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L'ombre de la neige | Ramsay & Lyra

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L'ombre de la neige

semaine 2, Lune 10, an 298



Ramsay & Lyra

Les contrées de l’est, au-delà de Winterfell, étaient encore inconnues et mystérieuses pour Lyra. Elle était habituée aux forêts denses, sombres et rassurantes de l’Île aux Ours et du Bois-aux-Loups, de l’autre côté de la Baie des Glaces. À travers les montagnes écharpées et les crevasses scélérates, son pied était sûr. La sylve et les monts étaient autant de cachettes, de zones d’ombres idéales et d’enfers où perdre ses ennemis, lorsqu’on en connaissait les secrets. Si certains ne voyaient dans les bois et dans les apiques rocheux que des pièges et des coupes gorges, ce n’était pas le cas de la troisième ourse.
En revanche, étrangement, les vallons dégagés des Collines Solitaires, non loin de Fort-Terreur, lui faisait froid dans le dos. À perte de vue, s’étiraient jusqu’à l’horizon ces sentiers déserts, battus par les vents. Tout était plat. Désespérément plat. Si la typographie du terrain leur permettait de voir approcher des cavaliers à des kilomètres, l’inverse était également vrai. Cette absence totale de couverture et de zone de repli plongeait la jeune femme dans un inconfort palpable. D’ailleurs, elle ne cessait de se retourner pour regarder par dessus son épaule, laissant ses yeux inquiets se perdre dans l’immensité grise du Nord.

Intérieurement, l’émissaire se désolait de la tournure des événements. Harrion Karstark s’était proposé pour accompagner la petite escorte de la Mormont composée de l’Écorce, de Benjicot Branche et d’un soldat de l’Île aux Ours. Tous étaient censés se retrouver à Winterfell, y séjourner quelques jours pour planifier la suite du voyage et faire le plein de vivres avant d’emprunter le Route Royale jusqu’à Cerwyn, Moat Cailin, puis le Neck. Cela n’aurait pris qu’une semaine, peut-être un peu plus si une neige épaisse était venue encombrer leur chemin ou si la météo les obligeait à rester au creux d’une auberge.
Pourtant, voilà qu’ils chevauchaient vers le fief des Bolton pour retrouver l’héritier des Karstark, retenu à Karhold en raison de la soudaine faiblesse de son père. Ils avaient reçu un corbeau dès leur arrivé dans le fief des Stark pour les informer de la situation. Il avait donc été décidé qu’un léger détour serait fait pour retrouver le dernier homme de l’escorte près de la Larmoyante, avant de descendre vers le sud en direction de Corbois avant de rejoindre Blanc-Port. Le crochet ne rajoutait que quelques jours à leur voyage, mais Lyra voulait en avoir fini au plus vite. Cette situation quant à Lyanna l’incommodait. Mais enfin, ils évitaient ainsi de passer par la Route Royale, ce qui était autant une bénédiction qu’une malédiction, en esquivant les brigands et les marauds, mais également en se privant d’un passage dégager et emprunté quotidiennement par des marchands. Détail de praticité s’ils venaient à manquer de nourriture.

L’archère ne se résolvait cependant pas à en vouloir au retardataire. Son géniteur était malade et elle louait sa volonté de l’épauler tout en continuant d’honorer sa parole lorsqu’il lui avait affirmé vouloir l’accompagner dans les marais.
D’ailleurs, il lui tardait d’arriver à Fort-Terreur. Malgré la réputation sulfureuse de la forteresse et les rumeurs tout aussi glaçantes concernant leurs propriétaires, la jeune femme avait hâte de revoir Domeric Bolton. Son départ pour le Val les avait éloignés l’un de l’autre et la captivité de l’ours sur les Îles de Fer les avaient privés de leur correspondance régulière. Elle était étonnée de ne pas avoir reçu de ses nouvelles depuis son retour dans le Nord. Peut-être avait-il beaucoup à faire auprès de son père.

Bientôt, au loin, se dessina la silhouette massive de la forteresse nébuleuse. Ce simple accroc dans la platitude ennuyante de l’horizon suffit à réjouir l’émissaire. D’un seul mouvement, la petite équipée talonna légèrement et les chevaux allongèrent la cadence. Il n’était pas encore en milieu de journée que déjà, les ventres gargouillaient. Et la perspective de faire une halte dans une famille fidèle aux Stark où ils recevraient l’hospitalité les avaient dissuadés de fouiller dans leurs réserves, préférant conserver leurs provisions pour plus tard, au cas où.
Les hauts murs et les merlons triangulaires, ressemblant à s’y méprendre à des dents tranchantes, ne rendaient pas le château accueillant. Les tours imposantes avaient l’air d’os noirci à la cendre.

Nos lames sont acérées.

