et tué des chevaliers et des seigneurs qui n’avaient plus rien à prouver, à commencer par son propre frère. Aussi l’exposé de Marla l’a-t-il touché et encouragé, donc, à donner sa chance à Elias.

Jack Buckwell ayant accepté de lui confier son petit fils, Lowell s’est donc dirigé vers Les Epois en emmenant avec lui Renfred, son nouvel écuyer. C’est aussi l’occasion d’apprendre à connaitre et à voir ce que vaut cet enfant de onze ans. Son petit cousin lui plait bien, et il traite avec une bienveillance nostalgique ce gamin avide d’aventure. C’est qu’il se reconnait en lui, comme parfois l’histoire que lui a conté Marla à propos d’Elias trouve un écho à la sienne et à ses espoirs perdus.
Bref, des Epois, accompagnés désormais de Elias Buckwell lui-même, ils cheminent à présent vers Fort-Epine. Lowell n’a pas attaqué tout de suite la partie sérieuse de la conversation. Dans les premiers jours, ils se sont limités à des banalités sur la guerre en cours. De toute façon, les voyages sont plus incertains sur le moment et tout le monde est sur le qui vive. Habitué de ces expéditions, Blount reste stoique et égal à lui-même, et il a entrepris de raconter à Renfred ce qu’il faut faire et ne pas faire lorsqu’on circule en temps de guerre, joignant le geste à la parole. Sinon, il trouve le jeune Elias bien silencieux, comme sur la réserve – ou attendant de voir à quelle sauce il sera mangé. Pour autant, le jeune homme parait au seigneur de Fort-Epine poli et aimable et leurs échanges sont cordiaux. Si bien qu’il se décide finalement à lancer les hostilités, si l’on peut dire, une journée avant d’arriver à Port-Réal, par un après-midi agréable.  « Je vous remercie en tout cas, vous et votre grand-père, d’avoir accepté cette invitation. J’aurais vous recevoir à une occasion plus légère pour que nous puissions discuter d’autre chose que de la guerre. Fort-Epine offre de beaux paysages qui, j’aime à le croire, pourraient être inspirants pour un dessinateur. Mais je suis heureux de pouvoir compter sur votre regard pour évaluer nos plans et les travaux de nos architectes. Toute idée nouvelle et toute vision neuve est bonne à prendre ! » Bientôt, il fronce les sourcils et tourne la tête vers le cavalier qui chevauche à ses côtés : « Lady Marla m’a dit que vous aviez fait amende honorable et que lord Jaremy était disposé à accepter vos fiançailles. J’ai cru comprendre que votre silence était lié à la bataille de Winterfell…en êtes vous remis ? » Le ton n’est pas accusateur. Au pire, neutre. Au mieux sur la fin, il témoigne d’une curiosité compatissante et sincère. Ce qui est déjà bien, venant de sa part, concernant Elias Buckwell.

   

   

Depuis mon retour de Castel-Farring, ma famille dit ne pas me reconnaître. Je suis encore plus déterminé à revenir à ma forme physique pré-Winterfell. Et j’entreprends des exercices pour ma santé mentale, passant de plus en plus de temps à l’extérieur.
Il y a quelques jours, mon grand-père avait reçu une lettre d’un seigneur de la région, Lowell Blount. Il lui demandait s’il pouvait m’inviter quelques temps dans son domaine, afin que je puisse analyser les plans de rénovations de sa forteresse. Mon grand-père me convoqua alors pour me demander ce que j’en pensais, et me précisa que Lord Blount était un cousin direct du père de Marla, la jeune femme que je courtisais. Il y avait donc à parier que cette invitation ne soit pas qu’à des fins d’étude architecturale. Je me contentais alors de sourire et de dire que je n’allais pas faire preuve de peur face à la famille de ma future épouse…

Lord Blount est venu me chercher, en compagnie de son écuyer, Renfred Farring, le petit frère de Jaremy et Marla. Au début du trajet, la conversation était assez « neutre ». On parlait de la guerre, j’essayais de sympathiser avec Renfred, pour obtenir quelques informations supplémentaires sur Marla. Aujourd’hui, cependant, Lord Blount semble déterminer à parler de choses sérieuses.

