Au soleil, sur une terrasse du soleil…

Il faisait beau. Il faisait presque toujours beau à Dorne. Le soleil brillait presque toujours aussi. Je m’étirais un peu, rentrant de ma séance d’entraînement que je faisais tous les matins, ainsi que le petit tour avec ma jument avant de rentrer, aussi bien pour la travailler un peu que pour passer du temps simplement avec elle. Mais là je retrouvais surtout Seralyon après avoir pris un bain et avoir coiffé mes cheveux. Elle continuait d’explorer lentement son nouvel environnement. J’appréciais sa curiosité et son calme, tout relatif selon les moments. Mais surtout sa compagnie m’empêchait de me sentir trop seule après la séparation avec ma famille.

Je finis de peigner et de coiffer mes cheveux roux, plusieurs petites tresses avec une centrale et Seralyon qui continuait d’explorer ma chambre et les affaires que j’avais laissées en bazar dans ma chambre. J’entrepris d’écrire ma matinée avec beaucoup de soin, pour essayer de ne rien oublier avant de me relever et d’attraper Seralyon qui s’amusait de sauter dans différents coin de ma chambre.

« Hey, boule d’écailles… et si on sortait un peu ? Qu’est-ce que tu en dis ? »

Elle ne semblait pas réellement apprécier l’idée, mais elle me grimpa quand même dessus et se lova autour de mes épaules avec sa douceur habituelle… Je lui offris une caresse délicate sur le museau avant de sortir de ma chambre et de me mettre à avancer dans les couloirs. Elle me mordilla l’oreille, pas tout à fait d’accord à l’idée de sortir de sa petite grotte. Je finis par tourner dans les couloirs jusqu’à m’installer à une terrasse pour profiter du soleil et de la beauté du paysage. Seralyon n’était pas tout à fait d’accord d’être là, elle siffla alors que j’entendais des pas derrière moi. Je tournais légèrement la tête vers la source de bruit alors que Seralyon grognait légèrement en continuant de siffler. Je ne reconnu pas la personne blonde, inclinant légèrement la tête vers elle.

Belle journée ensoleillée à Lancehélion, un vent frais venait adoucir la chaleur parfois étouffante de la capitale dornienne. Valena était venue loger quelques semaines à Lancehélion pour y faire des achats à destination de Spectremont, sa mère souhaitait remplacer une série de tapisseries sur le thème des Sept par quelque chose de plus festif, les plus belles oeuvres d’Essos étaient en vente à Lancehélion. Valena hésitait grandement. L’une des tapisseries originaire de Volantis était un voile fin qui représentait le Fléau de Valyria. La seconde tapisserie originaire de Norvos, plus chaude et épaisse, représentait la bataille du lac de la Dague. La première était magnifique mais le thème des valyriens n’était plus tellement apprécié à Dorne, la seconde plus désuète représentait un thème de prédilection : la bataille qui fît l’indépendance de Norvos face à l’influence volantaine. Qu’est-ce qui comptait le plus ? Le message où la beauté ? La question remuait Valena depuis une journée.  
La tête ailleurs, elle arpentait les couloirs frais sur lesquels donnait sa chambre d’invitée, au bout du couloir elle entendait une voix assez douce qui provenait de l’une des terrasses qui se situait juste en dessous de son balcon.

Prise d’un élan de curiosité, Valena décide nonchalamment de prendre le chemin de cette terrasse. Arrivée au pas de la porte, stupéfaction, sur l’épaule pâle d’une femme à la crinière rousse vive se lovait un petit dragon. Elle en avait entendu parler, la fille bâtarde des Wells, camarade d'enfance d’Ulwyck Uller, son beau-frère, avait auprès d’elle un dragon. L’avenir éclatant de Dorne, l’espoir militaire inattendu, pas plus gros qu’un chien, jouait sur les épaules d’une bâtarde des Wells. Le destin s’était joué de Dorne et les avait remerciés de prendre bien plus soin de leurs bâtards que les autres régions de Westeros.
Intriguée et comme hypnotisée, Valena s’avançait doucement, la bête siffla brusquement dans sa direction, stoppant net l’avancée de Valena. La maîtresse du dragon tourna légèrement sa tête vers Valena et d’un simple geste du front saluait l’héritière de Spectremont.

Tétanisée après le sifflement du dragon, Valena reprenait ses esprits, touchée dans son orgueil d’avoir été ainsi surprise par une si petite bête. Prenant son courage à deux mains, les yeux fixés sur l’animal légendaire, elle avançait de quelques pas, il lui fallait un effort surhumain pour ne pas s’éloigner. Valena se posait à quelques mètres de la bâtarde des Wells, laissant traîner sans un mot son regard sur sa peau blanche comme la neige et sa chevelure rousse comme le feu.  

“Bonjour.”
Valena inspirait grandement et laissait se dessiner un sourire de circonstance, faux mais poli qu’elle avait forgé le longs des interminables soirées protocolaires de la grande noblesse dornienne.
“Valena Toland, je suppose que vous êtes..” Trou de mémoire impardonnable, ce prénom nordien était impossible. “...la fille Wells, d’où le…” D’un coup de menton assez précieux elle désignait le dragon. “Dragon.” Petit rire de circonstance, tout aussi faux que le sourire mais parfaitement interprété. “C’est impressionnant. On doit vous le dire tous les jours mais ça n’est vraiment rien comparé aux livres, en vrai, c’est… émouvant.” Petite touche de sincérité sur le dernier mot qui donnait à la voie de Valena un aspect tremblotant.



   

IElle était blonde, elle était jolie. Jeune ? Peut-être mon âge ? Je ne savais pas très bien qui était-ce… J’oubliais les noms, les visages… Seralyon restait dressée sur mes épaules, mais comme je restais calme, elle semblait s’apaiser un peu sur mes épaules.

