Confidence entre le Barral et le Crabe ☾ Delya et Maddy

L'an 301, lune 1, semaine 3, jour 5

Ma chère amie,

Je ne sais pas comment commencer cette lettre et encore moins comment la terminer. Tant de choses se sont passé depuis mon arrivée sur l’île de la Sorcière, tant de faits et de pensées… J’ai encore des difficultés à expliquer ce qu’il m’est arrivé ses derniers jours, mais la réalité m’a éclaté en plein visage. Lorsque j’ai quitté Roche-aux-Runes, j’étais loin de me douter de ce qui allait m’arriver. Sur l’île, j’avais des crampes dans le ventre, des douleurs si vives qu’il m’était difficile de contenir mes cries. J’ai découvert que je portais un enfant alors que j’étais en train de lui donner vie. Les sorcières de mon île m’ont dit que cela arrivait, de temps à autre, des femmes pouvaient avoir le ventre qui s’arrondissait très tard, ou que d’autres, comme moi, restait dans l’ignorance. Tout me semblait si irréel à cet instant, comme si ce qui se produisait arrivait à une autre personne. J’étais hors de mon corps et pourtant, je ressentais toute la douleur.

Je suis devenue mère sur cette île, une seconde fois. Je l’ai nommé Rosenn, en l’honneur d’un père qu’elle ne connaîtra jamais, en souvenir de ses roses rouges et de cette amour partagée. Je n’étais pas prête à reprendre ce rôle, mais je me refuse de l’abandonner à son sort. J’ai encore du mal à réaliser que cet enfant soit le fruit de ma liaison avec lui, mais je dois l’assumer. Seule.

J’ai pris la décision de rester sur l’île, de l’élever dans l’ombre de son futur mariage. Je crois que c’était la meilleure chose à faire, même si je suis terrifiée à l’idée d’être toute seule. Mais c’est une bonne décision n’est ce pas ? Quel avenir aurait-il si sa future épouse apprenait qu’il avait un enfant avant leur union ? Je sais qu’il m’aime suffisamment pour assumer notre liaison au sein de sa maison, mais un enfant, c’est autre chose. Je ne veux pas qu’il se sente piéger entre nous et elle. Et s’il m’acceptait avec notre fille, je resterais toute ma vie dans l’ombre de son épouse, de ses futurs enfants. Je ne sais pas si je serais capable de supporter tout ceci. D’être relégué au second plan. Nous méritons mieux, elle mérite beaucoup plus que cela.

Il n’y a plus de place pour moi là-bas. Lui et moi, nous devons avancer, nos chemins s’éloignent aujourd’hui. Et bien que cela me brise le cœur, je sais que c’est une décision juste.

J’écris tout ceci, sur l’avenir de cet enfant, alors que je ne sais même pas si elle va survivre. Rosenn est si petite, si chétive… Les sorcières m’ont certifié qu’elle était forte, mais j’ai peur. Je suis terrifié à l’idée qu’elle succombe elle aussi. Elle est la seule chose qu’il me reste de lui. Je ne sais pas si j’arriverais à survivre à une autre perte. Je ne serais pas assez forte pour cela.

J’espère que tu te portes bien,

Dans l’attente de tes nouvelles,

Je t’embrasse,

Ton amie, Maddy.

L'an 301, lune 1, semaine 4, jour 3

Ma sorcière favorite,

Je tiens d'abord à te féliciter pour la naissance de ta fille, et je suis certaine qu'elle survivra. Tu es forte et ta fille le sera toute autant, surtout entourée de tes sorcières. J'ai espoir et j'ai besoin de savoir que des bonnes choses se passent en ce moment. Je tiens aussi à m'excuser de mon manque de nouvelles durant ses dernières lunes, mais avant de t'en expliquer la raison, je préfère me concentrer sur Rosenn et toi.

J'ignorais tout au sujet de ces femmes qui sont enceinte sans le savoir, mais les sorcières de ton île ont un savoir que même les mestres ne doivent pas posséder. Comment pourraient-ils connaître les maux qui touchent les femmes en évoluant dans un monde d'homme ? Quoique, je devrais tester ce genre de connaissance sur un de mes cousins, il est toujours plongé dans des livres, peut-être qu'au final, un mestre aurait remarqué cela et retracer dans un livre. Même si j'en doute fortement, je leur laisse le bénéfice du doute. De toute manière, le principale, c'est que tu a pu accoucher en sureté et que tu ailles bien. J'imagine qu'il n'a pas été facile de vivre ce moment, mais je ne doute pas que tu sois une merveilleuse mère et Rosenn a beaucoup de chance de t'avoir. 