-Je dois avouer que votre invitation m’a surpris, Lord Blount, mais je suis ravi et flatté de pouvoir visiter votre domaine et apporter mon point de vue concernant vos plans. J’ai entendu beaucoup de choses sur votre château, et j’adorerai voir comment vous comptez l’améliorer.

On continua d’avancer et j’eus le droit à la première évocation de ma relation avec Marla. Ainsi, il était au courant de mon absence de communication avec la jeune femme, et que je l’avais revue depuis, et que j’avais demandé sa main. Je jetais alors un coup d’œil vers Renfred, qui semblait nous écouter avec attention, avant de répondre au seigneur de Fort Epine.

-Par la grâce des Sept, je vais mieux. Ca a été de longs mois, j’ai dû laisser mes membres guérir afin de pouvoir de nouveau les bouger, puis il m’a fallu les entraîner car tout ce temps passé sans bouger avait rendu mes muscles faibles… Et ensuite, je dois avouer que j’ai également souffert de blocages de l’esprit…

J’entendis alors la voix de l’écuyer me demander comment j’avais été blessé. Je le regardais, hésitant à lui répondre, jetant un œil à son « oncle », et finis par dire simplement :

-Lors de la bataille de Winterfell, j’ai reçu des coups au niveau du bras et de la jambe. D’après les mestres de Winterfell, les os ont été brisés en partie. Ils m’ont immobilisé les membres, m’empêchant de les bouger.

Je continuais d’avancer, avant de demander à Lord Blount.

-Etiez-vous à Winterfell, monseigneur ?

   

La conversation roule paisiblement alors qu’ils cheminent. Lowell est toujours ravi de parler de son château, même si ici ce n’est qu’un prétexte. Après tout, la restauration de Fort-Épine, c’est une grande partie de sa vie et sa principale occupation depuis qu’il a pris la tête du fief. Surtout depuis le début de la guerre. Avant, il le faisait pour le prestige et le confort de sa demeure. Maintenant, c’est devenu un impératif. Néanmoins, il est toujours surpris que d’autres que lui s’y intéressent et encore plus que son château fort rustique, quoique bien conçu, perdu au milieu des bois, puisse être l’objet des conversations. C’est qu’il ne s’habituera jamais à être le cousin de la reine et le frère d’un garde royal, familier de la cour, et pas uniquement le cadet d’une maison noble d’importance relativement mineure quoique aisée. Aussi est-il curieux de savoir ce que l’on a pu dire à Elias : « Ah oui ? Et qu’avez-vous donc entendu, ser Elias ? » Et de se lancer dans des explications passionnées quant à Fort-Épine et aux travaux qu’il a déjà mené : « Ce n’est pas la première restauration. Mais nous avons fini l’aménagement du château ; vous le trouverez confortable, je le crois. A présent il s’agit d’améliorer sérieusement ses défenses pour en faire un verrou sur la route de la Rose ! Nous avons déjà bien progressé, et j’espère que nous aurons fini bientôt. Dans quelques lunes, je l’espère. Lord Merryweather m’a très aimablement aidé pour la structuration et les plans. Mais j’aime à avoir des avis neufs et je pense que celui de quelqu’un qui, comme vous, maitrise le dessin et la perspective ne sera pas de trop. » Une idée quant à son écuyer lui vient, et il ajoute pour lui un conseil, comme il a commencé à le faire avec régularité, à propos de tout ce qui lui semble important que Renfred retienne : « Tu vois, il ne faut jamais négliger l’architecture et toutes ces sciences, mon garçon. »