« Bonjour. »

Une réponse simple alors que la blonde continuait de me regarder, et regarder la dragonne sur mes épaules qui continuait de l’observer. Valena Toland. Très bien. Elle me donnait gentiment son nom. Très bien. J’inclinai légèrement la tête. La fille Wells ? J’eus un rire amusé, c’était très rare qu’on donne le nom de mon père. Très, très, très rare… Je hochais doucement la tête en promenant mes doigts sur les écailles de ma dragonne qui ondula doucement sous mes doigts alors qu’elle continuait de regarder la Toland. Comparer aux livres ?

« Elle a juste la taille d’un gros chat. Mais elle ne ronronne pas. »

Je murmurais quelques mots à l’oreille de ma dragonne qui restait sur mes épaules.

« Je suis Boadicée Sand. Et voici Seralyon. »

Seralyon tourna la tête vers moi en lâchant un petit cri. Je lui frôlais le museau des doigts.

« Oui, je parle de toi le lézard. »

Je sentais que nos émotions… s’influençaient mutuellement. Je regardais à nouveau la Toland.

« Elle a encore quelques années à passer avant qu’elle ne puisse rien qu’égaler des balistes ou des armes de sièges. Pour l’instant, la seule chose qu’elle brûle, c’est sa viande. »

Je ne voulais même pas une Baelor pour Dorne. Juste au moins une dragonne pouvant notre principauté un peu ! Rien qu’un peu. Je soufflais légèrement sur mon nez, chatouillé par le soleil.

« J’ai été surprise de voir que les Anciens m’aient offert une seconde fille… Ce n’est pas rien après tout, un dragon à Dorne… »

Le dernier dragon à Dorne avait mal finis avec les Wyl ! Et sa cavalière également. Quoi que j’étais une dornienne… Et elle était rouge. Rouge, Martell… Dorne ? Je ne savais pas.

« Puis-je faire quelque chose pour vous Dame Valena ? »

Peut-être avait-elle besoin de moi ?
   

La présence du dragon semblait finalement chose courante et la détente avec laquelle Boadicée en parlait mettait Valena à l’aise, elle pouvait détourner son regard jusqu’ici scotché au reptile.

“Besoin de ? Oh non, enfin peut-être. Je rencontre un problème de la plus haute importance. Peut-être que votre expertise pourrait m’aider ?”

Valena tentait de considérer qu’une femme qui possède un dragon égalait son rang. D’habitude une bâtarde aux allures de combattante n'aurait pas eu un seul regard de Valena Toland, mais le dragon changeait tout. Que les Sept ou que le destin, voir les Anciens eussent choisi cette femme pour lui accorder un dragon donnait un statut tout particulier à Boadicée Sand, aux yeux de Valena. Si elle n’égalait pas encore son niveau d’héritière de l’une des plus anciennes maisons dorniennes, elle avait certainement quitté son statut de bâtarde pour atteindre l’un des sommets de la société dornienne.

“Voyez-vous le problème que je rencontre est épineux. J’ai été missionné par ma mère à Lancehélion. Nous trouvons ici bon nombre de marchands de grandes qualités qui viennent de tout Essos. Et c’est là dessus que ma mission, de la plus haute importance, se base."

La notion d’importance de Valena était très superficielle, elle enchaînait ses mots avec une certaine gravité dans la voix comme si l’avenir de Dorne se jouait entre ses mains. Elle avait même rapproché sa chaise de Boadicée, comme pour éloigner quelques oreilles indiscrètes.

“Je dois choisir entre deux…” Petite pause d’hésitation où le suspens pouvait monter. “... tapisseries pour la grande salle de banquet de Spectremont. J’hésite particulièrement entre l’une originaire de Volantis, très fine, très ouvragée qui représente le Fléau de Valyria, c’est à couper le souffle, grandiose et très finement ouvragé, plus une sorte de suites de grands voiles décoratifs. La seconde tapisserie est originaire de Norvos, plus chaude, plus épaisse, les dessins sont moins spectaculaires et les couleurs un peu plus fades. Cette tapisserie représente la bataille du Lac de la Dague.”

Valena se coupait dans son élan. Est-ce que les bâtards du Nord étaient formés à l’histoire essossi ? La jeune femme reprenait un air plus supérieur, plus hautain pour se redresser sur sa chaise, remettant un peu de distance entre Boadicée et elle.

“Le Fléau de Valyria, vous connaissez j’imagine ? La destruction de Valyria dont sont originaires les Targaryens et les gens de leur race. Un peuple de dragonnier, comme vous. La Bataille du Lac de la dague avait opposé des cités libres à Volantis qui avait une influence considérable sur les autres cités, c’est une sorte de victoire de l’indépendance.”

Son moment professoral et son ton hautain s'évanouissaient une fois ce petit cours d’histoire improvisé fini.

“Vous comprenez donc parfaitement mon embarras. Soit je choisis l'élément le plus beau et je met en valeurs l’histoire des Targaryens à Spectremont, soit je choisis une tapisserie beaucoup moins rayonnante mais, par référence à la situation politique actuelle, je célèbre la lutte pour l’indépendance d’une cité. J’imagine que vous comprenez maintenant tout l’enjeu de ce choix… lourd de conséquences auquel je fais face.”

Toujours un air parfaitement sérieux Valena n'apportait aucune mesure à ses mots, pire, elle s’adressait à Boadicée presque comme à une enfant.



   

J’écoutais la remarque de la jeune femme sans rien dire. L’aider ? Haute importance… Je fronçais les sourcils.

« Peut-être… »

Cela dépendait quoi… bien sûr. J’étais une guerrière avant tout ! Je tiquais légèrement quand elle se mit à parler marchand… mais soit ! Peut-être avait-elle eu un problème physique avec l’un d’entre eux ? D’accord. Non, ce n’était pas tout à fait ce à quoi je m’attendais réellement. Le Fléau de Valyria. D’accord, je voyais plus ou moins ce que c’était. La bataille du Lac de la Dague. Autant dire que Seralyon et moi avions la même expression un peu perplexe sur ce que c’était. Savoir le Fléeau de Valyria. Je hochais la tête.

