Lost medias and lost memories [Avec Boadicée Sand]

Elle ne savait quoi faire.


S’asseoir l’indisposait grandement. Et pourtant, il s’agissait-là de la seule chose qu’elle pouvait encore faire. A dire vrai, à force de faire les cent pas, de tourner telle une dragonne en cage, Talya en avait la tête qui tournait. Elle avait essayé de lire en compagnie de Sereah, pour se changer les idées. De se remettre à la broderie, alors que Lessara tissait à ses côtés. De jouer un air entraînant sur sa cithare. Rien n’y faisait. Son esprit s’évertuait à tourner, encore et encore, sur cette lettre qu’elle avait découverte sur son bureau il y a peu.


C’était Alya qui l’avait déposée là, arguant que c’était là la volonté du Prince Oberyn. Qu’elle la tenait d’un autre serviteur qui était venue à sa rencontre, souhaitant se rendre dans ses appartements. Un fait contre lequel Alya s’était opposée vivement. Personne n’entrait dans les appartements de la Princesse, exception faite à elle-même. Il fallait qu’elle se repose, son voyage en Essos ayant été éreintant. Ou qu’elle était prise de migraines. Tout était bon pour que la présence de Nümia s’ébruite le moins possible. Alya faisait d’ailleurs preuve d’une grande efficacité pour trouver des excuses que personne ne remettait en question. Il était hors de question de recevoir un visiteur en ces lieux. Ses rendez-vous se faisaient alors toujours à l’extérieur de ses appartements.


Talya avait alors remerciée sa servante aussi bien pour la lettre, que pour sa loyauté à son égard. Suite à cela, elle s’était enfermée et avait décachetée la missive. Avec une pointe d’étonnement, qui se changea rapidement en stupeur, la Tyroshi avait lu les mots qui s’écoulaient là, sur le parchemin. Le Prince Oberyn était partit, ne souhaitant plus prendre racines loin d’Ellaria et de ses filles parties se réfugier en Essos. Et elle était celle qui devrait annoncer cette étonnante nouvelle au reste de leur famille. Les mains tremblantes, Talya avait alors reposé le parchemin, ne sachant que faire. Ne sachant quels mots mettre sur ce qui s’était produit, rendue presque craintive par la tâche qui était désormais la sienne.


Les rôles étaient inversés dans cette mascarade. Son oncle avait porté son fardeau, à elle de porter le sien désormais. Le Dieu Ivre se jouait encore d’elle, à n’en pas douter ! N’avait-elle pas déjà bien assez payé son manque de foi ? Dans ce jeu, les Dieux avaient été gagnants et elle… Elle était une fois de plus la perdante. Alors, la jeune femme avait rassemblé ses esprits, prit une profonde inspiration. Et dès qu’elle en avait eu l’occasion, tout un chacun avait été prévenu de la disparition de la Vipère Rouge.


Sa tâche était accomplie. Et pourtant, Talya n’en retirait aucune joie, aucune gloire. Pourquoi ? Tel était le mot qui restait ancré dans son esprit, alors qu’elle prenait une myrtille entre ses doigts, la portant finalement à ses lèvres. Quelles seraient les conséquences d’un tel acte ? Car, mieux valait qu’elle se montre franche avec elle-même. Le fruit de ses inquiétudes se trouvait là, dans les conséquences que subirait le prince à son retour prochain. Si retour il y avait. A cet instant, la Tyroshi n’était plus sûre de rien. De là était née une certaine colère qu’elle tâchait de contrôler aussi bien pour elle, que pour Nümia.


Lassée d’attendre assise, la Princesse se leva du siège qu’elle avait choisi. Elle s’était installée sous une petite tonnelle, présente dans les jardins du palais. Les fleurs y avaient éclos, depuis le retour du printemps. Un doux parfum s’en échappait. En temps normal, Talya aurait pris plaisir à les humer. Mais à cet instant, cela l’indisposait presque, tendue comme elle pouvait l’être. Alors, la Tyroshi se contentait d’observer le lointain, attendant le retour de sa servante et de la personne qu’elle devait quérir.


Depuis son retour quelques lunes plus tôt, Talya n’avait pas eu l’occasion de s’entretenir avec Boadicée Sand. A dire vrai, c’était à peine si elle l’avait croisée. Elle l’apercevait parfois de loin, sans jamais parvenir à la retenir. Mais cette fois-ci, tout serait différent. La princesse n’avait pas la patience nécessaire pour attendre qu’une situation favorable se présente à elle. Il lui fallait la provoquer. C’était ainsi qu’Alya s’était retrouvée à quérir Boadicée pour la ramener jusqu’ici. La princesse doutait que Boadicée soit au courant du départ du Prince Oberyn. Les nouvelles allaient vite dans le Palais Vieux, c’était un fait. La Sand lui semblait pourtant… très absente. Aussi bien physiquement qu’en termes de pensées. Dès lors, lui fait part de ce fait en personne ne pouvait qu’être une bonne chose.


« Votre Altesse, permettez moi de vous déranger. Alors que Talya se retournait, Alya esquissait une révérence. J’ai retrouvé Boadicée Sand. Puis-je la laisser s’approcher ?
- Je te remercie Alya. Qu’elle vienne donc, je dois l’entretenir d’une nouvelle des plus importantes. Quant à toi, tu peux disposer. »


La servante acquiesça avant de faire signe à la Sand de s’approcher. Puis, elle s’éclipsa, la laissant seule en compagnie de sa maîtresse. Talya esquissa un sourire qu’elle voulait avenant à l’adresse de son invitée quelque peu imposée. Courtoisement, elle lui indiqua un siège qui se trouvait non loin du sien. Les deux fauteuils étaient séparés par une petite table sur lequel Alya avait veillé de déposer quelques rafraîchissements. Ceci fait, la princesse regagna sa place, non sans décaler légèrement son siège afin qu’elle puisse discuter à sa guise avec Boadicée.


« Je vous remercie d’avoir pris un peu de temps pour répondre à ma demande, Boadicée. Le sourire de la jeune femme s’agrandit légèrement, presque amusé. Ce que j’ai eu bien du mal à vous apercevoir depuis mon retour. N’y voyez pas là un quelconque reproche, je vous sais femme occupée. La Tyroshi se tut quelques instants. Néanmoins, je me dois de vous avertir d’une nouvelle d’importance et qui risque de quelque peu bouleverser votre quotidien. »


Talya avait négligemment indiqué d’un signe de main les coupes qui se trouvaient sur la table, indiquant à Boadicée de se servir si l’envie lui venait. Se saisissant de l’un des récipients, la jeune femme y fit jouer quelques instants le liquide pâle qui s’y trouvait. Il s’agissait d’un vin clair, léger, qu’elle tenait d’une autre Cité libre. Comme pour se donner du courage, la jeune femme en prit une gorgée, avant de reposer sa coupe.


« Je ne sais si cette nouvelle vous est déjà parvenue. Si tel est le cas, veuillez m’excuser de vous avoir dérangée de la sorte. Le regard de Talya se perdit dans les bosquets tous proches. Il n’y a guère de bonne manière d’annoncer cela, je le crains. Boadicée, avez-vous vu le Prince Oberyn il y a peu ? »


Il n’y avait nulle trace de colère ou d’agressivité dans sa voix. Talya doutait que la Sand soit au courant de tout cela. Et plus encore qu’elle ait pu être la complice de son oncle. Il ne s’agissait pas d’un interrogatoire. Juste d’une question. Une simple question qui lui permettrait de jauger de l’ampleur de la situation concernant la Vipère Rouge.

Est-ce que j’avais mangé aujourd’hui ? Je regardais le mur en face de moi alors que j’étais assise à même le sol couvert de paille des écuries. J’avais dormis là… J’en étais sûre parce que j’avais de la paille dans mes cheveux… Seralyon… J’étais… Oui. Oui j’étais allée la voir aussi. Ce matin. Tôt. Et après j’étais rentrée… Et sûrement en rentrant j’avais dû manger. Oui… je crois que c’était cela… Je soufflais ente mes dents et Galitaca s’ébroua un peu en me regardant avec attention. Je tendis la main elle tremblait, vers elle pour caresser doucement ses nasaux… Je fuyais tout contact humain pour éviter que quelqu’un remarque mon état déplorable. Je tremblais… Et une migraine tambourinait mes tempes. Quel jour on était… Quelle heure ? Merde… Je fermais les yeux avant d’enfouir mon visage entre mes mains. Comment je rentrais à mes appartements ? Comment ? Comment je faisais ? Il fallait que je me lave… Il fallait que je me lave pour être présentable un peu. J’étais débraillée, je devais porter les mêmes vêtements depuis… Depuis quand ? Je levai les yeux vers ma jument avec qui j’avais dormi.

« Tu sais pas par où je dois passer pour trouver ma chambre et mes affaires toi ? »

Elle s’ébroua simplement et revient tendre son museau vers moi. Je la caressais tout doucement avant de me forcer à me lever… Merde. Il fallait que… Quelle heure ? Quelle heure était-il ? Quelle lune ? Quelle semaine ? Je ne savais pas… je ne savais plus. J’ouvris machinalement la porte du box avant de la refermer soigneusement. J’avais l’impression d’être ivre. Ivre en permanence… Et que mes souvenirs dansaient bien trop loin de moi pour que je ne puisse les attraper… J’étais fatiguée… Épuisée… Sauf que dormir n’arrangeait en rien mon état.

