Par delà le Détroit. [Avec Oberyn Martell.]

Palais Vieux, an 304, lune 5, semaine 1.

A mon Oncle,


Seul Trios sait combien d’essais il m’a fallut pour parvenir à rédiger cette lettre. Et même alors que je trace ces mots, je ne sais comment débuter cette missive. Vous me savez pourtant familière de cet exercice. Il y a tant de choses que j’aimerai vous dire, mon Oncle. Tant de choses que j’aimerai vous expliquer. Tant de choses que j’aimerai vous conter. Hélas, je ne sais si vous pourriez me croire ou si je serais capable de formuler la tempête qui gouverne mon esprit. Comme j’aurai aimé pouvoir vous voir une dernière fois. La chose fut cependant impossible pour bien des raisons. Aussi, voyez en cette lettre le gage de toute l’affection que je peux vous porter. Que peut porter une nièce à son oncle.


Lorsque vous lirez ces mots, je serais en route pour Tyrosh. La mer s’est apaisée depuis la fin de l’hiver. Je devrais y être avec ma fille d’ici quelques jours. Darna y sera bien entourée. Pour ma part, il y a des choses qu’une fille de Tyrosh se doit d’effectuer. Je ne sais lorsque je serais de retour à Dorne. Je prie Trios pour pouvoir fouler à nouveau cette terre au plus vite. Je… J’ai trop longtemps nié l’endroit d’où je venais et les responsabilités qui allaient de paire avec mon sang, avec les origines qui sont les miennes. Appelez cela le mal du pays. Ne vous en faites cependant pas. Ma famille a veillé à ma protection et y veillera aussi longtemps que je me trouverai en dehors de nos frontières. Je ne sais si vous comprendrez mon acte. Je ne peux vous l’expliquer, à mon grand désarroi. Je ne sais qu’une chose, à dire vrai. Je dois faire ce voyage.


Vous quittez tous et toutes me plonge dans une terrible affliction. J’ai été bien en peine de rédiger d’autres lettres en plus de la vôtre. Pourrais-je vous demander une dernière faveur ? Un autre feuillet scellé se trouve avec celui-ci. Sans doute l’avez-vous déjà remarqué. Pourriez-vous le transmettre à mon époux par corbeau ou à son retour ? Je n’ai, hélas, pas le temps de le faire moi-même. J’écris cette lettre à la lueur d’une bougie, alors que mes quelques effets personnels sont déjà à bord d’un navire près à quitter Dorne. Ne cherchez cependant pas mon œuf de dragon en ce palais. Si je dois laisser bien des richesses derrière moi, celle-ci est bien la seule dont je ne peux me priver. Essos est la terre qui a vu naître les dragons. Peut-être trouverais-je des réponses à certaines de mes questions en l’emmenant avec moi ? Je prie pour cela, en tout cas.


Je vous en prie mon Oncle, faites attention à vous durant mon absence. Je m’en veux de quitter ce palais alors que tant d’autres l’ont déjà fait. La guerre nous pousse à de cruelles décisions, hélas. Celle que je prends est d’une toute autre nature, il me semble. Je comprendrais que vous puissiez m’en vouloir. Hélas, il y a des appels qu’il est impossible de nier ou d’occulter. L’encre est d’une couleur différente, preuve qu’une pause a été faite. Si toutefois vous voudriez m’écrire, faites porter vos lettres auprès de l’archonte mon père. Il se chargera de me les transmettre lorsque cela sera possible. Je vais profiter un temps de l’hospitalité du temple et du clergé de Trios. Puissent vos Dieux comme les miens vous préserver vous et les Martell.


Talya.

Temple de Trios de Tyrosh, an 304, lune 6, semaine 1.


