Face à son père et à son jugement

J’observai les côtes se dessiner au loin. Je poussais un profond soupir, le nœud dans mon ventre se serra à nouveau un peu plus. J’avais peur. Peur de quoi ? De mon père. Il fallait être honnête. Si Gran lui faisait le moindre rapport avec quelques indications que je n’avais pas été sage… Je secouais la tête. J’avais eu une faiblesse une seule fois… parce que j’avais crus voir Snofrïd ! Mais Gwen avait été la seule témoin ! Gran non. Je secouais la tête en pensant à toutes les connaissances que j’avais… Pas assez pour haire tout ce que je voulais ! Bien sûr ! Mais c’était un bon début… Non ? Je ne savais pas à quel point mon père voulait des informations… Il me manquait de l’expérience sur les flots… Même si j’avais passé du temps à observer le bateau de mon frère réagir aux vagues.

Notre fief se dressait sur les falaises, de là où nous étions, je pouvais voir Fouillade, Lac-Au-Cadavre et Pique-Corneille, les tours fortifiées de Cormartel où une partie de nos cousins vivaient. Notre foyer semblait poser au milieu des monts Dugranit, nous avions encore quelques lieux à faire à cheval avant de l’atteindre. Est-ce que Père nous observait déjà de là-haut ? Je ne savais pas… Il me semblait avoir moins de navire que d’habitude… Avec ce que j’avais appris des évènements des dernières lunes…

On accosta, enfin, et on dut attendre un peu avant de pouvoir débarquer avec toutes nos affaires ma jumelle et moi. Il fallait encore faire quelques lieux avant de rentrer. Je me renfrognai un peu en voyant les ouvertures béantes des anciennes mines qu’on voyait sous notre demeure alors qu’au-dessus les épaisses murailles hérissées de piques de fer ne donnait pas trop envie de rentrer à la maison. Surtout quand on comparait à ce qu’on avait vu à Essos… Ma sœur posa une main sur mon épaule avec douceur, elle sentait ma tension alors que je posais une main sur les sacs de selle contenant mes carnets de notes.

Les portes d’acier de notre demeure s’ouvrirent pour nous laisser entrer alors que mon regard se promenait autour de nous avant que je ne mette pieds à terre. Mère s’approcha vivement de nous pour embrasser Gran avant de venir nous serrer dans ses bras, nous embrasser les joues.

« Vous êtes belles ! Vous êtes toutes bronzées ! Magnifiques ! »

Si elle parlait de mariage, je remontai sur mon cheval et retournai en mer ! Enfin c’était autre chose. Je regardais les fenêtres et j’eus l’impression de croiser le regard de mon père avant de sourire à ma mère qui avait très envie qu’on lui raconte tout.

« J’avoue que j’adorerais prendre un bain chaud avant de tout vous raconter. »

J’étais un peu fatiguée après tout.

« Ton père voudra te parler Grayce. »

J’inclinai la tête.

« J’irais le voir. »

Mais qu’on me laisse dix minutes ! Quoi que… Si j’y allais maintenant ? Il viendrait peut-être nous voir. En tout cas Gran passerait avant moi à la casserole… Escortement mutuelle de jumelle jusqu’à notre chambre, nous entreprîmes de ranger nos affaires, je laissais uniquement mes carnets de notes dehors avant d’aller prendre un bain. L’eau état très trouble après nos bains. J’enfilais une chemise avec un pantalon avant de rajouter une veste par-dessus. J’étais en train d’enfiler mes bottes par-dessus mon pantalon alors qu’on frappait.

« Ouais ?! »

Qu’on me laisse dix minutes ! Le temps qu’on finisse de se préparer. Mes cheveux coupés aux épaules étaient encore trempés et goûtaient dans mon cou.
   

Gorold posa ses yeux sur la vue que lui offrait la fenêtre de son bureau : une corne de guerre noire bandée d'or sur champ rouge flottait au vent, portée par la brise marine qui pénétrait dans la vallée, fermée par les monts Durgranit. Il n'y avait rien d'exceptionnel à voir planer la bannière de sa famille sur un petit groupe arrivant en vue de Cormartel mais ce groupe là, Gorold l'attendait depuis plusieurs lunes. Le départ de trois de ses enfants avaient marqué la famille : sans l'un de ses garçons, sans les jumelles, il lui semblait presque avoir oublier l'ambiance particulière de son château lorsque la famille entière était réunie. Mais plus que le retour de ses enfants, Gorold attendait celui de sa fille, à l'origine de ce voyage, et de ses recherches. Près d'un an passé loin des Iles, en Essos, afin d'y apprendre des secrets de fabrication, d'y dessiner de nouveau prototype et, il l'espérait, pouvoir proposer une toute nouvelle manière d'envisager la navigation. Ce voyage pouvait tout changer pour lui, pour eux, pour la famille : le sérieux de son enfant pouvait être le signe du renforcement de l'influence des Bonfrère autant sur le plan politique que commercial. Lorsque le messager qui demeurait au port lui avait rapporté avoir vu la bannière de sa maison flotté sur le mat du navire de Gran, le reste de la demeure était entrée en effervescence, forçant Gorold à témoigner de son agacement en s'enfermant, l'air sévère, dans son bureau. Les six lieues qui séparait le chateau de la côte semblait un compte à rebours qui laissait Gorold sur sa faim, impatient d'apprendre ce qu'il était advenu de ses descendants durant ses nombreuses lunes loin de chez eux.