Les mots de la maison Bolton résonnèrent comme une alarme dans un coin de la tête de Lyra. Le dédain de sa mère à leur sujet était sans fin. Elle se souvenait encore de ses grimaces lorsqu’une de leurs anciennes cuisinières leur avait un jour raconté comment elle avait un jour été témoin d’un écorchement dans un des cachots de la demeure lugubre de ceux que l’on appelait jadis les Rois Rouges. Mais la domestique était vieille et édenté et son esprit lui jouait souvent des tours. Alors, malgré sa naïveté et sa jeunesse, la chasseuse avait décidé de ne pas la croire, bien qu’elle s’évertuait toujours à afficher un air étonné et profondément attentif lorsqu’il prenait à la servante de leur conter une histoire.
Tout le monde savait qu’après avoir ployé le genou devant les loups du Nord, les Bolton avaient abandonné leur tradition barbare et que cela tenait aujourd’hui plus du mythe que de la réalité. Mythe que Domeric se plaisait quelques fois à entretenir, de la même manière que l’émissaire racontait qu’elle était la fille d’un ours. Des rumeurs. Des farces faites pour divertir et pour troubler. Des légendes que racontaient les nourrices pour terroriser les enfants. Rien de plus.
La jeune femme n’aurait jamais pu imaginer un homme aussi doux et discret que l’héritier de Fort-Terreur capable de telles horreurs.

Pourtant, en franchissant les portes de la forteresse après s’être annoncé, la brune entendit Benjicot marmonner dans sa barbe.

« Et c’est parti, » grommela-t-il. « Nous voilà dans la gueule du loup… Maudit Karstark. »

Il remonta sa lourde écharpe de laine sans couleur sur son nez avant de se replonger dans le mutisme. Lyra lui lança une œillade interloquée et curieuse avant d’être abordée par un domestique. Celui-ci lança un regard suspicieux à l’arc et au carquois pendus dans son dos.

« Je suis Lyra Mormont, » l’informa-t-elle avec un sourire, comme si cela eut servi de justification. « Il a été convenu qu’Harrion Karstark nous retrouverait à Fort-Terreur dans peu de temps. Lord Bolton en a été informé par corbeau de notre part, ainsi que de la part du fils de Rickard, j’imagine. »

Le palefrenier se proposa pour l’aider à descendre de sa monture. Si elle n’avait certainement pas besoin de lui, elle accepta tout de même gracieusement sa proposition pour ne pas le mettre dans l’embarras.

« Je profite de cette halte pour prendre des nouvelles de lord Domeric. Comment va-t-il ? Est-il présent ? »

Un trouble qu’elle ne comprit pas passa dans le regard du serviteur.





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L’ombre de la neige

An 298 – Lune 10 – Semaine 2



Lyra Mormont & Ramsay Snow

PITIÉ NON !!! ARRÊTEZ !!! NOUS PAIERONS VOUS AVEZ MA PAROLE MAIS ARRÊTEZ !!!

Tels étaient les mots que le vieux paysan hurlaient dans mon dos tandis que son jeune fils, qui devait à peu près avoir mon âge se trouvait à ma merci, attaché à mon jouet favori : la grande croix de bois de chêne, solidement fixée au sol. J’allais commencer à l’écorcher vif, en débutant par les pieds pour progressivement remonter vers le haut de son corps et pour finir en apothéose par son visage, mais les cris du vieux m’en empêchèrent, surtout qu’il avait prononcé le mot que je n’ai jamais pu supporter… « Pitié » Agacé, je levais les yeux au ciel et serrais les dents, me relevais avec lenteur avant de me retourner vers le vieux, de le désigner à l’aide de mon couteau aiguisé à la perfection et de lui répondre, de ma voix calme et douce :

Tu paieras ? Et quand comptes-tu réellement le faire ? Le Seigneur mon Père fut suffisamment bon pour t’avancer 10 dragons d’or, pour que tu puisses te payer un cheval pour labourer tes champs. Rappelles-moi quand a eu lieu ce généreux prêt ?

L’autre baissa la tête, en pleurs. Je l’avais attaché au mur situé juste en face de la croix. Un garde se trouvait à ses côtés, chargé de lui relever la tête et de lui maintenir les yeux grands ouverts sur le spectacle donné par son fils écorché.

Il y a 3 lunes…, répondit-il dans un souffle entrecoupé de sanglots.

Je fis mine de n’avoir rien entendu et fit un geste derrière mon oreille lui signifiant de parler plus fort :

Un peu plus fort, je ne t’ai pas entendu.

Il y a 3 lunes !! répéta-t-il plus fort cette fois.

3 lunes hein ? Le prêt de Lord Bolton t’obligeait à le rembourser sous 2 lunes. Mon Père n’est pas homme de patience et moi non plus. Si tu étais incapable de tenir les délais, alors il fallait t’abstenir de demander un prêt.

Je vous ai remboursé ! 2 sacs de blé de…

Du blé ? Oui c’est vrai…Mais du blé, c’est bien loin de ressembler à des dragons d’or…

L’autre se remit à pleurer. Je ne pus m’empêcher de sourire en voyant toute cette détresse sur son visage ridé. Je m’adressais alors au garde qui se trouvait à ses côtés :

Redresse-le et maintiens-lui la tête relevée vers son fils et les yeux bien ouverts. Préviens-moi s’il les ferme. Je veux qu’il voit ça…

Le garde ricana et hocha la tête d’un air entendu. Je me retournais vers son jeune fils et m’approchais lentement de lui, faisant jouer mes doigts devenus experts en la matière avec la lame acérée de mon couteau. Il avait tellement peur qu’il pissa de trouille, mouillant mes bottes. Je plantais mes yeux bleus dans les siens, mon sourire avait disparu mais ma voix était toujours calme et posée :