Je sortis de l’écurie en essayant d’agir normalement en regardant tout autour de moi… Rentrer dans ma chambre pour prendre un bain et changer de tenue. Il fallait que je me repose… Et que j’écrive ce que j’arrivais de me souvenir. Mais c’était si difficile… Tout comme trouver cette putain de chambre ! Je réussis… presque totalement au hasard… Je tournai la poignée en me réfugiant… Étais-je allée voir Seralyon aujourd’hui ? Je baissai la tête sur ma tenue. Pourquoi étais-je rentrée ? Changer de vêtements ? Et… prendre un bain ? Est-ce que c’était ça ? Peut-être… au pire ça ne devait pas être grave si je changeais de vêtements et que je me lavai un peu… J’enlevais mes vêtements, raides de poussières, de crasse et de transpiration… Ça faisait combien de temps ? Je ne savais pas… Mais j’entrepris malgré tout de me laver, mon lit était fait ? Des servantes peut-être et mes carnets n’avaient pas bougé. Seralyon ? Je ne savais pas. Il y avait une corbeille de fruit… Non, d’abord on se lave… Ce que je fis. Ensuite, on s’habille avec des vêtements propres. Et je pris enfin une orange pour ôter sa peau et la croquer laissant le jus dégouliner sur mes doigts. Il fallait que j’aille voir Seralyon… Je crois que je ne l’avais pas vu depuis longtemps…

Je sortis de ma chambre avant d’essayer de me diriger vers les écuries. Jusqu’à ce qu’une femme, merde, qui était-ce ? Vient me chercher pour la princesse Talya. Talya… À quoi ressemblait-elle ? Je savais qui elle était… mais lui avais-je déjà parlé ? Je ne savais plus… C’était terrifiant et je ne savais pas comment me comporter… Je suivis le mouvement tranquillement, essayant de garder un visage parfaitement neutre. Elle me laissa un instant devant la porte, une porte. Dans quelle partie du palais j’étais ? Merde ! Où étais-je… Est-ce que j’avais mangé ? Peut-être que oui au vu du goût dans ma bouche. On me fit entrer face à la princesse Talya. Je m’inclinai devant elle sans rien dire. Des coupes. Elle sourit… Donc on se connaissait… bien ? Merde… Qu’est-ce qu’il se passait ? Je me forçai à rendre son sourire. Oui, j’essayais parfaitement d’éviter le moindre contact pour éviter de paraître pour une idiote… Qu’est-ce qu’on allait me faire si on s’apercevait que… et bien que je n’avais plus de mémoire en ce moment. Pas de reproche. Non non, c’était pas un problème. Une…

« Oh et bien… Il n’y a pas de problème princesse. »

Je ne pris pas de coupe ni de vin, j’avais déjà l’esprit trop embrouillé pour risquer d’être réellement ivre… Déjà que je ne savais presque plus qui j’étais. Je la regardais faire, boire sans bouger d’un iota, essayant de rester parfaitement calme, croisant mes mains dans mon dos, pressant mes paumes l’une contre l’autre. Le… Le prince Oberyn… Je restais muette. Merde… Merde… Le prince… Je ne savais plus à quoi il ressemblait… Je l’appréciais. Ça je le savais… Mais c’était autre chose… Est-ce que je l’avais vu ? Autant demander à un poussin de faire une chorégraphie avec deux cimeterres sur une patte… cela serait plus facile que de tenter de me faire souvenir quelque chose…

« Euh… Et bien… Je crois… que je ne l’ai pas vu depuis quelque temps ? »

J’en savais absolument rien ! J’essayais de chercher de dire ce qu’elle voulait entendre pour ne pas trop faire d’erreurs et qu’elle ne se rende compte de rien. Le prince… à quoi ressemblait-il ? Merde… Je savais que je l’appréciais, mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’on avait fait ensemble ? Anciens… je ne savais plus ? Je continuai de regarder la princesse en gardant ma langue dans ma bouche. Il fallait que j’arrive à dire ce qu’elle voulait entendre… Juste pour éviter de paraître trop étrange…

Elle attend, Talya. Elle attend une réponse avec une impatience qu’elle masque du mieux possible, affichant un air encourageant à l’égard de la Sand. Elle ne veut pas la mettre mal à son aise ou la rendre craintive pour une quelconque raison. Elle la sait occupée. Très occupée. Et pourtant, il lui faut apprendre cette nouvelle, si les racontars n’avaient pas atteints Boadicée. Et quand bien même si ce fait était advenu, Talya tenait à ce que sa version des faits soit retenue. A nouveau, une pointe de colère se glissa jusqu’à son cœur, alors que ce fait lui revenait. Voilà une tâche dont elle se serait bien passée. Malgré les bons sentiments que la jeune femme avait pour celui qui était devenu son oncle, avoir été prise au piège de la sorte lui restait en travers de la gorge.


Boadicée lui assurait qu’il n’y avait pas de problème. La jeune femme en doutait. La Sand lui semblait quelque peu absente, sans qu’elle puisse comprendre la raison exacte de cette impression. Elle lisait une sorte de fatigue sur ses traits. Ainsi qu’une sorte de tension. A bien des égards, Boadicée semblait avoir autant de mal à rester assise qu’elle. Peut-être était-ce cela.


Il ne serait cependant pas dit que la princesse qu’elle était recevait mal ses visiteurs. Doucement, Talya poussa une coupe de fruits qui se trouvait là. Entre les agrumes, les myrtilles et les dattes, Boadicée y trouverait bien son bonheur. A moins qu’elle ne préfère boire autre chose ? La princesse avait ramené bon nombre de choses dans la cale du navire qui l’avait ramenée à Dorne. Des racines de réglisse en faisaient partie. Une petite pincée de cette plante donnait un regain d’énergie des plus appréciables… à la condition de ne pas en consommer de trop.


La jeune femme fut cependant tirée de ses pensées par la réponse de l’autre jeune femme. Ainsi, ses craintes se confirmaient. Boadicée ne savait pas ce qui était advenu de l’homme sur lequel elle veillait. Son oncle lui laissait une tâche bien importante sur les bras. Sans pouvoir se retenir, Talya poussa un soupir. Elle était une réelle perdante dans cette histoire. C’était à elle que les questions étaient posées. Des questions auxquelles la jeune femme n’avait pas la moindre réponse, dans bien des cas.


Car les faits étaient là. Le prince Oberyn n’avait laissé qu’une lettre derrière lui. La Tyroshi n’était même pas certaine d’en recevoir d’autres d’ici à son retour. Un retour dont elle ne connaissait même pas la date. A nouveau, la jeune femme sentit une vague d’incompréhension la submerger. Elle ferma les yeux quelques secondes, tâchant de se calmer. Tous ces sentiments n’étaient bons ni pour elle, ni pour Nümia. Il fallait qu’elle respire. Qu’elle reste factuelle. La vérité, rien que la vérité. Qu’importe si elle était lacunaire, à cet instant.


« Je suis sincèrement désolée de l’apprendre. avoua Talya, en rouvrant les yeux, adressant un regard compatissant à son invitée. Je pensais que le Prince Oberyn vous auriez mis dans la confidence quant à ses desseins. La jeune femme reprit une gorgée dans sa coupe, comme pour se donner du courage. Je ne sais si vous l’avez cherché, ces derniers jours. Si tel est le cas, je vous en prie, cessez vos recherches. Car tout cela est vain. »


Talya se tut, guettant une réaction de la part de Boadicée. Si la recherche d’Oberyn était l’une des raisons de sa fatigue, autant couper court à tout cela immédiatement. La Sand ne s’en porterait que mieux. La vérité, à présent. Rien que la vérité. Si des questions suivaient, la jeune femme en ferait son affaire d’une manière ou d’une autre avec les maigres renseignements dont elle disposait.


« Je suis navrée que vous ne soyez pas dans la confidence. Cela va sans doute vous sembler difficile à croire, peut-être même impossible. Vous devez cependant me faire confiance car il s’agit-là de la plus simple des vérités. Talya marqua une pause, laissant à Boadicée le temps de se préparer. Son Altesse le Prince Oberyn a quitté Dorne pour des raisons qui lui appartiennent il y a peu. Des raisons que je ne saurais expliquer pour certaines d’entre elles. Oh, je ne peux que me douter que vous nourrissez des interrogations à ce sujet malgré tout. Je ne sais si je pourrais vous apporter un tel savoir, mais je ferais de mon mieux pour cela. »


C’en était désolant. Malgré la proximité qu’affichaient son oncle et Boadicée, le premier n’avait pas jugé bon de prévenir la seconde. Bien sûr, Talya ne pouvait tout lui dire. Il y avait des choses que seuls les Martell devaient savoir. Un simple mot aurait suffit, pourtant. Un simple « Ne vous faites pas de souci, nous nous reverrons. » laissé à l’intention de Boadicée aurait été une réaction des plus convenables, des plus attendues. Mais le Prince Oberyn n’avait rien fait de tout cela. Que cela soit pour son frère, ses autres neveux et nièces ou pour ses filles qui se trouvaient toujours à Dorne. Il était partit sans laisser d’adresse, ou presque. Si la Tyroshi savait où envoyer une possible missive, elle n’était même pas certaine d’en obtenir une quelconque réponse. Ou tout simplement de vouloir se prêter à un tel exercice.


