Salt and sand (ft Asha Greyjoy)

L'événement avait attiré une partie de la bonne société dornienne, pas tant des nobles que les affairistes ou les marchands s’étaient comme donnés rendez-vous à Lancehélion pour l’occasion. La nouvelle ne s’était pas pour autant répandue très rapidement, il ne s’agissait pour le moment que de simples discussions et pour apprendre l’existence des tractations en cours il fallait avoir ses entrées à la capitale. Nymella Toland était figée comme un roc à Spectremont et laissait à sa fille les affaires à Lancehélion, façon de préparer passivement son héritière à son futur statut mais surtout, Lady Toland se devait d’admettre que sa fille brillait particulièrement pour les affaires diplomatiques. Ainsi dans l’idée de ne pas être des grands oubliés des jeux de pouvoir dorniens, Valena s’était rendu à Lancehélion dans le cadre des intrigues entre quelques fer-nés et le Prince Doran Martell.
“Bonjour lady Toland ! Que nous vaut votre venue ?” Un des quelques chevaliers mondains au service de la famille princière réussit à attraper Valena aux détours de quelques couloirs du Vieux Palais, d’apparence bourru, ce chevalier ne s’était jamais illustré au combat, il s’agissait plus d’une larve arriviste comme toutes les cours de westeros pouvaient en connaître, genre de parasites mondains qui perdent leurs vies dans des soirées, des fêtes ou des jeux, bref, loin de l’imaginaire bieffois de la chevalerie et plus proche de la bourgeoisie essossi. Petit, brun et prétendument assez fortuné le personnage tournait depuis quelques temps autour de Valena et la jeune femme attendait qu’il ose enfin faire une demande en mariage, qu’elle puisse enfin lui refuser sa main et que ce jeu ennuyeux s’arrête pour de bon.
“Ah ! Vous ! Ici !”
“M'auriez-vous imaginé autre part ?”
“Non, non, du tout… Vous êtes… parfaitement à votre place.” La réponse dubitative ne laissait pas de place au doute, c'était le début d'une moquerie, et au chevalier de s'en rendre compte.
“Ooooh ! Mais serait-ce une pointe d’ironie Lady Toland ?” Un petit rire gras pour ajouter à l'apparence désespérante de cette discussion venait conclure la question.
“Vous me connaissez bien Ser…”
“Oh, à force, vous savez… Mais dites-moi, aurais-je le plaisir de vous avoir à dîner ce soir ? Je tiens une..”
“A dîner ? Pardon ?” Les yeux écarquillés, Valena n'en revenait pas, l'insolence de cette question lui sautait au visage comme une insulte.
“Oui… chez moi.”
“Pardon ?”
“Non, oui… Euh, excusez-moi je m’embrouille, je voulais dire euh chez… euh..”
“Oui ?” Le ton de Valena devenait plus ferme.
“Chez euh… et bien je… Je crois que… Un Labriaux organise quelque chose…”
“Labriaux ?”
“Oui… je crois, peut-être, à moins que ce ne soit chez…”
“Il s’agirait de vous souvenir où vous voudriez m’embarquer, Ser. Je pense que vos mots ont dépassé votre pensée et que nous pouvons mettre cela sur votre dur et consciencieux entraînement. Je ne vous en fait pas rigueur cependant j’attend de vous un comportement à la hauteur de votre rang. Et du miens. Nous sommes d’accord ?”
Alors qu’il commençait à balbutier quelques excuses, des pas venant de derrière Valena se pressaient, des bottes qui claquaient fermement sur le sol pavé et raisonnaient dans les couloirs frais du Vieux Palais, une sorte de marche martiale. Le chevalier stoppa ses excuses pour prendre un air narquois, un sourcil relevé, il avait oublié sa discussion et sa déconfiture pour fixer cette ombre qui avançait. Valena, encore plus surprise par cette étrange réaction que par le manque de tact de son interlocuteur qu’elle dévisageait désormais avec un mépris souverain attendait de voir cet étrange personnage apparaître dans son champ de vision.