De par mon expérience, j'ai toujours eu une merveilleuse relation avec mon père, bien plus qu'avec ma mère. Ce n'est pas ma place de te conseiller de dire au père l'existence de cet enfant, je serai trop influencé par ce qui se passe actuellement dans ma vie. Mais Rosenn risque de ressentir un vide en grandissant, tu devras lui expliquer les raisons d'un tel choix, que c'était pour toi, une façon de la protéger, car oui, si le futur père vient vraiment à se marier, elle ne sera qu'une ombre dans ce mariage. Tu es ta meilleure conseillère et toi seule peux savoir ce qu'il y a du mieux pour ton enfant. 

Je suis triste pour toi, triste que tu ne puisses pas vivre auprès de l'homme que tu aimes, le père de ton enfant. Tu crois qu'il existe une potion pour enlever toutes douleurs ? Pour faire oublier la tristesse et permettre que la vie redevienne aussi plaisante qu'avant ? Oui, on ne peut pas dire que je suis en forme, d'où la raison de mon long silence, mais je ne dois pas me morfrondre, tu es la preuve que je ne suis pas la seule à vivre des moments difficiles.

Mon père est décédé...il m'est si dur d'écrire ses mots, mais il est bien décédé et il me manque tellement. J'ai encore l'impression d'entendre sa voix et pourtant, il n'est plus là. C'est comme un cauchemar qui ne veut pas s'arrêter et je peux te dire qu'en plus, je dors mal en ce moment. J'ai l'impression que tout est détruit autour de moi. Des fer-nés m'ont pris mon père, ainsi qu'un cousin et en plus, privé d'un autre être cher qu'ils ont emporté sur leurs iles maudites. Le Conflans à souffert à Salvemer et souffre encore. Du moins, ta fille porte l'espoir d'un jour meilleur, elle est la vie de demain. Ils nous faut nous accrocher à elle et sois la mère que mon père a toujours été pour moi.

Donne-moi rapidement de vos nouvelles.

Je prierais les anciens dieux pour Rosenn.

Je ne peux être auprès de vous, mais mon coeur vous accompagne.

Ton amie, Delya.

L'an 301, lune 2, semaine 1, jour 3

Ma chère amie,

Je suis peiné de lire ces mots. Je ne sais pas comment te réconforter, mais sache que mes pensées t’accompagnent. Perdre un être cher est une épreuve si difficile. Lorsque j’ai perdu mon fils et mon époux, j’ai cru que je ne m’en remettrais jamais. C’était si dur de m’habituer à leurs absences, aux vides que leurs disparitions avaient causées. Je me sentais vidé de toute joie, de tout sentiment positif, de toute énergie. Mais j’ai survécu. Parce que la nature ne tolère pas le vide, c’est comme une fleur qui a été coupée, elle repousse. Ce n’est pas exactement la même, elle est différente, mais elle grandit de nouveau. Cela va te changer, mais tu seras plus forte, parce qu’alors tu auras connu le pire, le manque, le désespoir et l'amour véritable. Tu es forte Delya. Cela prendra énormément de temps, mais tu arriveras à surmonter ce chagrin qui te dévore de l’intérieur. Je crois que je n’aurais pas survécu sans la présence des miens et des sorcières de mon île. C’est grâce à eux que j’ai réussi à me relever. Alors ne t’isole pas, reste auprès des tiens, accroche toi à leur amour et reste auprès de ceux qui te rende heureuse. Cela ne serait sans doute pas suffisant, mais c’est un premier pas.

Si tu étais ici, à mes côtés, tu entendrais ce dicton : en ce moment, tu es un arbre sans feuille, luttant contre le froid mordant de l’hiver, mais patience, lorsque l’été reviendra, tu arboras alors de magnifiques feuilles et tu retrouveras, ta splendeur d’antan.

Ce vide que tu décris, je l’ai déjà ressentie en étant enfant. Mon père n’en était pas réellement un, il était absent et même lorsque j’étais près de lui, je me sentais seule. Peut-être qu’elle ressentirait elle aussi ce vide, mais alors je lui expliquerais les raisons. Je sais que je prends un risque, le plus important de toute ma vie, mais il mérite d’avoir cette chance. Rosenn pourrait me détester, mais alors je saurais que ce n’était pas en vain. Aucune décision n’est vraiment idéale. Il y a toujours des gagnants et des perdants, finalement.

Tu avais raison, chaque jour, Rosenn prend de la force. Elle grandit. Cela me rassure tellement. Si tu savais à quel point je suis soulagée. J’ai l’impression de pouvoir respirer à nouveau.

Je pries le Roi Merling pour les tiens, et pour que ton cœur s’apaise,

Ton amie,

Maddy.

L'an 301, lune 2, semaine 3, jour 3

Je pense fort à vous deux.