A mon Oncle,


Je vous prie de m’excuser pour mon silence. Si j’avais tant de mots à vous offrir à tous et à toutes, ma plume se montra bien vile de me priver ainsi du bonheur de vous écrire. Qui plus est, votre lettre ne m’est parvenue que fort tard. Nesa, Trios ait son âme, a trouvé préférable de s’assurer de mes progrès avant de me permettre de vous écrire. Si vous tenez cette lettre entre vos mains, c’est qu’elle m’a jugée digne de retrouver un semblant de liberté. Savoir votre cœur emplit de tristesse n’a pu qu’ébranler mon âme… Soyez cependant assuré d’une chose, mon Oncle. Si je vous ai quitté, vous et le reste de notre famille, ce n’est que pour mieux revenir, le moment venu. Je vous en prie, gardez le sourire. Vous n’aurez pas le temps de vous rendre compte de mon absence que je serais déjà revenue à Dorne.


La traversée s’est fort bien déroulée, soyez-en rassuré. La fin de l’hiver a apaisé la mer, semble-t-il. Je vous remercie d’avoir fait parvenir mes mots à mon époux. Il a temps de choses dont j’aimerai m’entretenir avec lui. Avec vous. Avec mon beau-père et ma belle-sœur également. Hélas, l’encre et le papier seront nos seuls vaisseaux pour le moment. Sachez que vos mots m’ont réchauffé le cœur. Pour le moment, je n’ai guère eut le droit de revoir les miens. Il y a des sacrifices que nous ne pouvons éviter, celui-ci en est un parmi tant d’autres. Trios saura m’indiquer lorsque le moment sera venu de les retrouver. De vous retrouver également. Nesa semble disposée à ce que je vous fasse parvenir, aux Martell comme au reste de ma famille, assez fréquemment de mes nouvelles. Je n’y manquerai donc pas. Ma seule limite sera cette bougie qui doit me tenir plusieurs jours encore !


J’ai été fort bien accueilli au temple de Trios, si cette nouvelle peut apaiser votre âme. Nesa est une femme dure mais d’une grande intelligence. Je gage que si je l’avais croisée dans un autre passé, j’aurai grandement apprécié de confronter mes pensées aux siennes en de plus libres situations. Trios en a cependant décidé autrement. J’ai bien des choses à apprendre, à réapprendre à son sujet. Il y a des choses que les voyages ne peuvent jamais effacer. Ou du moins, pas totalement. Le Dieu Ivre me l’a bien fait comprendre.


Si je ne peux m’épancher sur ces Mystères qui me sont à nouveau révélés, il y a cependant un récit qui me tient fort à cœur de vous relater. Peut-être y trouverez-vous un réel intérêt et que vous décideriez de le transmettre au reste de notre famille ? Peut-être même vous fera-t-il rire et deviendra ainsi un outil pour apaiser votre âme ? A moins que vous ne souhaitiez me donner votre avis quant à cet étrange aventure que Trios m’a donné de vivre ? Je l’espère de tout cœur ! Je vous demanderez cependant de ne pas ouvrir le petit paquet que le messager vous a remis avec cette missive. Vous comprendrez pourquoi lorsque vous aurez lu l’histoire que je m’en vais vous conter.


Tout cela a débuté une semaine après mon arrivée au temple. Il faisait nuit noire et je ne recherchais que le repos après une longue et rude journée. C’est alors qu’une sorte de présence me tira de mes songes encore fort légers. Une petite masse qui ne semblait peser que quelques poignées de grammes. Cela vous paraîtra sans doute surprenant, mais une créature avait réussi à se frayer un chemin au creux de ma modeste demeure. Rassurez-vous, il ne s’agissait pas d’un tigre ou d’un quelconque autre fauve ! Une petite chose au corps aussi doux et chaud qu’un foyer, dont la chaleur a réchauffé chaque fibres de mon corps, se trouvait là, dans ma couche, contre ma jambe. Elle ne s’est même pas réveillée, lorsque je l’ai frôlée pour la première fois.


Mon Oncle, il s’agissait-là du plus bel oiseau que Trios m’a donné de voir.


