Triste nuit, triste rencontre

Lancehélion, une semaine après le retour d’Oberyn Martell. Le prince dornien retrouvait ses habitudes, son quotidien, sa routine. Quittant discrètement le lit qu’il partageait avec Ellaria, il se leva très tôt ce matin-là, comme tous les matins d’ailleurs. Revêtant une tenue légère, il aimait apprécier la froideur de Dorne avant le lever du jour. Les jardins du palais étaient si agréables, il l’avait presque oublié. Il aimait s’y balader, réfléchir, se libérer la tête, lire, écrire. Il se souvient d’une fois, lorsque sa fille Nymeria était jeune. Ils se promenaient tous deux dans ces jardins. Il se souvint de ce fameux jour où Nymeria avait fait ses premiers pas. C’était ici. Il se souvint du jour où elle commença à parler correctement. C’était ici. Le jour où elle l’a rendu fier d’elle. C’était ici. Ces jardins étaient remplis de souvenirs aussi joyeux que tristes. Nymeria était son petit soleil, comme toutes ses autres filles étaient ses petits soleils. Elles réchauffaient son cœur. Elles apportaient de la lumière dans sa vie. Ainsi, lorsque Nymeria mourut, sauvagement assassiné, une lumière s’était éteinte. Encore aujourd’hui, lorsqu’il y pensait, il versait quelques larmes. Elle lui manquait atrocement. Il n’avait pas envie de revivre ça. Deux fois. Deux personnes. Il avait perdu sa sœur et sa fille. C’en était trop.

Avançant dans les jardins, chassant les larmes qui s’échappaient, Oberyn appréciait la beauté de Dorne. Il ne vit pas tout de suite la jeune femme qui avançait elle aussi dans les jardins. Oberyn était occupé à regarder le ciel, apprécier le paysage, sentir l’odeur de chez lui, de sa maison. Il pensait à Elia, sa sœur, à Nymeria, sa fille. Elles manquaient à Dorne, elles manquaient à Oberyn. Tout sourire en repensant aux jours heureux, Oberyn avançait pas à pas jusqu’au moment où il croisa le regard de la jeune femme qu’il faillit percuter. Il la reconnut aussitôt. Le prince était quelque peu physionomiste et reconnaissait souvent les personnes qu’il avait déjà rencontré. Boadicée Sand. Ils se connaissaient, un peu, pas tant que ça. Elle semblait triste, fatiguée, tourmentée. Affichant un large sourire, Oberyn brisa le silence apaisant des jardins du palais princier.

- Bonjour, Boadicée. Vous êtes bien matinale. Vous allez bien ?

- Bonjour Prince Oberyn…

Boadicée Sand semblait vraiment bizarre. Oberyn le remarqua à sa voix puis en l’observant plus attentivement. Pour le coup, il se sentit idiot d’avoir posé la question pour connaître son état. Il était clair qu’elle n’allait pas bien. Elle alla même se poser sur le premier banc qu’elle put atteindre. Le prince sentit que quelque chose n’allait pas autant physiquement que mentalement. Cela faisait maintenant une semaine qu’il était rentré et il n’avait pas forcément eu le temps de se mettre au courant de tout ce qu’il s’était passé. Néanmoins, la présence de Boadicée Sand au palais était bizarre, surtout que lady Ynys, dont Boadicée était le garde du corps, était repartie à la Gracedieu depuis quelques jours déjà. Le visage froncé, le prince s’assied aux côtés de la dornienne. Silencieux, il regardait l’horizon. Il ne savait que dire. Pourtant, d’habitude, il était plus loquace que ça, surtout avec la gente féminine. Mais à voir le visage de Boadicée, Oberyn sentait qu’il y avait quelque chose de grave et il n’osait aucunement demander. Il ne voulait pas paraître impoli, irrespectueux ou même indiscret.

- Et vous Prince Oberyn ? Comment allez-vous ? J’imagine que vous devez être heureux d’être rentré chez vous…

L’absence de réponse voulait tout dire. Soit, qu’il en soit ainsi. Le prince dornien respecterait la décision de Boadicée. Quant à lui, il allait répondre à ses questions. Si cela lui permettait de s’aérer l’esprit, tant mieux. C’était le but des promenades matinales dans les jardins du palais de Lancehélion. Personne ne se baladait sans raison, surtout à une heure si matinale. Toujours le regard tourné vers les paysages magnifiques de Dorne au lever du Soleil, Oberyn répondit à Boadicée avec une voix plutôt enjouée.

- Comme vous dîtes. Il est bon de revenir chez soi. Dorne m’avait manqué. Les paysages. La population. Le vin. Mes filles. Et bien évidemment Ellaria. Ce serait mentir que de dire qu’elle ne m’a pas manqué.