Delya

L'an 301, lune 4, semaine 1, jour 2

Ma très chère amie,

Je suis navrée pour ce temps d’attente, j’ai été particulièrement occupée ces derniers jours et je n’ai pas pris le temps de répondre à ta lettre… En ce moment, je ne sais plus où donner de la tête, j’ai beaucoup trop de projet à concrétiser, et Rosenn me prend beaucoup de temps. Elle reste cette petite fille calme, qui observe le monde avec ses grands yeux bleus, mais qui pleure dès qu’une autre personne la prend dans ses bras. C’est très étrange de revivre ses expériences, je pensais que jamais plus je nourrirais un enfant, ni le bercerais dans mes bras pour qu’il s’endorme. Parfois, j’ai toujours cette impression d’étrangeté lorsque je l’observe dormir, mais je m’y fais. M’occuper d’elle devient de plus en plus naturel. On apprend toutes les deux à être une famille.

J’ai pris la décision de m’investir davantage sur mon île, si je dois m’y installer définitivement, je veux pouvoir faire plus pour ses habitants. Alors j’ai commencé à donner des cours aux villageois, pour qu’ils puissent apprendre à lire, à écrire et à compter. Pour le moment, je n’ai pas beaucoup d’élèves, mais j’ai espoir. En parallèle, j’aide les sorcières de l’île, elles me transmettent leurs connaissances, je pense qu’elle veuille que j’émerge moi aussi de l’océan, de passer l’initiation pour être véritablement une des leurs. Mais je ne suis pas prête, et je ne sais pas si je le serais un jour. C’est différent de croire en un dieu, et de se vouer corps et âme à lui.

Tu me demandais si cela n’était pas étrange, de retrouver une vie que j’ai déjà eue, mais sans Dywen. C’est terriblement difficile. Bien que tout soit différent entre eux, qu’ils ont des caractères différents, je compare sans cesse mes deux enfants. Mon fils riait sans cesse, même à son jeune âge, ce sourire aux lèvres ne le quittait jamais, ce qui contraste avec Rosenn, qui est toujours très sérieuse. J’imagine que cela me passera, qu’un jour, je ne verrais plus que ma fille. Mais je dois l’avouer, m’occuper d’elle majore le manque de mon garçon. Je n’ai jamais autant pensé à Dywen depuis que je suis revenu sur l’île.

J’espère que tu te portes mieux. Mais je souhaitais ajouter cette pensée, ses mots resteront toujours en toi, ils t’accompagneront toute ta vie, c’est sans doute pour cela qu’on dit qu’on laisse des empreintes chez les autres. Il restera ton guide.

Rosenn est en train de se réveiller, je dois terminer cette lettre, mais je tiens à répondre à une de tes interrogations. Les Fer-nés sont bien des choses, mais ils connaissent la valeur d’un otage. Je suis certaine que ton cousin va bien, il survivra à cette épreuve et retrouvera bientôt vos bras aimant.

Je prie le Roi Merling pour que l’océan veille sur lui,

Ton amie,

Maddy.

L'an 301, lune 6, semaine 1, jour 1

Mon amie sorcière,

J'ai mis du temps à te répondre, mais au moment où je m'étais posée pour t'écrire, une nouvelle est arrivée. Mon cousin était libéré et rentrait dans le Conflans. Ma joie l'a emporter sur tout le reste, j'ai laissé ma lettre sur ma table un long moment avant de vouloir la reprendre et la recommencer. En une lune d'écart, ce que je veux te raconter prend une forme bien différente.

Comme je te disais, mon cousin est rentré, j'en suis heureuse, mais à la fois bouleversé. Il n'est plus totalement lui-même, ce qu'il a vécu n'a pas dû être simple et je n'ose l'interroger à ce sujet, lui faire revivre des instants qu'il veut certainement oublier. Il doit se concentrer sur le meilleur, un futur auprès de son épouse. Je reste dans l'ombre en l'attente qu'un jour réapparaisse le cousin que j'ai toujours connu. Au moins, il est en vie et en sécurité. Il nous faudra sûrement être patiente, les anciens dieux entendront mes prières de lui faire oublier son temps chez les Fer-nés. 

Il y a aussi eu une visite royale à Corneilla, le prince Aegon et son épouse Margaery. Il forme un beau couple. J'ai voulu me rendre utile, je ne pouvais rien faire pour mon cousin, j'ai donc tenté d'être le plus serviable possible pour la princesse. Je ne sais pas trop ce qu'elle a pensé de moi, mais même si celle-ci paraissait affaiblit, il y a une lumière qui ressort d'elle. Je pourrais dire que cela vient de son statut de princesse, mais il y a une princesse Targaryen à Corneilla et cela n'a rien avoir. Enfin, elle a quelque chose de spéciale, de captivant, je ne suis pas certaine de croiser de nouveau sa route, je ne suis personne face à une princesse, et cela me va totalement, mais ça été une belle rencontre. 

