Cendrillon, peut-être, mais sans marraine!

Rien à faire. Entre Sacha et Néphelie, le courant ne passe pas. Il est même très probable qu’il ne passe jamais. Insolente entêtée à laquelle tous les caprices sont cédés, que ça soit de la part de Lady Cersei ou de Meliodas. Le tout, couplé à sa maîtrise de l’épée, lui donne un insupportable élan de suffisance, comme si tout lui était dû. Mais après tout, pourquoi pas, si son presque père, sa figure paternelle, et son autorité directe en la personne de Lady Cersei, bénissent ce comportement ? Il ne reste plus à Néphelie qu’à en prendre son parti. Tenter, si elle le peut, de faire le dos rond. Le mieux qu’elle ait trouvé, pour l’instant, est de faire en sorte de ne pas croiser cette petite peste. Meliodas, du reste, se colle volontiers dans ses pattes, ce qui l’arrange bien. Ainsi, les deux sont occupés et elle n’a de comptes à rendre à personne, car, même si ça va un peu mieux entre son mari et elle, Néphelie n’est pas tout à fait au bout de ses réflexions et s’avère, ces dernières semaines, extrêmement susceptible, extrêmement vulnérable. La perception qu’elle a d’elle-même, en train de changer, bouscule toutes ses certitudes, et, ayant déjà tendance à se vexer rapidement, le fait qu’elle se cherche n’aide en rien.

Alors, quand il a été annoncé qu’un bal masqué aurait lieu, annonce rapidement suivie de la demande de Lady Cersei d’habiller Sacha, Néphelie a, encore une fois, placé tous ses espoirs dans les Dieux. Elle les a suppliés de conseiller un autre nom que le sien pour cette besogne. Sacha ne la souffre pas plus qu’elle-même ne la supporte. Et comme si ce n’était déjà pas suffisant, l’orpheline déteste aussi les froufrous, tout ce qui peut lui rappeler que sous son armure, elle est également une femme. Était-il possible de concentrer autant de haine au même endroit ? Autant de haine dans un corps aussi frêle, d’apparence ? Si possible, une autre pouvait-elle subir les foudres de ce monstre ? Parce qu’en l’état, c’est d’une tristesse affligeante, mais Néphelie ne s’en sent pas les épaules, ne se sent pas l’envie de les avoir. Malheureusement, ce que Lady Cersei veut, Lady Cersei obtient et, sourds à ses prières, les Sept n’ont pas permis à Néphelie d’échapper à cette corvée. « Bien, Ma Dame. » s’est-elle donc contentée de répondre, docile, à la lionne.

Elle a donc, puisqu’elle n’avait pas le choix, requis la présence de plusieurs tailleurs, dès le sur-matin. Peu envieuse d’avoir une pré-dispute avec l’orpheline, Néphelie a chargé Meliodas de faire passer le message. Il est donc un peu plus de neuf heures, et l’orageoise a déjà accueilli les deux hommes, qui ont installé plusieurs de leurs échantillons un peu partout dans la pièce allouée aux essayages. Un tabouret trônant au milieu de l’espace, il ne manque que l’intéressée. En l’attendant, Néphelie jette un œil aux différents tissus, en relève la qualité, la soyance, les couleurs… C’est le bruit d’hommes d’armes qui la fait relever la tête et se retourner, juste à temps pour en voir deux déposer Sacha, et refermer la porte derrière elle. Néphelie blêmit. Ca va être encore plus difficile que prévu… « Merci d’être venue, Sacha. Je te présente les Maîtres Middleburry et Salver. Ils sont là pour te présenter différents tissus, sensés composer la robe que tu porteras au bal masqué de Lord Tywin… » Autant être cérémonieuse. Ça meuble, et évite de tendre une perche, même minuscule, à Sacha pour qu’elle se montre désagréable.