Son épouse fit envoyer une servante prévenir de l'arrivée des trois enfants et Gorold fit mine d'être en pleine rédaction, congédiant la pauvre fille d'un signe de la main, arborant un air occupé. Lorsqu'il était descendu plusieurs dizaines de minutes plus tard, les jumelles avaient déjà disparu, créant un pli de mécontentement sur le front du seigneur de Cormartel. Dalya tapota son pectoral, l'intimant à faire redescendre la pression, lui murmurant quelque mot rappelant que les filles étaient des filles et qu'il aurait sans doute était encore plus contrarié de sentir l'odeur de la mer et des matelots sur elle. Il ne dit rien, bien qu'il savait qu'elle avait raison. Prenant Gran à part, il écouta le récit condensé que lui fit son fils dont la fatigue se lisait sur les traits et le laissa retourner vers ses propres appartements pour se reposer. Gran venait de disparaitre quand Gwendys apparue et Gorold laissa son épouse faire la plupart de la conversation jusqu'à ce qu'il juge que cela faisait bien assez longtemps et ne les quitte en pleine discussion sur l'exotisme de Volantis. Il ne se rendait que rarement jusqu'aux appartements de ses enfants, plus depuis qu'ils étaient assez vieux pour grimper sur un bateau et tandis qu'il posait la main sur la poignée, il se souvenait des rappels que Dalya avait maintes fois fait sur la pudeur féminine. Avec un soupire, Gorold frappa, attendant d'entendre la voix de sa fille pour entrer. « Je vois que ce voyage n'a rien fait sur ton langage. » se contenta-t-il de dire, s'accoudant contre le chambranle de la porte. Elle avait changé c'était indéniable : ses cheveux plus court, son teint plus sombre, témoignaient des heures passées sous un soleil de plomb. « J'aura pensé qu'une visite à ton père aurait été la première chose que tu aurais faite » finit-il par ajouter, faisant fi des paroles que Dalya avait eu plus tôt.

Je m’empêchais de justesse de laisser s’échapper un « Et merde. » en voyant mon père sur le seuil de la chambre que je partageais depuis toujours avec Gwen. Je me raclais légèrement la gorge, mal à l’aise de sa remarque avant de prendre le temps de répondre.

« Je… j’pensais qu’c’était Gwen ou un serviteur. Pis sur les chantiers, on cause jamais très bien en plus.»

Mon père ne venait tellement jamais dans notre appartement que… Jamais je n’avais pensé que cela serait lui. La dernière fois je devais bien avoir dix ans. Ça remontait donc à quelques années. Je passais une main sur mon visage et dans mes cheveux encore mouillés avant de hausser les épaules.

« J’voulais être un peu présentable avant d’venir vous voir. J’étais pas sûre qu’l’odeur d’la transpiration vous plaise pour discuter. J’allais v’nir dès que j’serais prête. »

Dire que pour une fois je voulais être un peu présentable. Je finis de nouer mes hautes bottes très rapidement avant de tendre la main pour attraper la sangle de mon sac et le tirer vers moi, il y avait tous mes carnets dedans, tout ce que j’avais appris. Je levai les yeux vers mon père avant que mon corps ne suive le mouvement pour m’obliger à me lever.

« J’suis contente d’vous revoir Père. »

Bon, on repassera sur les effusions de bonheur de se voir et tout cela… À part ma mère ce n’était pas le genre de la maison. Ou ma jumelle avec moi ou Gy. Ou cousin Symond. Bref, c’était le genre d’autre que moi et mon père. Je soutiens son regard, la sangle du sac dans ma main.

« On peut discuter ici, si vous préférez. Ou dans votre bureau… Comme vous préférez. »

Je n’étais pas sûre que parler ici était la bonne idée c’était ouvert au quatre vents… Enfin, c’était lui qui décidait.

« J’ai pu faire quelques chantiers, pis sur le retour j’ai essayé de mettre ça au propre. »

Enfin. Au propre… Au propre version Grayce, hein ! Il ne fallait pas s’attendre à quelque chose de magnifique ou de très ordonné. De une j’étais gauchère, de deux je n’avais jamais très bien écrit… Enfin, au moins il fallait être charpentier pour comprendre ce que j’écrivais, du moins en partie. Je savais qu’un de mes maîtres avait fini par dire que je semblais coder le moindre de mes écrits. Si c’était le cas, ce n’était pas volontaire. Je ne savais pas ce qu’avait pu lui dire Gran et Gwendys. Gwendys aurait tenu sa langue sur l’épisode de la fausse Sno et personne d’autres qu’elle ne savait.
   

Il n'était pas dans les habitudes de Gorold de faire irruption dans les appartements de ses enfants, toutefois, il se demandait quelles habitudes sa progénitures avaient prises lorsqu'il n'était pas là pour poser sur eux le regard sévère du Père. Il évacua la remarque de Grayce d'un geste de main, après tout c'était le rôle de son épouse que de s'assurer que les filles devenaient de parfaites et accomplies jeunes femmes, parfaite pour un mariage. Il était fort improbable que Grayce face partie de l'une d'elles cependant : la longue liste de ses filles lui donnaient des sueurs froides à imaginer combien il dépenserait pour les doter convenablement. Il fallait prendre en compte aussi le nombre de partis intéressant pour lesquels il pouvait se permettre d'investir et ceux qui n'en valait pas la peine. Un tel calcul se faisait aussi pour ses propres enfants : il ne servait à rien de s'acharner sur un esprit qui ne voulait pas plier, il avait bien assez de filles pour répondre à ses ambitions conjugales sans avoir de temps à perdre avec les fortes têtes. Cependant, un rictus mi moqueur, mi amusé se dessina sur les traits paternels. « Présentable ? Ton frère ne t'as-t-il pas donner de quoi te rafraichir sur le bateau ? Ou peut être que finalement tu as décidé de te comporter de manière féminine ? Que de changement après ce séjour en Essos. » dit-il d'un air détaché. Il était tout de même curieux d'entendre ce que ses trois enfants pouvaient avoir à dire de leur séjour à l'Est. D'après son fils, il n'y avait rien eut de notable, rien qui eut pu mettre le patriarche en colère, rien qui soit digne d'intérêt. Gorold lui faisait confiance sur ce point : il lui avait donné la responsabilité de surveiller ses soeurs, et Grayce en particulier, et Gran n'était pas du genre à passer sous silence des choses qui pouvaient avoir des conséquences sur leur nom.