Voilà, ce qui a bien occupé mon quotidien ces dernières lunes, et toi, comment se porte la petite Rosenn ? Arrive-t-elle à s'habituer à d'autres bras que les tiens ? Tu sais qu'il parait que moi petite, acceptait personne, je ne faisait que pleurer jusqu'au jour où mon père est revenu de la guerre et m'a prise dans ses bras. Je l'avais choisi, il faut croire, comme Rosenn l'a fait avec toi. Il est normal que tes pensées se tournent vers ton fils, il fera toujours parti de toi, il est le frère de Rosenn. Est-ce que tu comptes un jour parler de Dywen à ta fille ? 

Je vois que tu arrives à trouver ta place sur ton île, il faudra que tu m'expliques comment tu fais ! Moi, j'ai l'impression de ne rien faire de bien utile de ma vie !

Mon coeur t'accompagne

Ton amie Delya

L'an 301, lune 6, semaine 1, jour 1

Ma tendre amie,

Mon cœur se réjouit de cette nouvelle inattendue, je suis si heureuse pour toi et pour ta famille. Cela doit être un réel réconfort de le voir auprès de vous, même s’il n’est pas tout à fait lui-même. Tu as raison, les épreuves qu’il a subies, sur les terres humides des Fer-nés le marqueront à jamais. Mais comme tout ceux qui vivent des heures si sombres, il apprendra à vivre avec ce fardeau.

Il y a une autre image qui me vient en tête, mon arrière-grand-mère s’exprimait qu’à travers des comparaisons, mais je les trouve si parlantes. Lorsqu’un incendie fait rage, anéantissant la moindre parcelle de verdure, détruisant les fleurs et les arbres, plus rien n’existe sur la surface de la terre. Jusqu’au jour où la pluie tombe, et que des jeunes pouces sortent, poussant de toutes leurs forces pour retrouver le soleil. Provenant des mêmes graines, elles sont les mêmes fleures, les mêmes arbres, mais elles seront différentes, plus forte ou plus vulnérable au changement climatique. Mais elles repoussent. Ton cousin est en train de vivre cet incendie et il ne sait pas encore comment faire pour remonter à la surface. Il sera similaire et en même temps, changé. C’est ce que les épreuves font. Elles nous changent à jamais, et ce n’est pas toujours négatif. Et tu es la même Delya d’il y a quelques lunes ?

Rosenn reste cette même enfant. Mes bras sont les seuls qu’elle accepte, mais je garde espoir qu’un jour, elle se sentira suffisamment en sécurité pour être bercé par une autre personne. Et en même temps, je culpabilise. Aurait-elle peur que je l’abandonne ? A-t-elle senti que le jour de son arrivée au monde a été un véritable traumatisme pour moi ? Ou alors, elle sent que je ne me sens pas en sécurité, mon chagrin… Je ne sais plus quoi en penser. Un enfant, aussi jeune, soit-il, peut-il être aussi intuitif ?

Je me sens prête à présent de parler de lui, et même s’il n’est plus là, il fait partie de mon histoire et de la sienne à présent. C’est une partie de son héritage, car si Dywen était encore à mes côtés, peut-être que Rosenn ne serait pas là. Je ne serais peut-être jamais retourné à Roches-aux-Runes, je n’aurais jamais créé un lien aussi fort avec lui et jamais je n’aurais mis au monde un autre enfant. La vie tient à si peu de chose, et tout peut arriver finalement. De la souffrance peut naître un rayon de soleil.

Je m’y sens à présent à ma place, il est vrai. Mais je crois que c’est par nécessité. J’aime réellement mon île et les habitants qui la composent. Elle fait partie de moi et a construit la femme que je suis à présent. Elle est un havre dans la tempête, un refuge lorsque j’ai besoin d’air, mais une fois que j’y suis, que je suis de nouveau apaisée, je ressens de nouveau le besoin de repartir. J’essaie simplement de faire ce que je pense être le mieux pour moi, de me rendre utile et de trouver un sens à ma vie. Aider les autres fait sens pour moi , tout comme faire des choses par moi-même et cela, je peux le faire ici ou ailleurs.

Tu trouveras cet endroit qui te rendra heureuse et ce qui te rendra réellement heureuse, j’en suis certaine.