Tu as sali mes nouvelles bottes…

Il fondit en larmes, résigné par le sort fatal qui l’attendait. Puis, d’un geste rapide, je lui assenais un coup de poing violent sur le visage, lui cassant le nez par la même occasion, puis me baissa et entrepris de commencer mon chef d’œuvre par sa jambe droite. Immédiatement ses hurlements stridents remplir le sombre cachot situé dans les bas-fonds de Fort-Terreur, hurlements mêlés de pleurs et de ceux de son père derrière moi. Peu à peu, ma lame retirait sa peau, en commençant par le pied, puis le mollet et la cuisse. Une fois à hauteur de son entrejambe, je m’arrêtais et fis de même sur l’autre jambe. J’avais à peine atteint le dessus du genou quand tout à coup, les cris cessèrent…Il était déjà mort. « Non pas déjà ! » me dis-je. Je me relevais, pris une poignée de ses cheveux pour lui relever la tête et constata qu’il était effectivement mort. Enervé et déçu, je relâchais sa tête, haussa mes épaules et ordonna à deux de mes gars de nettoyer la pièce avant de rajouter :

Donnez ses restes à mes chiens. C’est de la viande fraîche après tout.

Je me retournais vers le vieux et, m’adressant au garde :

Il a bien tout regardé ?

Ouais mais j’crois que l’droit s’est fermé un peu…

L’autre secoua la tête, m’assurant que ce n’était pas le cas, mais je repris, sourd à ses protestations :

Le droit s’est fermé un peu tu dis. Il n’a pas respecté les règles du jeu…Je m’occuperais de son cas, après le déjeuner:

Quittant le cachot et refermant la porte derrière moi, je tendis mes bras au-dessus de ma tête pour m’étirer avant de les laisser mollement retomber. Je ne pouvais pas dire que j’étais satisfait de cette matinée. C’est vrai que 10 Dragons d’Or, c’était peu pour un seigneur comme Lord Bolton et la punition pouvait sembler exagérée…Mais il me fallait de la distraction, moi qui ai l’ennui en horreur. Après m’avoir écouté et longuement observé, Père avait finalement accepté que je m’occupe de son cas. Maintenant qu’il n’a plus de fils, et qu’il va aussi bientôt perdre son œil droit pour s’être « un peu fermé », nul doute que le vieux allait trouver le montant dû au Seigneur de Fort-Terreur…

Je me dirigeais vers un seau d’eau, y plongea mes mains et mon couteau couvert de sang pour les nettoyer, puis essuya mes mains sur mon pantalon noir, de même que la lame de mon couteau, que j’astiquais avec précaution en utilisant le pan de ma manche. Puis je pris mon manteau et ma cape, les enfilèrent et remontais les marches en direction de la cour principale de Fort-Terreur. Le froid du Nord me frappa au visage, mais fort heureusement il n’y avait pas de vent aujourd’hui. M’avançant dans la cour tout en mettant mes gants, mes vêtements bruns et noirs juraient sur la blancheur neigeuse du sol, mais étaient en accord avec la couleur des pierres formant les murailles de Fort-Terreur. C’est alors que mon regard fut attiré par une voix féminine. Je tournais la tête en direction de celle-ci et vis trois nouveaux arrivants, une femme portant arc et carquois en bandoulière, et deux hommes, tous montés sur de belles bêtes. J’en conclus qu’ils devaient être les invités qu’attendait Père mais comme il était absent aujourd’hui, c’est sur moi qu’incombait la lourde tâche de prendre soin de nos invités. Alors qu’ils mettaient pied à terre, je m’avançais vers eux pour les accueillir, redoutant déjà de devoir prononcer le nom de « Snow » que j’abhorrais pour me présenter. J’étais presque à leur hauteur quand je l’entendis questionner le garçon d’écurie au sujet de Domeric Bolton. « Ce cher Domeric… » pensais-je. Un sourire en coin déforma mon visage mais je l’effaçais aussitôt, tout comme l’air sadique qu’avaient pris mes traits à la pensée de son discret assassinat, avant de leur lancer :

Vous m’en voyez navré, mais Lord Domeric nous a quitté il y a plusieurs Lunes de cela…

Je fis mon possible pour m’empêcher de sourire. A la place, je pris un air enjôleur et bienveillant pour les accueillir comme un Seigneur se doit de le faire envers ses invités :

Je suis Ramsay Snow, fils illégitime de Lord Roose Bolton. Le Seigneur mon Père est absent aujourd’hui et s’en excuse. Il m’a chargé de vous accueillir en son nom et de vous porter assistance si besoin. Vous devez être Lady Lyra Mormont je suppose ? la questionnais-je en m’inclinant légèrement avant de reprendre : J’allais passer à table pour déjeuner. Vous êtes bien sûr tous les trois inviter à la table de Lord Bolton. Vous devez sûrement avoir faim.

« Mignonne » pensais-je… « Très mignonne »…

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L'ombre de la neige

semaine 2, Lune 10, an 298



Ramsay & Lyra

Le domestique resta muet, le nez baissé sur ses chaussures crottées et les yeux regardant de partout, sauf vers elle. Il était presque désemparé. Instinctivement, Lyra sut que quelque chose n’allait pas. Que quelque chose ne tournait pas rond. Sinon, pourquoi s’obstinerait-il dans un mutisme presque religieux, semblable à celui des Sœurs du Silence dans le Sud ?
Il lui présenta sa pogne dont elle se saisit avant de se laisser glisser le long des flancs de l’animal. Ses lourdes bottes s’enfoncèrent dans la neige noire et piétinée par les sabots et les pieds depuis de nombreux jours déjà et le bas de sa robe ne tarda pas à changer de couleur au contact du sol humide.