Il considéra sa benjamine d'un regard sévère et hocha la tête en tournant les talons. « Soit. Finis de faire ce que tu as à faire. Je te veux dans mon bureau, dans quinze minutes. » annonça-t-il tout en laissant la porte de bois se refermer derrière lui. De l'autre côté du couloir, son épouse, mains jointe sur son ventre, l'attendait avec une lueur d'appréhension dans le regard. Il n'eut qu'un signe de tête pour elle, sachant qu'elle venait d'entendre l'ordre donné à leur fille, et elle se décala pour le laisser passer. En rejoignant son bureau, Gorold songea aux notes mentionnées par Grayce : il ne doutait pas qu'il restait encore beaucoup de travail, mais il espérait que son investissement dans ces recherches donne ses fruits. Il avait assez fanfaronné au conseil du Roi et ne pouvait se permettre de dépenser de l'argent dans des voyages sans intérêt. Pas avec le cout de ses ambitions.

Pourquoi j’avais l’impression que le moindre mot que je prononçais avec mon père ça lui servait juste à m’enfoncer et se foutre copieusement de ma gueule. Je soutiens son regard sans rien dire d’autres jusqu’à sa remarque.

« Gran a fait c’qu’il a pu, mais on gaspille pas l’eau potable à trop s’laver. Et non, pas du tout désolé d’vous décevoir, mais j’préfère toujours mes pantalons. »

Mais bordel ! Il s’était assis sur une panière d’oursin pour pas tenir en place comme ça ? Je hochais la tête.

« Oui père, j’serais là. »

Et il me planta là… j’attendis une poignée de seconde, attendant que ses pas s’éloignent avant de pousser un profond soupir et de me laisser tomber en arrière sur le lit.

« Grayce ? »

Mère. Je me redressais sur un coude en fronçant légèrement les sourcils :

« Ça va mère. Ça va. J’vais y aller. »

Elle s’assit malgré tout à côté de moi pour repousser une mèche encore humide de devant mon visage.

« Tu sais, il compte beaucoup sur ce que tu as découvert et ter recherches. Il a beaucoup investit sur toi et tout ce que tu pouvais rapporter d’Essos.
- Mettez surtout pas la pression mère. »

Elle me sourit un peu en me tenant la main avant de la lâcher alors que je me levais en ramassant mes affaires.

« Grayce ? »

Sa voix m’arrêta alors que j’étais sur le pas de la porte.

« Ce n’est pas parce qu’il ne le montre pas que vous ne lui avez pas manqué et qu’il ne s’est pas inquiété pour vous. »

J’eus un grognement. Si j’avais vraiment manqué à mon père, il serait venu me chercher sur le bateau des Kenning. Pour mon père, je ne savais pas ce que j’étais. Mais j’avais de gros doutes. Je sortis malgré tout dans les couloirs pour me diriger vers son bureau à grands pas, mon sac plein sur mon épaule… et la boule au ventre malgré tout. Mon père était mon père. Père qui, le temps qu’on soit parti, avait marié le p’tit frère et Krestenne… Mais le pire c’était l’épouse de Greydon, Noane. Noane Harloi. À croire que père avait fait exprès de m’imposer cela… Harloi… Ma Snofrïd me manquait à chaque instant et j’avais sa sœur sous le nez, enceinte jusqu’au sien de nez d’ailleurs. J’ignorais beaucoup de choses, et heureusement je n’avais pas été présente sur ce mariage, avec Snofrïd, cela aurait été beaucoup trop dur pour moi. Enfin, Noane je l’avais aperçu de loin et… j’allais devoir vivre avec.

J’étais devant la porte, j’avais un peu d’avance… J’inspirais profondément avant de rajuster la lanière de mon sac. Aller Grayce ! Respire, c’est ton père… Il ne va pas t’encastrer dans le mur… Alors si… il pouvait. Est-ce qu’il allait ? J’en doutais quand même. Je frappais à la porte, j’avais un peu d’avance, en attendant de pouvoir rentrer dans la pièce. J’avais l’impression d’entrer dans l’anti-chambre de l’enfer.

« Père. »

J’attendais jusqu’à même son autorisation pour m’asseoir.
   

De toute évidence, sa fille avait reprit du poile de la bête et le père qui avait pu s'inquiéter il y a plusieurs lunes s'en voyait rassuré. Cependant, il n'était pas certain d'apprécier l'attitude non chalante de son enfant : il demeurait son père, son seigneur et le chef de famille. Une année sur un bateau loin des siens lui avait peut être donné le sentiment de s'émanciper de cela mais elle ne devait pas oublier sa place.  Cependant, face à son empressement hautement déconseillé par son épouse, Gorold décida de laisser passer pour cette fois, mettant cette attitude sur le compte de l'intimité malmenée d'une de ses filles plus que sur une désobéissance délibérée de sa part. Toutefois, l ne pouvait nier que ce premier échange l'avait plongé dans une mauvaise humeur naissante.