« Je vous sais proches, son Altesse et vous-même. reprit Talya, compatissante. Si vous craignez de vous sentir désœuvrée en son absence, n’hésitez pas à m’en faire part. Nous trouverons une solution, en son absence et en celle de Lady Ellaria si vous en ressentez le besoin. Que cela soit pour vous trouver une autre affectation ou pour vous accorder un peu de repos. Vos entraînements et Seralyon vous prennent bien du temps. Cela ne serait que justice, si vous voulez mon avis. »


Talya ne pouvait l’avouer. Pas à cet instant. Nümia devait rester un secret pour le moment. Et pourtant, Boadicée et elle auraient bien des choses à se dire, à ce sujet. Au fond, les dragonniers étaient sans doute les seuls à pouvoir saisir l’ampleur du lien qui se tissait entre un humain et un dragon. A savoir que leurs sentiments, leurs ressentis, impactaient grandement leurs créatures.


Mais ce n’était pas la question à l’ordre du jour.

Qu’est-ce que je faisais là ? Qu’est-ce que je faisais là ? Pourquoi elle avait voulu me parler ? C’était en rapport avec une personne… Mais ? Mais quelle personne ? Ô Anciens… J’avais mal à la tête… Qu’est-ce que j’étais censée dire ou faire pour sortir le plus rapidement possible d’ici ? Est-ce que j’avais mangé ? Il y avait des fruits… Est-ce que j’aimais les dattes ? Je tendis la main pour prendre une datte, est-ce qu’elle m’avait dit que j’avais le droit ? J’ouvris le fruit pour en sortir le noyau et mordre dans la chair grasse du fruit. C’était agréable, j’aimais bien, mais je tentais toujours de me focaliser sur ce qu’elle disait. C’était la princesse Talya. Talya de Tyrosh. Il fallait que j’arrive à le retenir… Par pitié ma mémoire… Essaye de fonctionner quelques instants supplémentaires… Euh… Pourquoi elle me regardait comme on regarde un chien abandonné ? J’avais dit quelque chose qui fallait pas ? Le… prince Oberyn ? Oh… euh… il aurait dû me parler ? Et il ne l’avait pas fait ? Ou alors il l’avait fait… Et… euh… J’avais oublié ? Elle but. J’avais bu ? Je gardais le noyau de datte dans la main avant de boire une gorgée pour l’imiter. Est-ce que j’aurais dû le chercher ?

« Vain ? »

Est-ce que le prince était mort… et je l’avais oublié ? Bordel de… Si c’était ça… J’étais dans la merde jusqu’au coup. J’avalais ma salive avant de prendre une seconde datte pour m’occuper les doigts. Pitié… Pas la mort, pas la mort. Lui faire confiance à la princesse. Pour… le prince Oberyn… Je restais muette à sa révélation.

« Oh… Il… Il… Il a quitté Dorne ? Je… Euh… »

Ne pose pas de question Boadicée… Non, il faut que tu lui en poses… Sinon… Sinon elle trouverait cela bizarre.

« … Je… Est-ce que vous savez quand le prince reviendra ? Et… Euh… où il est parti ? »

Pour ce que j’allais m’en souvenir après… Est-ce que le prince aurait pu m’en parler… Mais que j’avais oublié ? Je e frottais le front en silence.. Ah ? On était proche avec le prince ? Bon… c’était vrai que son évocation… Je savais que je l’appréciais. Mais à quel point… Est-ce que j’étais son amante ? Merde… C’était quel lien qu’on avait tous les deux ? Je ne parvenais même pas à mettre un visage sur ce nom… Je me mis à fixer mes pieds pour essayer de masquer en partie mon trouble. Merde… J’étais quoi pour ce prince ?! Une amie ? Une servante ? Son amante d’un jour par semaine ?! Qu’est-ce que j’étais… Seralyon ! Occupation…

« Je euh… Enfin… J’ai fort à faire avec Seralyon. C’est qu’on commence à voler et je… Enfin je passe beaucoup de temps avec elle. Pour voler… C’est encore… enfin ça reste un bébé… »

J’essayais d’offrir un sourire à la princesse, serrant les deux noyaux de datte dans ma main. Je ne pouvais pas tenir une conversation ?! Est-ce que j’allais réussir masquer mon trouble ? Encore combien de temps ? La princesse…

« C’était aimable de votre part de me prévenir de cette nouvelle. »

Oberyn, le prince Oberyn… parti. Je crois ? Peut-être… Je…

«… D’ailleurs je crois que je ne suis pas allée voir Seralyon aujourd’hui. Il… Il faut que j’aille la voir… »

Surtout ne pas rester ici, ne pas rester ici. Plus je parlais, plus je m’enfonçai devant la princesse. Qu’est-ce que je devais faire ?

« Enfin, elle n’aime pas rester seule. »

Est-ce que c’était une tentative de fuite ? Oui. Je reculai d’un pas en lui offrant un sourire.

A croire que le Dieu Ivre avait décidé de mettre Lancehélion sans dessus dessous en son absence ! Son Oncle disparaissait quelques lunes après son retour, Quentyn se montrait distant avec elle pour des raisons qu’elle ne pouvait que trop comprendre, et à présent, c’était au tour de Boadicée de se comporter d’une manière des plus étranges. Bien sûr, toutes deux n’avaient jamais été aussi proches qu’elle n’avait pu l’être avec la Vipère Rouge. Mais tout de même. Elles avaient déjà partagé bien des discussions et Talya se souvenait même d’avoir croisé quelques fois l’enfant que la Sand avait eu avec un membre de la maison Cendregué, si elle ne faisait pas erreur. Mais à cet instant, la Princesse avait l’impression que la Dornienne aux yeux impairs avait tout oublié. Absolument tout. Si le choc du départ du Prince Oberyn pouvait expliquer bien des choses, l’instinct de la Tyroshi lui murmurait qu’il y avait autre chose.


Et son instinct ne la trompait que rarement.


« C’est exact. répondit simplement Talya. Je suis navrée qu’il n’ait pas pris la peine de vous prévenir. Son Altesse a cependant rédigé quelques mots à votre intention et m’a demandé de faire office de messagère à votre égard. Je ne sais lorsqu’il reviendra. L’absence de Lady Ellaria lui pesait sur l’âme depuis bien des lunes et leurs esprits ne pouvaient rester séparés plus longtemps. La Tyroshi se tut quelques instants, grandement peinée. Hélas, je suppose que vous comprenez bien ce sentiment, vous aussi... »


Edwyn semblait s’être volatilisé, tout comme Seralya, depuis bien longtemps déjà. Pour aller où ? Talya n’en avait pas la moindre idée. Dans les Cités Libres, peut-être ? En attente de jours meilleurs pour reposer le pied à Dorne ? Qu’importe la réponse à cette question. Boadicée était à même de comprendre cette douleur, ce besoin de retrouver la personne la plus chère à son cœur. Ou les personnes, dans ce cas précis. Tout en retrouvant Lady Ellaria, c’était une partie de ses filles que son Oncle retrouvait également, dont sa dernière-née dont il avait raté les premiers moments d’existence…


« Je suis désolée de vous imposer cette discussion mais je ne peux vous laisser partir avant de vous avoir transmis ce message, Boadicée. Talya esquissa un sourire compatissant. Croyez bien que j’aurai souhaité que les choses se soient déroulées différemment et que le Prince vous ait lui-même fait part de sa décision. Mon temps est aussi précieux que le vôtre, ne pensez pas qu’il soit dans mes habitudes d’en abuser en vain. »


Cette situation était de plus en plus étonnante. Boadicée lui avait toujours semblé quelque peu éloignée des conventions sociales habituelles… toutes dorniennes puissent-elles être. Son comportement froissait le protocole a plus d’un niveau et si Talya n’était pas connue pour son respect pointilleux de ce dernier, le comportement de la Sand commençait à l’irriter. La Tyroshi tâcha de faire le vide dans son esprit quelques instants. Nümia ne devait pas en faire les frais. Une dragonne irritée était bien la dernière chose dont elle avait besoin actuellement.


« Boadicée, je vous en prie, rasseyez-vous. Ce n’était plus de l’irritation que la Princesse ressentait mais une inquiétude pour le moins sincère. Vous me semblez bien pâle et je doute qu’il s’agisse-là de votre état normal. Si nous étions sur le pont d’un navire, je jurerai que vous souffriez du mal du mer. Savez-vous ce que le Prince Oberyn m’a écrit, dans l’une de ses lettres alors qu’il se trouvait toujours à Port-Réal ? Il semblerait que les dragons ressentent les émotions de la personne avec laquelle ils sont liés. La jeune femme s’était levée, s’approchant de Boadicée avant de l’attraper doucement par le bras et de la raccompagner à sa place. Que cela soit pour votre bien ou pour Selaryon, je vous conseille de passer encore un peu de temps en ma compagnie. »


Son ton doux était doux mais ferme et ne souffrirait d’aucune réplique. Son instinct lui murmurait encore et toujours que la Sand lui cachait quelque chose. Un murmure persistant, que Talya suivait désormais. Boadicée s’était assez jouée d’elle. La Princesse ne savait si Oberyn était au courant de tout cela mais si tel était le cas, il s’était bien gardée de la prévenir ou même de lui spécifier que sa garde du corps devenait une véritable anguille lorsqu’il était question d’une simple conversation.