Alors qu’elle allait renouveler sa question, l’approche d’un homme lui fit lever la tête. Il avait plus d’allure que les autres domestiques et il arborait des vêtements plus riches et plus élégants. Une cascade de cheveux noirs et frisés auréolait un visage blanc aux joues rosies, comme celles d’un nouveau-né. L’ourse pensa dans un premier temps qu’il devait s’agir de l’intendant de Fort Terreur, chargé de les accueillir et de les conduire jusqu’à Lord Bolton. Pourtant, un détail attira son attention. Les mêmes yeux… pensa-t-elle. Ces iris tantôt bleues, tantôt grises, d’une pâleur déconcertante, presque dérangeante. Domeric les avait aussi. Plus jeune, elle avait été troublée par ce regard de glace qui vous perçait les chaires jusqu’à vous geler les os. Puis, elle s’y était habituée et y avait trouvé la douceur et le bienveillance d’une journée d’hiver ensoleillée. Dans les yeux de l’intendant cependant, elle ne décela rien de tout cela.
À son arrivée près du quatuor, le palefrenier se retira subitement, presque brusquement alors que sa face restait tournée vers le sol, dans un salut respectueux et craintif, à la manière d’un animal dominé face à son dominant. La Mormont n’aurait pas été étonnée de le voir se mettre par terre avant de lui présenter son ventre, signe ultime de la soumission.

Ce fut l’inconnu qui vint répondre à ses interrogations.

La nouvelle la laissa confuse. Hébétée. Les yeux grands ouverts, elle le toisa sans le voir. Elle sentit tout le sang se retirer de son visage, de ses bras, de ses pieds. Elle eut l’horrible sensation de sentir ses jambes se dérober sous elle, mais la chasseuse resta bien droite, comme statufiée. Sa vision devint trouble et elle se rendit compte que des larmes menaçaient de franchir la lisière de ses cils. Un bourdonnement désagréable envahit ses tympans et elle entendit à peine ce que disait l’intendant qui se révélait être un bâtard de Lord Bolton. Le mirage de son souffle blanc se matérialisait devant elle dans un tremblement fantomatique. Sa poitrine opprimée l’empêchait de respirer correctement. Sa main tremblante vint se placer devant sa bouche, figée d'horreur.

« Que… » articula-t-elle difficilement. « Q-Qu’est ce que cela signifie ? »

Les mots ne venaient pas naturellement, elle avait l’impression de se forcer, comme si sa tête avait cessé de réfléchir.
L’Écorce vint se ranger à côté d’elle. Lyra se retint de s’agripper à son bras pour s’empêcher de tomber, mais sa seule présence suffit à la sortir du marasme dans lequel elle s’était embourbée. Une bourrasque vint violemment secouer leurs capes de voyage et il encercla les frêles et minces épaules de la fille de Maege de son gros bras de soldat.

« Allons discuter de tout ça à l’intérieur, »
entonna-t-il de sa voix rauque et bourrue. « Ou le vent va finir par nous décoller la peau. Le voyage a fatigué m’lady. »

C’était faux. L’émissaire n’était pas le moins du monde éreinté par le trajet. Pourtant, un grand froid l’avait envahi et ses jambes semblaient avoir été sciée.
Docilement, comme une marionnette, elle se laissa escorter jusque dans l’antre de la forteresse où on la confia à une suivante avant qu’ils ne déjeunent.

Fermée dans une petite pièce chauffée par un âtre minuscule, elle resta seule, immobile, à contempler les flammes danser en attendant que la domestique ne revienne pour lui nettoyer les mains et le visage, gercés par le blizzard. Même si les braises rougeoyantes brillaient ardemment, sa peau restait gelée.

Lord Domeric nous a quitté il y a plusieurs lunes de cela… Les mots résonnaient encore dans sa tête avec les intonations sirupeuses, mais sans malveillance de son demi-frère. Que s’était-il passé ? Comment une telle horreur avait-elle pu se produire ?
Enfin, Lyra éclata en sanglots. Des pleurs sans bruit, discrets. Elle plongea son visage dans ses mains pour y cacher ses yeux rougis et ses joues mouillées. Elle n’y comprenait rien. En venant ici, elle s’était préparée à gentiment rabrouer son ami pour son manque de constance dans leurs missives et aujourd’hui elle apprenait que ses lettres étaient restées sans réponse car il était mort ? Y croire lui semblait insurmontable. L’héritier de Fort Terreur était son ami depuis de nombreuses années. Il était jeune et en parfaite santé. Était-il tombé malade dans les hautes montagnes du Val, lorsqu’il était encore écuyer ? Pourquoi n’était-elle pas au courant ? Pourquoi personne ne lui en avait-elle parlé ? Aucune explication logique ne lui venait en tête tandis que son cœur demeurait ravagé par le chagrin.

La domestique revint et en dépit de son état, ne lui posa aucune question. Sans un mot, elle se contenta de faire son labeur. D’une éponge gorgée d’eau tiède, elle nettoya les paumes et les ongles noircis de la jeune femme avec une douceur compatissante avant d’essuyer son visage avec un torchon chaud. L’ourse se laissa faire et entre deux hoquets, ses larmes se tarirent.