Au terme de dragonnier, Seralyon se retourna vers moi, me donnant un petit coup de museau et je la repoussai délicatement de la main. Sans doute vexée, elle entreprit d’attaquer mes tresses en tirant dessus et en s’accrochant à moitié à ma tunique. Une victoire de l’indépendance… D’accord. Je grimaçai légèrement quand elle tira plus brusquement sur mes cheveux. J’essayais de rester concentrée malgré le ton de la jeune femme. Un enjeu… particulier en effet.

« Oui… oui je comprends. »

Heureusement que je ne décorais jamais pour ma part. Je ne laissais pas de décors dans ma chambre à part mes affaires. Seralyon se jeta sur ma tresse et je grimaçai en tendant la main pour l’attraper.

« Seralyon ! Ça suffit. »

Elle voulait jouer et autant dire qu’avec mes doigts c’était encore plus drôle : ils faisaient bouger mes cheveux. Rah… c’était encore pire, je finis par enlever ma main avant de réfléchir un peu sérieusement à cette question de tapisserie. Heureusement que le plus urgent de sa vie était cela… Elle en avait de la chance.

« M’est avis qu’aucune de ces deux tapisseries ne va pour les temps qui viennent. Ce sont des temps de guerre de famine et de peur qui peuvent s’abattre. L’argent serait mieux d’être économisé ou investit pour préparer des potentiels affrontements. »

D’accord, c’était peut-être pas tout à fait la réponse qu’elle attendait Mais en même temps, qui dans les temps qui venait, pensait plus à sa décoration qu’à la guerre ! Le sens des priorités de certains m’étonnerait toujours   

Les jeux du dragon sur les épaules de sa maîtresse attiraient le regard de Valena, cet animal, si mystérieux et légendaire, qui avait construit un royaume comme personne n’en avait jamais vu, héritiers eux aussi de l’Antique et puissante Valyria. Voilà que ce tout petit et tout jeune dragon était face à Valena et s’amusait à s’accrocher aux cheveux rougeoyant d’une bâtarde dornienne. Le destin était farceur. Valena restait toujours incertaine du comportement à adopter face à cette petite bestiole. Elle avait tenté de l’ignorer pour raconter ses problèmes mais le jeu de l’animal était captivant, la petite bête s’amusait comme un chat. Un simple chat qui chahutait. Un dragon, comme ceux qui avaient conquis Westeros qui jouait simplement, comme un petit animal anodin. Valena s’était perdue dans le fil de la discussion. “...L’argent serait mieux d’être économisé ou investit pour préparer des potentiels affrontements.”

La dernière remarque réveillait Valena de son hypnose. Elle détournait enfin ses yeux du reptile pour remonter le long du cou de Boadicée et finalement planter ses yeux dans ceux de la bâtarde. “Mh… Oui. Mais vous savez… Si Spectremont devait gagner ou perdre, nous aimerions que les lieux soient présentables. Si les Targaryens devaient tous nous tuer nous aimerions que ce soit tout en étant ébloui par la grandeur du lieu. Si nous devions gagner une bataille importante nous aimerions y fêter convenablement une victoire.” Les yeux de Valena redescendaient le long du corps de Boadicée jusqu’au dragon. “Ils sont déjà venus jusqu’à Spectremont les Targaryens, vous savez lors de la Conquête avec leurs dragons. Ils n’avaient rien, ils ont conquis du sable et de la pierre. Mes ancêtres avaient quitté les lieux. Ces dragons régnaient sur du vide, il faisait des tours à s’en mordre la queue… Et lorsque las d’attendre ils sont partis, nous avons massacré tous leurs envoyés restés sur place.” Les yeux toujours rivés sur Selaryon, Valena mesurait à quel point le rapport de force avait changé. Dorne avait repoussé les Targaryens avec leurs ruses et leurs épées, désormais il y avait un dragon ici. La main de Valena qui jusqu’ici jouait avec quelques mèches de ses long cheveux blonds retombait nonchalamment sur son épaule pour se fixer sur l’une des broches qui soutenait une légère et séduisante robe bleue pastel. La petite broche en or était serti d’un motif en émeraude, celui des Toland, du dragon qui se mordait la queue. Une lueur traversait le visage de Valena.

“Vous me donnez une idée par contre… Et si je faisais une commande ? Un triptyque. Une tapisserie en trois parties : La première avec le Conquérant et sa bête qui attendent comme des imbéciles dans le sable, la seconde la mort du dragon Meraxès par la main des ancêtres de ma belle-famille. La troisième…” Les yeux de Valena, sûrs et durs, se plantaient brusquement dans les yeux de Boadicée. Oui, la bâtarde avait raison, la guerre arrivait et il fallait s’y préparer, il n’était plus l’époque où une tapisserie devait représenter des valyriens ou une victoire étrangère. Le temps de la guerre arrivait et si les Toland espéraient éviter les affrontements sanglants et croyaient encore des discussions possibles ils n’étaient pas dupe, il fallait préparer le pays au pire. Une tapisserie dornienne sur des victoires dorniennes. Et quelle plus grande victoire que celle d’un dragon dans le camp dornien ? Un argument de poids qui après une longue guerre civile donnerait certainement envie aux Targaryens l’idée de discuter avec Dorne plutôt que de foncer sans réfléchir. Il était là, l’argument diplomatique extrême. Dorne sans dragons était resté invaincu, Dorne avec un dragon forcerait la discussion. Un sourire, franc pour une fois, se dessinait sur le visage de Valena tandis qu’elle laissait à l’imagination de Boadicée Sand d’entrevoir ce qu’elle espérait faire coudre comme scène sur la troisième partie de cette tapisserie.