Un oiseau entièrement blanc, de la pointe de son bec à l’extrémité de sa queue, en passant par ses ailes. Seules ses prunelles ne suivent pas cette règle, étant aussi noires que les abysses. Elles brillent cependant d’une intelligence que je n’avais encore jamais vue chez un animal. A l’heure où j’écris ces mots, elle est encore d’une bien petite taille. Sans doute avez-vous déjà pu observer des mouettes depuis votre fenêtre ou dans les rues de la Ville Ombreuse ? Ma compagne impromptue fait cette taille, environ. Je ne le pense pas capable de voler, cependant. Sans doute n’est-elle pas encore assez grande pour cela. Je vous assure cependant qu’elle apprécie grandement les mets préparés par les cuisiniers du temple.


Si cette petite mouette ne peut voler, il n’en reste pas moins qu’elle fait preuve d’un certain caractère et d’une réelle volonté de découvrir le monde, si vous voulez mon avis. Il lui arrive de rester sur mes épaules, sa queue enroulée au niveau de mon cou comme une liane, afin d’épier mes faits et gestes. Si elle a parfois des sautes d’humeur, elle est rapidement devenue une amie des plus précieuses pour moi. Nesa ne s’est pas formalisée de sa présence, bien qu’elle fut surprise de la découvrir en ma tanière. Son silence m’est acquis, ainsi que son aide. Bientôt, cette petite mouette tiendra davantage du goéland ou de l’albatros, si vous voulez mon avis. Peut-être même dépassera-t-elle une telle taille et une telle envergure ! Du moins, si Trios le veut.


Alors dites-moi, mon Oncle, comment avez-vous trouvé mon histoire ? Comme j’aimerai vous présenter cette magnifique créature. Je suis certaine que vous la trouveriez magnifique, vous aussi. A bien des égards, son allure dépasse de loin toutes les splendeurs que les oiseaux marins peuvent offrir à nos regards. A présent, vous pouvez ouvrir le petit paquet qui, je n’en doute pas, a été conservé fermé précieusement par vos soins. Votre vision de mes mots a du grandement changer, à présent que vous avez suivi ma demande.


Après tout, vous l’aviez dit vous-même. Je ne suis guère la seule à posséder un oiseau de cette nature. S’ils étaient autrefois l’apanage d’une seule lignée, à présent, ils se lient volontiers à d’autres personnes au sang bien plus mêlé. Voire à un sang qui ne les a pourtant jamais connu par le passé. Je me dois d’achever cette missive, désormais. Vous voici dépositaire d’un grand secret, mon Oncle. L’archonte mon père en a été informé également. Je vous sais avisé. Transmettez donc ce conte, le conte de Nümia, aux nôtres restés à Dorne. A votre sang, à ceux et celles qui partagent notre âme. Que Trios vous préservent tous et toutes des tensions qui animent ce monde qui est le nôtre.


Votre nièce, Talya de Tyrosh.

Temple de Trios de Tyrosh, an 304, lune 7, semaine 1.


A mon Oncle,


Les mots qui furent les vôtres n’ont pu que me toucher jusque dans les fibres de mon âme. J’ai pris grand plaisir à vous conter cette histoire qui est désormais la mienne. La nôtre. Comme j’aurai aimé vous faire parvenir cette lettre plus tôt. Hélas, une certaine tension règne autour de moi. J’ai cependant trouvé un moment pour rédiger ces quelques mots entre deux prières et les quelques préparatifs qui m’incombent. Les bougies que m’apporte Nesa ont toujours été précieuses. Elles le sont davantage encore à présent. Lorsque cette missive vous parviendra, je serais sans doute en route pour Lys. A moins que je ne m’y trouverai déjà ? Seul Trios peut le savoir. Mon père fera en sorte de me transmettre les lettres que vous pourriez m’écrire, comme à l’accoutumée.