« Je ne vous ferais pas de mal, Boadicée. Vous n’avez rien à craindre de moi. Oberyn m’envoie pour veiller sur vous, pour m’assurer de votre santé en son absence. L’amitié que vous partagez lui est précieuse et je tiens à mener cette mission à bien. Aussi, que diriez-vous de ne plus me causer, vous causer et causer du tort à Seralyon en cessant de vous esquiver de la sorte ? Je pourrais le jurer sur la tête de mes Dieux et des vôtres, rien de cette conversation ne quittera ce lieu.  La jeune femme se tut, s’installant confortablement dans son siège. Car il n’y a pas que le départ de son Altesse ou Seralyon qui sont source de trouble pour vous, n’est-ce pas ? »


Cette dernière phrase avait été prononcée avec une infinie douceur et tout autant de chaleur. Elles n’étaient pas du même monde, Talya ne le savait que trop bien. Elle gardait cependant un souvenir agréable de leurs quelques conversations, de cette époque où elle lui avait montré son œuf de dragon ou encore de ce moment où elles avaient surveillé Seralya ensemble, dans les jardins. Ce n’était pas grand-chose, mais Boadicée lui avait toujours parue avenante et chaleureuse à son égard. Et à cet instant, la Tyroshi avait l’impression de s’entretenir avec une parfaite étrangère. Elle devait comprendre de quoi il en retournait, absolument. Aussi bien pour Boadicée que pour Seralyon.

Merde… merde… je ne me sentais pas à l’aise… je ne me sentais pas à l’aise et j’avais plus qu’envie c’était de fuir de me retrouver le plus loin possible de toute présence humaine et retrouver mon Dragon qui ne posait aucune question et que je regardais faire sa vie. J’avais déjà mangé deux dattes. Deux dattes, j’avais les noyaux dans la main. Est-ce que j’avais bu ? Je ne savais pas. Quel goût j’avais en bouche ? Talya… C’était la princesse Talya… Elle… elle voulait me voir pour… pourquoi ? Nous parlions, sûrement… Le prince. Oberyn. Où était ce prince ? Partit ? Je crois… Oberyn était partie. Et… et je ne savais pas où réellement. Je serrais les noyaux dans ma paume. C’était collant. Il fallait que je sorte d’ici. Sors Boadicée, Sors. Il faut que tu retrouves Seralyon…

Son altesse des mots pour moi ? Lequel… ? Ellaria… Ellaria. Qui … Oberyn. C’était Oberyn Boadicée qui était partie la retrouver. J’avais l’impression de faire une longue chute d’un grand arbre et de tenter de me rattraper comme je le pouvais aux branches que… son nom… quel était son nom… Je ne l’avais pas son nom… La princesse, la princesse, me donnait. Je tentais désespérément de me rappeler, de maintenir et de réussir à tenir cette conversation. Ui… Ellaria, la… concubine du Prince. Partie… Morte ? Non, pas morte. Elle… elle s’était comme Edwyn ! Je crois que nous en avions parlé… Je hochais la tête.

« Oui, je comprends bien. »

Est-ce que j’avais vraiment parlé de ça avec le prince ? Ou est-ce que… c’était quelque chose que je pensais avoir fait ? Il faudrait que je regarde mes carnets. C’était angoissant, j’avais l’impression d’être engluée dans quelque chose et que je ne parviendrais pas à m’en sortir. Deux dattes, J’avais mangé deux dattes. N’en mange pas plus. Imposer une discussion… ou je veux partir, je veux retrouver ma Seralyon et arrêter d’être une andouille pas capable de se rappeler si elle avait mangé ou même bu… Est-ce que même j’étais propre ? Je glissai un coup d’œil rapide sur mes vêtements, je ne voyais pas de taches. J’imaginais que j’étais présentable. Sinon elle m’aurait fait une remarque. Je me mordis les joues. Je hochais la tête :

« Je comprends bien… Je ne vais… je ne vais pas en abuser, je dois… oui il faut que j’aille voir Seralyon… »

Je me levai un peu brusquement en reculant, manquant de me prendre une table. La porte, où était la porte ? Seralyon… Il fallait que j’aille la voir… et que j’arrête d’être ici au milieu des autres alors que j’étais complètement perdue dans ce monde d’humain. Se rasseoir ? Non… s’il vous plaît… il fallait juste que je sorte. Pâle ? J’eus un petit rire très nerveux en essayant de reculer sans me prendre d’autres meubles. Du temps en sa compagnie ? Seralyon… Je savais que je paniquais et que par extension elle s’inquiétait.

« Non… je ne savais pas. Mais… euh… je suis rousse… Le teint pâle c’est normal. »

J’avais déjà arrêté de reculer et pour la suivre, puisqu’elle me tenait le bras, jusqu’à ma chaise je supposais pour m’asseoir. Princesse Talya qui… m’avait parlé du prince Oberyn qui était parti. Parti pour Ellaria. Pour la retrouver. Je pressais mes mains l’une contre l’autre en évitant de poser mon regard sur la princesse. Je luttais contre moi-même pour réussir à tenir, j’avais un mal de tête incroyable qui pointait le bout de son nez. Je serrais plus fort les noyaux de dattes. Deux. Deux. Talya de Tyrosh et Oberyn. Oberyn partit. Pour Ellaria. Revoir Ellaria. Oui. Je crois que c’était ça. J’inspirais profondément alors que je détestais toujours autant être assise ici à devoir faire des efforts monstrueux pour tenter de suivre cette conversation. Peur ? De nous deux… à cet instant… Elle pouvait très bien me vaincre sans problème. Peut-être que mon corps lui se souviendrait de ce que mon esprit avait perdu… Veiller… Est-ce que j’avais parlé à Oberyn de ce mal ? Je n’en savais rien… Non, je n’en savais plus rien. À d’autres moments j’aurais réussis. Pas là. Jurer sur les dieux. Qui est-ce que je priais ? Qui est-ce que… vers qui mes prières s’envolaient ?! Elle l’avait dit… le prince et moi étions amis ? Ou est-ce qu’elle mentait pour me tester ?

« Je… Oui, je sais que vous ne me voulez pas de mal. »

Qu’est-ce que je devais répondre ? Je ne soutenais pas son regard en faisant tourner les noyaux de dattes dans ma main. Bois une gorgée Boa, ça te fera gagner du temps pour répondre. Je tendis la main pour prendre la coupe proche de moi et boire une gorgée. Pas trop… L’alcool va t’embrouiller. Trouve une échappatoire. Donne-lui un os à ronger ? C’est toi l’os.

« J’ai… euh… enfin… quelques soucis, mais absolument rien de grave ! »

Qu’est-ce que je dois inventer ?

« Ça va se régler tout seul ! »

Je lui offris un grand sourire à m’en faire mal aux joues. Je savais très bien que… je devais avoir l’air bizarre, mais qu’est-ce que je pouvais faire ? Je ne pouvais pas lui dire « Oh c’est rien princesse, je ne me souviens à peine de qui vous êtes, je ne savais même plus que le prince Byrion était parti, je ne sais même plus pourquoi je suis là et si j’ai bu. Sinon vous allez bien ? ». Ce n’était pas Byrion le no du prince, cela s’était brusquement embrouillé à nouveau dans ma tête. Qu’est-ce que je devais faire ? Ou dire ? Ou les deux ?

« Seralyon va bien. Elle va bien, tout va bien. »

Marmonnais-je. C’était bien la seule chose de stable dans ma vie actuellement. Je fixais mes mains. Je ne savais pas quoi faire, est-ce que je devais lui dire ? Quoi faire…

Le front de Talya se plissa légèrement.


Il lui semblait que Boadicée lui répondait avec une lenteur alarmante. Qu’elle cherchait ses mots en tous les instants. Que son esprit ne saurait suivre ses propos si elle avait le malheur d’accélérer le flot de ses paroles. Son regard dissemblable semblait rechercher des choses qui n’existaient pas, qui n’existaient plus. Elle comprenait sans réellement comprendre, hochait la tête, absente. Talya n’avait jamais rien vu de semblable auparavant. Elle avait connu la maladie. Le manque de lucidité qui pouvait l’accompagner. Il lui semblait pourtant que l’état de la Sand était bien différent de celui de sa mère dans ses derniers instants sur cette terre. Elle ne tremblait pas vraiment, ne transpirait pas alors qu’elle l’aidait à se rasseoir. La Sand semblait juste… juste curieusement perdue dans un lieu qu’elle aurait pourtant du connaître par cœur.