Du sarcasme. Il choque les deux tailleurs, qui sont, Lady Cersei ne faisant pas les choses à moitié, les meilleurs du Roc. Ça n’échappe pas à la dame, leurs joues rosissent de colère. Un beau vêtement, ça se traite avec soin. Leurs clientes ne les habituent pas à autant de mépris. Du reste, les femmes n’ont pas pour habitude de porter les armes. L’outrage se peignant sur leurs figures, ils se tournent vers Néphelie, qui, pour sa part, est relativement soulagée, sachant pertinemment que le sarcasme est bien celle de moindre gravité des surprises que peut leur réserver la jeune femme. Faisant son possible pour elle-même garder son calme, la dame tempère les artisans d’un geste de main de paix. « Je regrette Sacha, mais tu vas devoir enlever toute ton armure et ne garder que ta chemise et ton pantalon… Les robes de bal doivent être ajustées pour être jolies. Ces messieurs vont devoir prendre tes mesures sans les couches superflues. » Sans les couches superflues, mais dans le respect de la décence, bien entendu. Néphelie est là, aussi, pour y veiller et autant elle ne supporte pas Sacha, autant elle ne l’exposera pas gratuitement, juste pour le plaisir de l’exposer et de mettre à mal sa nature de femme. C’est beaucoup trop difficile à supporter, de son optique, et elle ne le souhaite pas même à sa pire ennemie. De l’index, elle montre un paravent. « Tu peux t’apprêter ici derrière. » Montrer de la chair, ici, n’est pas le seul des éléments à prendre en compte. Il y a aussi l’éveil de la libido par l’acte de déshabillage. Le but de l’orageoise, ici, est d’empêcher ces deux hommes, qu’ils soient honnêtes ou pas, de sexualiser la fille de son mari. Pour les distraire, Néphelie, pendant que Sacha se change, les invite à goûter quelques raisins du roc, ainsi qu’un vin de la treille, en retrait, histoire de dissuader les deux drôles de tenter d’apercevoir la tête de mule. Il est certain, sans l’ombre d’un doute, que les mets ont été apportés sur demande de Lady Cersei, précisément dans cette idée. En femme d’une remarquable beauté, elle a dû et doit encore essuyer plus souvent qu’à son tour les cours les plus empressées, et doit avoir appris, avec le temps et l’expérience, comment distraire les hommes. Rien d’étonnant, du coup, à ce que les tailleurs se prêtent au jeu, faute de mieux.

La seule personne que Sacha agace, et ralentit du même fait, n'est autre qu'elle-même. Pour sa part, Néphelie, dotée des talents d'hôtesse qu'il sied aux dames, entame la conversation avec les tailleurs. Elle écoute leurs échanges sur la provenance des broderies, sur leur prix, sur la valeur du textile, l'importance d'avoir de bonnes ouvrières... Et s'amuse, un peu, de la rivalité raisonnable entre les deux hommes. Raisonnable, car tous deux savent qu'ils ne pourraient fournir à eux seuls toute la capitale. Cela étant, rien ne les empêche de se disputer la meilleure clientèle. Une clientèle comme Lady Cersei. Certes, ce ne serait pas la noble dame qu'ils habilleraient, mais s'ils parviennent à faire bonne impression, peut-être commandera-t-elle ses prochains atours chez eux. Quoiqu'il en soit, ni Néphelie, ni les deux hommes ne font cas du temps que met Sacha à se départir de sa maille. En fait, ils s'étonnent presque même de la voir sortir.

A sa vue, cependant, Sacha a raison. Néphelie a l'air sensiblement contrariée. Les taches de rouille ne passent pas inaperçues, forcément, et encore moins les trous dans ses chemises. Elle hoche pourtant la tête en signe d'assentiment à la question posée par la jeune guerrière, et l'invite d'un geste à monter sur le tabouret. Pendant que le premier tailleur commence à prendre sa première série de mesure, Néphelie prend l'autre à partie, et lui demande en catimini. « Pourriez-vous également faire un lot d'une dizaine de chemises, assez épaisses, à sa taille, s'il vous plaît ? Ainsi qu'un gambison. A sa taille également. Merci. » L'homme acquiesce à la première demande, mais a l'air étonné à la seconde. Néphélie ignore son étonnement. Cette enfant porte de la maille sans gambison ? Dans quel monde ? Contrariée, la dame croise les bras, se jurant d'en toucher un mot à Meliodas. Lui en porte un. Ça lui semble très étonnant qu'il soit passé à côté de ce « détail » pour sa fille. Ou alors, s'il veut lui faire porter de la maille sans gambison, il faudrait voir à la mêler au cuir, travail plus délicat, mais faisable. Dans tous les cas, elle lui en parlerait. Plus tard. Pour l'heure, c'est d'une robe dont elle a besoin.