Dans l'attente de tes nouvelles

Ton amie Maddy

L'an 301, lune 7, semaine 3, jour 1

Ma sorcière du Val,

Comme toujours, j'aime recevoir de tes nouvelles. N'est-ce pas étrange que tu sois la personne qui en sache le plus sur mes pensées et qui pourtant ne m'a jamais vu en vrai ? Un jour, peut-être, nos chemins viendront à se croiser, j'espère que les anciens m'emmèneront jusqu'à toi pour pouvoir échanger de vive voix, même si t'écrire est très plaisant. C'était mon petit moment nostalgie ou espoir d'une vie meilleure, d'une autre vie tout simplement. Beaucoup de choses se passent en moi en ce moment, je ne serai pas t'expliquer vraiment quoi, mais je me sens si fragile. Depuis mon plus jeune âge, je fais des poussées de fièvre et en ce moment, elle me tourmente beaucoup. Et si ce n'était que cela, je pourrais bien le vivre, ces fièvres m'ont accompagné toute ma vie, mais si mon esprit est tourmenté, c'est que mon cœur l'est aussi.

Je t'ai déjà parlé d'Ozven, mon ami d'enfance, celui que je suivais à travers le château des Nerbosc et avec qui on s'inventait des aventures qui nous menait tellement loin. Pour dire vrai, j'y pense à présent, c'est beaucoup grâce à lui que je suis venue à t'écrire ma première lettre. Moi qui rêvais tellement de découvrir comment devenir une sorcière ! J'en souris rien qu'en me rappelant tout ses souvenirs. Ozven a toujours été présent, je sais que je peux compter sur lui à tout instant, mais depuis le décès de mon père, nos relations sont devenus différentes. Enfin, nous sommes toujours ses deux enfants d'hier, mais cela m'a paru flagrant que nous avions grandi et je crois que mes sentiments pour lui ne sont plus les mêmes. Dans son regard, j'ai l'impression d'être la plus belle personne de Westeros et à la fois, cela m'effraie, je ne veux pas le perdre. Je ne peux me laisser embarquer par mes sentiments, il est mon ami, je ne peux pas espérer plus et je ne peux m'empêcher pourtant, de m'imaginer être à son bras, de voir notre avenir l'un avec l'autre. Dis-moi est-ce cela qu'on appelle l'amour ?

Pour en revenir à ta lettre, la comparaison de ta grand-mère est très imagée, mais tellement vrai. Je reste la Delya d'avant l'attaque de Salvemer, je sais juste à présent, ce qu'est perdre quelqu'un, de devoir vivre en sachant que chacun près de nous peut nous être enlevé. C'est une autre manière de prendre le lendemain. 

À la charmante Rosenn. Je pense que oui un enfant peut tout ressentir. D'après la nourrice, ma naissance a été aussi un choc pour ma mère, je suis née en pleine guerre et mon père était au loin. Elle ne voulait pas me mettre au monde dans cette incertitude et elle a lutté pour ne pas que je sorte, ne voulant pas de moi dans ses bras jusqu'au retour de mon père. Imagine qu'il est revenu cinq lunes plus tard. Je pense que peut-être, c'était pour cela que je n'arrêtais pas de pleurer, je devais sûrement me sentir seule. J'en sais rien, mais tout simplement, je voulais souligner que je pense que les enfants peuvent ressentir tellement et de par sa naissance, il me parait normale que ta fille agisse ainsi. Tu es son réconfort, elle est le tien. Et pour en rajouter, tu es aussi le mien.

Penses-tu du coup repartir à Roches-aux-runes ? Est-ce que le père de Rosenn s'y trouve encore ? J'écris cela par rapport à ton besoin de repartir. Je rêve aussi de quitter ma famille, de voir tout ce que Westeros peut offrir, mais pour le moment, je n'ai même pas posé un pied loin de terres des Nerbosc.

Je prie les anciens dieux pour toi et Rosenn

Ton amie du Conflans,
Delya

L’an 301, lune 8, semaine 3, jour 4

Ma douce amie,

Il s’est passé tant de choses depuis ta dernière missive, des événements et des pensées que j’ai été obligé de taire. J’ai essayé de t’écrire, à plusieurs reprises, mais je n’ai jamais réussi à rassembler mes idées. Du moins, pas suffisamment pour être le plus honnête possible. Non pas avec toi, mais avec moi-même.

Dans ta lettre, tu me posais une question importante, si ce que tu ressentais pour Ozven était de l’amour. Depuis des années, la manière dont tu décris votre amitié évolue, et à travers tes écrits, tes sentiments pour cet homme transparaissent. Chaque mot transpire de ce lien qui s’est tissé entre vous-deux. Une amitié profonde est aussi de l’amour après tout. Mais est-ce une relation amoureuse qui s’installe ? Je ne saurais pas répondre à ta place, mais il est évident que tu tiens à lui. De très belles choses peuvent naître d’une telle relation… Je ne sais pas si mes mots peuvent t’aider à y voir plus clair, mais ne rien essayer pourrait être tout aussi douloureux que le perdre.