Je tâcherai de répondre à vos questions dans la mesure du possible. N’y voyez pas là une quelconque méfiance à votre égard, mon Oncle. Je suis heureuse que Nümia puisse égayer vos jours comme elle égaie les miens ! Hélas, il y a bien des choses que j’ignore quant à la situation qui est la mienne désormais. Promettez-moi cependant de faire attention à vous et à votre santé. Je ne peux comprendre les exactes raisons de vos inquiétudes ou de vos troubles. Depuis ma petite cellule, fort en désordre il est vrai, je ne peux que vous enjoindre à la prudence. Votre soutien depuis Lancehélion est d’un grand réconfort dans cette épreuve et me touche énormément. J’espère que vos recherches donneront d’heureux résultats.


Pour ma part, j’ai commencé à tenir une sorte de journal quant à cet oiseau exotique que je possède. Au vu de l’entreprise qui est la vôtre, je vous transmets certaines de mes notes. Je ne sais si elles vous seront utiles pour la quête que vous menez. Elles m’ont cependant semblé être d’une certaine pertinence. Je vous en laisserai seul juge. Nümia reste notre source principale d’informations, bien qu’elles soient pour le moins cryptiques. Je ne sais comment mon oiseau réagira durant le voyage jusqu’à Lys. Rendez-vous compte, cela sera la première fois que Nümia quittera l’endroit où elle a vu le jour, bien que cela se fera à l’abri des regards. J’aurai sans doute bien des choses à vous dire à ce sujet, lors de ma prochaine missive.


Pour le moment, le plus important est que Nümia garde son calme. Il semblerait que ses humeurs soient, en partie du moins, dérivées des miennes. Elle s’agite davantage lorsque je suis moi-même agitée. Elle s’apaise lorsque je m’apaise et la séparation, même pour quelques heures, semble être douloureuse pour nous-deux. La nourriture semble la rendre plus obéissante, dans une certaine mesure également. Il en va de même pour les quelques jeux que j’ai pu mettre en place pour rendre son enfermement plus supportable. Elle apprécie grandement le poisson très cuit que Nesa lui apporte, d’ailleurs. Tout cela semble lui réussir ! Lorsqu’il m’est possible de la prendre dans mes bras, j’ai l’impression qu’elle a gagné en force et en carrure. A moins que cela ne soit la suite normale des choses pour une telle créature ? Je ne saurais dire.


Je vous avoue nourrir quelques inquiétudes au creux de mon cœur, malheureusement. Je ne sais si cela est habituel pour un oiseau d’une pareille espèce mais Nümia ne vole pas, mon Oncle… Elle ne vole pas, pas plus qu’elle ne plane. Tout juste se contente-t-elle de sauter d’un meuble à l’autre, comme un petit tigre, lorsqu’ils ne sont pas trop éloignés l’un de l’autre. Ses ailes restent désespérément repliées, bien qu’il me soit déjà arrivé de la surprendre en train de les étirer, comme si elle souhaitait s’envoler.


Peut-être est-elle encore trop petit et trop frêle pour cela ? Vous avez vu et connu davantage de ces oiseaux que moi, mon Oncle. Je ne sais si vous avez une réponse à cette question. Je vous avoue avoir plusieurs fois songé à étancher ma curiosité par moi-même, à ce sujet. Les propos de d’autres personnes m’en ont découragé. A présent, seuls les Dieux peuvent savoir si rencontrer cet autre oiseau et celle qui en prend soin aurait pu m’aider dans ma situation. Nümia semble se porter pour le mieux et c’est là tout ce qui compte. Avec vous, mon époux et Sarella à mes côtés, les choses ne peuvent que bien tourner. J’en ai l’infinie certitude et je prierai pour que les choses aillent dans notre sens. Alors, nous aurons toutes les outils nécessaires pour annoncer la nouvelle au reste de notre famille, le moment venu.