Ellaria représentait tout pour lui. Elle était son rayon de soleil en ce bas monde et il avait besoin d’elle pour vivre. En pensant à elle, qui devait sûrement dormir encore à cette heure-ci, Oberyn regarda la jeune femme à ses côtés. Il effaça alors le sourire qu’il arborait et bien qu’il ne voulait poser aucune question, il ne pouvait décemment pas ne pas ignorer l’air triste qu’elle arborait, elle. Il voyait également que sa tenue était trop grande pour elle et que ses yeux semblaient cernés. Il hésita quelques secondes, se leva même, regardant l’horizon, réfléchissant à une manière courtoise de dénouer ce problème. Après tout, il pouvait poser la question en tout bien tout honneur et elle pouvait tout bonnement ne pas y répondre si elle ne le souhaitait pas. En tout cas, en reposant les yeux sur elle, il se fit la courte réflexion qu’elle était toujours aussi belle. Ils s’étaient déjà rencontrés auparavant bien sûr, il y a des années de cela. Il avait appris d’ailleurs qu’elle était entrée au service d’Ynys Allyrion, une femme qui ne l’appréciait guère et pour cause, c’est son arrière-grand-père qu’il empoisonna lors d’un duel, il y a des décennies. Cela ne pouvait se terminer sur une relation cordiale entre les deux. Pourtant, Oberyn était prêt à montrer qu’il avait changé et qu’il était prêt à faire pardonner ses fautes. Regardant toujours Boadicée, il brisa alors le silence gênant qui s’était installé entre eux.

- Bien que votre présence à Lancehélion soit appréciée, vous n’êtes pas repartie avec lady Ynys ?

Il avait posé cette question sur un ton plutôt calme et gentil. Il ne voulait pas la blesser ou quoique ce soit d’autre. Il se montrait bienveillant et attentionné. Oberyn avait le cœur sur la main et appréciait grandement la dornienne. Il réitéra sa pensée sur le fait que quelque chose de grave avait dû se passer pour elle pour qu’elle ne suive pas Ynys. Oberyn espérait également pouvoir l’aider, du mieux qu’il pouvait.

Oberyn Martell était à des lieues de savoir ce qui se passait dans la tête de Boadicée Sand à cet instant très précis. Il était de retour à Lancehélion depuis près d’une semaine maintenant et n’avait aucune idée de ce pour quoi la jeune bâtarde dornienne était encore à la capitale. Il n’imaginait pas lady Ynys repartir sans sa garde du corps et le prince s’imagina donc que quelque chose de grave était arrivé. Et il en eut la confirmation rien qu’en regardant la pauvre se mettre à pleurer. Quelques minutes auparavant, en la regardant, Oberyn avait bien remarqué son visage triste, son corps fébrile et faible, sa démarche peut dynamique. Boadicée portait le deuil. Cela se lisait dans ses yeux, sur son visage et désormais dans ses paroles.

- J’ai fait une fausse-couche…

Quelle tragédie. Oberyn ne s’attendait pas à cela. Le prince était un homme proche des femmes avec des valeurs très strictes sur tout ce qui touche à la naissance, la grossesse. L’enfant est quelque chose de précieux pour lui. Il représente l’avenir, qu’il soit légitime ou bâtard, noble ou roturier, riche ou pauvre. Oberyn aimait plus que tout au monde ses filles. Lorsqu’il perdit Nymeria, ce fut une déchirure insoutenable, une douleur infinie encore présente au fond de son cœur. Voyant le chagrin de Boadicée, il plaça alors une main amicale sur son épaule, partageant sa peine, ne sachant quoi dire, la laissant continuer.

- Je ne pouvais pas physiquement faire le voyage retour… J’ai dû rester ici… Ma fille est rentrée avec lady Ynys… Et Edwyn fait les allés et retour pour veiller et sur elle et sur moi. Ça ne fait pas longtemps que je peux marcher seule…

- Boadicée... Je… ne sais quoi vous dire…

- C’était un petit garçon, on avait décidé de l’appeler Feng. C’est arrivé en pleine nuit… Il s’est étranglé avec le cordon… J’ai rien pu faire.

Quel courage. Ou quel désespoir. Oberyn voyait dans les yeux de Boadicée tout le chagrin et toute la haine qui pouvait y avoir. La pauvre venait de perdre un enfant. Oberyn ne pouvait imaginer sa douleur, ne pouvant et n’ayant vécu une fausse couche mais perdre un enfant, ça il pouvait comprendre. Il ne pouvait par ailleurs pas ne pas penser à sa nièce et sa fausse-fausse-couche. Décidément, cette affaire allait être dans ses pensées pendant encore un long moment. Chassant celle-ci sur le moment, il se recentra sur Boadicée dont il caressa l’épaule amicalement. Il se tourna vers elle, lui prenant alors la main, laissant parler son cœur comme il savait si bien faire.