Evidemment, Lowell n’est pas là uniquement pour parler d’architecture. C’est Elias lui-même qui l’intéresse et qu’il compte cuisiner, tant quant à son parcours que pour ses intentions envers Marla. Saisissant l’occasion, il oriente donc la conversation vers ce sujet. Quoiqu’apparemment concentré sur la route, Blount écoute attentivement la réponse. Il n’est pas surpris de l’exposé des blessures de Buckwell, qu’il juge crédible. En revanche, il l’est de sa facilité à évoquer ses traumatismes. Les blessures psychiques sont courantes lors des guerres. Lui-même a vu des hommes devenir fous pour des batailles bien moins horribles que celle de Winterfell, face à l’horreur et à la mort. Lui-même se réveille parfois en pensant au passé, aux combats qu’il a livré, et aux Marcheurs Blancs. Mais ce sont des choses que l’on ne dit pas d’ordinaire. Ce genre de fragilité est considère comme une faiblesse et comme suspect. Elias lui apparait donc comme courageux et peut être un peu naïf. Lui a trop d’expérience pour juger ; mais cela ne serait pas le cas de tous. Il faudrait que le jeune chevalier apprenne la prudence, mais ici, le seul apprenti qu’il a est Renfred et ce n’est pas vraiment son rôle.

Le seigneur de Fort-Épine se contente donc de lancer aimablement : « Je suis navré de l’apprendre. Allez vous mieux à présent ? » Sait-on jamais qu’il soit un de ces fous qui se mettent en rage parce qu’ils revivent les batailles passées et qu’il s’en prenne à Marla…mieux vaut le savoir. En attendant, Lowell est disposé à répondre à certaines questions. « Si fait. Pas sur le même flanc que vous, je le pense, je vous aurais vu. J’ai été blessé lors de la bataille. J’ai versé de cheval et celui-ci est tombé sur moi. Apparemment que mon épaule se soit remise est un miracle ! » Son regard s’assombrit alors qu’il observe le paysage devant lui : « Mon frère a eu moins de chance. Je cherchais à l’atteindre pour le sauver, mais je n’ai pas pu parvenir à lui à temps – c’est à ce moment là que j’ai été blessé. »

Il y a un moment de silence. Blount coule un regard intrigué aux deux gamins, qui semblent attendre de sa part une sentence définitive ou un avis expérimenté sur Winterfell. A la vérité il n’en a aucun, parce que tout guerrier et commandant expérimenté qu’il soit, Lowell n’avait pas plus qu’eux connu de telles choses. « Nulle bataille ne saurait être comparée à celle-ci. Et pourtant, j’ai fait Cendregué, les Cloches, le Trident et le siège de Pyk et quelques autres encore lorsque j’étais en Essos…personne n’en est revenu indemne, je le crains. Mais nous sommes là, ce qui est le principal et nous devons nous tourner vers l’avenir, sans quoi nous passerons notre vie à stagner à la même place. » Cela lui permet de revenir au cas Elias Buckwell et de formuler certains avertissements à demi-mots, qu’il croit nécessaire pour que son message passe. Il ne le déteste pas, il n’a rien contre lui, mais il est mis à l’épreuve et sous surveillance. « Je crois que nous avons vu la même chose et que l’on ne peut pas trop vous tenir rigueur pour le passé. Mais je vous avoue que je m’interroge quant à votre avenir, ser Elias. Ma nièce croit aux promesses que vous lui avez faites. J’aimerais croire que vous les tiendrez, moi aussi. Mais je ne suis pas disposé à vous laisser lui briser le cœur une nouvelle fois. » Comprendre : je ne suis pas un méchant homme, mais je vous broierai si vous vous avisez de lui faire du mal. Il estime que c’est son rôle, en tant qu’oncle, puisque Anton n’est plus parmi eux pour le faire. « Je vous pose la question. L’aimez vous sincèrement ? Et avez-vous l’intention de vous comporter en fiancé, puis un mari, digne de ce nom ? » Il n’y a qu’une réponse possible, alors c’est un peu un piège. Mais que Elias s’avise de dire oui et de ne pas se comporter comme tel, et alors la promesse de représailles deviendra réalité.