Je tâcherai de tendre l’oreille lorsqu’il me sera donné de sortir à nouveau. Les Cités Libres ont toujours été à l’écoute du souffle de contrées de l’autre côté du Détroit. La guerre est un grand mal pour le commerce, comme vous pouvez vous en douter. Plus d’une voix y trouvera là un sujet de discussion, à mon humble avis. Tyrosh est restée la Cité que j’ai laissée derrière moi au moment de mon mariage. Aux premiers abords, vous pourriez croire que la guerre entre les deux Frères Dragons n’existent pas, en vous trouvant ici. La vie suit son cours, immuable et bigarré ! Ma famille se porte pour le mieux. Mes frères et mon autre oncle doivent être en mer, à l’heure où j’écris ces lignes. Quant à ma fille, ma tante l’apprécie beaucoup et je suis certaine qu’elle se plaît auprès de ses cousins et de ses cousines. Que cela à Dorne ou à Tyrosh, elle n’a jamais été seule et ne le sera jamais.


Cela m’a fait grand bien de retrouver mes Dieux, je ne peux le cacher. Si vous, mon beau-père et le reste de notre famille vous êtes montrés très ouverts quant à ma foi, fort est de constater que ce n’était pas le cas de d’autres personnes. La différence effraie, voilà tout. Sans doute est-ce pour cette raison que mes réelles inclinaisons se sont faites plus discrètes. Trios est pourtant un Dieu aussi protecteur que peut l’être le Père, aussi courageux que le Guerrier, persévérant comme le Ferrant, miséricordieux comme l’Étranger, donneur de Vie comme la Mère et sage comme l’Aïeule.  Le Dieu Ivre est le seul à craindre dans ce cas, bien qu’il soit également un bon vivant.


Si mes pas venaient à croiser ceux de Sarella, je ne manquerai pas de la saluer pour vous. Je suis rassurée de la savoir à Lys, malgré la douleur que cela peut nous causer de la savoir aussi loin de Dorne. Qui plus est, je ne doute pas que la Cité est à son goût. Il y a tant de choses à y voir, que cela soit ses artistes ou ses érudits. J’aurai encore tant de choses à vous dire, mon Oncle. Hélas, il y a encore bien des choses à préparer ici. Il me faut ranger ma plume pour le moment, pour mieux m’en armer plus tardivement. Que Trios et les Sept veillent sur vous, sur mon époux et sur le reste de notre famille et que jamais les ténèbres des abysses ne puissent vous haper.


Votre nièce, Talya.

Temple de Trios de Myr, an 304, lune 8, semaine 1.


A mon Oncle,


Veuillez m’excuser pour cette réponse plus tardive. J’ai reçu votre précédente missive peu de temps avant notre départ pour Myr, ce qui m’a empêché de vous répondre comme je le désirai. A présent que nos quelques effets sont disposés dans notre nouvelle demeure, je peux me prêter à cette exercice qui me plaît tant, à savoir vous relater les évènements des dernières semaines. J’espère que cela vous mettra du baume au cœur, comme lors de nos missives précédentes. Je ne peux que partager votre sentiment.


Votre absence à tous et à toutes me pèse énormément également. Vous, les Martell, m’avez accueillie comme une fille, une nièce, une sœur et une cousine de plus sans douter un instant de moi. Dès lors, être loin de vous, être loin des miens est également une grande douleur. Avec vos lettres, j’ai l’impression de tenir Lancehélion et le Palais Vieux entre mes mains l’espace de quelques minutes. Un fait qui me réchauffe le cœur, même au plus profond de l’obscurité des temples qui sont devenus ma demeure.


Prenez soin de vous, mon Oncle. Les vipères entrent parfois dans une sorte de sommeil, lorsque les temps se font plus gris. Mais ce n’est que pour mieux sortir de leur torpeur lorsque le climat se réchauffe. Je sais que la Vipère Rouge est toujours là, quelque part. Il faut juste vous laisser du temps. Nous avons tous et toutes souffert en voyant nos familles quitter Dorne. Jamais je ne vous trouverai ennuyeux d’être un homme qui a aussi du faire ce sacrifice pour protéger les siens.  Comme j’aimerai être à vos côtés, avec Ellaria et vos filles. Un jour, tout redeviendra comme avant. Nous devons y croire.