« C’est la période de cette lune ? »
lui demanda soudain la servante sans la regarder. « Vos humeurs se détraquent m'lady ? »

En effet, Lyra saignait depuis deux jours. Cependant, la nouvelle semblait avoir traumatisé son corps si bien qu’il était comme engourdi et qu’elle ne ressentait plus rien. Distraite, elle acquiesça.
Sans demander son reste, la femme d’un âge déjà avancé coiffa rapidement ses cheveux pour la rendre présentable. Des futilités, pensa-t-elle. Des futilités… Elle la débarrassa également de son arc et de son carquois. Après tout, elle était en sécurité ici.

Dans la salle de réception des torches avaient été allumées pour réchauffer la pièce et éclairer les longues tables d’ébène. Les hommes étaient déjà installés et la jeune femme s’invita à leur table avec un léger hochement de tête.

« Navrée, » s’excusa-t-elle autant pour le retard que pour la faiblesse qui l’avait prise. « Merci de jouer à l’hôte en l’absence de votre père, lord Ramsay, et de nous accueillir à votre table. »

L’annonce de la mort de Domeric l’avait profondément contrariée et sa voix rocailleuse ne laissait aucun doute sur ses sanglots précédents. Pourtant, elle ne voulait pas que cela embarrasse le fils de Lord Bolton. Aussi, s’obligea-t-elle à garder la face. Elle était l'émissaire de la maison Mormont et si elle ne possédait définitivement pas la force de composition de Dacey, elle se devait de faire face. Elle s’assit à côté de l’Écorce, en face du bâtard qu’elle gratifia d’un maigre sourire.

« Je suis ravie de faire votre connaissance, » commença-t-elle, sincère. « Je n’avais aucune idée que Domeric avait un frère. Il ne m’en a… m’en avait jamais parlé. »

Prononcer son nom était une épreuve. Parler de lui au passé également. Mais elle se forçait pour faire bonne figure devant Ramsay Snow. D’ailleurs, elle n’était pas sûre de savoir comment elle devait l’appeler. Sur l’Île aux Ours, bâtards ou non, il n’existait que peu voire pas de différence. Si l’on y regardait de plus près, Lyra était une bâtarde elle aussi. Après tout, sa mère ne s’était jamais mariée et gardait farouchement le nom du ou des pères de ses filles. Or, les mœurs sur leur île étaient différentes que sur le continent. Mais si on l’appelait « ma dame » alors elle estimait logique d’appeler leur hôte « mon seigneur ».  





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L'ombre de la neige

An 298 - Lune 10 - Semaine 2



Lyra Mormont & Ramsay Snow

Mais certainement répondis-je à l’homme à la voix bourrue qui s’était porté aux côtés de la Mormont pour l’éviter de tomber mollement sur le sol boueux. Je ne parvenais cependant pas à feindre la tristesse autant que ce que je pouvais voir sur son visage. Aussi repris-je :

Le Seigneur mon Père a fait apprêter une chambre pour vous, Lady Lyra, ainsi qu’une autre pour vos gens. Je vais faire mander des domestiques pour votre toilette puis je vous attendrais dans la salle de réception pour le déjeuner.

J’inclinais très légèrement la tête, un fin sourire sur le visage, tandis que nos hôtes suivaient nos domestiques vers leurs chambres respectives. A peine eurent-ils le dos tourné que, me redressant, mon sourire se dissipa aussitôt et que mes sourcils se froncèrent. Visiblement, elle semblait très bien connaître Domeric…Elle allait certainement poser des questions à son sujet, sur les circonstances de sa mort… « C’est embêtant ça » me dis-je. L’un de ses gardes se retourna pour me jeter un dernier coup d’œil avant de s’engouffrer à l’intérieur du bâtiment principal. Je lui lançais un signe de tête avec un sourire mais ne reçut rien en retour qu’un regard soupçonneux. Une fois qu’il eut disparu à l’intérieur, l’expression glaçante et menaçante qui se lut alors sur mon visage dut être telle qu’elle fit faire demi-tour à un des jeunes garçons d’écurie, qui venait vers moi certainement pour me poser quelques questions sur les soins supplémentaires à prodiguer aux montures de nos invités.

Je me trouvais encore dans la cour, immobile dans le froid à réfléchir à la façon dont j’allais devoir aborder ce déjeuner lorsqu’une odeur reconnaissable entre mille se fit sentir sur ma gauche. Sans même me donner la peine de me retourner vers lui, je lui lançais :

Mon bon Schlingue, on a un problème je crois…

Mouaisfit-il,la donzelle connaît bien Domeric.

Et quand aurais-tu juger bon de m’en parler ? les questionnais-je en me retournant vers lui tout sourire même si mes yeux exprimaient tout sauf la joie. Il cracha par terre, avant de me lancer un regard torve et de répondre :

J’lai vu qu’une fois cte fille. C’tait avant que j’parte pour ta piole. Si elle est revnue après, moi j’pouvais pas savoir. J’revnais ici qu’pour vous chercher à bouffer c’tout.Il se rapprocha de moi pour me souffler à l’oreille :T’as vu comment qu’elle a failli tourner d’l’œil ? M’est avis qu’elle l’aimait vraiment bien, le Domeric…. Son visage se tordit en un sourire aussi écœurant que son odeur.

Je m’écartais de lui :

Pas si près, je n’ai pas envie d’avoir ton odeur sur moi durant le déjeuner. Arranges-toi pour ne pas te trouver dans les parages tant qu’ils seront là…

Mouais fut sa réponse. Il me donna une petite tape dans le dos puis tourna les talons et alla rôder de son pas traînant vers l’extérieur de l’enceinte de la cité.