Pardonne-moi, je me veux optimiste, alors que mes doigts ont envie d’écrire tout autre chose. Laisser entrer une personne dans son cœur, c’est aussi accepter qu’un jour, elle le brise. Je sais que ce n’est sans doute pas ce que tu voudrais lire… Finalement, ce n’était peut-être pas le meilleur jour pour répondre à ton questionnement. Mais je n’ai personne d’autre à qui confier mon mal-être. Je pensais réussir à me convaincre que mes sentiments pour lui n’étaient que de l’amitié, mais aujourd’hui, confronté à son absence… Je ne sais pas. Je ne sais plus ce qu’il représente pour moi.

Peu de temps après ta lettre, j’ai quitté mon île, mon havre isolé, pour rejoindre cette terre que j’essayais de fuir à tout prix. Le mestre de Roches-aux-Runes m’avait envoyé une missive, mon père était souffrant. J’ai alors tout quitté, abandonné mes responsabilités, pour le rejoindre. Malgré mon choix de ne plus jamais remettre les pieds là-bas, et de protéger Rosenn, je n’arrivais pas à me résoudre à l’abandonner à son sort. J’ai pris la mer, ma fille à mes côtés, en priant de toutes mes forces. Grâce au Roi Merling, mon père a survécu au mal qui le rongeait, mais je reste perturbé par ce retour inopiné.

Il n’est pas là. Lui et son épouse sont… ailleurs. Rosenn est caché dans un village, protégé par une amie fidèle. Et je suis ici, assise dans mon ancienne chambre, à écrire une lettre à la lueur d’une chandelle vacillante. Il est si étrange de reprendre une place qui était autrefois la sienne, alors que tout est si différent aujourd’hui. J’ai l’impression d’être prise dans un cercle sans fin, j’ai déjà vécu tout ceci. Lorsque j’ai perdu mon fils et mon époux. J’ai repris cette place, sans eux, sans pouvoir exprimer ma douleur, ma détresse. Et maintenant, lui, il n’est pas là. Parfois, je me surprends à espérer le croiser dans un couloir, de tomber sur lui, par hasard, dans les escaliers. Et m’en rendre compte me blesse encore davantage. Je sais qu’un jour, il appartiendra à mon passé et je pourrais me réconforter en me disant que son cœur m’appartenait.

Tes mots sont toujours d’un très grand réconfort pour moi, ils arrivent toujours à adoucir certaine de mes angoisses et pour cela, je t’en remercies.

J’espère que tu te sens mieux, je prie le Roi Merling pour qu’il te protège,

Ton amie,

Maddy

L'an 301, lune 10, semaine 4

Ma sorcière favorite,

Je m'excuse du temps de réponse, les mots ne me venaient pas si facilement que ça et j'avoue avoir été pas mal occupée et surtout à trier mes propres idées. De plus en plus, je me dis que mes sentiments pour Ozven sont bien de l'amour et pourtant, je ne peux être proche de lui. Comme tu l'as bien préciser ouvrir son coeur peut être un bienfait, mais aussi une source de souffrance. J'ai peur de le voir souffrir par ma faute, de voir notre amitié disparaître. Je l'ai toujours eu à mes côtés, il connaît tout de moi, je ne me vois pas vivre sans lui. Tout comme toi avec le père de Rosenn, j'espère toujours l'apercevoir, je peux même sentir sa présence alors qu'il se trouve dans mon dos. Il est mon plus grand bonheur à Corneilla et je préfère être son amie que de risquer de le perdre. D'être sa fille du Barral, comme il me surnomme, mais pas celle qu'il pourrait aimer.

Je ne suis pas surprise d'apprendre ton retour à Roches-au-runes, mais je ne m'attendais pas que ça soit la mauvaise santé de ton père qui te pousse à y retourner. Comment se porte-t-il ? Je viens de songer que je faisais une bien mauvaise amie de ne pas avoir répondu directement à ta lettre, j'espère vraiment que ton père va mieux, car je serai bien désolée de ne pas t'avoir soutenu dans cette épreuve. 

Peut-être est-ce pas plus mal qu'il ne soit pas là, que tu ne sois pas obligé de le voir vivre auprès de son épouse ! Je suis de tout coeur avec toi et j'espère qu'un jour ton coeur se remettra de cet amour. Comptes-tu lui parler de Rosenn avec ton retour ? Ce que tu dois vivre ne doit pas être facile, des souvenirs du passés qui te ramène vers lui et en même temps, toi, qui te dois d'avancer dans une autre direction pour ton enfant. D'ailleurs, comment Rosenn s'habitue-t-elle à sa nouvelle vie ? 

Je ne sais pas si tu es courant, enfin, en même temps, qui n'a pas entendu parler de ce tournoi ! Je pourrais me rendre à Lestival, enfin quitter le Conflans, mais j'ai décliné la proposition de voyage, je me sens encore bien fatiguée et puis je ne sais pas, la peur me retient. Tu vas me dire que j'ai toujours rêvé de quitter les terres des Nerbosc, mais je sens que ce n'est pas mon heure, que je me dois de rester et de garder ma place. Je peux comprendre que ma mère ne me comprenne pas toujours, des fois, je ne me comprends pas moi-même. En tout cas, sache que je ne perds pas espoir qu'un jour, je puisse aller te rejoindre dans le Val.