   

Anciens… pouvait-on vraiment m’expliquer l’intérêt de parler tissu maintenant ? J’avouais que je demeurais silencieuse et muette à ses questions et ses remarques. Qu’est-ce que l’intérieur d’une forteresse conquis avait comme importance ? Aucune ! Mais euh… si je disais ça je la vexais… Et j’avais une autre qui était particulièrement vexé de mon intervention dans son jeu en l’attrapant pour la poser sur ma poitrine pour qu’elle arrête de m’arracher des cheveux… Sauf que visiblement elle avait du mal à rester en place et je sentis son grondement contrarié avant de sentir ses coups de pattes sur mes doigts et mes bras alors que je tentais d’écouter toujours d’une oreille.

« Triptyque, hein ? »

Oui pourquoi pas… actuellement je tentais de sauver mes mains des coups de pattes griffues de ma dragonne qui n’aimait pas être contrariée. Par tous les dieux ! Voilà qu’elle tentait de mordre ! Mais c’était pas vrai ! Je la repoussais sèchement pour éviter les morsures.

« Seralyon ! Veux-tu bien arrêter oui ? Mes mains c’est pas des bavettes ! »

Bientôt elle allait me les flamber ! Et j’avais dû louper un passage parce que Valena semblait attendre quelque chose de moi ! Alors, je voulais bien tenter de suivre une conversation, mais avec un bébé dragon qui avait plus envie de viande qu’autre chose… Euh…

« Un instant. »

Je me levais en essayant de garder la dragonne et mes mains entières pour attraper un serviteur et lui demander un petit bol de viande crue pour nourrir ma petite dragonne. C’était sans doute cela qu’elle avait…

« Tu as faim Seralyon… c’est cela ? »

Je soupirais alors qu’elle réussit à me pincer un doigt.

« Saloperie ! C’est mon doigt ça ! »

Je grondais pour lui faire comprendre que c’était « NON »… Enfin…

« Euh… pardon dame Valena… vous me parliez de triptyque ? J’ai les deux premières tapisseries j’ai pas la dernière. Pouvez-vous répéter s’il vous plaît ? »

Je n’avais pas compris, mais j’avais bien compris qu’elle regardait beaucoup mon petit dragon !  

Valena ne pouvait retenir un petit rire, non qu’elle se moquait mais la situation lui paraissait étonnante, un petit dragon qui jouait comme n’importe quel animal de compagnie. La petite bête était un vrai petit monstre, il tyrannisait déjà sa maîtresse en mordillant le bout de ses doigts et s'agrippant de ses pattes griffues à la chaire de Boadicée. Très délicatement Valena portrait sa main à sa bouche pour cacher précieusement le petit rire angélique qu’elle n’avait pu réprimer. Comme ses bêtes étaient étranges pensait Valena, voilà qu’un dragon, ses terreurs horribles qui faisaient encore frémir de leurs histoires se trouvait jeunes être des animaux attachants pour lesquels ont pouvait ressentir une forme d’amour, peut-être un peu maternel.

“Pour le triptyque, je ne vous ai pas encore révélé la dernière partie, Boadicée. Cela ne vous dérange pas si je vous appelle par votre prénom ? Pour la troisième partie, je pensais qu’une dernière allégorie de Dorne et des dragons irait parfaitement. Vous voyez ?”

Valena n’était pas certaine d’être parfaitement claire et elle doutait de la capacité d’une bâtarde élevée loin des subtilités de la noblesse de saisir le sous entendu qu’elle essayait d’amener sinueusement.

“La première sur Balérion attendant devant Spectremont, la seconde Meraxès abattu devant Denfert… Et la troisième… Une dernière grande victoire dornienne, une sorte de promesse du destin qui pourrait assurer notre avenir…” Les yeux de Valena étaient perçants et clairs, ils posaient une impression d’insistance sur Selaryon, elle voulait que la jeune femme comprenne sont projet, elle n’aimait pas être directe surtout dans ses demandes. “Deux victoires, l’une par la ruse, l’autre par la force et si la troisième était d’une autre nature ? Une sorte d’argument de choc ? Une arme telle que la guerre elle-même pourrait être remise en question ?” Le ton devenait légèrement insistant.

Les mains de Valena n’étaient plus crispées aux accoudoirs du fauteuil, elle laissait ses bras s’étendre dans sa robe fine et redressait tout son corps vers Boadicée, comme lovée dans un fauteuil trop grand pour elle, Valena était désormais collée à la droite du meuble, d’une façon élégante elle essayait de se coller à la bâtarde dans une légère insistance doublée d’une intimité relative. L’héritière de Spectremont espérait quelque chose mais elle voulait convaincre une jeune femme visiblement trop rustre pour ce genre de pratique. Valena voulait une tapisserie de Selaryon et de sa maîtresse, premier grand souvenir pour l’Histoire du dragon dornien.




   

Je grognais un peu sur ma dragonne qui finit par s’installer sur mes genoux en me tournant le dos… Ouf… C’était déjà ça. Je poussais un petit soupir de soulagement avant de lui offrir quelques caresses. C’était bien mon bébé, calme-toi, tu vas avoir à manger. Cela faisait du bien après tout. Seralya avait de sacrés poumons quand il s’agissait de pleurer pour avoir à manger ! Et elle… elle me mordait, quoi que cela c’était hors de question qu’elle fasse cela une fois adulte… Mais j’avais un peu de temps encore avant qu’elle ne grandisse… J’aimais aussi cette petite bête, c’était comme ma fille ! Je n’étais pas sûre que j’avais très envie qu’elles grandissent… Je flattais doucement ses écailles. Je reviens vers la jeune femme. Une dernière allégorie de Dorne… Vous voyez… Je baissais les yeux vers Seralyon un instant…

« Oui, oui Boadicée, il n’y a pas de mal. Je n’ai pas vraiment de titre. »

Je continuais de flatter la dragonne en silence. Je n’étais pas sûre de… Que cela était une très bonne idée de laisser ma dragonne prendre place sur… un triptyque avec… Balérion et Meraxès. Je remuais légèrement le nez en silence pendant quelques secondes. Une promesse de destin, de futur… J’avais envie de prendre ma Seralyon dans mes bras et la serrer contre moi pour lé protéger. Je n’avais pas envie qu’elle… Qu’elle devienne une cible.

