Après la guerre [Cassandre]

Lorsqu’il lui intima d’aller se reposer, ce fut comme si la réalité de son état lui revint en plein visage. L’euphorie et le soulagement de le retrouver sain et sauf et la surprise puis l’enthousiasme qu’elle avait ressenti après son élévation au rang de chevalier, tout ceci n’avait qu’un temps masquait une vérité qu’elle-même, toute forte et tenace qu’elle était, ne pouvait ignorer. Elle était épuisée. Epuisée et diminuée. Et si elle ne voulait rien montrer de son état à celui qu’elle servait afin de ne pas l’inquiéter, la vérité était pourtant là. Elle inclina simplement la tête avec respect avant de poser à nouveau les yeux sur lui et de lui adresser un faible sourire entendu. « Comme vous l’entendez. Votre Majesté. J’dois bien avouer que quitter ces terres maudites s’ra pas pour me déplaire. » Elle n’en pouvait plus, de la neige et de la glace autant que de ces nordiens qui peuplaient ces terres, le Bolton en tête. Sa méfiance envers cet homme était immense et illustrait parfaitement les craintes formulées par Viserys. Allié de fait, combien de temps le resterait-il avant de se retourner vers la main qui le nourrissait ? Ses réclamations avaient été claires et pour le moins ambitieuses. Et l’ambition à l’excès n’annonçait jamais rien de bon. Il faudrait tôt ou tard calmer les ardeurs de ce chien enragé et Cassandre le savait, le Targaryen n’hésiterait pas une seule seconde à faire appel à son propre chien de guerre pour accomplir la besogne. N’était-elle pas née pour cela, après tout ?

Elle recula de quelques pas, la douleur de sa cuisse se réveillant alors et se faisant plus forte à chaque fois qu’elle reposait le pied sur le sol. Elle resta cependant impassible, refusant d’esquisser l’ombre d’une grimace devant lui. A mi-chemin pourtant elle s’arrêta quelques secondes avant de se retourner vers lui, cherchant visiblement ses mots. Mais il n’y en avait qu’un qu’elle avait en tête. « Votre Majesté, je… Merci. Pour tout. » Elle n’était pas du genre à remercier facilement et pourtant elle avait la sensation de n’avoir que ce mot-là à la bouche en sa présence. Parce qu’elle lui devait tout et plus encore. Ces dieux qu’il s’évertuait à prier et à remercier pour le moindre rayon de soleil, elle se moquait bien de savoir quelle part ils tenaient dans leur vie à tous, si tant est qu’ils existent. C’était à lui qu’elle devait d’être en vie, à lui qu’elle devait d’être quelqu’un. A lui et à lui seul. Sans attendre aucune réponse, elle poursuivit sa route aussi rapidement que sa démarche traînante le lui permettait.

Le Targaryen avait raison, ils n’étaient pas sortis d’affaire, bien au contraire. A présent qu’il s’était dévoilé aux yeux du monde, les choses allaient se précipiter d’elles même. Ce n’était certainement pas ce qu’il avait eu en tête initialement mais les cadavres marchants avaient eu raison de ses projets initiaux. Faire marche arrière était désormais chose impossible et les prémices de la guerre à venir viendraient bien vite à poindre. Ils ne resteraient guère longtemps à Fort-Terreur, bien d’autres choses les attendaient ailleurs car les rouages avaient accéléré leur cadence. Du repos, oui, elle avait besoin de repos. Mais au fond d’elle-même, elle savait que le repos elle ne le trouverait qu’une fois la couronne posée sur la tête de l’homme qu’elle aimait. Lorsqu’elle prit conscience de la dénomination qu’elle avait utilisé en son for intérieur, elle marqua un temps d’arrêt. Jamais elle n’avait osé le qualifier ainsi et toujours avait-elle réfuté cette idée. Mais il était désormais temps qu’elle cesse de se mentir. Et de voir les choses telles qu’elles étaient. Son dévouement n’avait rien d’anodin et elle devait bien être la seule à ne pas avoir su le voir jusqu’à ce jour. Refusé de le voir était plus correct. Pourtant, cette idée désormais énoncé à voix presque haute et acceptée dans la difficulté, elle devait à tout prix la renfermer au plus profond de son cœur. Elle était Lord Commandant de la Garde Royale désormais et si toute l’étendue de ce poste échappait encore à l’étrangère qu’elle était, elle était certaine d’une chose. Au milieu de l’arène comme aux côtés d’un roi, les états d’âme n’avaient aucune place.

Elle rejoignit péniblement la chambre qu'on lui avait préparé et se laissa tomber sur la couchette avec difficulté. Sa cuisse la lançait douloureusement mais elle refusait d'y prêter trop grande attention. Tout ne faisait que commencer et de repos elle n’en prendrait qu’au jour de son trépas et pas avant. C’était le prix à payer et elle était prête à en offrir le double s’il le fallait. Telle était sa vérité.