   

Lord Blount semblait curieux de savoir ce que j’avais entendu sur son château. Je lui décrivis donc ce qu’on m’avait raconté, concernant les différentes tours, les murs, etc… Puis, il m’expliquait ses projets concernant la suite des rénovations, et j’hochais la tête, curieux de voir tout ça en vrai.
La conversation tourna finalement vers Marla, la jeune femme que je courtisais, qui se trouvait en famille avec Lord Blount. Je lui expliquais les raisons de mon si long silence, et il s’enquit de ma santé. Je le rassurais, disant que ma période de guérison m’avait permis de retrouver la santé. J’essayais de dédramatiser l’impact mental de cette guerre, ne voulant pas effrayer le jeune écuyer qui nous accompagnait.
Lorsque le seigneur parla de ce qu’il avait vécu à Winterfell, l’ambiance s’assombrit rapidement. Il avait été blessé, comme moi, et y avait vu des proches périr. Je restais silencieux, les yeux légèrement baissés. Je n’osais parler du père de Marla et Renfred, que j’avais vu combattre sur le champ de bataille. Il conclut en disant que la bataille de Winterfell était du jamais vu, et qu’on devait désormais se tourner vers l’avenir et ne pas stagner. J’hochais la tête, me disant qu’on aurait dû trinquer à cette déclaration.

La conversation revint sur le sujet de ma relation avec Marla. Et Lord Blount avait beau y mettre les formes, je sentais la « menace » dans la façon dont il parlait. Je répondis avec le plus de sincérité possible :

-Depuis que l’on s’est rencontrés, lors du mariage de la reine, je ne pense qu’à elle. Et je compte la rendre heureuse. Faire d’elle une femme comblée… Je l’aime véritablement et ferais tout pour passer le reste de ma vie à ses côtés.

J’entendis alors Renfred rire. Réaction typique d’un enfant de son âge. Je souris, et tournais la tête vers lui. Je lui dis alors, taquin :

-Oh, tu verras, ça t’arrivera aussi un jour… D’ailleurs, les sentiments que j’ai pour Marla ont été une de mes principales motivations pour aller mieux après Winterfell. Je voulais à tout prix la revoir.

Je regardais Lord Blount après avoir dit ça. J’étais sûr qu’il comprenait que ce n’était pas des paroles en l’air. Le voyage se poursuivit, quand j’entendis une clameur au loin. Et, pendant quelques instants, je sentis mon sang se glacer. Ces cris me faisaient penser à des scènes de bataille… Je finis par retrouver mes esprits, et compris que ces cris n’étaient pas du tout liés à une quelconque horreur… On commençait à voir le village d’où venaient les cris. Et il s’agissait juste du jour du marché, où ça criait plus que de raison.

   

   

L’aime-t-il vraiment ? C’est la question à mille dragons que Lowell Blount se pose à propos d’Elias Buckwell et qu’il doit forcément résoudre. Est-il sincère ? En l’écoutant se défendre, il voudrait bien croire et admettre que oui. Cela parait peut être affreusement cliché mais il comprend ce que le jeune chevalier veut dire. Comment ne le pourrait-il pas ? Il n’était pas du genre à s’exprimer ainsi, jeune, Blount. Le Ferrailleur n’a jamais été aussi éloquent et c’est d’ailleurs peut être pour cette raison – parce qu’il n’a pas osé protester, affirmer son amour de la façon la plus large et la plus véhémente possible – qu’il a perdu Rosamunde, sa Rosamunde, mariée à son frère alors qu’ils s’aimaient. Mais c’est bien quelque chose de similaire qu’il ressentait, avec l’intensité de la jeunesse, qui pousse parfois à être ridicule, et s’il avait eu l’éloquence et l’honnêteté d’Elias Buckwell, alors c’est que Lowell aurait dit. « Alors il faudra vous montrer digne d’elle, mon garçon. » Finit-il donc par dire en acquiesçant un peu abruptement.

Il n’est pas encore tout à fait convaincu, pour autant. Le Ferrailleur est un sceptique et il se méfie aussi des beau-parleurs. Combien a-t-on vu de ces beaux-parleurs capable de faire des sourires d’anges, à qui on donnerait les Sept sans confession et qui vous trompent ensuite ? Non, Buckwell reste mis à l’épreuve, d’autant que son passif ne joue pas en sa faveur. Il lui fait plutôt bonne impression, ceci dit. Blount lui trouve une figure et un discours honnête. Alors il reste mis à l’épreuve, mais il aura une chance. « Vous avez là la chance de donner un tout autre tour aux relations qui unissent les Farring et les Buckwell. C’est une chance de dépasser le destin, il faut savoir la saisir, d’autant que vous êtes destiné à devenir seigneur à votre tour. »  Le ton s’est fait grave un instant, car après tout il en va ici des enjeux familiaux qui dépassent largement ceux d’un mariage d’amour. C’est aussi les relations de deux familles qui comptent au sein des terres de la Couronne qui se joueront là, justement à cause de ce mariage d’amour…Blount a presque envie d’y croire, parce qu’il sait ce que peuvent faire, d’expérience, les vieilles haines familiales…mieux vaut les purger rapidement si on le peut.