« … Admettons. concéda Talya, sans trop y croire. Cependant, je ne peux m’empêcher de songer que vous ne vous ménagez pas suffisamment, cheveux roux ou non. »


Comme si cela changeait quelque chose… Talya en avait vu, des corps et des cadavres ces dernières lunes. La peau noircissait, pâlissait, durcissait dans tous les cas. Face à la mort, à la maladie, il n’y avait plus de Princesse de Dorne ou de garde du corps. Elles étaient similaires et la santé était quelque chose de bien trop précieux pour la gâcher de la sorte. Si la Tyroshi s’était fait une mission de prévenir la Sand du départ de la Vipère Rouge, la teneur de cet entretien était désormais bien différente. Dans un cas comme dans l’autre, la jeune femme n’était pas connue pour rendre les armes aisément. Elle devait comprendre la pièce qui se jouait sous ses yeux interloqués.


« … Je ne suis ni Mestre, ni Septa, ni prêtresse. reprit la jeune femme, avec douceur. Je n’ai ni la vocation, ni la prétention, de soigner les maux qui pourraient vous assaillir. Je peux cependant vous offrir une oreille attentive, si vous le désirez. Le bien-être des Dorniens m’importe plus que vous ne pouvez l’imaginer et malgré la couleur de vos cheveux, vous êtes l’une d’entre eux. Accepteriez-vous de m’aider à devenir une meilleure personne en me permettant de mener à bien cette mission ? »


Boadicée lui avait offert un sourire tiré, joué. Talya en aurait presque mal pour elle. Car de sourire, elle ne pouvait lui rendre. La situation était grave, bien que la jeune femme ne pouvaient pas tout à fait en esquisser les contours. Elle savait se jouer des autres, avait été élevée pour cela en autres choses. Elle minaudait, plaisantait, glissait des mots aux oreilles qui se pensaient discrètes sans l’être suffisamment. Ce cas de figure requerrait cependant une gravité toute particulière. La Sand ne quitterait pas cet endroit avant de lui en avoir dit davantage. La Tyroshi ne la laisserait pas faire. Encore fallait-il que la Sand s’en rende compte et rien n’en était moins sûr. Le sourire s’était rapidement effacé, laissant sa place à quelques mots à moitié soufflés, murmurés et à un visage baissé, fermé. Seralyon allait bien et Talya en était fort aise. L’état de la dragonne n’empiéterait pas sur sa dragonnière, voilà une chose dont elle pouvait se réjouir.


« Je ne doute pas que vous prenez grand soin d’elle. A quand remonte votre premier vol ? Cela ne vous a pas effrayée ? Je ne sais pas comment j’aurai réagi, dans une telle situation, vous avez beaucoup de courage ! »


Talya faisait mine de changer de sujet, de voir jusqu’où Boadicée serait capable de la suivre de la sorte. Ses réponses évasives ne pourraient suffire dans ce cas. La princesse aurait pu s’admonester d’agir de la sorte. De profiter d’une personne qui lui semblait bien faible. Mais avait-elle le choix ? Comme pour un incendie, elle devait circonscrire les flammes avant d’imaginer les éteindre ou les apaiser d’une manière ou d’une autre...

Respire Boadicée, plus tu paniques, plus c’est flagrant qu’il y a un gros problème. C’est la princesse, c’est la princesse. Celle qui était mariée. Pas celle de naissance. C’était pour parler du prince… Lequel Boadicée ? Absolument aucune idée… J’avais déjà l’impression que les dernières minutes disparaissaient dans un brouillard si épais que tout se perdait et dans lequel j’étais perdue et dont je n’arrivais pas à sortir. J’avais perdu ma boussole le jour où Edwyn était resté sur le ponton avec ma fille et qu’il tenait dans ses bras. À cet instant, j’avais perdu ma boussole et j’errais dans ces moments de crises… Je savais que c’était que des phases… mais cela faisait si longtemps que tout allait plus ou moins bien que j’avais pensé que tout allait, que plus rien ne changerait. Mais non, je venais de retomber si violemment que j’avais l’impression de me noyer dans ma propre existence… Je ne contrôlais plus rien… Et j’étais ballottée par tous les évènements et qu’on se jouait de moi… Qu’on en riait. Mens Boa. Mens à ces questions…

« Je dors mal oui. »

Qu’est-ce que je pouvais dire ? Je serrais les noyaux de dattes dans ma main. N’en mange pas plus, n’en mange pas plus Boadicée… Surtout pas. Ne bois pas de vin. Ne bois plus de vin. Ça suffit. Pas plus. Concentre-toi par pitié. Essaye de suivre cette putain de conversation encore une dizaine de minutes et après tu pourras fuir et te cacher… Tu pourras le faire, tu pourras fuir… Concentre-toi, ne te perds pas plus dans le brouillard… Inspire, respire, essaye de rester calme. Combien de dattes ? J’écoutais a princesse, mais j’étais incapable de fixer la princesse, je laissai mon regard se poser sur ses mains, parfois sur son visage, mais je n’étais pas assez à l’aise pour la regarder. J’inclinai légèrement la tête en l’écoutant me parler de ses envies d’aider les gens et d’être une meilleure personne. Offrir une oreille… Laissez-moi tranquille ! Par pitié.

« Oui… si vous voulez. »

Mais je ne savais absolument pas quoi lui dire… Cela devenait même pénible de tenir une conversation… Mon mal de crâne semblait grignoter les os de ma boîte crânienne tant la douleur augmentait lentement mais sûrement. Seralyon… J’avais évoqué mon bébé chéri que je devais aller voir pour rester au calme et que personne ne s’approche. Même si elle n’était pas là… Mais il faudrait surtout que je trouve le chemin jusqu’aux écuries… Et ensuite je ne savais pas. Mon premier vol ? Je ne dis rien pendant quelques secondes. Quand ? Je ne savais pas…

« Cela… remonte a un petit moment. »

C’était quoi les sensations que j’avais ressenties ?

« C’était… un peu terrifiant… Mais incroyable. »

Je ne pouvais pas en décrire plus. J’avais volé une fois ou deux durant ces dernières lunes… Mais pas beaucoup plus. Elle était encore si petite. Je savais qu’elle n’était pas adulte… Pas encore…

« C’est encore un bébé, je ne peux pas… monter tout le temps sur son dos. »

Quel âge Boadicée ?! Elle allait demander… Je restais silencieuse e fixant maintenant la table.

Une fois de plus, les mots de la Sand ne convainquaient guère la Tyroshi. Malgré ce fait, Talya fit en sorte de concevoir un masque qu’elle voulait serein et confiant. La franchise ne fonctionnait pas, la princesse s’en rendait bien compte. Elle se répugnait cependant à agir autrement. Boadicée était dans un état qui lui semblait instable. Si elles s’étaient trouvées à Tyrosh, la jeune femme aurait parié que le Dieu Ivre était venu murmurer à l’oreille de la Sand. Mais elles n’étaient pas à Tyrosh. A moins que cela ne soit un signe des Anciens Dieux ? Lord Stark avait évoqué ce fait dans certaines de leurs lettres. Les Arbres à Faces, les barrals qui semblaient vous regarder durant vos prières. Après tout, le Dieu Ivre n’avait pas le monopole de la folie ou de la maladie. Il n’en restait pas moins que l’état de la jeune femme était des plus préoccupants… Si elle ne parvenait pas à la faire parler, il lui faudrait en appeler aux soins du Mestre qui veillait sur leur santé. Personne ne s’était donc rendu compte de cette situation des plus alarmantes ? A croire qu’à vivre au milieu de tant de personnes, on finissait par en occulter les individus en tant que tels.


« Avez-vous consulté notre Mestre ? hasarda Talya, compatissante. Je suis certaine qu’il saurait trouver un remède quant à votre sommail. Ou à vos autres maux. J’ai moi-même eu de mal à trouver le sommeil, après mon retour. Fort est de constater que je me porte comme un charme, désormais. »


Boadicée était pire qu’une huître. C’était un miracle qu’elle ait réussi à se frayer un si petit passage dans sa coquille. Une brèche que la jeune femme comptait bien exploiter. Elle n’en avait pas le choix. Oberyn n’aurait pas souhaité qu’elle laisse la Sand ainsi. Elle-même ne le souhaitait pas en son nom propre. Qu’importe ce que Boadicée pouvait en penser, elle avait besoin d’aide et Talya était désormais bien décidée à la lui offrir. Ou tout du moins, à lui montrer l’ampleur des dégâts pour enclencher une quelconque réaction chez elle. Utiliser Seralyon dans ce but, même de manière indirecte, la répugnait tout autant que de faire un quelconque abus de pouvoir pour contraindre Boadicée à rencontrer leur Mestre. Un dragon ne devrait être retourné contre la personne qui avait permis sa renaissance… Pas avec toute la douleur qui pouvait naître pour provoquer leur venue au monde.


Boadicée était-elle passée par un chemin semblable au sien ? Talya avait déjà nourri une telle réflexion, durant ses quelques lunes d’exil. Il fallait dire que la méditation et la contemplation propres aux enseignements de Nesa lui avaient laissé tout le temps de songer à de pareilles choses. Toute magie avait un prix. Toute magie n’était qu’une épée sans poignée. Des axiomes qu’elle avait entendu par le passé, sans réellement se souvenir de qui avait bien pu les prononcer. La renaissance de Nümia lui avait appris cette leçon d’une manière bien rude et l’avait marquée au fer rouge au plus profond de son âme. Ce mal-être qu’elle ressentait chez Boadicée… Avait-elle remis sa santé à un quelconque dieu, les Anciens peut-être, pour elle aussi créer un miracle ?