Sans mot dire, la Trant commence à regarder tour à tour les tissus, puis Sacha. Ses cheveux sont noirs, et ses yeux bleus. Comme elle. C'est donc tout naturellement qu'elle se penche sur un premier tissus d'un bleu marine profond. La couleur, égale sur tout le tissus, est exceptionnelle. Quant au tissu en lui-même, il est épais, mais aussi souple. Le mouvement, une fois transformé en robe, devrait être fluide, mais maintenu. Sacha devrait s'y trouver relativement à l'aise. Prenant le tissu, elle l'amène à la suppliciée et le place en écharpe devant elle, pour vérifier que la couleur ne jure pas avec son teint ou ses yeux. « Que penses-tu de la couleur ? Elle fait ressortir le clair de ton regard. C'est joli. » Néphelie commente, avec l'idée de s’acquitter au mieux de la responsabilité que Cersei lui a confiée, quoiqu'il lui en coûte.

Enfin, d'autres pauvres créatures subissaient ce qu'elle subit quotidiennement. Elle ne devrait pas, mais c'est plus fort qu'elle. Voir les tailleurs éprouver quelques difficultés avec Sacha amuse Néphelie. Pour une fois que ce n'est pas elle qu'elle rend chèvre... Et la Trant voit bien, dans le regard de la jeune femme, qu'elle enrage. Et en même temps, elle ne peut se rebeller sous peine de subir les foudres de sa protectrice. Pour une fois, Sacha se soumet à l'étriqué d'un carcan sociétal, subit, un rien, pour l'étiquette. Elle grandit. C'est bon signe. Ça montre qu'elle est consciente qu'il existe un monde en dehors d'elle-même, régit par des règles qui ne leur appartiennent pas à titre individuel.

Manifestement, elle n'aime pas le bleu. Ça ne fait rien. Peu contrariante, Néphelie va reposer le magnifique tissu et cherche parmi les échantillons apportés par les tailleurs. Elle ne trouve rien d'un marron qui plaira à Sacha, mais dégote tout de même un superbe tissu, marron, certes, mais bocardé crème. Il est encore plus féminin que le bleu. Plus épais, beaucoup plus riche aussi. Son prix est loin d'être le même, mais la Trant le présente malgré tout à l'orpheline. « Celui-ci a des teintes marrons. C'est un brocard. Tu vois ce tissu ? C'est de la soie, sur laquelle on a piqué le motif que tu vois en fils d'or. C'est très joli. » Comme avec le tissu marine, elle met celui-ci en écharpe devant la jeune guerrière. « La robe peut ressembler à ce que tu préfères, mais elle sera quoiqu'il arrive corsetée. Ça te donnera la sensation d'être armurée. » Elle lui sourit, un peu mélancolique. « Si tu choisis des tissus unis, un tissu dominera l'autre. Il faudra les accorder. Si tu choisis un tissu brocardé, ton haut sera sans doute fait dans ce tissu, mais ta jupe sera dans un autre, uni cette fois. Avec de petits agréments, comme des perles, dans tes cheveux, ce sera ravissant. » Les tailleurs acquiescent, approuvant les dires de Néphelie. « Si tu le veux, une robe peut aussi être une façon pour toi de t'exprimer. Il n'appartient qu'à toi de choisir. » Elle lui laisse le brocard et va pour chercher d'autres couleurs. « Tu peux avoir une robe à dominance verte, écrue, bleue, rouge, noire... Je te déconseille le orange et le jaune cependant. Elle peut avoir des manches longues ou ne pas en avoir... Ici encore, tu peux choisir. » S'en retournant vers Sacha avec un échantillon, cette fois d'un beau vert forêt, elle fait également signe à celui des tailleurs qui n'est pas occupé à mesurer la jeune femme. « Pourriez-vous lui montrer certains de vos patrons s'il vous plaît ? » Obligeant, l'homme acquiesce et, d'une sacoche en cuir, sort quelques parchemins qu'il présente à Sacha. Dessus, différentes robes, l'allure terminée ainsi que les pièces de tissus à coudre ensemble pour obtenir le produit fini. Une robe... Comme désossée. Un plan de robe.