Vos recherches, qu’importe les résultats qu’elles donneront, nous permettront d’avance quoiqu’il puisse advenir. Les dragons ont beau avoir régné en maîtres sur Essos, puis Westeros, les sources à leur sujet sont des plus partielles et parcellaires. Le simple fait de les passer en revue et de les étudier avec un œil neuf sera une grande avancée. J’essayerai de me procurer quelques ouvrages avant mon retour.


J’ai tâché de suivre le conseil que vous avez formulé dans votre lettre précédente. Nümia semble effectivement se porter comme un charme, vous aviez raison de me conseiller de ne pas m’inquiéter. Sur notre navire, il lui est arrivé de chasser les rats qu’elle pouvait trouver dans notre cabine, avec un certain succès je dois dire. Elle a également fait ses premières sorties sur le pont de notre navire, alors que tous et toutes étaient couchés. Mon cœur se brisait de la savoir enfermée avec nous alors qu’elle rêvait de liberté à n’en pas douter. Elle grandit à son rythme, à mon humble avis. L’air marin lui fait autant de bien à elle qu’à moi.


Si je n’ai pas eu l’occasion de croiser Sarella, je n’ai pas manqué de lui faire parvenir un billet pour lui indiquer ma présence. Nous avons pu échanger de la sorte le temps de mon séjour à Lys et j’ai eu toutes les peines du monde à la retenir de venir me voir. Nesa tient à ce que personne ne me dérange pendant ma retraire, chose que j’accepte tout à fait. J’ai cependant grand hâte de lui présenter également mon oiseau dès que j’en aurai l’occasion. Sachez que Sarella a toujours été là pour moi dès son retour à Lancehélion et que je serais toujours là pour elle. Au-delà d’être devenue ma cousine, elle m’est également une amie des plus précieuses.


Que Trios, le Dieu Ivre et les Sept vous protègent.


Votre nièce, Talya.

Temple de Trios de Pentos, an 304, lune 9, semaine 2,


A mon Oncle,


Veuillez excuser l’empressement que vous pourriez ressentir dans ces mots. Le messager envoyé par mon père avec votre lettre est arrivé à Pentos alors que nous sommes à quelques jours seulement de notre départ pour Tyrosh. Je tenais cependant à vous écrire à nouveau. Je ne sais lorsqu’il me sera permis de rentrer à Dorne mais je pressens que cela sera pour bientôt. Je ne comprends que trop bien les sentiments qui animent votre cœur. Aussi, je me permets d’espérer que la nouvelle de mon retour prochain saura vous arracher un sourire. Je ne peux que vous enjoindre à vous préparer, je ne peux que compter sur vous pour me conter les dernières nouvelles qui ont animé la Principauté en mon absence !


Transmettez mes salutations à Obara et Elia, de même que mes meilleurs sentiments. J’espère qu’il me sera permis de voir leurs progrès de mes propres yeux ! Si ce voyage m’a permis de renouer avec mes origines, avec mon sang, je n’en oublie pas la famille qui m’est restée à Dorne. Mon cœur est bien assez grand pour tous et toutes vous accueillir. N’ayez crainte quant à vos recherches. La patience est une grande vertu, à ce sujet.


Nos attentes ont d’ailleurs été récompensées il y a peu, pour ne rien vous cacher ! Nümia vole, mon Oncle ! Ou tout du moins, elle volette ! Il nous arrive de la retrouver perchée sur des meubles que nous jugions trop hauts pour elle ou encore de la voir traverser notre chambre, selon ses envies. Ses ailes se fortifient de jour en jour. Il m’arrive de croire que son instinct la pousse à s’entraîner de la sorte pour un vol futur. Un réel vol, cette fois. Mon cœur s’emplit de fierté, à cette pensée.