« Vous voulez rajouter Seralyon dans ce triptyque… Aux côtés de ses ancêtres si on peut dire cela ainsi. Mais un futur avec ce petit lézard ? »

Je tapotais le dos de la dragonne qui ne bougea pas d’un pouce. Allez… elle boudait… Bon au moins elle ne mordait pas c’était déjà cela après tout. Je serrais un peu les dents, j’avais très envie de serrer mon bébé dans mes bras pour la protéger de tout… Mais c’était autre chose maintenant…

« Mon dragon n’est pas… une arme, pas encore du moins. Ce n’est qu’un bébé. »

D’accord, un bébé qui avait déjà un sacré caractère après tout ! Je retiens un soupir.

« C’est effectivement… Une dragonne qui pourra peut-être un jour atteindre la puissance des autres ! Sauf que l’afficher sur un triptyque… je ne suis pas sûre de l’idée. Elle pourrait devenir une vraie cible pour tous les autres ! »

Je caressais tout doucement ma dragonne en la couvant d’un regard aimant alors que Valena était très proche de moi.

La course du soleil l’avait fait monter assez haut pour qu’il illumine parfaitement le petit par-terre, sa puissance écrasante tapissait la terrasse, au zénith il illuminait parfaitement le lieu et Valena appréciait tout particulièrement ce soleil dornien, si fort, si rude, mais si familier. Un très léger sourire se dessinait sur son visage et elle abandonnait sa tentative de rapprochement, le dragon s’était calmé et Boadicée semblait tenir son propre enfant au creux de ses jambes, elle laissait sa main caresser le dos écaillé de Seralyon. Se redressant sur son fauteuil, toujours trop large pour son petit corps fin, Valena avait du mal à trouver une position confortable pour son dos, alors elle laissait aller sa tête en arrière sur le dossier quitte à prendre le risque de gâter la coiffure qu’une servante avait longuement travaillé. Le soleil touchait sa peau et Valena ne pouvait retenir un rictus de soulagement, la journée s’annonçait bien et l’arrivée d’une vague de chaleur irait ravir Valena. Plus détendue, elle étendait ses jambes, après tout, cette dragonnière semblait presque de son monde. D’habitude elle n’aurait osé se laisser aller ainsi mais le caractère double de Boadicée l’encourageait à se détendre. La bâtarde n’était ni une noble à qui l’on devait porter une attention diplomatique et politique particulière, ni une fille du peuple qui aurait gâché de sa présence l’instant. Toujours les yeux fermés, le soleil frappait sa peau et elle sentait son corps revigoré, comme prise dans un bain chaud et réconfortant. Son langage aussi, serait moins soutenu. Après tout la bâtarde l’avait dit d’elle-même, elle n’avait pas de titres.
“Boadicée, vous savez bien que ce petit lézard ne serait pas toujours un petit lézard. Sans quoi ce ne serait qu’un… lézard. Auriez-vous ce lien avec un lézard ? Si ce dragon, n’était pas dragon serions nous ici ? Le dragon lui-même serait-il si… Vivace ? Et vous, seriez-vous si attentionné ? Non. Parce qu’il grandira et qu’un jour il sera grand, très grand, assez pour dévorer des troupeaux, peut-être, assez pour brûler des villages.”

Une paupière se levait malgré le bain de soleil, d’un œil Valena attendait la réaction de Boadicée. Avait-elle conscience de la place qu’elle avait dorénavant dans le jeu politique et militaire de ce monde ? Rien n’était moins sûr. Pour Valena la réponse était claire, cette jeune femme, coincé entre deux mondes semblait bien à l’abris de ce que préparait l’avenir, elle qui voulait que l’on se prépare à la guerre drastiquement ne semblait pas prêtre aux conséquences direct. Voilà qui renforçait la conviction de l’héritière de Spectremont, la paix valait encore le coup, si même la dragonnière du pays n’était pas prête.
“Oui c’est un bébé et ce ne sera jamais seulement une arme, je vous rassure, tous les récits parlent du fameux lien entre dragons et chevaucheurs, ce sera toujours plus… comme un partenaire, je crois ? D’ailleurs loin de moi l’idée d’utiliser votre dragon comme une arme… En réalité je me contenterais volontiers d’un accord de paix, que votre dragon pourrait permettre.” Valena ne pouvait profiter du soleil seul plus longtemps, ses yeux s'ouvraient pour regarder son interlocutrice, trop curieuse des réactions. “Imaginez, avec un dragon de notre côté, une guerre serait peut-être trop risquée… Alors la voie de la diplomatie pourrait être le seul recours raisonnable.” La faille de son argumentaire mis à jour, non, les Targaryens n’étaient pas raisonnables pensait Valena, mais l’espoir est mère des vertues. “Seralyon, c’est bien ça ? Seralyon est mieux qu’une arme, c’est une dissuasion.”