« Terrifiant mais incroyable… répéta Talya, avec un léger amusement mais sans moquerie. Il est vrai que ces termes s’appliquent très bien aux dragons en règle générale. Certains sages disent qu’il s’agit-là des plus belles créatures de ce monde. Cela fait un moment que je n’ai pas vu Seralyon voler mais je suis certaine que cela s’applique également à elle. »


D’autres personnes avaient cru voir la dragonne, cependant. Alya, avec un certain affolement, lui avait fait part du fait que des serviteurs disaient avoir aperçu une forme blanche dans les airs. Nümia volait désormais à son aise sur plusieurs lieues et se fortifiait de jour en jour. Si elle revenait invariablement dans ses appartements, une fenêtre était laissée ouverte à son attention, fort était de constater que l’enfermement ne lui seyait guère. Pour le bien du Palais Vieux, et celui de son époux et de ses dames, la jeune dragonne avait donc droit de découvrir les grands espaces qui entouraient leur demeure. Après tout, de loin, haut dans les cieux ou au-dessous des flots, personne ne semblait encore réellement faire la différence entre une dragonne blanche comme l’ivoire le plus pur et une autre, aux écailles rouges mais dont les ailes étaient tout aussi blanches. Un dragon restait un dragon, dans ce contexte. Il n’en restait pas moins que l’entrée de son appartement n’était pas ouverte à tous et à toutes. Nümia y passait tout de même la majorité de son temps, appréciant le soleil qui tapait fréquemment sur leur balcon notamment, et la déranger pourrait avoir de graves conséquences.


Il n’en restait pas moins que le discours de Boadicée était aussi décousu au sujet de Seralyon que durant ses autres interventions. Ce fait inquiétait Talya autant qu’il pouvait l’intriguer. Jamais elle ne pourrait oublier Nümia, que cela soit son âge ou ses réussites. C’était… C’était impossible. Tout simplement impossible. Sa sœur avait eu huit lunes dernièrement. Elle était une créature magnifique sur laquelle elle ne pouvait s’empêcher de poser le regard. Elle connaissait sa physionomie par cœur, de la pointe de son museau à celle de sa queue. Quant à Seralyon… Talya devait avouer qu’elle ne connaissait pas son âge exact. Sans doute approchait-elle de sa première année, si elle ne l’avait pas déjà dépassée. La princesse ne la considérait pas comme plus âgée que cela. Une chose était sûre, si Nümia pouvait encore passer pour un « bébé », bien que la Tyroshi se refusait à utiliser ce terme la concernant et que la créature faisait désormais la taille d’un de ces gros molosses qui gardaient certains entrepôts, Seralyon ne pouvait plus prétendre à ce titre.


« Un bébé ? s’étonna faussement la jeune femme. Mon époux m’a confié le fait qu’il l’avait vu alors qu’elle était fort jeune, en effet. Mais cela remonte à plusieurs lunes… Quel âge a-t-elle, à présent ? Si vous pouvez vous jucher sur son dos sans trop de mal, j’imagine que sa taille doit être conséquente. »

Je peinais de tout mon être pour réussir à tenir cette conversation… j’avais l’impression que j’étais trempée de sueur de la tête aux pieds et que je me perdais dans une tempête de mots, de visages qui dès que je tentais d’en saisir un, se transformait en vent et s’échappait. Depuis quand est-ce que j’étais là ? J’aurais préféré être avec ma Seralyon, au moins elle ne me posait aucune question étrange elle faisait surtout sa vie à sa manière et moi je restais juste là à regarder, observer, m’entraîner. Parfois, j’aurais aimé avoir le courage de voler… Mais je n’étais pas sûre que cela soit une bonne idée. La brunette en face de moi… Son nom ? Par pitié son nom ! Qu’un serviteur entre et le prononce… Consulter le mestre ? Pour le sommeil… et les autres maux. Je plissais les yeux. Qu’est-ce qu’elle savait ? C’était la princesse, mais je ne savais pas son prénom… Je ne le savais plus.

« Non, je n’ai pas consulté le mestre. J’ai demandé à Edwyn. »

Enfin… je crois que je lui avais demandé… Je n’étais plus sûre réellement, mais c’était fort possible, j’avais une foi et une confiance aveugles en lui et surtout il me connaissait sur le bout des doigts. S’il avait été ici, sans aucun doute qu’il aurait trouvé des solutions pour me faciliter la vie et que je puisse aller parler aux gens, discuter, passer du temps sans me faire attraper parce que j’oubliais des choses… Parce que j’oubliais tout. Lui il aurait trouvé des parades… Et il y aurait eu ma Seralya qui aurait été là. J’aurais été obligée de rester au palais plus longtemps. Mais non, ils étaient partis. Partis se mettre à l’abri. Et moi je restais ici avec Seralyon. Je manipulai machinalement mon collier, dedans c’était une mèche de cheveux à eux… Parler de Seralyon et de son vol. Ça je pouvais un peu faire, parce que les impressions s’étaient gravées en moi. Mais je ne pourrais pas dire beaucoup plus en réalité… Terrifiante et incroyable… Est-ce que cela s’appliquait à mon troisième enfant… Sans doute. À mes yeux elle n’était pas du tout terrifiante…

« Je ne la trouve pas effrayante, puissante oui. Elle adore voler. »

Mais elle restait un bébé à mes yeux, bien qu’elle soit grande maintenant… des grandes ailes… J’étais petite de taille et de stature, alors elle me paraissait toujours plus grande, mais en même temps je ne pouvais pas la voir autrement que comme encore un bébé… Elle était si jeune. Son âge…

« Elle… »

Que âge avait ma dragonne…

« J’ai une petite stature, alors… c’est plus facile pour elle. Je ne pèse pas lourd. Elle a… »

Je détournai les yeux en essayant vainement de me rappeler de son âge…

« Elle a un peu plus de… d’un an ? »

J’aurais aimé que la fin de ma phrase ne ressemble pas tant à une question et je glissai un regard vers la princesse brune pour voir sa réaction alors que je mourais d’envie de fuir cet endroit, grimper sur le dos de ma jument et filer la rejoindre pour ne plus être confronté à cela.

« Elle n’aime pas… beaucoup qu’il y ait des gens ne connaisse pas. Je crois que… votre époux ne l’a pas vu depuis… qu’elle a son nid. »

Par les anciens… quel était le prénom de son époux ? J’avais l’air plus ou moins proche de lui d’une certaine manière… Mais j’étais incapable de poser un nom ou un visage à cet instant. À quel point est-ce que je me trahissais maintenant ?

Si Talya avait pris le parti de se montrer rassurante, ses doutes allaient en grandissant. Edwyn ? Cela faisait sans doute plusieurs lunes, si ce n’est plus, que ce nom n’avait pas été prononcé dans les environs. De part son rang, la jeune femme ne pouvait en savoir plus mais il lui semblait que cela faisait une éternité que Boadicée était vue seule. Toujours est-il que si l’homme était aussi bien le compagnon que le médecin de la Sand, quoi de moins surprenant que son état se soit dégradé depuis son départ ? Cela ne faisait que renforcer l’hypothèse qui était née au fond de son esprit. La magie avait un prix. Princesse, bâtarde ou femme du peuple, il n’y avait pas d’exception. A l’instar de la Mort, personne ne pouvait y échapper une fois qu’un œuf de pierre se trouvait en leur possession semblait-il…


« Je ne vous forcerai pas à agir de la sorte, en ce cas. Il n’en reste pas moins que je vous encourage chaudement à requérir l’avis de cet homme de sciences. Votre traitement a peut-être besoin d’être ajusté ou que sais-je ? »


Les compétences médicales de la Tyroshi étaient limitées. Tout juste pouvait-elle contrer les effets du mal de mer par elle-même ou d’autres maux de cette nature. Cela et quelques soins des plus basiques qu’elle avait pu donner alors qu’elle se trouvait dans un temple ou un autre. Talya s’enfonça davantage dans son siège, enroulant machinalement l’une de ses mèches autour de son index. Voilà des propos qui ne pouvaient que l’inquiéter, au-delà de l’état dans lequel Boadicée semblait se trouver. Peut-être s’agissait-il d’une conséquence de son manque de sommeil ? De son mal-être ? Un dragon était une créature magnifique, loin s’en faut. Leur dangerosité était bien réelle. Même pour leurs dragonniers. Il n’était pas doux et dociles comme pouvaient l’être les chiens. Même un cheval qui n’aurait jamais connu la main de l’Homme n’était pas aussi sauvage et indépendant qu’un dragon. Même sans penser à mal, il semblait à Talya qu’ils n’avaient pas conscience de leur force. Et que dire des personnes qui oseraient venir les déranger jusque dans leur tanière ?