Plus le temps passe et plus la petite mouette se change en un magnifique albatros. Si le dessin que vous a transmis Nesa ne date que d’un peu plus d’une lune, je pense que vous trouverez Nümia fort changée à mon retour. Il me faudrait sans doute un livre entier pour répondre comme je le désire à vos questions ! Hélas, le temps m’est compté en ces lieux. Voyez cela comme une partie remise. Nous pourrons en discuter plus longuement lorsque je poserai à nouveau le pied à Dorne. Par quoi commencer…


Son caractère, je suppose ? A dire vrai, je lui trouve de grandes capacités d’adaptation. Elle semble se plaire aussi bien au-dessus des flots que sur la terre ferme et se nourrit aussi bien de viande que de poissons. Son intelligence ne fait que peu de doutes également. Elle a plus d’un tour dans son sac lorsque l’envie lui vient de tenter de me fausser compagnie. Fort heureusement, Nesa m’aide à veiller sur elle. A dire vrai, mon oiseau a un fort caractère. En bien comme en mal. Elle semble avoir bonne mémoire et n’oublie pas facilement les moments où je me retrouve à devoir la punir. Elle apprécie grandement être au centre de l’attention également.


Je fais en sorte de l’entraîner aussi régulièrement que possible, afin de corriger ses écarts de caractère. Les dragons ne sont pas des animaux comme les autres. J’imagine cependant qu’une bonne éducation pourra nous éviter bien des ennuis. Nümia semble par ailleurs fort réceptive au Haut Valyrien et au Tyroshi. A dire vrai, je ne lui parle que dans ces langues, tant leurs sonorités semblent lui plaire. Je tâche de lui apprendre à réagir à des ordres simples, bien qu’elle ne soit pas toujours réceptive. Lorsqu’elle était plus jeune, j’utilisai aussi une réplique de ces leurres que les fauconniers utilisent avec leurs oiseaux de proie. A présent, cette technique n’est plus utilisable mais elle a fait ses preuves, à mon humble avis.


Quant à notre lien… Mon Oncle, il s’agit-là d’un sentiment fort étrange. Je n’avais jamais rien ressentit de semblable auparavant. J’ai l’impression que nos âmes sont liées, d’une certaine manière. Nümia ressent mes émotions les plus fortes, il me semble. Aussi, je ne peux que travailler sur ma propre personne pour m’assurer qu’elle demeure aussi calme que possible. Je ne saurais dire si cela est du à son jeune âge, ou à d’autres facteurs, mais elle ne supporte pas que je m’éloigne trop d’elle. A dire vrai, cette simple pensée me soulève le cœur. Elle ne réclame cependant pas mon entière attention ou affection. Pour ne rien vous cacher, elle s’est rapidement accoutumée à la présence de Nesa. S’il est convenu que je m’occupe moi-même de tout ce qui concerne mon oiseau, Nesa peut tout à fait se trouver dans la même pièce qu’elle sans que cela ne pose de problème.


Par ailleurs, puis-je vous demander un petit service, à ce sujet ? Notre départ pour Tyrosh approchant, je ne peux qu’imaginer que mon retour à Dorne est des plus proches. Aussi, il convient de commencer à préparer le nécessaire pour que tout se passe pour le mieux. Je ne sais pas si cela fonctionnera mais j’aimerai préparer Nümia à vous rencontrer, vous, mais aussi les Martell. Pourriez-vous me transmettre des étoffes portant les odeurs de ceux et celles que vous avez mis dans la confidence ? Ma famille se chargera de les conserver jusqu’à mon arrivée à Tyrosh. Vous savez aussi bien que moi que la discrétion sera primordiale, à mon retour. Nümia ne peut se protéger seule pour le moment. Aussi, je tiens à ce que notre retour se passe sans accrocs.


Que Trios, le Dieu Ivre et les Sept vous protègent.


Votre nièce, Talya.