Autant jouer franc jeu avec cette femme de son âge. Valena avait des arguments pragmatiques et sérieux, elle ne voulait pas jeter le “feu et le sang”, elle n’était pas du sang du dragon. La raison et la discussion était la posture des Toland sur le conflit à venir et essayer de convaincre l’atout principal de Dorne au cours d’une simple discussion pouvait s'avérer particulièrement avantageux. D’autant que la dragonnière ne semblait pas spécialement assoiffée de sang. Enfin la dernière remarque fît tiquer Valena qui ne pouvait s’empêcher de l’exprimer d’une moue étonnée. Une petite touche de mépris refaisait surface. Boadicée lui semblait bien naïve. “Et… Boadicée… enfin. Vous êtes déjà une cible… Nos ennemis ne veulent pas nous voir avec Seralyon à nos côtés. Ils sont sûrement trop occupés à s’entretuer entre Targaryens pour porter leurs yeux jusqu’ici… Quoique leurs espions doivent être présents en nombre à Lancehélion. Enfin, il est…évident, que vous deviendrez une cible de cette bande de crapules, pensez au Prince Viserys, il a déjà empoisonné.” Valena sentait qu’elle risquait d’effrayer Boadicée, elle se redressait un peu sur son fauteuil, indécise à l’idée d’un geste d’apaisement. “Il ne faut pas avoir peur de son ombre pour autant. Mais il est bon de savoir que nos ennemis… sont nos ennemis. A ce titre je ne vois pas pourquoi ils seraient clément s’ils veulent nous soumettre par la force. Le jour où l’oeuf à éclot vous êtes devenus la cible de nombres d’intriguants, mais cela vous a aussi apporté de nombreux amis.” Valena marquait une pause. “La famille Toland se tiendra à vos côtés, soyez en sûre. Vous ne voulez pas poser ? Soit. Mais cette tapisserie ne changerait qu’une chose… Votre aura dans l’histoire dornienne. Nos ennemis, eux, cherchent déjà la moindre faille à exploiter, et s’ils n’ont pour le moment rien fait, c’est que leurs yeux sont ailleurs. Une tapisserie ne changera rien à l’affaire. Enfin, j’espère ne pas vous faire trop peur… Mais sachez que ma proposition de triptyque est bien innocente… et tout aussi vide de conséquences, j’en ai peur.”






   

Une servante déposa sur la petite table en passant un petit bol de viande crue, luisante de sang. Je préférais nettement que Seralyon s’habitue à cuire elle-même sa viande. Je ne savais jamais trop comment elle aimait… Mais en tout cas… l’odeur du sang sembla la réveiller aussitôt et s’ébrouer un peu s’agitant dans mes bras, je pris le bol d’une main, la petite dragonne sous mon bras, pour m’approcher de la rambarde. Je déposais minutieusement un morceau de viande sur le marbre avant de déposer la dragonne à son tour.

« Dracarys… »

La dragonne lâcha une flamme sur le morceau de viande qu’elle grilla comme elle aimait et je la laissais faire tranquillement, flattant tout doucement son dos avant de me retourner vers Valena qui reprenait la parole. Je regardais ma dragonne avaler sa viande avec douceur. Enfin… douceur. À mes yeux ! Je regardais mon petit dragon qui mangeait toujours alors que les mots de Valena résonnaient à mes oreilles. Mon petit dragon allait grandir ! Mais tout comme ma fille après tout. Je serrais un peu les dents avant de déposer un nouveau morceau de viande devant ma dragonne qui avait visiblement faim.

« Pour l’instant tout ce qu’elle brûle c’est de la viande. Je sais qu’elle va grandir et… qu’elle est extraordinaire. Mais… »

Mais quoi ? C’était mon bébé… Je ne la voyais pas autrement que comme mon petit dragon qui se nichait sur mes épaules, s’enroulant autour de moi, venant me réconforter quand je pleurais… Et elle dévorant allégrement sa viande avec appétit alors que je lui déposais du bout des doigts des petits morceaux de viandes devant elle au fur et à mesure qu’elle mangeait. Je sentais la colère monter dans mon cœur à ses mots. Et je me retournai vers la blonde pour siffler avec colère et agacement :

« Ah oui ? Tout le monde en parle ?! Vous semblez surtout tous l’oublier ce lien ! Ce fameux lien dont vous parlez ! Vous ne voyez pas une arme ? Vous non ? Mais tous les autres voient en ce petit dragon, en mon bébé, une arme ! Vous-même vous n’en parlez que comme un moyen militaire : de la dissuasion ! Seralyon… Seralyon est un bébé ! Juste une petite créature qu’un chien pourrait tuer et tout le monde la voit déjà comme un danger ou un moyen de pression. Oui, à mes yeux, c’est encore un petit lézard qui ne peut rien faire pour Dorne ! Vous la voyez déjà tous adulte, mais elle ne chasse même pas ! »

Laissez-la-moi encore se blottir dans mes bras… S’installer contre moi, sur mes épaules, venir dormir avec moi… Avant qu’elle ne fasse son nid quelque part et que je ne puisse plus l’avoir à mes côtés en permanence. Et je savais que cela serait bientôt ! Mais je voulais profiter de ce bébé encore un peu. Quand elle commencerait à voler… Cela serait autre chose ! Mais ce n’était pas le moment… pas encore. Je ne voulais pas qu’on me la prenne. Et une cible… je secouais la tête.

« Nos ennemis ? Vous le dîtes, ils sont trop occupés ailleurs. Je pense que le prince Viserys a autre chose à faire que d’empoisonner une bâtarde avec un petit lézard ! Son dragon avalerait le mien sans sourciller ! »

Je n’avais pas peur de grand-chose, juste de perdre mon esprit en même temps que mes souvenirs, j’avais déjà perdu tout le reste, ou presque, nos ennemis n’étaient pas là, plus là, pour l’instant. Ma dragonne était pour l’instant à l’abri. Je serrais à nouveau les dents avant de donner à ma dragonne son troisième morceau de viande. Je préférais qu’elle reste concentrée sur son repas.

« Je sers Dorne ! Je sers les Martell. Et personne d’autres. Leurs ennemis sont les miens comme leurs amis ! »

Laissez-moi tranquille… Laissez-moi juste en paix ! Avec ma dragonne, avec les dernières chose qu’il me restait. Mon aura ? Je me retournais vers la Toland et frappais ma poitrine.

« Je. Suis. Une. Bâtarde ! Je n’ai pas demandé à avoir une aura, à avoir un putain d’impact dans l’histoire ! Vide de conséquence ?! Vous venez de dire que cela va influencer mon aura ! Mais bordel ! Regardez-moi ! Je n’ai pas d’aura, je n’ai pas l’air menaçante ! Et ma dragonne sera peut-être, éventuellement, un jour grande. Seuls les Anciens savent, mais à cet instant, c’est un bébé. Et vous placez déjà sur sa petite tête une cible avec l’idée de la représenter grande. »

J’avais envie de prendre mon bébé dans mes bras et m’enfuir dans les couloirs avec elle pour la protéger de tous les autres. Mais je ne pouvais pas… Je savais que j'étais petite, de faible stature… je n'avais aucune aura de puissance physique.

