Une Vouivre à Bois-de-Saule. - ft. Melior

Melior avait passé une partie du voyage juchée sur sa propre monture. Une créature au pas sûr, à la robe noire uniformément noire, que la Vouivre tenait de son défunt paternel, qui avait tenu à ce qu’elle soit sienne depuis le jour où elle était devenue son héritière. Un Seigneur, disait-il, quand bien même fusse-t-il né femme, se devait de posséder une monture digne de son rang. Digne de son rang et de ses activités. Car Melior n’était pas femme à se contenter des murailles de sa demeure. Chassant volontiers au faucon, se rendant souvent en personne auprès de d’autres familles, monter à cheval avait toujours été une évidence, pour la Vouivre. Dans sa jeunesse déjà, elle s’était faite remarquée pour ses aptitudes de cavalière. Aussi ne prêtait-elle que peu d’attention aux courbatures qui lésaient ses muscles, à ses doigts rendus douloureux malgré les gants qu’elle portait à force de tenir des rênes.


Encadrée à sa droite par son époux et à sa gauche par l’un des hommes d’armes au service e sa famille, Melior observait les alentours, échangeant de temps à autre quelques paroles avec les deux hommes. Le Conflans. Une terre que la Vouyvère n’avait encore jamais parcouru, malgré les nombreux voyages que les Sept lui avaient donné de faire au cours de son existence. Cela faisaient un moment qu’ils erraient en ces terres vallonnées, contournant collines et évitant les chemins les plus tortueux, les plus sinueux. Tous et toutes avaient les sens aux aguets. Le Bief leur était connu. Une terre familière, offrant des paysages tantôt verdoyants, tantôt colorés. Une terre où il était parfois malaisé de se dissimuler pour une foule d’individus oubliés des Sept, à moins de préférer les zones boisées. Le petit groupe avançait donc avec prudence, armés comme la prudence le demandait en de telles circonstances.

Melior ne faisait pas exception à cette règle. Arc sur le dos, carquois sur la cuisse, la Vouivre se tenait aux aguets, alerte au moindre son qui sortirait de l’ordinaire. Si les rumeurs de brigandages s’étaient raréfiées dans cette région, mieux valait pécher par excès de prudence. Des voyageurs loin de leur foyer restaient des cibles faciles. Fort heureusement, Bois-de-Saule n’était plus qu’à quelques encablures de leur position. Bientôt, tous autant qu’ils étaient pourraient prendre un repos des plus salutaires. Car ces excès de prudence, de méfiance, étaient aussi dus à leurs esprits quelque peu éprouvés par un tel voyage.

C’est alors que Merel s’agita à ses côtés. Reportant son attention sur le garde qui se trouvait à ses côtés, Melior l’interrogea du regard. Le jeune homme avait sans doute une meilleure vue que lui car, de l’index, le garde indiquait une bâtisse, au loin. La fin de leur voyage était donc plus proche que prévu. Sans doute ne tarderaient-ils pas à se faire repérer par les gardes affiliés aux Ryger. Un fait qui apaisa la Vouivre. Ils étaient désormais en terre amie. Après tant de journées de voyage, par tous les temps, ils étaient arrivés à destination. Pris d’une énergie nouvelle, le petit groupe accéléra sa cadence.

C’est toujours sur le dos de sa monture personnelle que Melior pénétra avec ses gens dans la cours de Bois-de-Saule. Merel fut le premier à sauter au sol, gardant les rênes de sa monture dans sa main droite, tandis que sa main gauche venait quérir les rênes du cheval de la Vouyvère. Souplement, la Vouivre retrouva le sol, tapotant les manches de sa robe de voyagee aussi sombre que de la cendre. Le tissu libéra alors une petite quantité de terre et de poussière. Laissant arc et carquois aux bons soins d’un autre de ses hommes, la Seigneuresse de Darkdell accepta volontiers le bras que son époux lui offrait, glissant sa main au creux de son bras. C’est ensemble qu’ils se présentèrent devant Celia et Kirth Ryger, ainsi que leur intendant. Déjà derrière eux, quelques personnes s’activaient à mettre leurs montures à l’abri et à mettre au sol les quelques bagages qu’ils avaient emmenés avec eux.

Alors que Melior s’apprêtait à ouvrir la bouche, un fait ne put que la frapper. Cette femme. Si Lady Melantha n’avait point déjà rendu son dernier souffle, la Vouivre aurait pu jurer qu’elle se trouvait là, devant elle, avec bien des années de moins. La défunte Ryger avait eu bien des enfants, et parmi eux, plusieurs filles. Il ne pouvait s’agir là que de l’une d’entre elles. Il lui semblait l’avoir aperçue, à Lestival. Lady Cleya ? Non, ce prénom ne lui disait que peu de choses. Lady Celia ? Voilà une hypothèse qui ne faisait point fourcher sa langue. Quant à cet homme qui se trouvait à ses côtés, il lui semblait qu’ils avaient sensiblement le même âge. Ses traits ne lui étaient pas totalement inconnus également. Hélas, sa mémoire semblait vouloir lui faire défaut. Si la Vouivre n’avaient que peu de doutes sur le fait qu’il s’agissait-là d’un des héritiers de Bois-de-Saule, son prénom fuyait sa langue.