Il se replongea alors dans les documents qui attestait des dépenses engagée pour ce voyage, songeant au bref rapport que Gran lui avait déjà fait. Il était satisfait de ce que son fils avait pu faire : voyager de la sorte avec ses soeurs aurait pu être une entreprise périlleuse, surtout considérant le caractère des jumelles, mais il semblait avoir fait preuve d'assez d'autorité pour que tous trois rentrent en un seul morceau ce qui était un exploit. Cette première expérience avait donné confiance en Gorold en les capacités de son fils et les tâches qui pourraient être sienne à l'avenir: tandis qu'il destinait Greydon à un rôle bien plus important au sein du fief, Gran pourrait faire rayonner leur nom à l'est. Ne restait que Gormond qui se cherchait encore mais qui, il l'espérait trouverait sa voie bien assez tôt. Ce fut ses réflexions que Grayce arriva, bien moins assurée qu'elle n'avait pu l'être lorsqu'il était la chercher lui même. D'un signe de tête, Gorold désigna le fauteuil qui faisait face à son bureau et la laisser s'installer. « Bien. Maintenant, je veux que tu me dises si j'ai bien fais d'investir sur toi. » annonça le seigneur Bonfrère d'un ton implacable. Il savait être dur avec ses enfants, mais il l'était encore plus envers ceux qui travaillait pour lui : si Grayce avait voulu échapper au destin des femmes, il lui faudrait faire face à bien pire. En outre, il n'avait pas financé son voyage pour qu'elle prenne le soleil mais c'était à elle de le convaincre qu'il avait bien fait.

J’avais l’impression d’avoir bu un grand verre de glace… Je m’assis sur siège, droite comme un I face à mon père. J’avais pas peur de beaucoup de choses… Vraiment. Il fallait me l’avouer, j’avais pas peur de grand-chose… De mon père oui, complètement. J’étais terrorisée par lui. Surtout à cet instant, assise au milieu de bureau rempli de papier, face à un père qui semblait aussi heureux de me voir que de se faire castrer à vif par un requin ! Et merde. Et moi j’aurais préféré retourner sur le bateau de Gran et surtout à Essos… Merde ! Respire Grayce ! Ça va bien se passer. Et j’étais un investissement maintenant. Je plongeai ma main dans mon sac pour en sortir le grimoire où j’avais tout noté pour ne poser devant mon père.

« J’ai pas trop eu d’mal à m’lier avec les gars sur les chantiers, mais c’partout pareil et l’même rengaine, j’suis qu’une femme, pis j’parle pas la langue. Quoi qu’maintenant j’sais dit merde en une nouvelle langue. Qrugh en passant. »

Ouais, j’angoissais un peu et j’avais besoin de meubler. Je repris ma respiration avant qu’il ne m’étrangle sur place.

« J’sais que ça paraît pas beaucoup, mais j’ai appris pas mal de choses très intéressantes. J’sais qu’il y a pas mal d’trucs qui sont incomplets. Sur l’premier chantier, j’ai eu pas mal d’info, mais c’pas très bien expliqué, après, sur l’deuxième, j’ai eu qu’des astuces ! Bon, c’pas grand-chose, mais j’pense qu’en combinant les astuces que j’ai eu sur les chantiers, deux, cinq et sept, j’peux avoir c’qui faut pour compléter les informations pour les chantiers un, quatre et cinq. Le trois c’était l’plus important. »

Je lui montrais à toute vitesse les croquis sur mon livre.

« Et donc avec ça, j’ai de quoi potentiellement améliorer nos bateaux. Alors clairement faut encore que j’étudie, et pas mal. C’pas ici qu’j’pourrais vraiment découvrir ou trouver d’nouvelles choses. Faut que j’continue de naviguer surtout, parce qu’étudier la construction des bateaux, c’trop bien, j’adore. Mais c’pas pareil qu’d’naviguer et d’voir les besoins d’gens sur l’bateau. Parce qu’au retour, j’pas mal étudier. »

Je fis tourner les pages pour arriver à la fin et montrer toutes les réflexions et observations que j’avais eu en regardant mon frère et ses hommes naviguer. Autant dire que c’était assez illisible pour d’autres personnes que moi. Mais je tapotais les chiffres, toutes à ma passion. Je me redressais avant de tourner les pages vers les informations les plus complète que j’avais en tapotant le parchemin.

« Faut comprendre qu’n’ont pas tout à fait la manière d’voir les bateaux qu’nous. Ils les voient plus comme d’moyens d’faire d’gros profits le plus rapidement possible. Mais en attendant, c’pas non plus exactement c’qu’il nous faut, Z’êtes d’accord ? »

Dès que je parlais de ma passion, ça allait mieux, j’étais debout, penchée sur livre pour essayer de tout lui expliquer sur les calculs, les remarques et tout ce que j’avais pu étudier. J’étais toute excitée de pouvoir lui montrer tout ce que j’avais appris. Je ne savais pas à quel point mon père comprenait… Mais je voulais lui montrer.
   