« Vous parlez du lien comme-ci vous savez de quoi vous parliez… Vous n’avez même pas idée de ce que c’est. De ce qu’elle peut représenter à chaque seconde pour moi ! Vous parlez du futur comme-ci vous le voyez ! Mais nous ne savons même pas de quoi demain sera fait. Alors l’issue d’une guerre fratricide ? »

Je secouais la tête, remarquant à peine ma dragonne tirer la viande à elle pour la manger après l’avoir brûlé.

La colère de Boadicée était compréhensible. Valena se doutait qu’elle n’était pas la première personne à aborder le sujet aussi brusquement, certains avaient dû voir dans ce dragon plus qu’un argument de paix, une bête assoiffée de sang qui pourrait détruire les Targaryens. En réalité, la bâtarde n’avait pas tout à fait tort, Valena ignorait complètement ce que pouvait être ce lien qui unissait un dragon à son compagnon humain. Mais au vue de la colère de la jeune femme elle comprenait qu’un dragon à peine né pouvait avoir une dimension enfantine, une dimension charnelle qui dépassait les liens habituel qu’un homme et une bête peuvent partager.
Valena devait changer son approche, elle avait été trop directe, elle avait trop demandé, il faudrait plus de subtilité. Première leçon, la première impression qu’elle s’était faite de Boadicée était fausse, si la fille Wells avait un physique presque guerrier, un air déterminé et revêche elle était aussi capable de sentiments, de faiblesses et de peur. Elle avait peur pour son tout jeune dragon, pour l’immense destinée qui attendait cette bête et certaine de l'appréhension face au poid de l’histoire, au poid de la sécurité de Dorne. Plus de bain de soleil, cela attendrait un autre jour. Valena se redressait, un rictus plus sérieux, elle se mordait la lèvre inférieur et détournait son regard de Boadicée, les yeux portés au sol, elle prenait une pose plus sérieuse, plus majestueuse, digne de son rang, comme une atmosphère de gravité venait s’emparer de l’instant et la pièce plongeait dans un une ambiance moins légère. A Valena de tenter de rétablir un brin de confiance.

“Vous servez Dorne et les Martell. Je sers Dorne et les Martell. C’est à vos côtés que je vous parle, pas d’une berge éloignée. Nous sommes tous ensemble ici et si j’ai pu vous insulter par mes propos sachez que ce n’était pas mon intention. La situation est particulière, nous cherchons tous à nous en sortir.” D’un claquement de doigts autoritaire, Valena appelait un serviteur. "Apportez-nous à boire.” Son ton était dur, le serviteur n’était qu’un objet pour elle. Le domestique partait faire son service d’un pas pressé, plus encore que lorsqu’il avait rapporté la nourriture de Selaryon.

Il y eut un petit moment de flottement le temps que deux verres sur un plateau d’argent arrivent et que le serviteur reparte aussi rapidement qu’il avait disparu. “Je comprends ce que vous me dites, mais si ce lien que vous avez avec Selaryon m’échappe, où peut-être pourrais-je le comprendre avec une expérience qui me semble proche… comme la maternité. Un jour, peut-être.” Avec ça, Valena espérait se rapprocher un peu de Boadicée, couper cette distance qui s’était installé, le tout en accordant quelques confessions, elle ressentait comme l’impression de se découvrir un peu, d’admettre de sa personne en échange d’un but qui valait bien qu’elle jeta quelques vérités, quelques pistes sur elle-même à une bâtarde d’une maison mineure. “Je comprends que ma demande paraît exubérante. Mon idée était trop… guerrière. Que pensez-vous si je proposais une autre idée ?” Valena ne lui laissait pas le temps de lui répondre. “Très bien, mon imagination s'est emportée, je le reconnais. Après tout, quoi de plus naturel ? Tout cela est extraordinaire pour moi, pour beaucoup de monde, sûrement pour vous aussi.” Elle ne désignait pas directement le dragon, le regard toujours dans le vide. “Mais je voudrais quand même vous voir, toi Boadicée et Selaryon sur une tapisserie. Mais ni pour nous, ni pour la guerre, ni pour la grandeur, seulement pour la postérité. Nous pourrions imaginer d’autres scènes pour vous encadrer ? Voyez cela ; je vois quelque chose de plus beau, la naissance de Dorne, d’un côté la mariage entre Nymeria Martell et Mors Ier, le premier mariage princier qui unit notre beau pays. C’est tout de même plus vivant comme idée ? Enfin de l’autre côté peut-être quelque chose sur le Nord d’où vous venez ?” Valena doutait que ça soit suffisant. Elle remontait son regard vers Boadicée, mimant du mieux qu’elle pouvait la compassion, un sourire au coin des lèvres. Venait-elle bien du Nord ? De mémoire elle était originaire de Karhold, à moins que ce soit de Corbois ? Il lui faudrait trouver cette réponse. “Je ne veux pas vous retirer votre dragon, ni son image. Si vous acceptez l’idée ne serait-ce qu’un d’un essai, d’un croquis je te donne ma parole que le résultat final sera à toi.” Le changement entre le vouvoiement pour le tutoiement s’était fait assez naturellement, sans autorisation, Valena estimait avoir donné assez de gages de rapprochement, sa main était assez tendue selon elle pour qu’elle puisse s’estimer proche de Boadicée à ce moment. Par mimétisme de ses pensées, elle donnait un sourire plus généreux mais gardait cette compassion jouée dans sa voix, dans son air et dans ses gestes.