Quelle ne fût pas sa surprise de voir apparaître devant elle une femme. Mais pas n’importe quelle femme, le pas chaloupé des marins, elle avançait fermement, le visage dur, une peau hâlée, des cheveux bruns et une tenue rocambolesque. Habillée comme un homme, elle portait ce qui semblait être un pantalon et une tenue assez sombre, trop chaude pour la région. Plus que détonnant, ce portrait était spécifique, l’esprit de Valena ne mit pas longtemps à absorber l’information et à faire des liens logiques. L’héritière de Spectremont abandonnait son chevalier tout penaud à son idiot petit mépris. La gloire de Dorne dépassait tout les petits à priori qu’un homme pouvait avoir à l’encontre d’un peuple. Il s’agissait là de la grande politique, du Grand Jeu. Après un pas de côté pour se différencier de l’impoli, Valena attrapait du bout des doigts sa robe bleue lysienne pour faire l’une de ses plus belles révérences.
“Lady Greyjoy ! C’est une joie immense pour moi de vous accueillir parmi nous.” Valena se relevait avec un magnifique sourire et des yeux pétillants à la fois de curiosité et aussi d’une pointe de malice, voilà qu’en plus de rencontrer quelqu’un d’extraordinaire elle allait rencontrer la bonne personne. “Valena Toland de Spectremont, pour vous servir, ma dame.”

D’abord comme étonnée, c’est un petit mouvement de l’un des compagnons de la Princesse qui ouvrait la discussion alors que la délégation dornienne se coupait en deux pour permettre à Valena de présenter ses attentions. Valena gardait son sourire fixe comme une statue, sans trop d’émotions apparentes elle se devait d’admettre que cette rencontre assez atypique était pour le moins troublante. Cette femme, jamais de toute sa vie Valena n’avait pu en rencontrer de pareille et tandis que la petite troupe continuait sa route laissant les deux femmes et quelques gardes, il se dessinnait une forme d’apréhension. Jamais, l’héritière de Spectremont n’avait été à un niveau si important de la diplomatie et des affaires de l’Etat. Elle connaissait pourtant les intérêts de Dorne et même si la décision du Prince et la raison de cette entrevue était encore mystérieuse pour elle, Valena pouvait se borner à une information : ces gens étaient des invités de Dorne, ni des ennemis, ni des prisonniers. Pour le moment. La petite cohorte de gardes qui suivaient Asha Greyjoy et ses compagnons témoignaient néanmoins de l'ambiguïté de la situation. Mais au delà de ça, Valena savait quels étaient les intérêts de sa famille et ses positions, la solution diplomatique était toujours de mise et les conflits devaient être évité, le sang dornien ne coule pas en rivières il fallait donc le préserver tant il était rare comparé à d’autres terres comme le Bief où le nombre est une force suffisante pour que l’on puisse la sacrifier.

Le beau sourire de Valena, d’abord radieux, ne pouvait trahir sa gêne lorsque Asha Greyjoy se mit à parler, son langage était effectivement loin d’être celui d’une Lady. Mais cet éloignement des moeurs westerosi pouvait ici se révéler être un avantage, cela ne pouvait pas être que négatif pour Valena qui voyait bien que cette distance culturelle de Port-Réal était une aubaine, plus le pouvoir Targaryen était coupé, plus Dorne avait de chances de voir sa volonté triompher. Cela passait bien entendu par un recul significatif de l’importance des influences continentales sur ses voisins. Les yeux de la dornienne trahissait malgré tout son étonnement, cette rencontre était surprenante et même si les livres n’étaient pas avares de détails sur les fer-nés, la réalité de leurs coutumes, de leur accoutrement était une surprise tant cela était différent de Dorne, des Bieffois ou des essossi. Plus qu’une nouveauté, c'était un choc. Valena devait se concentrer avec toute sa force pour ne pas frémir à chaque mot de la fer-née. Elle attendait de répondre avec un air gêné. Pire que ce qu’elle pouvait imaginer, la Princesse Greyjoy admettait un accueil plutôt froid de la part des locaux, chose qui n’était pas si étonnant au vu des différences culturels, mais une fois le choc passé, les choses seraient certainement différentes, d’autant si les négociations avec Doran Martell aboutissait à quelques nouvelles positives.

Visiblement l’escorte de la délégation fer-née n’était pas non plus quelque chose fortement appréciée tant les soldats de la maison Martell restaient proches, un regard froid et presque accusateur envers ces étrangers. “Une joie, oui ! D’ailleurs je suis certain que si votre sécurité est une affaire qui intéresse notre souverain, les discussions que je pourrais partager avec vous n’ont pas forcément ambition d’être écouté du commun…” C’est un regard de mépris que Valena lançait aux gardes Martell qui étaient beaucoup trop près d’elles à son avis. Si garder sous surveillance de tels invités est une excellente idée, la garde ne devait pas oublier les rangs de ceux-ci encore moi quand, elle, l’héritière de Spectremont voulait s’adresser à Asha Greyjoy, quelques oreilles indiscrètes n’étaient pas les bienvenues. Les gardes firent un pas en arrière. Ca ne suffirait pas à Valena qui continuait, entre deux sourires à son interlocutrice, de jeter une moue colérique à cette escorte qui l’importunait tant.  

