Regrets et Remords SOLO

La taverne était bondée ce soir… mais personne ne s’approchait de la table du fond, celle où j’étais repliée avec une pinte d’une bière de douteuse qualité encore pleine devant moi. Je n’avais même pas rabattu mon capuchon de ma cape noire qui couvrait mon visage. Mes yeux ignoraient les badauds et autres passants venus boire… Non, ils étaient concentrés sur autre chose. Sur quoi ? Sur un pendentif serti d’un rubis qui reposait dans ma paume, la fine chaîne serpentant entre mes doigts. Ceux de l’autre main, posés sur le pommeau d’une épée posée sur la table, proche de ma bière. Il était magnifique ce collier… Je sentis les larmes me monter aux yeux alors que sous ce présent, des cicatrices fines circulaient sur ma chaire. Celles que je m’étais infligées involontairement en essayant d’oublier une odeur, un sourire, des yeux… une brève étreinte… Puis celles plus longues et chastes lorsque j’étais venue le voir… Les quelques baisers… puis plus rien. Plus de nouvelles, plus de lettres… Une amitié…

J’inspirais profondément en fermant étroitement les yeux, mon poing tout autant autour du collier pour le presser contre mon front en me recroquevillant sur moi-même. J’avais des regrets… des remords. Je ne regrettais aucun mot que je lui avais prononcé, aucune étreinte, aucun baiser, aucun mot ou sourire. Aucun échange. Je regrettais. Je regrettais un millier de fois de n’avoir jamais été là comme lui l’avait été pour moi. Blessure et guerre. À nouveau, j’étais en arrière, interdite de partir au combat, interdite de faire… ce pourquoi on m’avait façonné.

Qui étais-je vraiment ? Qui avait vraiment pu se vanter de m’avoir vu entière ? Même dame Cersei malgré toute l’affection que j’avais pour elle… Ne pouvait se vanter de savoir ce que Ashter savait. Ce que je lui avais confié au creux d’un rêve éveillé, alors qu’il était là… Puis sous cet arbre… Je n’avais plus le droit de rentrer dans sa vie. Alors qu’à chaque instant il faisait partit de ma vie, autant par son épée… qu’avec le souvenir bref de la chaleur que j’avais ressentie quand il me prenait dans ses bras.

Et sa lettre ?

Sa lettre que j’avais gardée précieusement, caché… Son épée je la portais, son bijou aussi… Et ses souvenirs. Ses mots.

Quel regret avais-je ?

Celui qu’il m’ait rencontré. Qu’il m’ait aimé. Pas de moi envers lui, mais lui envers moi. Personne ne méritait de croiser ma route de cette manière. Pour lui, mieux aurait-il fallu que jamais il ne me regarde et ne m’aime. Parce que comme d’habitude, je blessais tous ceux qui venaient proche de moi. Et pourtant, je ne pouvais oublier ces souvenirs, je ne pouvais oublier…

Je ne pouvais que chérir en secret ces moments… ces petits fragments où on m’avait autorisé à me voir autrement que comme un monstre, que comme un animal. À nouveau, lui et Dame Cersei n’avati pas le même regard, pas la même manière d’être avec moi. Je savais l’affection de Dame Cersei, mais j’avais compris depuis le temps que ses premières approches n’avaient pas été sans intention derrière. Je ne lui en voulais pas pour ça, c’était Westeros.

Mais Ashter avait été tout autre. Il n’avait rien attendu de moi… Et su seulement je pouvais… j’aurais fait un marché avec les sept pour échanger nos places avec Melleah. Juste… juste pour avoir à nouveau l’occasion de sentir un peu de chaleur dans la glace épaisse de mon cœur. Qu’est-ce que cela faisait de vivre sans souffrir ? Sans avoir le poids d’avoir… non. D’être quelque chose sans sa place ici-bas ?

C’était un regret sans être un regret… d’avoir découvert que quelqu’un pouvait apaiser les douleurs du cœur et de l’esprit juste en une étreinte et j’aurais aimé retrouver cette chaleur… Mais les dieux étaient joueurs et je savais où était ma place…

Dans la rue, une épée à la main… À servir et mourir sans amour. C’était le destin de ceux naissant comme moi après tout.

J’essuyais mes larmes d’un geste de main avant de saisir ma chope et la porter à mes lèvres.

Et santé Ashter Yarwyck…
Puisse votre vie être longue et douce.
   