Cendrillon, peut-être, mais sans marraine!

Lune 8 semaine 4 an 302

C’était horrible… Et dire que certaines adoraient faire ça… C’était vraiment possible d’aimer faire ça ? J’avais quand même des doutes très lourds sur ce point. C’était tellement horrible et contraignant… Et se tenir tranquille… Je dansais surtout d’un pied sur l’autre au grand Dam du tailleur. Quoi j’en avais marre déjà. C’était horrible pour moi. Le fait de rester immobile c’était au-delà d’une torture… Je suivis du regard la lady poser le tissu bleu pour revenir avec un tissu encore plus riche et… Je restais muette devant les termes techniques. Comment dire ? Elle venait de parler en une autre langue… Très jolis ? Euh… Pas vraiment. C’était pas du tout ce que j’aimais. Une grimace tordit mes traits quand elle parla de corset. Une sensation d’armure ?!

« Nan pas le marron. Et puis le corset une armure ? Clairement nan. Une armure ça te coupe pas le souffle et t’as pas des lanières qui te marquent la peau ! »

Je savais ce que c’était j’avais essayé les deux quand même. Un corset… Cela allait être un supplice plus qu’autre chose. J’écoutais en silence Néphelie m’expliquer la suite du programme au niveau des robes et je soupirais d’ennuis. Des perles dans mes cheveux… Et puis quoi encore ? Je secouais la tête. Déjà les cheveux coiffés cela serait pas mal… Alors des perles…

« Déjà j’serais coiffé ça s’ra pas mal… »

Alors des perles… Et puis quoi encore ? Des bijoux ? Déjà la robe ça serait trop… Les croquis ? J’observais les croquis avec un soupir. Non vraiment, c’était horrible… Je détestais ça. Les robes tout ça. C’était horrible. Bon… la seule qui semblait… presque vaguement portable… c’était une unie avec deux tissus et une bordure claire. Je ne dis rien en regardant les croquis et le tailleur tenta un sourire puis se tourna vers Néphelie en lui proposant de choisir elle. Vu que visiblement je ne voulais pas choisir. En même temps on m’aurait proposé chemise et compagnie… J’aurais plus vite choisis que là !

Robe:

Le moins que l’on puisse reconnaître à Sacha, c’est d’être expéditive, de savoir très exactement ce qu’elle veut… Ou plutôt, ce qu’elle ne veut pas. L’un dans l’autre, c’est, dans le cas présent, d’une grande aide. Sans s’offusquer réellement, quoiqu’un peu outrée du dédain avec lequel elle traite le brocard (en même temps, on ne peut pas en attendre mieux de sa part), Néphelie part reposer l’échantillon. Peut-être est-ce par plaisir de la contrarier, ou simplement par ignorance, mais, une fois encore, Sacha la contre, arguant que corsets et armures n’avaient rien en commun. Peut-être. Dans l’esprit de la noble, l’un comme l’autre forcent le corps à un certain maintien. Et, plus métaphoriquement, les corsets sont les armures des dames de cours, là où la langue est leur épée. Inutile d’amener le parallèle à Sacha, incapable de l’apprécier. L’épouse Trant se contente donc de laisser mourir les objections de l’orpheline, avec qui discuter ne sert à rien. Elle en est au stade où elle est persuadée que même si Sacha comprenait les points que Néphelie lui soumettrait, elle ferait exprès de la contredire, juste parce qu’elle en a la possibilité, au risque d’user d’une mauvaise foi éhontée, et Néphelie est lasse de ces passe-d ’armes avec la fille de son époux. Preuve en est, elle ne se bat même pas pour les perles. Après tout, Sacha dispose encore de cette liberté-ci. Si elle souhaite faire les choses à moitié, c’est elle que ça regarde.