« Sir Ryger, Lady Van. Melior esquissa une légère révérence. Aux noms des Vouyvère et des Costayne, je vous remercie pour votre accueil et ne peut que vous faire part de nos condoléances pour Lady Melantha et Sir Perwyn. Puissent les Sept prendre en pitié leurs âmes et leur assurer le repos. »

Comme Melior aurait souhaité se rendre en pareils lieux en d’autres circonstances. Si Bief et Conflans étaient quelque peu éloignés, tournois et autres réjouissances lui auraient permis de revoir les Ryger. Hélas, les Sept en avaient décidé autrement et, dans cette cour, ils n’étaient qu’un couple de plus venus rendre un dernier hommage à deux défunts. Ce milieu de l’an 303 s’annonçait décidément fort mal, tant l’Étranger semblait y avoir laissé sa marque. Sa tenue de voyage n’était qu’un rappel de cela, de cette tenue qu’il lui semblait porter au quotidien depuis presque une lune à présent. Si les couleurs des Vouyvère étaient de sable, d’argent et de gueules, seule cette première couleur imprégnaient leurs tenues et le voilage qu’elle portait sur son chef.

A la mention du nom de la défunte, Melior hocha doucement la tête. Leur venue n’était là que justice, au vu de la grande dame que Lady Melantha avait été. Seule sa propre santé, si elle s’était montrée défaillante, l’aurait empêchée de faire pareil voyage. Fort heureusement, les Sept l’avaient doté d’un goût pour les longues chevauchées et de muscles assez résistants pour lui permettre d’en profiter pleinement. Si seulement d’autres responsabilités ne l’avait pas empêchée de retrouver les Ryger plus tôt, en d’autres circonstances également. De cette amitié de Lestival était née une correspondance assez soutenue, que Melior avait pris plaisir à entretenir ces dernières lunes. Dès lors, la Vouivre ne pouvait que conserver quelques regrets. Point de rancœur cependant, pour les Sept dont les Volontés avaient fait que leurs chemins à elle et à sa défunte amie ne s’étaient point réellement recroisés.

« L’honneur est partagé, Lady Celia. Les lettres de votre mère m’ont toujours été fort agréables. Je regrette de ne point avoir pu échanger à nouveau avec elle de vive voix, avant ce jour fatidique. Aussi ne pouvons-nous que vous être reconnaissants de nous accueillir pour nous permettre de lui faire nos adieux dignement. »

Darkdell était fort éloigné de Bois-de-Saule. Envoyer un corbeau porter leurs condoléances et leurs prières aurait semblé préférable. Melior avait par ailleurs songé à cette possibilité, avant de lui préférer un voyage et une visite en bonne et due forme. A certains égards, Lady Melantha avait été de bon conseil lorsque la Vouivre acceptait de se confier à elle, alors qu’elle débutait sa vie de Seigneur. Cette unique raison suffisait à expliquer sa présence en ces lieux. Cela et le respect qu’elle avait eu pour la Conflanaise et pour l’œuvre qui avait été la sienne. Dès lors, il lui importait peu que ses muscles lui soient devenus douloureux. Inclinant respectueusement la tête alors que Kirth s’éloignait d’eux, Melior suivit Celia alors que cette dernière les mener jusque dans la salle principale. S’ils n’étaient pas les premiers semblait-il, au moins n’étaient pas les derniers arrivés.

« Nous vous remercions pour votre prévenance, Lady Celia. N’ayez crainte, nous traiterons bien vos deux obligées. » assura Melior, adressant un léger signe de tête aux deux servantes, avant de suivre celle qui les avait accueilli.

Glissant son bras dans le creux du coude de son époux, aussi bien pour profiter de sa présence que pour lui assurer un certain soutien dans le cas où une autre marche traîtresse se trouverait dans les parages, Melior se mit aisément à la hauteur de Celia. Bois-de-Saule différait grandement de Darkdell. Il y avait là davantage de lumière, des couloirs plus larges également, là où sa propre demeure se devait d’être avant tout défensive. Guerres et escarmouches contre les Dorniens avaient en effet laissé de faux mauvais souvenirs à ses ancêtres, qui avaient du s’adapter en conséquence. En d’autres circonstances, la Vouivre ne doutait pas du fait qu’il y faisait bon vivre.

« Fort heureusement, les Sept nous ont permis d’avoir un temps convenable, ce qui peut se révéler être une véritable bénédiction par les temps qui courent. Si l’hiver semble enfin nous laisser un certain répit, il faudra sans doute encore quelques temps pour que sa présence se fasse ressentir. La Vouivre se permit un sourire un peu plus marqué. Ainsi, vous vous êtes rendue sur les terres où nous avons vu le jour. Melior échangea un regard avec son époux avant de reporter son regard sur Celia. Les terres des Florent ont beaucoup d’attrait, bien que nous comprenions tout à fait qu’un tel voyage ait pu vous épuiser. J’espère cependant que vous avez su trouver un certain attrait à Rubriant et ses alentours.Malgré l’habitude que nous avons des longs voyages, un peu de repos nous serait profitable, il est vrai. Cela faisait fort longtemps que nous ne nous étions point rendus dans le Conflans. »

Fort était de constater que cette région n’était point synonyme de doux souvenirs, pour la Vouivre. Le Tournoi d’Harrenhal avait laissé bien des marques dans son esprit. Évaporés, les rires, les danses et les chants. Évaporés, les derniers souvenirs heureux qu’elle avait gardé de son frère aîné. Elle qui n’était qu’une enfant n’avait pas remarqué les tensions qui animaient les adultes. Elissa et elles n’étaient bercées que par les contes qui leur avaient été racontés. Des contes fortement éloignés de la réalité. La guerre passée avait tout emporté. Dès lors n’avait-elle plus remis les pieds dans le Conflans jusqu’à ce jour.