Mes pensées t'accompagnes

Ton amie, Delya.

L’an 301, lune 11, semaine 1, jour 2[/right


[right]Tout comme toi, j’espère qu’un jour, nos pas nous mèneront sur le même chemin,

Ton amie,

Maddy

L’an 301, lune 12, semaine 4, jour 2

Ma douce amie,

Je t'écris la dernière lettre de cette année pour ma part, je pense. Dans ma vie, il ne se passe pas grand-chose actuellement et il est bon de savourer le calme, la simple petite routine de mon quotidien. Je ne regrette pas de ne pas avoir été à Lestival, je n'ai aucun attrait pour les élans chevaleresque de toute manière et ne comprends pas ce qu'il y a de plaisant de s'affronter pour gagner des jeux. Oui, j'en venue à cette conclusion alors que je me reposais au pied du Barral de Corneilla. Puis n'est-ce pas faire honneur à mon père de penser cela, il n'est jamais devenu chevalier et mon frère en a pris le même chemin. 

Durant l'absence de la famille, j'ai pu passer encore plus de temps avec Ozven. Par chance, lui-même n'a pas rejoint le convoi pour Lestival. Des bons moments de complicités, comme on a toujours vécu, j'ai vraiment eu l'impression à plusieurs reprises que rien n'avait changée dans ma vie, que mon père était encore en vie et pourrait revenir à tout instant. Déjà plus d'un an que les fer-nés me l'ont pris. Il me manque, mais je sais avoir surmonté le chagrin de sa perte, il le faut bien. 

Et toi alors as tu pu revoir le père de ta fille ? Et comment s'est passé les présentations de ta fille avec le petit dernier Royce ? En tout cas, profite de ton père au maximum, nul ne sait de quoi demain sera fait. Je me dis justement qu'il est étrange de savoir qui tu te trouves auprès des Royce et moi des Nerbosc, deux familles proches et la magie nous a fait nous trouver toutes les deux. De par leur biais, je ne peux m'empêcher qu'un jour nous puissions nous rencontrer.

J'envoie ce courrier à Roche-en-runes en espérant que tu t'y trouves encore. Autrement, je suppose que ton père te fera envoyer ce corbeau à ton île.

Que les anciens te protègent.

Ton amie,

Delya.

L’an 302, lune 2, semaine 1, jour 2

Très chère Delya,

J'ai fait une promesse à une personne qui m'est très importante. Je vais tout lui dire. À lui. Cette décision va sûrement te surprendre. Il y a quelques lunes, j'étais encore certaine de ma décision. Bien sûr, j'ai toujours eu certains doutes, si mes choix allaient avoir un impact sur Rosenn, si elle allait être heureuse sans un père à ses côtés. Pourtant, je tenais bon, parce que je savais que c'était la meilleure chose à faire, pour elle comme pour lui. Mais récemment, j'ai réalisé que je ne pouvais pas continuer à la cacher ainsi, ni vivre éternellement dans un mensonge.

Je pense qu'il est temps. Je suis prête à lui faire face et à tout lui dire. Je n'attends rien de sa part, je ne lui demande pas de reconnaître ma fille, ni aucune action de sa part. Je veux juste qu'il apprenne la vérité. C'est égoïste de ma part, je le sais bien, je ne sais pas quel impact cela aura sur sa vie, mais il fera ses propres choix, il prendra ses décisions par lui-même.

J'ai dévoilé son existence à sa sœur, et cela m'a fait énormément de bien. Elle n'était pas en colère, ni déçue de ma part, elle était juste heureuse de faire sa rencontre. Je crois qu'elle a réussi à m'ouvrir les yeux, sur le fait que ce mensonge allait me ronger. Personne ne peut vivre avec un tel poids sur les épaules.

Je ne sais pas quand est-ce que je pourrais lui parler, même s'il serait prêt à m'écouter. Mais j'essaierais.

Je dois achever ma lettre, mais je tiens à te dire que peu importe ce qui arrivera, ton père t'accompagnera toujours, il est en toi, comme tu étais en lui. Un lien qui vous lie jusqu'à ton dernier souffle.

Dans l'attente de te lire à nouveau, je t'embrasse.

Ton amie,

Maddy.