- Je ne peux imaginer votre chagrin mais sachez que je suis là si vous avez besoin de quoique ce soit. C’est une difficile épreuve qu’il vous faudra surmonter. Pour Edwin. Pour Sarelya. Pour vous.

Il marqua une pause, caressa de son autre main, le dessus de celle de Boadicée qu’il tenait. Il regarda l’horizon, ferma les yeux, ravalant une larme qui était alors montée puis continua.

- La perte d’un enfant est quelque chose de douloureux. Je compatis à votre douleur. Je sais ce que c’est de perdre un enfant...

Oberyn n’avait pas les mots tout comme personne ne pouvait avoir les mots face à cela. Chaque perte était vécue différemment selon les gens. Boadicée, elle, venait de perdre un enfant qu’elle portait, qu’elle ressentait en elle. Cela devait être si douloureux. Oberyn ne pouvait imaginer et ne savait que faire ni quoi dire. Il espérait que Boadicée ne lui en tienne pas rigueur…

Que dire face à la douleur de cette mère ? Face à son chagrin ? Face à cette situation qu’Oberyn ne pouvait pas comprendre. Certes, il avait perdu Nymeria mais les circonstances étaient complètement différentes. On avait tué son petit soleil. Boadicée avait perdu son enfant en couche. Oberyn ne savait que faire que dire et se tut, écoutant alors les dires de Boadicée qui était effondrée. Il était difficile pour le prince de Dorne de regarder la bâtarde dans les yeux. C’était si triste, si horrible, si injuste. Il n’était pas très fervent de religion mais qu’importe le ou les dieux que Boadicée priait, ils n’avaient pas été cléments avec elle. Oberyn retenait sa rage à l’intérieur. La perte d’un enfant ne devrait pas existée. Un parent ne devrait pas à être témoin de la mort de ses enfants. Mais Oberyn savait que c’étaient des choses qui arrivaient. Personne n’y pouvait rien. Des enfants qui meurent en naissance ou pendant la grossesse, c’était très courant à Westeros. Cela le ramena à cette affaire sa nièce. Cela le mettait d’autant plus en rogne. Des femmes comme Boadicée perdaient leur enfant sans le vouloir, dans d’atroces souffrances autant physiques que psychologiques et la princesse avait osé le faire volontairement. Oberyn scruta l’horizon. Il ne devait pas y penser. C’était sa nièce, la fille d’Elia. Il s’est juré de protéger et de veiller sur ses enfants quoiqu’il advienne. Et c’est que le prince de Dorne avait fait et continuera à faire. Il fut ensuite rappelé à la réalité en entendant la jeune femme bredouiller quelques mots. Il se retourna et revint s’asseoir près d’elle.

- Edwyn… Edwyn a dit que je devais me reposer… Lady Ynys… Lady Ynys a gardé ma fille avec elle… Et c’est Edwyn qui fait les trajets par bateau tout le temps… Je… je ne peux même pas veiller sur ma fille… Parce que je suis une mauvaise mère…

Et la jeune femme s’effondra dans ses mains. Oberyn ne put que lui poser une nouvelle fois une main amicale sur l’épaule. Tant de chagrin. Tant de culpabilité. Tant de tristesse. Quelle pauvre femme ! Oberyn leva les yeux vers le ciel. Un peu de clémence ne serait pas de refus. Un peu de bonté pour cette femme qui venait de perdre son enfant. Caressant son épaule, tentant de la calmer, Oberyn brisa son silence et tenta de réconforter au mieux la mère en deuil qu’était Boadicée.

- Encore une fois, je ne peux guère prétendre vous comprendre. Je ne peux que compatir, vous écouter. Mais… Boadicée, cette fausse couche ne fait pas de vous une mauvaise mère. Les fausses couches n’ont rien à voir avec le fait d’être une bonne ou une mauvaise mère…

Il s’interrompit, reprenant son souffle, évitant de laisser les sentiments parler, la colère en lui face à ce coup funeste de la fatalité. Il reprit après s’être éclairci la gorge, toujours une main sur l’épaule de Boadicée.

- Edwyn semble être un homme soucieux de vous. J’admire sa loyauté et sa fidélité envers vous. Il vous aidera sans nul doute à surmonter cette difficile épreuve. Quant à Lady Ynys, j’imagine qu’elle comprend la douleur que vous ressentez ainsi que votre fille...