Gorold écouta silencieusement le récit que Grayce lui faisait de ses découvertes :  il n'était pas vraiment surprit d’apprendre les difficultés qu'elle avait pu rencontrer. Essos et les Iles étaient fait d'un bois semblables lorsqu'il s'agissait de voir une dame sortir de ses jupes pour se salir les mains : les généralités avaient la vie dure et s'il n'y avait Gysella pour l'avoir fait imaginer confier son fief à une fille, sans doute aurait-il gardé la même ligne de conduite que ses ancêtres ou ses paires. Il hocha la tête quelque fois, quelque peu déçu que la grande révolution à laquelle il s'attendait ne soit fait que de petites astuces récoltés sur des chantiers : tant d'argent dépensé cela aurait pu le mettre en colère, mais Gorold était un homme patient. Il avait apprit de son père, et de son grand-père avant lui, que rien en servait de courir au plus pressé : en affaire, il fallait savoir prendre son temps pour saisir l'opportunité au moment le plus propice. Dans le cas de Grayce, après ses petites aventures, la priorité avait été de l'éloigner des Iles le temps de voir si l'histoire avec la Harloi et ce roquet de Kanning se tassait. Apprendre la mort du maître chanteur avait été un soulagement et son secret l'avait suivi dans la tombe. Ce voyage était aussi l'occasion de voir s'il pouvait avoir confiance en ces trois derniers enfants. De Gwendys, il s'était inquiété de la proximité qu'elle entretenait avec leur mestre, parfois blasphématoire, et il voulait qu'elle lui prouve qu'elle était capable de réfléchir par elle même tout en gardant à coeur ses origines. De Gran il voulait voir s'il était capable de sortir de l'ombre de son triplé, de ce frère destiné à hériter de tout et s'il pouvait suivre les ordres, ou s'il devait le remettre au pas pour éviter de voir les tensions qui existait avec son propre frère se répéter. Quand à Grayce, au delà du scandale, ils devaient rapprendre à s'apprivoiser : si elle voulait qu'il finance ses ambitions, elle devait lui prouver qu'elle était passé au dessus de cette grotesque amourette car si elle ne voulait pas se marier, soit, il avait bien d'autre filles pour cela, en revanche, il était hors de question qu'elle expose la famille avec ses amours illicites.

Il hocha la tête, entendant les projets qu'elle pouvait avoir. Si le seigneur grimaçait de devoir remettre la main au portefeuille, l'homme d'affaire, lui, ne pouvait qu'approuver l'initiative. « Et qu'envisages-tu ? » lui demanda-t-il, croisant les bras sur son torse. « Effectivement, tu ne trouvera rien de révolutionnaire en Essos : nombreuses sont les inspirations que nos ancêtres ont prit sur les navires de l'est. Cependant, il est bon que tu ai pu en tirer des choses qui serviront à l'avenir. » ajouta-t-il. « De ce que tu as pu y apprendre, vers quelle destination te dirigerais-tu maintenant ? Oublies les cités libres, tu ne trouvera rien de différent entre Volantis et Braavos ... Voit plus loin. » C'était la le privilège des fer-nés sur les continentaux : leur gout de l'aventure qui les amenait à voir toujours plus loin, à visiter de nouvelles contrées.

Bon, visiblement mon père semblait peu ravi de ce que je lui montrais. D’accord, en un an cela pouvait sembler dérisoire ! Mais… Il y avait une barrière importante de la langue ! Et puis il y avait encore pas mal de chose à extraire et trouver ! Enfin, peut-être qu’il ne comprenait pas tout ce que j’avais écrit dans le carnet ? Je ne savais pas vraiment, et sentais que ce n’était absolument pas le bon moment de tenter de lui expliquer. On avait sans doute autre chose à faire, puis, pas que mon père était un abruti, mais il ne connaissait pas la charpenterie navale après tout. C’était mon domaine de prédilection, pas le sien après tout. Je me carrai un peu sur ma chaise en refermant mon grimoire pour le glisser dans mes affaires en soutenant le regard de mon père.

Plus rien de révolutionnaire en Essos à mes yeux. C’était à moi de faire la révolution du chantier naval, de montrer ce dont j’étais capable, de montrer ce que les femmes étaient capables. Est-ce qu’un jour je serais capable de monter une équipe entièrement féminine ? Peut-être. Mais pour l’instant, je devais faire mes preuves pour réussir à le faire, faire ce bateau et tout cela. L’est était donc clos au niveau des recherches… Me restait… toutes les découvertes de l’ouest ? Parfait. Où aller maintenant ?

« Si l’Est ne m’apportera plus rien, alors c’est vers l’ouest que j’irais. Les îles Nocturnes sont pour moi un des objectifs. Sauf si vous avez d’autres idées qu’vous semble mieux. En continuant de naviguer, j’comprendrais mieux tout c’que j’ai appris, j’pourrais mieux l’mettre en pratique. »

J’étais confiante, je savais que cela pouvait prendre du temps.

« J’sais que cela va prendre du temps, mais j’sais que j’peux partir pour améliorer nos navires dans un premier temps, avant d’en créer un complet. Mais j’sais que j’ai besoin d’un peu de temps pour concevoir tout cela. »

Du temps. Et de l’argent, celui de mon père, de ma dot, heureusement que je n’en avais pas besoin ! Je me frottais légèrement les mains l’une contre l’autre. Gran n’avait pu rien dire au sujet de la fausse Snöfrid ! Il n’avait rien vu et Gwen n’avait rien dit. Puis s’il l’avait su… j’aurais été accueilli par une grande mandale en plein visage. Là, ce n’était pas le cas, tout irait bien maintenant. Il ne savait pas. Personne ne savait à part moi et Gwendys et c’était largement assez.

« J’sais que ç’vous semble peu c’que j’ai trouvé, mais j’vous promets que j’peux en faire quelque chose ! »

Je lui offris un grand sourire un peu carnassier.
   