Pour ma part, je me dirigeais vers ma chambre, ôta manteau, cape et gants, brossa mes ongles dont le dessous et les contours portaient encore les traces du sang de ma victime, puis me rendis à la salle de réception, habillé de noir, sobrement, comme de coutume.

J’étais le premier arrivé, ce qui ne m’étonnait pas vraiment. Ne prenant guère attention aux torches ni aux autres préparatifs et soins apportés par les domestiques pour ce déjeuner, je me dirigeais droit vers la table et me servit une coupe de vin tandis que les deux gardes de Lyra Mormont firent leur entrée.

Aaah mes invités !, les acclamais-je avec un sourire,que diriez-vous d’une coupe de vin en attendant votre jeune et ravissante Dame ?

L’un répondit immédiatement par l’affirmative en me remerciant poliment. Mais le second, le même qui m’avait jeté un dernier regard avant de disparaître vers sa chambre quelques instants auparavant, s’il prit la coupe que je lui tendais, me regardait toujours avec suspicion et méfiance. J’entamais la conversation avec le premier, même si le second restait muré dans son silence. Nous prenions place à table et commencions à manger lorsque Lyra fit son apparition. Elle était toujours habillée simplement, mais sa coiffure était un peu plus sophistiquée. Nous nous levâmes à son entrée et ses excuses, combinées au fantastique « Lord Ramsay » qui sonnait magnifiquement bien à mes oreilles, me fit m’approcher d’elle. Les mains jointes dans mon dos, je m’inclinais à nouveau, cette fois un peu plus bas qu’avant :

Lady Lyra, vous êtes toutes pardonnée. Je vous en prie, prenez place. dis-je en l’invitant à s’asseoir en face de moi. Je fis de même, claqua dans mes doigts pour qu’un domestique vint la servir, puis écouta ses mots. Je scrutais son visage ; elle me paraissait sincère.

De cela, je n’en doute pas. Domeric était un homme plein de secrets, assurément. Il ne me parlait guère vous savez. Il est vrai que je ne suis que de deux ans son cadet. Peut-être voyait-il en moi un concurrent au titre d’héritier de Lord Bolton…même si je lui ai maintes fois assurée que ma condition de bâtard ne devrait pas lui donner d’inquiétude sur la question…Enfin…c’est du passé…Inutile de le ressasser.

Je pris une bouchée de viande. « Trop cuite…pas assez saignante…J’en toucherais deux mots à la cuisinière plus tard » pensais-je, puis je repris à l’attention de Lady Lyra :

Vous semblez avoir été beaucoup affectée par l’annonce de son décès. Vous étiez proches ? Je me sens redevable de votre peine, ma Dame. Si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider, dîtes-le moi., avais-je dit en plongeant mon regard dans le sien, prenant un air aussi sincère et bienveillant que possible. Une chose est sûre ; Schlingue avait raison quand il disait que je pourrais devenir comédien tant je n’avais aucun mal à mentir et à jouer la comédie…

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L'ombre de la neige

semaine 2, Lune 10, an 298



Ramsay & Lyra

Dans leurs dos, les flammes des torches crépitaient comme de courtes inspirations nerveuses. La lumière vacillante jetait de grandes ombres tantôt grises, tantôt noires sur les murs de pierres sombres de Fort-Terreur. Bien que dehors, le jour caressait encore les flancs des collines autour du château –même si le soleil restait masqué par d’épais banc de nuages ternes- l’intérieur de la demeure des Bolton était étonnamment obscure. On s’y serait cru en pleine nuit et il semblait aisé d’y perdre la notion du temps. En particulier lorsque la chaleur diffusée par les imposants âtres situées aux quatre coins de la pièce engourdissait les corps et les muscles encore figés par la bise glacée du nord.
Pourtant, en dehors de leur hôte, aucun des membres de l’escorte de l’émissaire des Mormont n’était à l’aise. Malgré un flegme apparent, l’Écorce gardait ses poings serrés sur la table, le visage probablement plus fermé que d’ordinaire. Benjicot n’ouvrait pas la bouche, plongé dans un silence presque religieux alors que jamais ses yeux ne se posaient sur le bâtard. Quant au soldat des ourses, ses muscles bandés sous son épaisse cape de fourrure laissaient présager qu’au moindre geste trop brusque ou au moindre crissement de chaise inattendu, il serait prêt à bondir et à se défendre. Il n’y avait peut-être que l’archère qui, bien qu’ébranlée, s’obligeait à se montrer agréable et avenante. Rapidement, Lyra remarqua que des coupes de vin servies, seule celle de l’Écorce et du guerrier de l’île avaient été entamée. Elle pinça les lèvres en toisant le trappeur qui fit mine de l’ignorer, les yeux rivés sur le visage souriant de Ramsay.

Celui-ci, chaleureux et agréable, eut l’élégance de ne faire aucune remarque sur l’état de la jeune femme tandis qu’elle s’installait à leur table. La fille de Maege lui adressa un remerciement muet, appuyé simplement par un hochement de tête.
Un verre de vin fut apporté sur ordre de l’hôte et la chasseuse se contenta de rapidement y tremper les lèvres pour ne pas offenser le fils de lord Bolton. S’il semblait que sa mère lui avait confié à travers ses gènes une résistance toute particulière à l’alcool, le goût de la liqueur avait tendance à la laisser plus mélancolique qu’elle ne l’était déjà. Elle n’avait pas besoin de cela maintenant. Le pisteur ne l’imita pas pour autant.