Alors il se laisse aller à rire à son tour : « Il est vrai ! Nous verrons ce qu’il adviendra de toi, jeune Renfred, lorsque ce sera ton tour…tu peux compter sur moi et sur ser Elias pour nous gausser à ce moment là en retour. Qu’en dites vous, Buckwell ? » Signe que les relations se détendent, il s’amuse et se laisser aller à traiter ce potentiel futur neveu par alliance – ou tout comme – sinon en ami, du moins avec bienveillance. « Que n’a-t-on pas fait pas amour…autant de folies que de guerres. Espérons que vous vous en tiendrez aux folies romantiques, ser Elias. » C’est là l’autre risque, car la guerre est bien là et la situation est des plus complexes en ce qui concerne les mariages. Il faut donc espérer, précisément, que par amour, en admettant qu’il existe, cette fois, Buckwell ne se laisse pas aller à des idioties regrettables. Lowell a vu ce que cela avait pu donner avec Rhaegar et la jeune Lyanna Stark à Harrenhal, et même à l’échelle Buckwell/Farring et il sait donc qu’il faut surveiller, chez les amoureux, le désir comme le lait sur le feu.

Les clameurs qui lui parviennent à l’orée du village qu’ils atteignent lui paraissent rapidement anodines. Mais Blount a surpris le sursaut du jeune homme, mouvement de panique vite corrigé. Il est enclin à le traiter avec bienveillance et annonce avec assurance : « Des marchands qui s’empoignent. Rien que de très habituel. Nous traversons ? » Ce n’est pas tout à fait un choix qu’il laisse au jeune homme. Il connait cette vigilance qui gagne les hommes qui ont vu des horreurs, comme si elles pouvaient recommencer à tout instant. Souvent, elle passe, mais chez certain, elle s’éternise et elle est perçue comme une faiblesse. Pour l’avoir vécue et affronter, Lowell a plutôt de la compassion pour le jeune homme. Mais ce ne sera pas le cas ce tous. Alors qu’ils traversent le village, il se fend donc d’un conseil bougon : « Il vous faudra apprendre à dominer cela. Même si les échos restent, je le sais, et que c’est plus facile à dire qu’à faire. Avec le temps cela viendra. Vous ne sursauterez plus. » Plus facile à dire qu’à faire, il le sait, mais ça non plus, ce n’est pas vraiment un choix. « Nous vivons tous avec des fantômes et la peur qu’ils reviennent. Chaque guerre en a son lot. On s’y habitue. Si je puis me permettre un conseil, c’est d’apprendre à le maitriser. Le plus tôt sera le mieux. Sinon d’aucun chercheront à en tirer d’avantage ou feront de vous une cible pour leurs moqueries. »

   

   

Lord Blount et moi avions trouvé un terrain d’entente sur un sujet : taquiner Renfred Farring. Mais, comme à chaque fois que la situation semblait se détendre, le sérieux reprit finalement sa place.
On arriva à proximité d’un village d’où venait une clameur. Ca m’avait rappelé des mauvais souvenirs, et je me figeais un instant. On traversa le marché, et le seigneur me donna des conseils. Il avait perçu ma peur à l’entente des cris. J’hochais la tête, l’écoutant avec attention, et dis :

-C’est également ce que m’a dit le maestre du château. J’ai passé une longue période isolé de tout bruit, donc il faut que mon esprit se réacclimate à tout ça… J’ai d’ailleurs demandé à un des pages de me surprendre en faisant du bruit de temps à autre. Peut-être que Renfred pourrait assumer ce rôle pendant mon séjour ?