Ma chope s’était vidée d’une gorgée de bière. Je ne voulais pas… trop boire, j’avais le ventre creux et j’étais censée toujours représenter la maison Lannister. Vraiment ? Vraiment Sacha… tu étais à son service… Service mon cul… Je reposai la chope sur le bois collant de la table et mon regard vogua sur les poutres noires de suies de la cheminée de la pièce toujours plus bruyante, toujours plus puante, toujours plus emplies d’une espèce de brouillard dû aux pipes fumantes et tout autre chose.

Le bijou dans ma main laissa une trace sur ma paume quand je l’ouvris. Le rubis rouge semblait me regarder et me dévisager, comme l’écarlate des Lannister. Cersei m’arracherait la tête si elle savait tout cela. Je refermais le poing autour du bijou. Je ne pourrais m’en défaire. Comme d’une trace de quelqu’un m’ayant aimé réellement sans idée derrière la tête.

Est-ce que j’en voulais à Cersei de m’avoir… merde… même à cet instant j’avais plus d’impression d’être un animal qu’un être humain… Mais c’était ce que j’étais… un animal. Pas un être humain. Cersei m’avait dressé pour que je la serve. Elle s’était attachée ma fidélité. Est-ce que j’avais honte ? Non. Non il fallait savoir quelle était sa valeur et son rang. Je l’aimais, Cersei, je l’aimais comme… je supposais, une enfant aime sa mère. Elle m’avait dit m’aimer comme on peut aimer sa fille… Je savais que je pouvais la croire. Mais je savais aussi que ce n’était pas pour cela qu’elle m’avait prise sous son aile au début.

Un chien est un chien au début. On choisit un chien pour en faire le sien, qu’il nous obéisse à nous. Pas aux autres. Cersei m’avait choisi, au début, comme on choisit un chien pour le dresser, pour en faire un outil. Et elle avait fini par s’attacher à ce chien. Mais le chien, ou moi c’était pareil en réalité, ne restait qu’un animal qui rendait affection et loyauté… Mais le chien… le chien au moins savait ce qu’il était. Moi ? Moi j’étais quoi ? Qu’est-ce que j’étais pour qui ? Pour la plupart. Une cible… une anomalie… Pour certain… j’avais été un amour éphémère. Et pour Cersei ? Un animal qu’elle appréciait maintenant.

Et moi ? Moi est-ce que j’avais des regrets ? D’avoir servi cette dame la dame du Roc… Elle était dure… comme le monde qui nous forgeait. J’étais celle qui ferait ce qu’elle ne pouvait faire… J’étais celle qui perdrait pour elle son humanité… autant qu’il m’en restait… Et pourtant, je ne regrettais pas. Je ne lui en voulais pas. Parce qu’elle avait été toujours ce que j’avais eu de plus proche d’un rôle de mère… Et on ne pouvait en vouloir à sa mère. Alors elle avait ses défauts, mais je l’aimais… du plus profond de mon cœur. Peut-être disait-elle ce que je voulais entendre parfois, elle venait et fouillait dans ma chambre, ou faisait fouiller… Mais… je lui pardonnais. Je lui pardonnais tout à Cersei.

Étais-je meilleure grâce à elle ? J’en doutais. Quand on naissait pourrie de l’intérieur, comme moi, personne ne pouvait rendre meilleur… Elle limitait les dégâts que je pouvais faire, c’était déjà beaucoup… Elle avait muselé, en partie l’animal… Je caressais la broche à tête de lion de ma poitrine avant de reprendre ma bière et la lever pour un toast.

Santé Cersei Lannister.
Puisse vos vœux être exaucés.
   

Tiens. La première bagarre. Je soupirais un peu en finissant de boire ma gorgée d’alcool en l’honneur de dame Cersei. C’était Meliodas qui serait ravi de me voir boire aussi bien. Moins de savoir que je le faisais le ventre vide. Machinalement, je remis mon collier avant de le cacher sous ma chemise. Mel serait pas content non plus de me voir porter ce collier.

Mel… Mel… Père adoptif. Je soupirais entre mes dents avant de regarder l’alcool que j’avais encore entre les mains et de le boire avant de me lever. Qu’est-ce que j’en pensais ? Moi. De Mel ? Je regrettais. Pas sa rencontre. Je l’adorais. Même s’il avait commencé à veiller sur moi peut-être par amusement, parce que je représentais un défit… ou que Belle Marianne lui avait demandé…

Je me levais, tanguant un peu sur mes jambes, l’alcool montait vite à la tête quand on avait que ça dans l’estomac. Mais je sortis de la taverne en passant mon épée autour de ma taille. Merde… Mel… Meliodas je n’avais… Nous avions souffert tous les deux… Nous pensions un peu pareil… C’était ce qu’il y avait de plus proche d’un père pour moi. Je serrais un peu les dents en me dirigeant vers la forteresse. Je n’avais pas envie de rentrer. Mais il fallait le faire, pour arrêter d’inquiéter les gens, arrêter d’être un poids. Mel faisait de son mieux pour me former, mais est-ce que c’était assez ? Est-ce que je faisais assez pour lui ? J’en doutais. J’en doutais d’être assez forte. De réussir à être ce qu’il soit fier de moi.