Talya avait gardé un souvenir cuisant de ces quelques moments où Nümia avait manqué de la mordre. Elle. La personne qui avait protégé son œuf, qui avait tant perdu pour la faire renaître. A cette époque, elle faisait la taille d’un chat. Si la blessure qui en aurait résulté n’aurait sans doute pas été d’une grande gravité… Si elle avait été plus grande, la Tyroshi n’aurait pas donné cher de ses doigts ou de sa main. Dès lors, la jeune femme ne pouvait croire que Boadicée n’avait jamais connu de tels moments. Sa mémoire devait lui faire grandement défaut, pour qu’elle occulte la dangerosité de telles créatures.


La princesse fut tirée de ses pensées.


Une question ?


Était-ce réellement une question ?


Talya se retint à grand peine d’écarquiller les yeux. Une question. C’était bel et bien une question. Boadicée ne se souvenait pas de l’âge de sa dragonne. Il devait en être de même pour le prénom de son époux. Alors même qu’elle semblait lui prêter la plus grande des attentions à sa dragonne. Et qu’elle connaissait Quentyn depuis bien plus longtemps qu’elle. Si la Sand ne lui semblait pas si pâle, si mal à l’aise, la Tyroshi aurait parié qu’il s’agissait-là d’une farce. Qu’elle se payait sa tête. Hélas, tout cela n’était que la plus dure vérité. Le temps passait, inlassablement, et ses doutes se confirmaient encore et toujours...


« Boadicée, cette question va vous sembler étrange mais je tiens à ce que vous y répondiez. »


En d’autres circonstances, une telle interrogation aurait semblé idiote, de part sa simplicité. Une simplicité telle que Talya espérait ne pas se tromper. Auquel cas, cette discussion virerait davantage encore dans l’étrange. A ce sujet, la Tyroshi se demandait sincèrement, et avec une pointe de crainte, si les choses pouvaient empirer. Dans un cas comme dans l’autre, elle aurait bien vite sa réponse.


« Quel est mon prénom ? Et celui de mon époux ? »

Je ne voulais même pas approcher un mestre. Même s’il était aussi bon que celui de Lancehelion et tout cela… Non, il était le seul en qui j’avais une totale confiance et qui savait le moindre de mes maux. Même loin il savait quoi faire… Non… Je ne voulais personne d’autre pour s’occupe de moi. Sauf que si je ne disais pas oui, oui la princesse ne me laisserait pas partir. Alors donnons-lui les réponses qu’elle souhaite et après je pourrais fuir pour retrouver Seralyon. Et je n’avais absolument aucune idée de ce dont nous avions parlé lorsque j’étais rentrée ici. Est-ce que cela faisait longtemps ? Incline la tête et réponds Boa ! Plus tu tardes, plus c’est suspect.

« J’irais le voir. Dans les prochains jours. »

J’aurais oublié en passant le pas de cette porte qui me faisait de l’œil depuis… je supposais le début de la conversation ? J’essayais de répondre de mon mieux à ses multiples questions, mais ma mémoire ressemblait de plus en plus à quelques grains de sables jeté négligemment dans une grande pièce vide ou le roulement de leur mouvement sur les dalles résonnaient comme autant de questions auxquelles je n’aurais pas de réponses avant d’avoir retrouvé ma mémoire. S’il en restait quelque chose après tout… J’essayais vainement de me cacher, de ne pas montrer mes difficultés… Mais un homme avec une enclume aux pieds ferait mieux la planche que moi dans une tempête à cet instant. Je mourrais d’envie de fuir, de passer au travers d’une fenêtre et de courir pour rejoindre Seralyon, me blottir contre un arbre et ne plus bouger… J’évitais les regards avant de relever les yeux vers elle à sa remarque.

Et merde… C’était quoi la question… Je me sentis pâlir encore plus et ma bouche devenir très sèche. Je pris ma coupe pour essayer de gagner du temps et de finir le fond de vin qu’elle contenait en essayant de calmer la panique qui montait de plus en plus. Son nom ? Et celui de son époux. J’essayais de tout mon cœur de m’en souvenir en évitant de croiser son regard. Je n’avais même aucune blague à faire pour dédramatiser la situation. Non… rien du tout… Je n’avais même pas la première lettre de leur prénom où j’aurais pu frauder ! Même pas. Je me mordis plus fort les lèvres en essayant désespérément de trouver une minuscule réponse. Je les connaissais ! Je savais qu’elle était mariée… Au prince… Mais je ne savais pas. Je ne savais plus qui était cette personne en face de moi… Je ne pouvais pas l’avouer… Je ne pouvais pas ! Mais dans le même temps… Mon silence était tout aussi révélateur qu’une réponse. Est-ce que je pouvais assumer ? Est-ce que j’arriverais à le dire ? Non. Non je ne pouvais pas… Mais mon silence coupable était pire, il m’entraînait vers le fond. Je pourrais me lever, m’enfuir en courant, sauf qu’elle savait où était Seralyon, enfin elle n’était pas difficile à trouver et elle pourrait venir me faire chercher sauf que je serais incapable d’apaiser Seralyon et l’empêcher de faire une connerie. Je baissai la tête vers le fond de ma coupe. Avoue. Avoue Boadicée. Personne ici ne le sait. Personne. La seule personne qui le sait c’est Edwyn il est très loin.

« Je… Je ne sais pas… Je n’ai pas la réponse à votre question. »

On pourrait offrir une formation de bourreau à la princesse qu’elle serait déjà une maîtresse de cet art. J’avais avoué, la gorge serrée incapable de la regarder. Je n’avais qu’une envie : fuir. Loin. De me recroqueviller loin du monde. Elle savait… Est-ce que maintenant je pouvais partir ? Pitié…

A cet instant, Talya pensa avoir gagné une première bataille. Ou tout du moins, elle en avait l’impression. Et pourtant, elle avait comme un goût de cendre dans la bouche. Boadicée n’avait jamais eu la volonté de se soigner. Qu’importe le mal qui pouvait la ronger, elle semblait ne pas prendre la chose avec la rigueur nécessaire. A moins que tout cela ne soit du à cet autre problème que la Tyroshi pensait avoir repéré ? Après tout, suivre un traitement avec une mémoire fuyante devait être une tâche bien ardue. Si la situation était aussi grave que la jeune femme le supposait, Boadicée avait peut-être même essayé de se soigner sans en garder la moindre souvenance. Devait-elle en informer leur Mestre ? Cette idée lui traversa l’esprit sans que Talya ne la trouve à son goût. Il y avait de ces choses qu’il était de bon ton de garder dissimuler, le temps d’en apprendre davantage. S’entretenir avec le Prince Oberyn aurait pu être une solution intermédiaire des plus plaisantes mais qui se révélait tout bonnement impossible.


Talya ne cherchait même plus à masquer ses émotions désormais. Son inquiétude était des plus réelles et elle ne pouvait plus supporter ce jeu de dupes dont elle était la seule joueuse consciente. Boadicée était pâle comme un linge, les yeux baissés. Cette conversation lui était douloureuse et la Tyroshi avait l’impression de lui avoir tendu un piège bien malgré elle. Son seul but avait été de la renseigner quant au départ de son oncle. Le reste n’avait été qu’une farce du Dieu Ivre pour attiser sa curiosité. Elle n’avait fait que tirer un fil qui l’intriguait et en était arrivée à détricoter un mensonge bien étonnant. Un mensonge… Dans les faits, la princesse n’était même pas certaine que tout cela en soit réellement un. Pouvait-on vraiment mentir lorsque la fatigue vous assaillait de la sorte ? Avait-on juste la force pour cela ?


Elle ne savait pas.


C’était aussi simple que cela. Un terrible aveu mais qui expliquait tout. Absolument tout. Boadicée ne pouvait mentir sur quelque chose qu’elle avait oublié. Telle était la vérité. L’inquiétude luisait toujours dans les yeux de la princesse, alors que la réponse de la Sand lui parvenait. Et pourtant, c’est avec force qu’elle se saisit de ses mains, les enveloppant dans les siennes. Une force qu’elle aurait voulu lui transmettre, au moins en partie. Elle n’en avait pas à revendre mais lui aurait fait ce don si cela avait été possible. Car cacher son état devait être une épreuve de chaque instant. Une épreuve pour remettre des noms sur des visages connus mais dont il ne restait qu’une vague forme dans ses pensées. Pour retrouver son chemin dans ce dédale de couloirs que pouvait être le Palais Vieux ou la Ville Ombreuse. Pour ne pas oublier de s’alimenter, de dormir. Pour ne pas oublier sa propre identité, peut-être.  