Ce voyage était une leçon et Grayce était encore jeune. Au delà des raisons qui avaient poussé Gorold à éloigner sa plus jeune fille des Iles de Fer, des mesures prises pour le bien de la famille, existait aussi l'espoir de la voir renouer avec la voie qu'elle avait choisie et qu'il avait accepté qu'elle prenne. Il n'avait pas grand espoir de révolution dans ce séjour oriental : l'objectif n'était pas encore, à ses yeux, d'obtenir autant d'information que possible mais de voir si Grayce valait le coup qu'il investisse sur elle ou non. D'après le court rapport que Gran avait pu lui faire un peu plus tôt, elle avait été relativement sérieuse bien que les communications avec les locaux aient été difficile à instaurer. Rien de surprenant, songea Gorold, lorsqu'on la regardait. Cependant, l'implication de sa fille était prometteuse et c'était pourquoi il prenait cet entretien avec sérieux. « Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dis, Grayce. » lui dit-il avec un soupire. Peut être n'avait-elle pas conscience que ses paroles n'avaient rien de convaincantes ? Décroisant les bras, Gorold tapota du doigt le bois de son bureau, le regard fixé sur l'encrier. « L'Est peut apporter son lot d'intérêt, cependant, il faut voir plus loin que les cités libres que nous fréquentons depuis des générations. » S'il y avait des choses à prendre des lysiens ou de leur clique, cela faisait bien longtemps que les fer-nés les avaient découvertes : toutefois, elle avait été dans les chantiers, elle avait rencontré ces gens, elle leur avait parlé et avait obtenue des informations intéressantes à ses yeux. C'était ce qui comptait. Le premier pas. Gorold releva les yeux vers sa fille. « Essos ne se limite pas à sa côte occidentale bien qu'elle soit plus facile d'accès que ce soit en bateau ou en parole. La baie des serfs est très peu explorée par notre peuple comme par les continentaux : je pense qu'il serait aisé de trouver un traducteur dans les cités qui accepterait de vous suivre plus à l'Est pour voir ce qui se fait du côté de Tolos, Asabhad ou dans les villes du Détroit de Safran. » Des lieux bien trop peu connu des occidentaux, insulaires compris. Il était facile de s'arrêter à la seule côte ouest du continent oriental, les cités étaient ouvertes au marchandage et le reste de ses côtes étaient assez facile à piller. Mais plus loin à l'Est ... Plus loin nécessitait plus de moyen, de courage et de compétence. Les vestiges de Valyria devait être contournée, grouillant de dangers et de rumeurs de bateau ne revenant jamais. Cependant, les rumeurs d'une invasion de prêtres rouges dans l'Orage témoignaient bien d'un mouvement massif venu d'Asshaï et, il l'espérait, de voies de navigation envisageables. « Sothorios pourrait aussi être une destination intéressante bien que notre manque de connaissance au sujet de ces contrées puisse se révéler dangereux. » releva-t-il plus pour lui que pour la conversation : il était de ces endroits dont nul ne savait grand chose et il s'inquiétait toujours que ce manque d'intérêt soit synonyme d'expédition suicidaire. Mais, comme elle le lui rappelait en mentionnant l'archipel des nocturnes, nul ne pouvait savoir s'en s'être rendu sur place. « J'ignore si les Nocturnes sont une bonne idée : je ne m'y suis jamais rendu en personne. Gysella pourra peut être te dire si cela vaut le déplacement, pour le projet qui est tien. » répondit-il, préférant parler de sa fille aînée que de son illustre et royale amie qui semblait bien moins accessible. Il savait, cependant, que c'était à Grayce de mener ses recherches et sans doute n'avait-elle pas, envers l'héritière de Balon Greyjoy, la même réserve que lui. Il finit par hausser les épaules. « S'éloigner des cités libres comporte forcément son lot de risque, Grayce. Reste à déterminer si tes projets valent la peine de surmonter ces dangers ou non. Cela pourrait bien être le projet d'une vie ... » Un projet d'envergure qui pourrait renforcer le pouvoir et l'influence des Bonfrère sur les Iles. Il n'y avait pas que l'avenir de la construction navale en jeu, mais aussi, il l'entrapercevait, celui de découverte tout aussi importante que celle d'Asha Greyjoy il y a quelques années. L'idée faisait son chemin dans son esprit  : Greydon suivant ses traces dans la gestion de la maison, dans l'investissement avisé et la politique. Gran poursuivant la voie entrouverte par sa soeur en partant découvrir des terres inconnues. Il ne resterait qu'à trouver à Gormond sa propre voie à suivre. En outre, ses filles aussi semblaient trouver leur propre chemin : Gysella assurait une alliance avec les Greyjoy, de part son amitié avec l'héritière, Grayce s'impliquait de plus en plus dans sa passion et Gwendys, bien qu'il lui faudrait aussi vérifier que ses fréquentations ne soient pas trop blasphématoire, avait ses propres talents en médecine. Gwin, Kyra et Krestenne avaient également remplis leurs devoirs auprès de la famille en épousant des bons partis des iles qui assuraient des alliances intéressantes pour Cormartel. Bien sur, il restait encore à trouver quoi faire de Gianas, Christys, Giya, Gillian, Gerias et Anera, mais c'était des détails qu'il règlerait plus tard. « Peut être est-ce l'occasion de rappeler à la maison Greyjoy nos liens d'amitiés afin d'en savoir plus sur ce qui a été, ou non exploré. Il me semble qu'Euron Greyjoy lui même s'amusait à se rendre dans des endroits peu commun ... Ses neveux ont peut être entendu des choses qui te serait intéressante ? » suggéra le Bonfrère. Parler du défunt frère du Roi était risqué mais il devait reconnaitre qu'Euron avait vécu en fer-né jusqu'à la fin, et les rumeurs de ses voyages avait de quoi faire pâlir d'envie même sa jeune nièce aventurière. Il pourrait être intéressant de voir ses enfants se rapprocher d'avantage d'Asha Greyjoy ou, si sa fonction la rendait quelque peu inaccessible, de son frère. Ce dernier serait plus réceptif à l'idée de rattraper les exploits de sa soeur, plus facile à convaincre ... ou à manipuler, selon le point de vue.