Je manquais une marche, mais ne tombais pas en continuant ma route. Mes pas me menèrent tranquillement vers le terrain d’entraînement, là où j’étais en sécurité… Ou presque. Je souris un peu en continuant de marcher… Je me sentais inutile. Mauvais envers tout le monde… Je m’écartais un peu avant de me poster devant un poteau d’entraînement.

« Ça sera à qui ? Après Mel ? »

Je tournais la tête pour regarder l’obscurité… D’où venait encore cette petite voix dans ma tête. Je soufflais entre mes dents.

« Ta gueule… »

Moi ? Elle ? Mes pensées ? Les trois ? Mes doutes et regrets ? Tout ?

Je sortis mon épée.

Merde qu’est-ce qu’il dirait Meliodas ?

« En garde sombre fils de pute. »

Marmonais-je.
   

Il faisait froid, au creux de la nuit. L’alcool ne me tenait pas très chaud… Je serrais les dents alors que la petite voix dans ma tête semblait moqueuse alors que je me mis en garde contre le poteau d’entraînement.

« Ashter. Cersei. Meliodas. Après ça va être qui ? Melleah ? »

Le beau visage de la jeune femme blonde explosa devant mes yeux alors que je levai mon épée pour l’abattre contre le bois encore et encore. Merde ! Bordel de merde ! Melleah… comme tous les autres… comme tous les autres… je lui avais fait du mal, je l’avais blessé, je lui avais fait du mal ! Alors qu’elle avait été gentille, aimable… douce… Elle m’avait même pardonné plein de chose. Pour son époux, j’en savais rien. EN réalité… je ne méritais pas son pardon…

Au fond de moi… Je n’arrivais pas… Je… Je ne pouvais pas l’aimer autant que je voulais. Parce que j’en étais jalouse. Putain de Melleah… Pourquoi elle avait ce que je n’avais pas ? Pourquoi elle avait la gentillesse et la force ? Pourquoi elle était jolie ?! Pourquoi elle savait qui elle était ?! Mon épée s’abattit sur le bois alors que je serrais les dents et les doigts sur le pommeau de mon épée.

« Vraiment ? Juste jolie et gentille ? Oh… Sacha… c’est plus que ça ? Pas vrai ? »

Oui ! Oui c’était plus que ça ! Pourquoi elle pouvait savoir qui elle était ? Pourquoi elle… Pourquoi elle avait la chance de savoir qui elle était ? Pourquoi elle avait la chance de maîtriser et savoir ce qu’on attendait d’elle ? Pourquoi ? Pourquoi elle avait aussi une famille ? Une vraie famille à elle ?! Pourquoi elle avait un époux ? Un enfant ? Des frères ? Un père ? Une mère ? Pourquoi ?!

« Elle est belle, intelligente, elle sait ce qu’elle est, qui elle est, elle a une famille… Et toi ? Tu es quoi ? »

J’avais envie de hurler… hurler à cette voix de se la fermer. Mon épée frappa encore le bois, je sentis mon pied butter contre une pierre, je basculais au sol, l’épée tinta au sol alors que mon estomac se contracta douloureusement pour rendre l’alcool et de la bile dans le sable.

Je… je ne pouvais même pas dire que je détestais Melleah. C’était faux… Je l’adorais. Je la trouvais extraordinaire… Et j’adorerais être comme elle, mais je ne pourrais pas l’être. Jamais. Je repris mon épée pour ramper à quatre pattes vers le poteau pour m’y adosser en m’essuyant la bouche… Sérieusement ? Tu pensais mériter… rien qu’un regard de cette belle dame blonde ?

Ta gueule… Ta gueule. Je sais très bien que j’ai pas mérité les quelques échanges que j’ai eus avec elle. Et elle n’avait jamais mérité de souffrir en me rencontrant. Je toussai un peu avant de fermer les yeux un instant. Putain de merde… J’étais jalouse… mais en même temps, je savais très bien que c’était parce qu’elle représentait un idéal pour un animal comme moi. Je l’aimais beaucoup. Mais… je… je savais que je ne lui en voudrais même pas si elle me plantait. On meurt de la manière qu’on mérite pas vrai ?

Moi je méritais de mourir comme un chien… et même plus de parler de Melleah.