Face au désarroi des autres partis en présence, de Sacha aux tailleurs, Néphelie décide de prendre les choses en main. « Sacha, ça ne prendrait qu’une minute en tout et pour tout si tu cessais de gigoter… En gesticulant de la sorte, tu contraints Maître Middleburry, qui essaie simplement de faire ce que Lady Cersei lui a demandé, à reprendre dix fois les mêmes mesures pour être certain qu’elles sont bonnes… Promis, ça ne sera plus très long si tu lui permets de finir… » Pas d’agacement dans le ton de la Trant, uniquement un rien de lassitude, et beaucoup de neutralité. Maître Silver revenant vers elle avec les patrons, pour abréger le supplice de tous les partis, Néphelie tranche. « Ce modèle-ci. » Elle impose. « Col carré, ceintrage par laçage, manches évasées. Vous lui mettrez des galons argentés autour du col, au bout des manches ainsi qu’au goulot du coude. Pour le plastron, vous utiliserez ce brocard-ci… » Elle tire, des échantillons, une laie de soie bleue aux motifs noirs. « Et comme dominante, ce velours noir. Evidemment, vous doublerez le tout de coton. Pour le lacet, je compte sur votre sens esthétique pour choisir le plus adéquat parmi ceux dont vous disposez. » Ferme, Néphelie est expéditive. L’affaire est, donc, rapidement close. Maître Silver, de son côté, a tout noté à la volée, et commence, ses notes prises, à rassembler ses échantillons de tissus pendant que la Trant, de son côté, s’en revient vers la gesticulante orpheline. « Merci de t’être… Rendue disponible. » Façon élégante de dire qu’on l’a forcée à se présenter. Mais au moins, l’exercice se termine avec la mesure des pieds de Sacha, dont ils se serviront pour lui faire des souliers.

Dire que Néphelie n’a pas songé, l’espace d’une courte minute, à choisir les tissus les plus affreux et la coupe la plus ridicule pour Sacha serait mentir. Bien sûr, qu’elle y a pensé. Comment faire autrement, compte tenu de la relation qui est la leur ? Et bien sûr, qu’elle se serait réjouie de voir Sacha, enfin, en fâcheuse posture. Mais, ce que la Trant garde en tête tout du long, c’est que ce n’est pas elle qui va payer la tenue de l’orpheline, ni elle qui tient à sa présence, non… C’est Lady Cersei. Lady Cersei qui lui a demandé de l’habiller pour l’occasion. Alors, oui, attifer Sacha d’horribles oripeaux l’aurait sans doute beaucoup amusée. Assumer les répercussions, la vindicte et la colère de Lady Cersei beaucoup moins. Du reste, Néphelie tient à garder sa place auprès de la lionne, et, pour cela, accepte donc de se soumettre aux pires supplices qu’elle puisse lui demander… Comme habiller Sacha pour un bal auquel elle n’a pas la moindre envie de se présenter. Et comment l’en blâmer ? Des nobles, des froufrous, de la politique… Ce n’est pas son monde, beaucoup plus pragmatique, quelque part… Beaucoup plus franc. Pire, la jeune femme allait devoir faire l’effort d’être un minimum polie et respectueuse avec les invités des Lannister, autant dire que ça serait un chemin de croix pour elle, dont la langue est si bien pendue ! Peut-être qu’en se tenant à bonne distance, Néphelie aura-t-elle l’occasion de la voir s’illustrer, pour une fois aux dépends d’un autre ?

La Trant en est là de ses réflexions, quand la voix de la suppliciée teinte à ses oreilles. Encore une fois, par son parler vulgaire, Sacha parvient à offenser les deux artisans. Cette fois, Néphelie serre les dents. Qu’elle ne la respecte pas elle, c’est une chose. Mais si elle est capable d’admirer le savoir-faire d’un forgeron, pourquoi se borne-t-elle à se montrer désobligeante avec leur équivalent en matière de tissu ? Sacha n’a-t-elle de considération que pour ce qui évolue autour de son petit nombril d’orpheline pourrie gâtée ? Une veine bat à la tempe de l’épouse de Meliodas, qui réplique froidement « Si tu en viens à avoir l’air d’une godiche ridicule, ce sera uniquement que tu auras négligé ton maintien. La robe ne sera pour rien dans ton allure s’il s’avère qu’elle est lamentable. Fais en sorte de te tenir droite –de toute façon la corsetterie ne te permettra pas de te tenir autrement, les épaules en arrière et tu seras parfaite. » D’un regard fuyant, les artisans remercient Néphelie de prendre la défense de leur savoir-faire. Elle les ignore. Sacha épuise ses réserves, déjà maigres, de patience.