On finit par arriver à l’autre bout du village et, bien vite, nos chevaux accélérèrent afin de retrouver une vitesse de voyage plus convenable…


Le périple se poursuivit, les conversations s’enchaînant. Et, au bout d’un moment, j’aperçus des tours au loin. Je les désignais à Lord Blount et dis :

-Je suppose que nous sommes presque arrivés ? Elles ressemblent énormément aux descriptions que j’ai pu trouver dans les ouvrages des Epois. A moins que l’ouvrage ne soit faux, ou qu’un seigneur de la région ait décidé de copier votre style…

Si je devais donner une probabilité au fait que nous approchions de Fort-Epine, j’aurais dit environ 9 chances sur 10. Il était relativement peu probable que ce soit un autre château…
On continua d’avancer, et on commença à apercevoir des structures installées pour les rénovations. Je souris un peu, content de voir que notre destination n’était pas loin. J’examinais le château, essayant de garder en mémoire le maximum de détails afin de les retranscrire plus tard.

   

   

Point positif pour Elias, il s’était pris en main et semblait avoir conscience qu’il avait un problème. Loin de s’apitoyer sur son sort, loin d’être vaincu, il semblait décidé à guérir et tourner la page. Ce n’était pas le signe d’un homme perdu, battu, bon à jeter car brisé par la guerre, mais plutôt d’un jeune homme avec du potentiel, potentiel qui aurait pu être gâché par les Spectres. Cela plut à Blount, car plus d’un s’étaient trouvés dans cette situation sans se relever. Une telle force de caractère était certainement à mettre à son crédit, et finalement, c’est plaisamment que Lowell plaisanta sans renchérir : « Vous n’aurez pas à lui demander deux fois, n’est-ce pas Renfred ? »Celui-ci approuva vigoureusement de la tête, ce qui fit rire lord Blount. Le gamin voulait bien faire et comprenait vite ce qu’on lui disait ; ils s’apprivoisaient encore, mais à lui aussi, il lui trouvait du potentiel et estimait pouvoir en faire un chevalier très capable, un jour. Il ajouta d’ailleurs pour Buckwell : « Jaremy m’a dit qu’il avait une puissance de voix étonnante pour son âge. Un atout dans une bataille. On fera quelque chose de ce garçon, j’en suis sûre. Lady Marla m’a dit que c’était la seule condition à laquelle elle me le laissait, de toute façon, et je ne saurais rien lui refuser.  » En réalité Lowell n’avait pas à se forcer, tant il aimait sa petite cousine – et puis de toute façon, il voulait vraiment faire de Renfred un bon chevalier.

Le voyage continua sur la route de la Rose, toujours plus vers au sud sans heurts après cette incartade. Bientôt l’on atteignit le Bois-du-Roi et rapidement, sur les terres Blount. Lowell, qui connaissait bien le chemin, avait reconnu cela depuis longtemps : ici, la frondaison des arbres lui semblait aussi lisible qu’un livre ouvert, alors même que le château n’était pas encore en vue. Il apparut avant le tournant de la route, dépassant la cime des armes depuis sa motte castrale et ses tours conçues pour voir loin, jusqu’à la fin du bois. C’est là que Buckwell le remarqua et Blount salua son à propos d’un air appréciateur : « Vous êtes bien renseigné, ser Elias ! Oui, c’est bien Fort-Épine. Je n’ai pas encore d’émules, à ma connaissance. Cela viendra peut être après les travaux de restauration, qui sait ! Nous y arriverons dans quelques temps ; ce que vous voyez est la Tour-Épine. Depuis son sommet, on voit aux alentours jusqu’à la Baie de la Néra, et au Sud-Est, on devine la route de la Rose jusqu’à Chutebourg. » Et le feu qui s’ensuivit, lors de la bataille, les Sept l’en gardent… Il n’en souffla mot, préférant le sujet plus aisée de sa famille et du château. Lowell était fier de Fort-Épine et du travail accomplit depuis son retour, alors forcément, il était un peu sensible aux flatteries. L’architecture l’avait gagné comme il avait aimé la stratégie militaire, les tournois et les campagnes ; finalement, c’en était peut être une, justement, de campagne. Alors son intérêt était sincère. Au-delà de la mise à épreuve d’Elias, il voulait vraiment voir ce qu’un dessinateur, habitué à la perspective, pourrait apporter à ces travaux finissant. Un œil neuf était toujours utile.