Ramsay ne parut pas étonné de l’absence de paroles de son défunt frère à son sujet. Evidemment, il n’avait pas tort sur le principal point soulevé : Domeric était probablement aussi loquace que Lyra. Un défaut pour certains, une qualité pour d’autres. La jeune femme avait toujours considéré ce trait de caractère comme une chance car c’était leur discrétion qui les avait rapprochés, l’héritier de Fort-Terreur et elle.
Sa gorge devint sèche et elle s’obligea à reprendre une lapée de vin pour tenter d’alléger sa langue qui semblait s’être faite de plomb. Elle laissait courir ses doigts sans réellement y penser le long du pied ouvragé de la coupe alors que le fils illégitime poursuivait la discussion. Ses sourcils se froissèrent. Il était vrai que le jeune homme n’avait jamais été bavard. Cependant, dans ses dernières lettres, il avait parlé à la Mormont de son désir d’avoir un frère. Une envie qui l’avait gagné au contact des fils d’Horton Rougefort, Jasper, Creighton, Jon et Mychel, chez qui il était écuyer. Il lui aurait racontée, s’il s’était soudainement découvert un demi-frère. Aussi, cela signifiait que l’arrivée du brun à Fort-Terreur était récente. Tout comme la mort de l’héritier. Cependant, le chagrin brouillait sa logique et l'empêchait de raisonner clairement.

Elle voulut le questionner à ce sujet, mais il reprit rapidement après avoir entamé son déjeuner. À ses côtés, les trois hommes affamés ne se firent pas prier pour commencer à manger à leur tour. Et si Benjicot avait résisté jusque là à l’hospitalité des Bolton, l’appel du ventre était plus fort. Seule Lyra ne toucha pas à son assiette. Pas encore. Son estomac était encore noué de la nouvelle désastreuse et elle serait incapable d’avaler quoique ce soit avant d’en savoir plus. D’ailleurs, elle pensait éclater à nouveau en sanglot à chaque seconde qui passait et chaque clignement d’yeux menaçait de lui arracher des perles salées. Elle luttait contre ses lèvres tremblantes et s’obligea à rester digne. La question de Ramsay ne l’aidait pas.

« Je vous remercie pour votre sollicitude, lord Ramsay, » dit-elle d’une voix enrouée. « Nous étions amis. De bons amis… Nous nous connaissons depuis longtemps. Oh, connaissions, navrée. »

Elle se mordit la langue et détourna le regard. Une profonde inspiration suivit d’une longue expiration vint faire trembler sa poitrine et ses épaules. Sa main se serra sur le manche de la fourchette dont elle s’était saisie pour repousser le quartier de viande encore fumant.

« Malheureusement je crains que nous ne pouvions guère faire plus aujourd’hui… » se désola-t-elle dans un murmure. « J’aurais aimé être là pour les… les funérailles. Quand ont-elles eu lieu ? »

Domeric voyait-il réellement une menace dans l’ombre du bâtard ? Le pensait-il réellement capable de lui ravir sa place ? Pourtant, Ramsay avait tout d’un homme agréable et honnête. Et il avait toujours tant rêvé d’un frère, pourquoi se serait-il méfié après son arrivé à Fort-Terreur ?

Lyra rassembla toute la force dont elle était capable pour lui poser la question qui la tourmenta depuis que les mots fatidiques avaient résonné à ses oreilles. Sa mâchoire se serra si fort qu’elle craignit de s’y casser les dents.

« De quoi est-il mort ? » demanda-t-elle d’une voix plus dure qu’elle ne l’aurait souhaité, les consonnes rugueuses butant contre ses lèvres pleines.

Comment pourrait-elle parvenir à comprendre ? Le jeune homme était jeune, en excellente santé… De quoi aurait-il pu périr si ce n’était un accident ? Elle priait les Anciens Dieux pour qu’il n’ait pas souffert. Que sa mort n’ait pas été le résultat d’une lente et longue agonie. Elle ne pourrait continuer à vivre en sachant qu’un de ses plus proches amis sinon le plus proche ait trépassé dans la douleur et les larmes alors qu’elle était loin, loin de tout ça, ne se souciant que d’elle et de ses problèmes.
Les hommes des Mormont se figèrent avant de recommencer à manger en silence. Comment avaient-ils pu se taire ? Ils savaient, indéniablement. Ils savaient. Et pourtant, ils n’avaient rien dit. Aussi muets que des tombes, leurs bouches étaient restées cousues, laissant la lady nager dans un océan d’ignorance.
 





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L'ombre de la neige

An 298 - Lune 10 - Semaine 2



Lyra Mormont & Ramsay Snow

La Mormont semblait constamment au bord des larmes mais elle faisait son possible pour ne pas se mettre à pleurer à table. Une très bonne chose et un bon point pour elle ; j’ai horreur des pleurnicheries. Si ses acolytes avaient l’air d’apprécier le repas, elle n’y avait pas encore touché, seulement un petit morceau de viande du bout de sa fourchette. Sa détresse n’entamait en rien mon appétit, que ma petite séance dans les cachots avait même amplifié. Pire encore, je commençais à trouver le temps long. Tenant fermement mes couverts, je continuais à manger, ne levant plus que très rarement mes yeux vers elle. Je ne lui accordais qu’un sourire poli sans un regard alors qu’elle me confirma la nature de sa relation avec le pauvre Domeric.