L’an 302, lune 4, semaine 2, jour 2

Ma tendre sorcière,

Je m'excuse pour le temps de réponse à ta dernière lettre, mais j'ai de plus en plus souvent de poussées de fièvre, qui me fatigue beaucoup plus qu'avant. Le Mestre ne s'inquiète pas, réellement, je lui en parle de moins en moins, j'en ai toujours fait depuis ma naissance, mais il est vrai que cela ne m'avait jamais autant fatiguée. Enfin, vu que je me sens un peu mieux, je peux enfin te répondre !

J'ai été étonnée par la porter de ta lettre. Et du coup avant de m'enflammer, as-tu pu dire au père de Rosenn son existence ? Il est déjà bien que tu es réussi à en parler à sa soeur, déjà cela te permet de te faire l'idée que ta fille se rapproche de son père par ce biais. Je te souhaite vraiment que tu seras en paix avec cette décision et surtout qu'il accepte sa fille comme le cadeau qu'elle est. Il n'y a rien de plus beau qu'une relation père-fille et je serai heureuse de savoir que Rosenn puisse connaître ce sentiment, même si je ne doute pas qu'auprès de toi, elle a tout ce qu'il faut pour être épanoui. À jamais, elle restera ta fille et personne ne pourra t'ôter cela. Enfin, je suis curieuse de connaître la suite des événements à ce sujet.

Moi de mon côté quoi te dire, hormis que le mariage entre Hoster et Sansa Stark se prépare à grande échelle. Oui, j'ai trouvé vraiment un petit moment pour t'écrire. C'est un grand mariage à Corneilla qui se prépare, en plus Sansa a du sang de Tully. Pour ma part, je suis heureuse de voir une Tully revenir dans le Conflans, bon, je sais que c'est une Stark, mais elle porte le sang de cette famille. Je ne les ai jamais côtoyées, mais de par les histoires qu'on m'en raconte, c'est simplement une famille qui a pris une dernière décision tragique. Enfin, il me tarde d'assister à cette union, je suis bien plus emballée que par rapport aux fiançailles d'Harrold Hardyng et Mya Nerbosc. Dis-moi, toi, qui vis dans le Val, qu'est-ce que tu sais à son sujet ? Cela m'attriste d'imaginer Mya quitter Corneilla, mais c'est le lot de toutes les filles bien nées, de faire un mariage avantageux pour les deux familles.

Priant les ancienx pour toi et Rosenn, je pense fort à vous.

Ton amie du Conflans,

Delya.

L’an 302, lune 3, semaine 2, jour 1

Très chère Delya,

Tes poussées de fièvre ne sont pas rassurantes. Si tu as l'occasion de voyager, arrête-toi sur mon île, les sorcières t'accueilleront les bras ouverts. Elles t'aideront sûrement à trouver le sens de tout ceci et peut-être, t'aider à aller mieux. Avoir des fièvres répétées ne me semblent pas normal. J'ai questionné notre mestre, mais il ne peut se prononcer sans avoir vu une personne réelle. J'aurais bien souhaité t'aider davantage...

Je n'ai pas pu lui avouer. Delya, je me sens monstrueuse... Leur bébé qui venait à naître... Même avec une lettre, j'ai des difficultés à écrire tant je reste sidérée par cette nouvelle. Son fils n'est plus. Il n'est plus. Emportée par une naissance trop précoce. Dans les jours les plus sombres de mon existence, avant que j'accepte son destin et que je prenne en main ma vie, j'ai souhaité que le pire arrive. Qu'elle soit malheureuse. Qu'il ne l'aime jamais. Et je me demande aujourd'hui... Est-ce que j'ai maudit leur union ? Alors même que je lui souhaitais le meilleur, qu'il soit heureux, même si ce n'était pas avec moi, est-ce que j'ai condamné ce bébé ? Je me rends bien compte en posant mes pensées sur le parchemin que je m'égare, mais... Rosenn a survécu, elle est née trop tôt, elle était une petite chose vulnérable, sur le fil de la vie. Et elle a survécu. Alors pourquoi cet enfant a-t-il rejoint ses ancêtres et ma fille non ?

Je vais encore attendre, ce n'est pas le moment, je peux encore rester dans l'ombre et Rosenn aussi. Nous pouvons attendre.

Je me suis renseignée sur cet homme. Ici, entre les nobles et les servantes, j'ai appris qu'il est assez charmeur et arrogant, mais qu'il a un certain honneur. Il a été le pupille d'Anya Vanbois, ce qui signifie beaucoup par ici. Delya, il a deux petites Stone. Mais nous savons que l'amour est quelque chose qui ne se contrôle pas, et peu importe leur naissance, il les a reconnu, c'est le plus important. Je ne sais pas s'il se montrera digne de Mya, seule le temps le dira. Lorsque je te fais la description de cet homme, je pourrais te le décrire lui...

Prend soin de toi,

Dans l'attente de te lire à nouveau, je t'embrasse et espère que tes dieux veillent sur toi.

Ton amie,

La sorcière sans son île.