S’étant mise à la fenêtre pour cacher à la vue des tailleurs sa tension, visible sur les traits de son visage, la Trant a du mal à réaliser la question que lui pose Sacha. Et depuis quand elle la vouvoie ? Du regard, elle fait le tour de la pièce, à la recherche d’une dame qu’elle n’aurait pas vue entrer, mais non… Elle déglutit, se redresse. Pas question de lui répondre réellement. Le jargon ne lui dirait rien, elle se doute qu’elle n’en a strictement rien à faire, et lui tendre un rameau d’olivier en acceptant de répondre serait le meilleur moyen de se faire fouetter avec, d’un magistral « Oh, attendez… Je m’en fiche, en fait. » Sans la présence des tailleurs, elle lui aurait sans doute posé la question de son intérêt, mais, les deux hommes étant encore ici, elle préfère quelque chose de plus diplomatique. « Je n’ai pas encore décidé. » Le visage stoïque, Néphelie attend la réplique cinglante du type « quoi que vous portiez, vous resterez toujours un laideron » ou autre du même acabit, mais qu’importe. C’est Sacha, elle est elle-même. Ainsi va la vie… « Je pense à en commander une neuve, également. Pour que Meliodas puisse feindre de ne pas me reconnaître tout de suite et passer une bonne soirée. » Finalement, c’est elle qui tend le bâton, et le manie. Pudique après cette réflexion qui lui a échappée, elle s’en retourne à la contemplation de la fenêtre. Avec un peu de chance, ils seront tous sortis endéans les prochaines trente secondes et elle pourra essayer de penser à autre chose…

Un frisson de dégoût naît dans les reins de la Trant, et remonte le long de son échine, relevant désagréablement les petits cheveux de sa nuque. Tellement de vulgarité… Elle déteste ça. Mais elle ne répond rien. Dans son dos, les artisans ont fini de remballer leurs affaires, et devancent Sacha vers la sortie, saluant une Néphelie qui ne les voit pas. Blême, le visage fermé, stoïque, elle attend simplement que Sacha passe la porte à son tour. Non, elle ne relèvera pas la grossièreté de l’orpheline. L’estoc qu’elle pense lui avoir portée n’est rien de plus que quelques centimètres de profondeur gagnés sur la hampe d’une lance sur laquelle elle s’est empalée elle-même. C’est douloureux, forcément. C’est douloureux au quotidien. C’est une vulnérabilité qu’elle n’a pas la moindre intention de partager avec Sacha, qu’elle décide d’ignorer avec son commentaire grossier. Peut-être qu’elle aussi, à la faveur des masques, elle passerait une bonne soirée ? Si on ne la reconnaît pas ? Ses doigts trouvent une mèche de cheveux, et la portent devant ses yeux. Existait-il des artifices suffisants qui lui permettraient de passer de brune à blonde ? Feindre, toute une soirée, d’être quelqu’un d’autre. En est-elle seulement capable ? « A toi aussi, Sacha. » Elle répond, d’un air absent, juste soulagée à l’idée qu’elle disparaisse et l’abandonne à sa solitude, à ses réflexions. La tâche importante de la journée a été accomplie, et c’est tout ce qui compte. Sacha aura sa robe, une robe élégante, sensée la mettre en valeur à un prix raisonnable. Autant qu’elle puisse en juger, Néphelie semble s’être acquittée de la tâche qui lui a été confiée par Lady Cersei avec efficacité. Elle ne s’exposera donc ainsi, à priori, pas à des remontrances. Il ne manquerait plus que ça… Qu’on lui reproche son comportement aujourd’hui ! Alors qu’elle a l’impression d’avoir donné beaucoup d’elle-même pour que tout se passe… Peut-être pas bien, mais le mieux possible. Il ne faut pas trop lui en demander. Dans le cas contraire, comme maintenant, elle finit par se perdre.