“Je comprends, Princesse.” S’il fallait choisir entre le prénom, le grade marin et le titre de noblesse, Valena préférait largement respecter les usages à propos. La familiarité de cette princesse l'estomaquait. Finalement le chevalier qu’elle avait croisé juste avant semblait être un modèle de respect et de retenu. “Mais sachez que si certains regards peuvent paraître étonnés c’est très certainement plus dû aux différences que partagent nos peuples et à la surprise de voir des coutumes si exotiques qu’un quelconque mépris ! Je vous assure en ma personne et en celle de quelques amis de la bonne noblesse dornienne que c’est avec toute la reconnaissance diplomatique et le respect dû à votre rang que nous vous accueillons bien volontiers chez nous.” La parole donnait un peu de courage à Valena, elle semblait moins impressionnée au fur et à mesure qu’elle parlait son assurance décuplait. Le son de la voix de la jeune femme pouvait paraître moins hésitant, moins chevrotant. “Je suis certaine que si vous laissez un peu de temps aux curieux et aux sceptiques ils sauront parfaitement apprécier la teneur de votre visite. Après tout, nous avons peut-être plus en commun que ce que les apparences peuvent laisser croire.” Finalement fière de sa prise de parole, tout l’ego de Valena allait s’effondrer de nouveau alors que Asha Greyjoy prenait sa proposition de service au sens littéral avec son accent trop populaire pour les belles allées du Vieux Palais.

Décontenancée, Valena reconnaissait quelques difficultés à garder son sourire de façade. “Vous servir, oui…” Prise au dépourvue c’est finalement l'orgueil qui allait prendre le dessus, comme un mécanisme de défense. “Je peux, je le crois, vous rendre toutes sortes de services ici, Princesse. Je ne voudrais pas exagérer mon importance mais je crois que les miens ont quelques capacités de manœuvres que tout le monde ne partage pas dans notre pays. Dites moi donc de quel service vous avez ardemment besoin et au nom des bonnes relations qui pourraient naître entre nos peuples je me sens tout à fait capable de vous rendre ce service, quel qu’il soit. Je rajouterais même, votre altesse royale, qu’en dehors des Martell vous ne trouverez personne ne pouvant plus vous aider ici que les intérêts que je représente.” Un air beaucoup plus sérieux, Valena savait qu’elle en avait trop fait. Mais elle ne savait pas non plus comment répondre à cette interrogation. Elle voulait que le voyage des fer-nés se passe bien, que la bonne entente avec d’autres peuples puisse largement apporter à Dorne. Alors oui, si on lui demandait de soulever des montagnes elle le ferait, tout pour la gloire de son nom, comme dirait sa mère… Mais elle ne pouvait s’empêcher d’avoir au fond d’elle une crainte de cette étrangère si impressionnante et de ses ambitions.

L’accent particulier de la Princesse, son habitude de mâcher ses mots, ses expressions presques vulgaires, toute cette phrasé continuait d’étonner Valena qui gardait néanmoins une expression de marbre, même si l’envie de faire une grimace à chaque mots de la Greyjoy la tiraillait. Elle se demandait ce que cette femme serait devenue si elle était née autre part, en quelques secondes elle imaginais ce visage gracieux préservé du soleil, du vent marin et d’une vie d’efforts, dans un château bieffois, cette Princesse eut surement été l’une des plus particulièrement brillante de sa génération, tant son caractère fort et sa présence imposait le respect. Même la grande Margaery Tyrell aurait eu une concurrence rude. Mais il avait fallu qu’Asha Greyjoy soit Asha Greyjoy et qu’elle soit à Lancehélion aujourd’hui. Son air joueur, son regard pétillant d’intelligence, son teint de marin expérimenté, tout en elle semblait mêler à la fois l’aventure, le danger mais aussi un esprit vif et une bonne connaissance des intérêts de son père.
“C’est pour ça que j’suis surprise de vous voir m’approcher comme ça.” Oui, belle surprise, on pouvait l’imaginer mais Valena avait appris à saisir les opportunités. Et les relations diplomatique entre Dorne et d’autres nations étaient devenues rare et la venue des fer-nés dont on pouvait facilement deviner, dû au statut partagé d’anciennes provinces des Sept Couronnes, que leur présence avait quelques buts diplomatiques, encore mieux, ils pouvaient avoir des ambitions commerciales, sorte de rêve absolue pour Dorne que de s’extraire enfin d’une situation économique proche de l’isolationnisme total. Mais ce n’était qu’une série de suppositions. Ils pouvaient très bien simplement demander quelques accès aux côtes dorniennes pour traverser les Degrés. Valena ne voyait pourtant pas de quoi être surpris, en fait, ce qui la surprenait au contraire c’était la distance que mettait les nobles dorniens avec cette opportunité sur patte qu’était cette délégation. Spectremont et les Toland avaient toujours été des artisans de la résolution diplomatique quand elle pouvait être utilisée, ils étaient des commerçants autant qu’ils étaient des nobles, leur fief et sa position à cheval entre l’Orage et les Degrés n’était pas seulement dû au hasard de l’histoire mais à une volonté stratégique de se placer au chemin entre deux mondes, les Royaumes westerosi et les Républiques essossi. Alors quand l’horizon des contacts s’ouvrait, il était évident qu'un, où plutôt qu’une Toland serait là pour sauter sur l’occasion.