Il s’arrêta de nouveau. Oberyn pensa, égoïstement, qu’il faudrait sans doute que lady Ynys et lui aient une discussion. Loin de penser que son départ pour la Gracedieu avant son arrivée à Lancehélion ne soit pas un hasard, des années ont passé depuis la mort du Ferboys. De l’eau a coulé sous les ponts, du moins le dornien l’espérait. Quoiqu’il en soit, le plus important sur le moment était Boadicée Sand. Il ne pouvait décemment retourner dans ses appartements en laissant cette femme ici, seule avec son chagrin. Il reprit de nouveau, la voix toujours calme, la main toujours amicale.

- Chassez autant que vous pouvez cette culpabilité qui vous ronge, Boadicée. Vous n’êtes pas coupable de cette tragédie. Malheureusement, vous n’y pouviez rien. Prenez le temps qu’il vous faut, prenez le temps de penser à cet enfant qui était votre et surtout ne l’oubliez jamais. Mais quoiqu’il arrive, Boadicée, relevez-vous. Vous êtes une femme forte, plus forte que vous ne le pensez. Notre dernière rencontre remonte à bien des années, mais je me souviens de votre détermination.

Peu sûr que ses mots aient un impact sur le chagrin si grand de la bâtarde mais Oberyn espérait au moins que sa présence, ses mots qui se voulaient réconfortants, puissent l’aider, peut-être.

The Speechless Prince

- Prince Oberyn… Je ne me souviens… même pas de cette rencontre… Ma mémoire est en lambeaux, je ne sais même pas si je pourrais me souvenir de Feng longtemps… J’ai beau l’avoir écrit… Edwyn… s’en souviendrait pour deux… Mais à nouveau c’est lui qui porte tout… Je peux même pas l’aider…

Oberyn restait là, silencieux, la main sur l’épaule d’une Boadicée sanglotant, pleurant à chaudes larmes. Elle était perdue et cela pouvait bien se comprendre. Elle venait de perdre un enfant. Oberyn ne pourrait jamais imaginer la douleur que l’on pouvait ressentir dans cette situation. Il ne pourrait jamais rien dire qui remonte le moral à Boadicée, qui la fasse remonte la pente glissante qu’elle dévalait. Il voyait bien que même en lui rappelant une ancienne rencontre, elle ne comprenait de quoi il parlait. Elle n’arrivait pas à faire le tri dans ses pensées. Cela était compréhensible. Et le Prince arrivait avec ses grands airs, sa joie, le bonheur d’être revenu à la maison, de revoir son amante, ses filles, son foyer. Il ne pouvait pas comprendre et il le savait. C’est ainsi qu’il se terra dans son silence. Il ne voulait guère continuer ses belles paroles sûrement vaines pour la bâtarde dornienne. Par ailleurs, elle voulait sans doute être seule mais au moment où il se leva, elle enchaîna et il n’osa pas retirer sa main, ni bouger de peur de la perturber. Peut-être cela lui faisait du bien de parler.

- La mémoire… Ne m’a pas empêché de me relever… Mais là…C’est encore différent de tout ce qu’il s’est passé…

Et Boadicée regarda l’horizon, les larmes ruisselantes sur son doux visage. Le silence se fit et la journée commençait sur Dorne. Le Soleil était bien levé, le vent doux et frais se faisait ressentir. Oberyn retira sa main de l’épaule de Boadicée et se leva. Il contemplait lui aussi les merveilleux paysages dorniens, les quartiers de Lancehélion qui étaient visibles de ces jardins et repensait à sa fille, encore et toujours. Il repensait à Nymeria mais également à Elia. En regardant Dorne, Lancehélion, les maisons, les jardins, ils se souvenaient de ces années d’insouciance il y a bien longtemps, bien avant son arrivée au Conseil du Roi, bien avant la mort d’Elia, bien avant les rébellions et les guerres. Ce n’était pas une période parfaite mais elle avait le mérite d’être agréable. Certes, Oberyn n’avait pas encore rencontré l’amour de sa vie mais il était heureux avec ses trois premières filles, sa sœur, son frère malgré leur relation peu cordiale selon les circonstances. Il ne pouvait décemment pas comparer la perte de Nymeria avec la perte de ce bébé. Il se retourna et fit face de nouveau à Boadicée sans savoir quoi dire, quoi faire. Cela lui était étrange. D’habitude, il avait toujours un mot, une expression, une pique, un sarcasme. Là, rien. Rien de rien. Pas un mot. Pas de sarcasme. Pas de cynisme. Son visage était fermé, triste, sérieux. Il compatissait sans savoir quoi faire. Une larme coula d’elle-même sur sa joue et il demeura ainsi quelques minutes. Leurs regards ne se croisèrent pas. Oberyn se concentrait sur un point loin derrière la jeune femme. Il finit seulement par dire quelques mots.

- Je devrai probablement vous laisser, Boadicée...