Pourquoi j’avais toujours l’impression d’être une gamine de six ans aux yeux de mon père ? Je savais qu’il me prenait au sérieux, mais j’avais toujours… toujours l’impression d’être une petite fille, qui ne pourrait jamais rien faire aussi bien que mon père voulait. Enfin, être exactement comme il voulait ou faire exactement ce qu’il voulait ! Mais c’était autre chose. Je refusai aussi d’être entièrement contrôlé par mon père. Je… Je devais être comme moi le voulais être ! Qu’est-ce que je pouvais dire d’autre, je… Je faisais de mon mieux pour lui montrer que j’avais réussi à trouver beaucoup de chose. Qu’est-ce je devais faire pour lui faire comprendre. J’essayais de ne pas trop montrer que cela m’énervait d’avoir l’impression qu’il trouvait que ce n’était pas assez. Je me rassis cependant pour l’écouter. Je me mordis les joues en essayant de m’apaiser un peu.

Plus loin que les citées libres ? J’eus un froncement de sourcil en essayant de voir où il voulait en venir. Plus loin que les citées libres… Je n’avais jamais été très portée sur la géographie, sur les cours. J’avais toujours préféré me servir de mes mains… J’étais pas très douée en leçon, sauf en mathématique et ce genre de chose. Mais… Qu’est-ce qu’il y avait d’autre derrière les citées libres ? J’y connaissais pas grand-chose. Oui… c’était sûr, par que la côte occidentale… Tolos… Asabhad… le détroit de Safran ? Je n’en savais pas grand-chose. Je n’arrivais pas à me souvenir de ce qu’on m’avait dit dessus…

« J’avoue, j’me souviens… pas très bien d’c’qu’on dit d’ssus… Mais aller plus loin… »

S’ils sont capables de faire des navires pour venir jusqu’à chez nous… même peu de fois par an… Je sentis les rouages sous mon crâne s’activer. S’ils sont capables de venir de plus loin… Ils ont forcément d’autres connaissances… Oui ! Oui ! Ça pouvait marcher ! Ça pouvait fort bien marcher ! Je savais pas quelle langue ils causaient là-bas… mais c’était autre chose… Boarf, je m’en étais sortie avec le Valyrien, je devrais pouvoir me débrouiller là-bas. Si je pouvais m’y rendre bien sûre, vivante et entière. Sothorios. Dangereux.

« S’ils réussissent à v’nir parfois jusqu’ici… C’que leurs bateaux sont… Emplis d’secret et j’pense qu’on peut les utiliser. Si on arrive vivant là-bas. »

Je fis une moue à sa remarque. Gysella n’était pas là… et je ne pouvais pas l’attendre…

« Gy elle court après Le Compas. J’pourrais pas l’attendre. »

Nuance : je NE voulais pas l’attendre. J’avais besoin de bouger, de poursuivre mon périple et de trouver ce qu’il manquait dans mes recherches. En valoir la peine ?! Un peu plus et je balayais le bureau.

« Ça en vaut la peine ! Ça en vaut la peine père ! J’suis prête à prendre l’risque. »

J’inspirai profondément.

« J’veux dire, si on peut aller plus loin, vec des navires plus puissant, on peut ramener beaucoup plus d’choses et… »

Et… et quoi ? L’utilisation des bateaux cela ne me regardait pas. Je faisais que les construire. Je fronçais légèrement les sourcils à sa remarque. Aller… parler aux Greyjoy ? De tout ça… Je fis une moue.

« Parait que Asha Greyjoy l’est partie aussi à la chasse aux artefacts. Reste le p’tit prince… P’tre qu’effectivement j’pourrais y aller… À Pyk pour parler au moins avec Theon. J’pense pas qu’le roi ait l’temps d’me causer. »

Je remuais légèrement le nez.

« Dans l’cas… où j’ai des informations. Faudrait combien d’temps pour monter cette expédition ? »

Peut-être que j’aurais le temps de faire quelques maquettes pour tester ? Cela serait aussi très intéressant…
   