« Et qu’avez-vous lu d’autres sur nous ? Je suis curieux. Nous ne faisons guère parler de nous dans les livres d’histoires… » Cette question là portait sur un sujet un peu différent. Lowell n’était pas à l’aise avec les relations politiques et les rumeurs. Mais il savait l’importance de la réputation : il n’ambitionnait pas de briller ou de gagner des partisans pour obtenir plus de pouvoirs. Mais comme dans une campagne, là encore, mieux valait préparer la guerre si on voulait la paix et il fallait tenir compte des langues de serpent qui pouvaient nuire. Le Donjon Rouge en était plein et le malheur était que certains commandaient à la marche du royaume. Et puis Lowell voulait que la réputation des Blount soit à l’image de leur devise : droite et sans tâche.

La discussion continua donc un peu sur ce sujet, avant qu’ils n’arrivent au domaine lui-même et aux jardins. Là les attendait un petit groupe d’hommes de la garnison de Fort-Épine, à qui le Ferrailleur fit signe : « Ah, voici mon maitre d’armes, Alliser, qui vient à notre rencontre pour nous accueillir. » Au sein des Terres de la Couronne, on voyageait encore à peu près paisiblement, mais ici on approchait de la frontière de deux régions moins paisibles, surtout en ce qui concernait le Bief. « Tout va bien, Alliser. Nous n’avons guère croisé de monde sur la route. Tout est calme. Et ici ? Venez, ser Elias, et viens aussi, Renfred. Voici Alliser, mon maitre d’armes. Alliser, voici Renfred Farring, mon nouvel écuyer. Je compte sur toi pour les entrainements. Et voici également ser Elias Buckwell, des Épois. » Le petit cortège se remit en marche, Alliser résumant les dernières nouvelles du fief à Lowell – rien de neuf, juste la vie courante et normale, même si tous restaient en alerte, les yeux tournés vers le Bief. « Bon, parfait, suivez le conseil de mestre Josmus pour le petit Hendry et je verrais directement avec ses parents… »

S’apercevant qu’il oubliait un peu ses invités, Lowell se tourna de nouveau vers eux depuis sa selle, désignant et expliquant au fur et à mesure les travaux qu’ils voyaient : « Nous allons passer au travers des travaux, mais cela ne fera qu’un peu plus de poussière. Vous constaterez peut être que l’apparence du château, comme son intérieur, est très différente des descriptions anciennes, ser Elias. Nous l’avons entièrement rénové depuis 301. Désormais nous finissons les travaux défensifs. Nous avions deux enceintes et il nous manquait une poterne digne de ce nom. Nous avons enfin fini la poterne et nous nous sommes attaqués aux douves et à la construction d’une dernière enceinte, la troisième, au-delà, qui protégera les jardins qui entourent le château lui-même et le moulin. Ainsi nous serons relativement autonomes en eau et en provision si nous étions assiégés quelques temps. Enfin, je ne veux pas vous influencer et vous laisser croire que j’ai déjà tout décidé. Le plan des travaux est déjà arrêté, mais si je vous fais venir, c’est justement pour que vous nous donniez votre avis dessus, et qui sait, nous changerons peut être. »

En parlant, ils arrivèrent à la cour, et c’est avec plaisir que Lowell démonta. « Ah, voilà Fergon, l’intendant. Nous vous avons fait préparer une des chambres de l’aile des invités, de ce que Alliser m’a dit, c’est bien ça ? » Blount lui-même avait hâte de retrouver les siens, d’appartements, vastes et neufs. Ah, prendre un bain et quitter ces foutues bottes…que c’était bon d’être à la maison. Pour un peu, il en serait presque devenu casanier – ou peut être avait-il simplement appris à apprécier le confort d’un lit entre deux voyages à bride abattue. « Vous pourrez ainsi vous rafraichir. Je vais aller installer Renfred, puisqu’il reste avec nous à demeure. Voulez vous visiter le château avant ou après le diner ? Ou nous pourrons faire cela demain lorsque nous irons voir l’extérieur. Dans tous les cas sentez vous libre d’accéder à la bibliothèque. »