Comment a-t-elle pu se lier d’amitié avec quelqu’un comme lui ?! Je me rappelais parfaitement ces longues journées durant ces deux années passées à me rapprocher de lui, alors que je venais de me faire prendre dans les patrouilles de mon père. J’avais parfois l’impression de parler à un mur ou à un sourd tant furent nombreuses les fois où je ne recevais aucune réponse de sa part… Si ça n’avait tenu qu’à moi, je l’aurais tué bien plus salement que par un simple empoisonnement, mais cela aurait signé mon arrêt de mort et je ne serais pas là aujourd’hui à manger devant une délégation de Mormont et une jeune fille éplorée par la disparition brutale de l’héritier de Lord Bolton…

Je tendais une main pour prendre un morceau de pain quand elle me questionna sur les funérailles de Domeric Bolton. Je dus faire mon possible pour réprimer le sourire salace qui voulait se dessiner sur mon visage. Si les funérailles eurent lieu le soir, j’avais passé la journée avec Schlingue durant une mémorable partie de chasse. Nous étions retournés à l’auberge où, un jour, notre patrouille s’était arrêtée pour la nuit. Domeric avait beaucoup apprécié les services de l’une des filles de l’aubergiste, une grande gamine maigre et laide de quatorze ans. Je réussis à l’attirer à l’extérieur, prétextant que Lord Domeric voulait la revoir sans que son père le sache. L’idiote rougit et me suivit à l’extérieur sans poser d’autres questions. Schlingue lui assena un violent coup sur la tête par derrière et nous l’emportâmes dans une grotte, située dans les parages de Fort-Terreur… Je la pris trois fois cet après-midi-là, m’amusant à lui répéter que son Domeric ne viendrait pas vu qu’il avait été honteusement assassiné… Elle mourut durant la troisième fois, plus des suites de mes coups et lacérations au visage et sur son corps. Alors je me suis levé et j’ai regardé dehors. Le crépuscule tombait et il me fallait rentrer pour les funérailles. Père me voulait présent, même si je devais me tenir derrière lui plutôt qu’à ses côtés. J’avais alors dit à Schlingue, en lui jetant par terre un grand sac en cuir noir :

Quand tu en auras fini, découpes-là et mets les restes là-dedans. C’est de la viande fraîche. Mes chiens aimeront.

Je le vis sourire d’un air entendu avant de se défroquer et de prendre son cadavre tandis que je me remettais en selle et partais au galop vers Fort-Terreur. Je devais encore me changer, me montrer présentable pour la cérémonie de mon bien-aimé demi-frère…

Chassant ces souvenirs de ma tête, je posais mes couverts sur le bord de mon assiette et bus une gorgée de vin pour m’éclaircir la gorge avant de répondre, cette fois en regardant l’Ourse droit dans les yeux :

Durant la dernière semaine de la Lune 2, ma Dame. Une belle cérémonie, même si je ne suis pas un fervent croyant… Je ne me souviens pas vous y avoir vu. Etrange non ? Pour quelqu’un qui se dit être son amie ?

Je souris tout en lui posant cette question. La politesse aurait voulu que je m’en abstienne, mais c’était plus fort que moi et je lui crachais dessus, moi, à la politesse… Content de ma question embarrassante, je m’adossais tranquillement à mon siège et pris mon verre de vin dans mes deux mains…Mais elle posa la question sensible…la question qui fâche… De quoi est-il mort ?… Mon sourire s’effaça aussi rapidement qu’il était apparu. Je sentis toute expression quittée mon visage ; seuls mes yeux dardaient encore leur emprise glaciale sur le joli minois de Lyra Mormont. Ses accompagnateurs avaient relevé la tête, signe que la réponse les intéressait également. Je devais me montrer prudent. Un mot mal choisi, un ton un peu trop enjoué, et ils se montreront tous soupçonneux à mon égard… Je pris mon temps pour réfléchir puis finis par dire :

C’est une question à laquelle nous voudrions aussi connaître la réponse, Lady Lyra. Nous étions en patrouille. Lord Domeric était avec nous…Tout s’est passé si vite…Au beau milieu de la nuit, il fut pris de convulsions violentes. Son corps s’était raidi, il ne pouvait plus respirer ni parler… Et il est mort dans mes bras. J’ai été totalement impuissant et rempli de honte lorsque nous rentrâmes à Fort-Terreur et que je dus présenter le corps sans vie de son fils devant Lord Bolton… Tout ce que je sais, c’est que ces convulsions sont survenues peu après qu’il eut but un cidre donné par une famille de marchands croisés sur notre route…Dire que nous nous étions tous rit de lui, de le voir choisir ce genre de boisson, mais il voulait faire un geste, avait-il dit, pour ses pauvres gens constamment sur les routes et ne mangeant jamais à leur faim. Et voilà comment sa gentillesse a été remerciée…Nul besoin de vous dire, ma Dame, que nous recherchons activement ces gens. J’en fais un cas personnel de toute cette affaire…

D’un trait, je vidais le reste de vin, le reposa un peu trop brusquement sur la table et claquais des doigts pour qu’on vienne me le remplir. Puis, changeant totalement de sujet :

Combien de temps comptez-vous rester parmi nous, Lady Lyra ?

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