“Tu sais, nous pourrions nous entendre, avec un peu de volonté…”







   

Je serrais les dents et les poings, devant mon dragon pour la protéger. Je refusais qu’on touche à la moindre écaille de ce bébé. Et j’avais sûrement surpris la blonde, mais je m’en moquais complètement. Je soutiens son regard sans bouger, tout mon corps tendu prête pour la défendre. Mon cœur me hurlait de prendre mon dragon et de partir avec elle. La situation est particulière. C’était peut-être le cas, mais on n’envoyait pas un bébé au combat. Je serrais encore plus fort les dents malgré son ton autoritaire. À boire ? Qu’elle boive seule ! Je ne voulais pas, ou plus, je ne savais même pas si j’avais bu avec elle ou quelque chose comme ça. Je m’en foutais même à cet instant. Je restais silencieuse malgré le serviteur et sa présence. La confiance s’était complètement brisé et je n’étais pas sûre d’avoir envie de finir d’écouter. Peut-être, pourrait-elle savoir. Mais elle ne saurait jamais ce qu’il y avait entre moi et Seralyon. Parce que ma dragonne c’était tout ce qu’il me restait.

Une autre idée ? Je grognais légèrement sans rien dire de plus. Une vraie maman louve pour protéger sa progéniture. Mon côté nordien sans aucun doute. Extraordinaire, sans doute, pour elle, pour lui, pour n’importe qui, qui regardait mon dragon. Mais on me posait, autant qu’à elle, un poids de protection sur les épaules alors que ce n’était qu’un gros lézard ! Me voir sur une tapisserie… Et puis quoi encore ?! Elle voulait aussi écrire mes mémoires ? Le Nord…

« Laissez-moi et Seralyon en paix. Je ne veux pas être sur un tableau ou quoi que ce soit. J’ai rien fait pour ça, je ne fais pas ce que j’ai à faire pour être sur une tapisserie. Qu’importent vos croquis. La seule personne qui pouvait me dessiner est parti de Dorne et ne reviendra jamais. Je ne laisserais personne d’autre faire des croquis de moi ou Seralyon. »

Je secouais la tête.

« Peut-être un jour, mais pas aujourd’hui. »

J’attrapais ma dragonne avant de m’écarter de la blonde et de m’enfoncer dans les couloirs pour mettre le plus de distance possible entre moi et la noble.

Valena n’avait jamais vécu un moment comme celui-ci. Jusqu’ici personne inférieur à son rang social n’a jamais osé s’affranchir des codes sociaux, sortir de son rôle pour exploser. Plus qu’une nouveauté, c'était une nouvelle facette du genre humain que Valena découvrait, une explosion d’émotions, une mère follement attachée à sa créature lézardeuse qui dépassait toute rationalité pour se morfondre dans un rêve éphémère. Choquée, étonnée, Valena restait dans un masque stoïque face à ce défoulement bref mais intense. Les mains crispées sur les accoudoirs de son fauteuil, elle avait perdu tout intérêt pour le moment, toute lassivitée propre à sa personne, il n’y avait plus que cet instant, profondément dérangeant et ce malaise. Un malaise palpable dans tout son corps, elle ressentait une honte pour cette jeune femme, une honte de s’ouvrir autant, de se comporter comme ça, de ne pas comprendre l’impérieuse nécéssité de la situation dans laquelle Dorne et elle-même se trouvait. Une guerre approchait, que croyait-elle ? Elle allait devoir se battre et peut-être mourir pour son pays et son dragon devrait peut-être la rejoindre mais plus certainement lui survivre. Impensable situation Valena restait coincé dans son siège même lorsque la bâtarde partait de la pièce dans un vent d’humeur et de ressentiment. Les yeux fixes vers un point invisible, c’est en elle-même que Valena regardait. Ses petites lèvres sérrés, son visage c’était fixé dans une expression singulière qui la faisait étrangement ressembler à sa mère, dure et froide. L’espace d’une seconde elle éprouva de la colère, d’avoir été traitée de la sorte, d’avoir subi un tel affront, un tel manque de respect après toute la bienveillance qu’elle avait tenté d’exprimer, tout les efforts qu’elle avait fait pour parler à une simple bâtarde du Nord sans grande éducation, elle eu un moment de haine, il passa rapidement.

Après la colère, la résignation. Les aristocrates de sa position étaient condamné à leurs devoirs, à leur place qui n’avait rien d’enviable. On naissait, on vivait et on mourrait par le devoir, elle comprenait qu’il n’en était pas de même pour les autres. Il était naturel, cet énervement, il était normal qu’elle se soit emportée. Boadicée et Valena n’étaient pas du même monde et n’avaient pas été forgées de la même façon. Désormais plus aucune haine, simplement de la résilience, les propos de sa mère lui était confirmée : Il y a nous, puis le reste. Comment une simple fille comme Boadicée pouvait saisir l’importance grandiose du cadeau qu’elle voulait lui faire ? Comment une simple fille comme Boadicée pouvait comprendre son rôle dans les événements à venir. Car le destin avait été bien rude avec cette jeune femme, voilà que de rien elle se voyait propulsée sans préparations aux devants de la scène politique et militaire. Valena avait considéré par mégarde Boadicée comme son égale, c’était une illusion enfantine. Boadicée était une bâtarde originaire du Nord, avec des principes différents des siens, une retenue légère comme celles des roturiers et un sens politique encore très jeune. La fautive dans cette pièce, c’était Valena elle-même, elle qui avait voulu faire peser trop sur des épaules pas encore prêtent, elle avait voulu plaisanter comme si Boadicée était son amie, une proche avec qui elle pouvait parler librement, grosse erreur. La nordienne était un atout politique et militaire, il fallait la choyer comme un outil précieux, lui donner le change, la faire croire en de belles choses et ne la pousser qu’à condition qu’elle soit capable de tenir.

Une vision bien cynique dans laquelle Valena s’enfermait sans mesure tandis qu’elle entendait encore les pas et les derniers mots de son interlocutrice. “Non, pas aujourd’hui…” mais plus tard, oui, par la force des choses et pour la gloire de Dorne.