Tyrosh, an 304, lune 10, semaine 1,


A mon Oncle,


Après avoir laissé Myr pour Pentos, il a été temps pour moi de laisser Pentos pour Tyrosh. Nesa semble satisfaite de mes progrès et ce retour est une véritable récompense. Une sorte de consécration, à n’en pas douter. Mon père avait conservé votre dernière lettre afin de me la remettre au moment où j’aurai posé le pied sur la terre ferme. Je ne peux que vous remercier d’avoir accédé à ma demande et de m’avoir fait également transmettre les objets que j’avais demandé ! Je fais en sorte d’y confronter Nümia régulièrement, afin de l’habituer à vous tous avant notre retour effectif. Il me tarde de vous la présenter comme il se doit.


Étant désormais en sécurité entre les murs du palais de mon père, j’ai entrepris de remettre de l’ordre dans les notes que j’ai pu prendre au cours de mes voyages. Nous ne pouvons savoir sous quels auspices notre avenir se déroulera. Aussi, je me plaît à songer que ces écrits serviront à d’autres personnes, un jour prochain. Les dragons ont fait leur retour et les sources manquent grandement à ce sujet. Si l’une des ces phrases peut éclairer le chemin d’un autre dragonnier, je ne pourrais que m’en réjouir. Dans le cas contraire, il s’agira d’une bonne manière pour nous de garder une trace de nos recherches et de nos expérimentations.


La lumière n’est jamais loin, mon Oncle. J’ai été plongée dans un réel brouillard pendant plusieurs lunes. Des lunes où je ne savais à quel Dieu vouer mes prières, pendant lesquelles j’ai été tourmentée jusque dans mes rêves. Il m’a fallut du temps pour retrouver le chemin qu’il me fallait emprunter. Laissez-vous du temps, mon Oncle. Nos vies ont été bouleversées de bien des manières, pour le meilleur comme pour le pire. J’ai par ailleurs une nouvelle à vous annoncer à ce sujet. Cette lettre sera la dernière que vous recevrez de ma main. Mon retour se fera d’ici quelques jours, quelque semaines tout au plus. Souriez mon Oncle, je vous en prie. Nous pourrons bientôt discuter de vive voix !


Je vous avoue que je n’avais pas songé à cette hypothèse. Peut-être que le lien que je partage avec Nümia est plus profond que je ne pouvais l’imaginer ? Nos esprits pourraient agir comme une sorte de… comme des vases communicants ? Cette hypothèse semble se tenir. Je tâcherai de la garder à l’esprit. Nous verrons si elle se confirme dans les lunes à venir. Je me permets de rêver de textes perdus ou de documents qui auraient échappé aux affres du temps et au Fléau de Valyria concernant les dragons et leurs Seigneurs. Il me faudrait sans doute des années pour m’assurer de ce fait.


Mes frères ont cependant été rapidement mis dans la confidence et ont débuté quelques recherches. Je vous sais au fait de l’histoire des Cités Libres. Aussi, vous devez sans doute déjà savoir que Tyrosh a longtemps été un avant-poste valyrien, utilisé pour effectuer une surveillance militaire dans la région. Peut-être avons nous conservé d’autres traces de ce lointain passé, dans certaines de nos bibliothèques, dans nos plus hautes étagères, aujourd’hui oubliées du plus grand nombre. Nous verrons si mon intuition se confirme ou non.


Si je vous envoie cette lettre, c’est aussi pour préparer ce retour. Mon père et moi en avons longuement discuté avant de prendre nos dispositions. Nous avons limité au strict nécessaire les personnes mises au courant de l’existence de mon oiseau. Je serais escortée par l’équipage qui a veillé sur moi lors de mes précédents voyages. Je sais de mon oncle que l’itinéraire est en cours de préparation. Mon père transmettra les informations nécessaires le moment venu.


Que Trios, le Dieu Ivre et les Sept vous protègent et que Dorne reste invaincue, insoumise et intacte.


Votre nièce, Talya.