“Personne hormis vous et surement le Prince et ses conseillers ne connaissent les raisons de votre présence ici, Princesse, mais sans vouloir jouer aux devins où interpréter les signes de la géopolitique il ne me paraît pas… ‘inconcevable' de percevoir certaines choses qui pointent dans une bonne direction. Nous avons une chose en commun : nous n'obéissons plus au même maître. Voilà une affaire qui pourrait à la fois nous isoler où…” Valena prenait un air plus malicieux et un début de sourire se formait sur le coin de ses lèvres. “... au contraire nous permettre de trouver des points d’ententes. Ce n’est, cependant, qu'une théorie, Princesse.” La phrase était ponctuée d’une discrète révérence, Valena attrapant légèrement les plis de sa robe du bout des doigts. L’idée n’était pas de se prosterner, ni de se jouer d’Asha mais simplement de montrer que malgré sa probable devinette assez rapide et ses réponses directes, l’héritière de Spectremont n’en gardait pas moins un grand respect pour le titre de son interlocutrice.

Tandis que la situation se détendait au fil des discussions, la princesse perdant un peu de son air de guerrier imperturbable, Valena aussi se détendit un peu, plus souriante, elle osait soutenir un peu plus le regard de cette étrangère. Mais elle restait scotchée, perturbée et en dépit des tentatives de normalisation dans le comportement de la Princesse,  elle restait tellement éloignée de l’idée que l’on pouvait se faire d’une grande dame d’une cour. L’idée selon laquelle la Princesse pourrait songer de venir à Spectremont fit rougir un instant Valena, tout décontenancée qui regardait au même moment derrière la princesse en masquant un petit rire. “Oh mais vous y serez les bienvenue !” Entre folie et audace, il n’y a qu’un pas, et en invitant des pirates dans l’une des plus grosses citée côtières de Dorne, Valena savait parfaitement qu’elle oscillait entre les deux notions.
Mais la requête d’Asha passa comme un voile d’ombre sur l’ambition de Valena, bien qu’elle n’en montrait rien, voilà que la seule demande de cette femme était impossible. Bien qu’elle l’aurait voulu, Valena n’était que Valena Toland, certes l’héritière de l’une des plus grandes familles dorniennes, mais elle n’était pas non plus une proche où une parente des Martell et quand bien même, ceux-ci l’eurent été, elle ignorait si cela aurait changer quelque chose et si sa volonté personnelle pouvait influer en quoi que ce soit les décisions du Prince. Elle comprenait bien en ce moment, le manque que ressentait sa mère en ayant échouée de marier sa fille à un membre de la famille princière.

“Il y a, Princesse, quelques domaines dans lesquels je n’ai aucune influence et les décisions de mon Prince et seigneur en font partie, bien heureusement d’ailleurs.” Il fallait présenter cela comme un avantage. “Doran Martell est un homme intelligent et je peux vous assurer que nous, les Grands de Dorne, n’avons aucune influence directe sur ses décisions.” Autant présenter l’homme comme un souverain fort et implacable. Bien évidemment que si, les nobles étaient puissants et ils étaient influents et le Prince savait qu’il ne fallait pas les insulter. Mais il était vrai que Dorne se tenait derrière les Martell, comme un bloc, surtout depuis le conflit diplomatique avec Port-Réal. “Je pense qu’un bon seigneur écoute ses vassaux mais si un seigneur est dépendant des intrigues de cour, c’est très vite un problème… Et Lancehélion n’est pas le nid de vipères qu’est Port-Réal. Alors… je ne pourrais pas vous aider. Mais je suis certaine que votre demande sera rapidement acceptée.”
Valena conclut d’un grand sourire. “Et si je ne peux vous aider pour cela, vous m’en voyez déçue, peut-être y a-t-il autre chose ? L’hospitalité est une grande valeur dornienne que je serais vous faire apprécier.” Si une interrogation se lisait dans le regard de la jeune femme, les fer-nés pourraient aussi lire une lueur de jeunesse, cette envie de comprendre, de découvrir ces étrangés, tout aussi bizarres qu’ils soient à ses yeux.