« Boadicée… murmura Talya avec douceur, serrant toujours ses mains entre les siennes. Je suis désolée que nous en soyons arrivées à cette extrémité, ce n’était pas mon but. »


Sa simple volonté était de la prévenir du départ du Prince, ni plus ni moins. Avant cette conversation, jamais Talya n’aurait pu imaginer tout cela. Dans ses souvenirs, Boadicée n’était pas dans cet état avant son départ pour Tyrosh. Pouvait-il s’agir de crises, d’un mal chronique ? Auquel cas, Boadicée pouvait tout à fait faire passer ses absences pour de simples rêveries. Peu de personnes avaient du faire le rapprochement si son état pouvait varier aussi rapidement. Pour les personnes peu regardantes, Boadicée n’était qu’une personne tête en l’air. Peut-être même que certaines personnes s’amusaient de ce trait de caractère, qui n’en était pourtant pas un, sans se douter de la cruelle réalité…

« Qui d’autre pourrait être au courant ? voulut savoir Talya, toujours avec douceur et à voix basse. Je me doute que vous ne criez pas une telle chose à qui veut l’entendre mais pensez-vous que d’autres personnes pourraient se douter de quelque chose ? »


Talya était suffisamment rompue à la vie mondaine pour savoir qu’une telle rumeur pouvait enfler aussi vite que les voiles d’un navire en pleine tempête. Et qu’elle pourrait peut-être se révéler fatale ou devenir une arme bien cruelle que leurs ennemis pourraient retourner contre eux. Boadicée n’était pas qu’une bâtarde. Elle était la garde du corps de l’une d’entre eux et une dragonnière de surcroît. Que penseraient leurs alliés s’ils apprenaient ses pertes de mémoire par hasard ? Ou par une quelconque machination ? Ou Ellaria si elle se rendait compte que sa garde du corps était incapable de retrouver le chemin de ses appartements les mauvais jours ? Au-delà d’être dangereuse pour Boadicée, cette situation pouvait l’être pour l’ensemble de la famille qu’elle servait et peut-être même pour la Principauté toute entière si une personne mal intentionnée apprenait tout cela… Des choses que Talya se devait d’empêcher à tout prix.

Qui pouvait comprendre à quel point, lorsque j’étais dans cet état, le monde pouvait être un endroit terrifiant, angoissant avec ces milliers d’informations à la minute ? Ces informations qui glissaient sur moi sans s’accrocher et que j’avais même l’impression de perdre toute ma substance tout ce que j’étais ? Que je ne savais plus si j’avais fait telle ou telle chose. Si j’avais mangé, bus, dormi… Mon carnet m’aider, mais en même temps il n’était une béquille vermoulue par la propre gangrène de mon esprit qui avait ses phases d’oublies si profonde que parfois je doutais même de qui j’étais moi-même. Savoir si j’avais faim, soif… manger ? Retrouver des noms ? Des visages ? J’ignorais complètement qui était la personne devant moi, je supposais, mais j’ignorais son nom. J’essayais comme je le pouvais de gratter, de trouver, de fouiller… Mais c’était comme gratter du granit avec des algues… Je n’y arrivais pas. Ni son nom, ni celui de son époux. Alors je l’avouais. Je l’avouais sans pouvoir faire autrement. Qu’importe ce que j’aurais dit, j’aurais avoué d’une manière ou d’une autre.

Je voulais fuir. Réellement fuir. Qu’on me laisse m’enfuir, retrouver ma dragonne… Elle au moins me laissait tranquille, elle aimait, enfin c’était ce que je pensais, que je sois présente avec elle tous les jours… Je crois que c’était tous les jours. Elle faisait sa vie, et moi je restais avec elle à la regarder sans rien tenter. Ou presque. Parfois je montais sur son dos pour voler un peu, mais elle était si jeune, si fragile… Je ne pouvais pas. Je vis les mains de… la femme en face de moi prendre mes mains… C’était la princesse, mais tout le reste avait disparu de mon esprit. La simple princesse… Je ne pouvais pas trouver autre chose. Je ne dis rien en continuant de regarder ces mains tenir les miennes… Sans rien dire. Pas son but ? Et pourtant avec ses questions, je supposais depuis le début de cette conversation. Mais maintenant, elle savait que je n’avais plus aucune mémoire actuellement. Alors que je savais qu’avant j’en avais c’était relativement facile… À cacher. Je savais que ce n’était pas pareil avant que c’était qu’une passade… Mais je ne relevais pas la tête vers elle. Je me mordis les joues à sa question.

« Je… Edwyn… Edwyn sans aucun doute… Et… Et… »

Je secouais la tête. J’étais presque sûre qu’il y avait une autre personne. D’autres personnes…

« Je… Il… Peut-être que certains doutent… Mais… je… ne sais… J’ai peut-être noté… enfin… j’ai des carnets, où… où, où je note beaucoup de choses. Ils… ils sont sous clé dans mes appartements… Il n’y a pas de secret dedans, je note que ce qui m’arrive dans mes journées… pas de secrets ou… quoi, hein ! Juste des informations pour moi, comme… si j’ai mangé… des souvenirs… tout ça. »

Qu’est-ce que je pouvais dire d’autre… Je ne savais plus si son époux savait pour moi en réalité… Peut-être ? Il savait peut-être…

« Peut-être votre… époux ? Sait ? Je ne sais pas… »

Je ne sais plus…

L’instant était grave. Il semblait même à Talya que les oiseaux avaient cessé leur chant. Que le vent, tout comme le temps, avait suspendu son vol. Il n’y avait qu’elles-deux et des pensées aussi rapidement effacées que les dessins sur le sable au retour de la marée. La Tyroshi savait qu’elle devrait y réfléchir seule. Il devait bien y avoir une solution à tout cela, ou au moins une manière d’atténuer ce phénomène. Et si rien de tout cela n’était possible… Talya retint un soupir. Il leur faudrait cacher cela à leurs ennemis. Et ce, qu’importe le prix. Hélas, la princesse ne pouvait s’entretenir tous ces épineux problèmes avec la principale intéressée. Malgré toute la bonne volonté dont faisait preuve la Sand, la jeune femme doutait à présent qu’elle ait la moindre souvenance de leur conversation une fois qu’elles se seraient quittées.


« Edwyn, bien sûr… J’aurai du m’en douter. »


Talya avait esquissé un pauvre sourire. Elle aurait aimé pouvoir confier un tel secret à Quentyn. Mais ce n’était pas la question du moment. Edwyn avait du traiter Boadicée par le passé. Il semblait à la jeune femme que l’homme avait quelques connaissances en la matière. Ou l’un de ses proches, peut-être. Cela expliquait pourquoi la Sand n’avait jamais eu besoin de Mestre. Une autre personne veillait sur sa santé, voilà tout. Doucement, frictionnant les mains de l’autre femme, Talya l’encouragea à poursuivre. S’il y avait d’autres personnes dans ce « Et », elle voulait les connaître ou obtenir autant d’indices possibles sur leurs identités.


Hélas, plus rien ne vint. Boadicée secoua la tête, dans un mouvement que la Tyroshi jugea désolé. La princesse esquissa une petite moue, mêlant à la fois une certaine déception et une pointe d’inquiétude. Elle ferait en sorte de tendre l’oreille, à présent qu’elle savait. C’était sans doute la seule chose à faire. Il n’en restait pas moins que la Sand semblait avoir pris quelques dispositions. Les traits de la Tyroshi se détendirent alors. Bien, au moins, elle ne se laissait ni mourir de faim, ni de soif. C’était une bonne chose et tout cela expliquait pourquoi la majorité des personnes ne semblaient pas avoir découvert le pot-aux-roses. Boadicée présentait bien et ses manies pouvaient simplement passer pour des étourderies ou de la maladresse.


« … C’est possible, peut-être probable. avoua Talya, à regrets. Je ne peux que vous enjoindre à poursuivre l’écriture. Cela vous fera le plus grand bien et je ne peux que nourrir l’espoir qu’elle vous sera bénéfique sur le long terme. La jeune femme se tut. Je ne suis pas Mestre ou érudite en la matière, je le crains. Mais je tâcherai de veiller sur vous même si vous n’en aurez pas forcément conscience. »


Les derniers mots avaient été prononcés dans un murmure. Il ne s’agissait pas d’une proposition, ni d’une promesse. A quoi bon tisser un accord dont l’une des concernées ne garderait pas le souvenir ? Non, c’était un état de fait. Talya veillerait sur Boadicée comme elle pourrait. Leurs destins étaient bien plus liés que la Sand ne pouvait l’imaginer. Elles étaient toutes les deux à l’origine d’un miracle. Un miracle qui dépassait l’entendement. Un miracle qu’il fallait protéger à tout prix.


« Mon époux ? L’inquiétude avait immédiatement laissé place à l’étonnement chez la Tyroshi, avant qu’elle ne rassemble ses esprits. Il est vrai que vous êtes proches. Cela ne m’étonnerait guère qu’il soit au courant de cette histoire ou au moins d’une partie de celle-ci. Avec votre permission… Me permettriez-vous de l’interroger à ce sujet ? Bien sûr, je ferais en sorte de ne pas mettre de mots sur vos maux. »


Son époux avait ses secrets, elle avait les siens. Plus encore depuis l’éclosion de Nümia. Ils n’avaient encore jamais abordés ce cas très en détail… Il s’agirait peut-être d’une occasion pour en discuter. Talya ne savait pas si cette idée devait la réjouir ou non. Dans tous les cas, avoir un allié conscient et possédant toutes ses facultés ne pourrait qu’être déterminant. Plus encore en l’absence d’Oberyn, qui devait être au courant de cette mascarade. Elle appréciait Quentyn et regrettait cette situation dans laquelle ils se trouvaient tout deux par sa faute… Ils étaient un duo avant d’être un couple et c’était de cela que Talya avait besoin à présent. Et elle espérait qu’il en irait de même pour le prince qu’elle avait épousé.