Si cela avait été Greydon, il en aurait été déçu mais la méconnaissance des mondes connus par sa benjamine se contenta de lui tirer un soupire. On n'élevait pas une fille comme on éduquait un garçon mais tout de même ! Elle qui semblait s prompte à faire ce qui n'était pas destiné à une femme avait laissé passer une occasion d'apprendre plus sur un sujet bien intéressant. Les richesses dont regorgeaient le Détroit de Safran, les promesses de ressources uniques dans ce monde attisaient sa convoitise. Des bois d'exception poussaient dans des forets lointaines, des formes jamais vu de bateaux naviguaient dans ces eaux : en parler suffisait à faire naître envie et avarice dans son coeur, jusque là, aucun fer-né n'avait eut l'idée de s'aventurer si loin pour des besoin de recherche et d'alliance ... Peut être était-il temps, pour le royaume bien sur, mais pour sa famille, surtout, de se démarquer. « Bien des contrées à l'est de la côte du continent oriental restent encore pleine de mystère. La plupart du temps, nous n'avons pas besoin de nous y rendre pour prospérer : ce sont des cités d'esclavagistes ou d'une culture bien trop éloignée de la notre. Et cela, souvent car le risque n'en vaut pas la chandelle, nul ne peut affirmer quel sera le retour sur investissement : un esclave ne vaut pas plus cher à Tolosh qu'à Tyrosh. » expliqua-t-il en haussant les épaules. Ce qu'on pouvait trouver par là bas ne ressemblaient sans doute pas à ce que les insulaires avaient l'habitude de prendre, mais surtout l'organisation de cette côte était sans doute mieux organisée que ne l'était les terres qu'ils pillaient d'ordinaire.  « Mais il est effectivement bon de se demander si ces différences qui nous opposent ne seraient pas la clé de ce tu recherche. Un point de vue trop mis de côté, une façon de faire méconnue ... Qui sait, tu pourrais apprendre des choses intéressantes. » approuva-t-il en hochant la tête, perdu dans ses pensées autant que dans les ambitions que de telles idées faisaient naitre en lui.

« Hum ... » grogna-t-il aux remarques de sa fille. L'empressement soudain de Grayce lui posait question et il se demandait d'où lui venait ce nouvel empressement à repartir elle qui, quelques instants plus tôt, cherchait l'intimité de sa chambre. Il la laissa parler, hochant la tête à quelques moment, songeant au jeune prince et à sa fiabilité relative. Il aurait préféré Asha Greyjoy. Mais puisqu'elle n'était pas disponible pouvait-il faire reposer ses attentes sur son frère ? Il était évident que Grayce ne devait, et ne pouvait, s'adresser directement à Balon. Il imagina un instant Victarion avant de secouer la tête : tout comme le roi, le capitaine de la flotte de fer ne poserait pas un regard sur elle. Il soupira. « Tout dépend d'où tu décide d'aller et de qui t'accompagne. » annonça-t-il. Il était évident qu'il ne la laisserait pas diriger une expédition seule : il comptait bien sur l'un de ses fils pour l'accompagner à nouveau. Cela restaient des voyages qui forgeaient l'expérience et leur donnait le gout de l'aventure et du dépassement de soi. Il réfléchit cependant un instant, se souvenant de la joie de son épouse lorsque le retour de ses enfants avait été annoncé. « Pas avant la fin de l'an. Ta mère veut vous voir encore un peu et il te faudra du temps pour recueillir les informations dont tu as envie, et passer le bateau de Gran au chantier. » énuméra-t-il, levant un doigt à chaque argument qu'il avançait. De plus, il n'était pas certain que le projet soit encore très clair dans la tête de la jeune fille : elle devait travailler ses découvertes, se renseigner sur sa future destination, s'entourer des bonnes personnes. Il y avait encore un travail. « Reviens me voir quand tes plans seront plus clairs et aboutis, nous en discuterons. » finit-il par lui dire, comme il l'aurait fait pour le projet de n'importe qui sous ses ordres.

Je pris mentalement des notes de ce que mon père me disait sur ces cités mystère. Cela me donnait bien envie d’y aller… Esclavagiste… C’était un peu le fromage de chèvre qui disait au vieux fromage de brebis qu’il puait. On avait des serfs, c’était pareil après tout. Je haussais les épaules, ce n’était clairement pas ça qui me faisait peur. Le truc c’était surtout comprendre les lois, le reste… Ouais et la langue aussi. C’était important… Quoi que je me fusse bien démerdée à Essos après tout. Mais je comprenais bien que c’était un gros investissement pour mon père. J’étais pas idiote… Mais dans ces différences il y avait de quoi trouver des trucs. Des trucs qui me plairaient beaucoup.

« Ouais e comprends bien. C’est pas aussi simple que de se rendre en Essos, mais c’est bien loin de toutes les contrées qu’on connaît qu’on va pouvoir trouver quelque chose de nouveau pour nos bateaux. Mais cela promet aussi sûrement un voyage au moins aussi long que celui que j’ai fait à Essos. »

Un an. Un an à nouveau très loin des Îles de Fers… Est-ce que cela me gênerait ? Non, j’avais bien l’impression que tout irait bien si je restais loin des îles de fer pour l’instant. Les souvenirs me semblaient toujours trop frais pour moi. Il fallait bientôt que je parte. Je ne pouvais pas rester trop longtemps ! C’était hors de question que je reste ici ! Il fallait que je parte et vite ! Où je voulais aller ? Le plus loin possible.

« Qui m’accompagne ?! Bah Gran et Gwendys, pourquoi changer une équipe qui gagne ? Comme ça Gwendys apprendrait aussi des tas de choses, comme à Essos. »

Oui ! Pourquoi… Mais c’était si loin ce début d’année ! Tout ça pour mère… Bon… d’accord je comprenais les raisons de mon père… Mais merde ! Je voulais pas rester prendre racine ici moi ! Il fallait que je bouge et que je vive ! Pas que je fasse plante verte. Je retiens malgré tout un grondement.

« C’est compris père. »

Je ramassai mes affaires avant de me lever.

« D’accord. J’reviendrais alors. Bonne soirée père. »

Je mis mon sac sur mon épaule avant de sortir en refermant la porte derrière moi. J’avais à la fois envie de hurler et de courir. Pourquoi fallait-il toujours attendre. En attendant, Gwendys serait parfaite pour m’aide dans les recherches.