I need you

Snöfrid Harloi faisait très rarement le premier pas avec les hommes. De tous ses amants, elle en a eu quelques-uns, un seul n’avait pas fait le premier pas. Elle le voulait pour elle toute seule. Elle le désirait comme un prédateur désirait sa proie. Cette période-là, Snö ne la reniait pas. Elle faisait partie de sa vie. Elle découvrait les vertus de son corps et toute l’étendue de son pouvoir sur les hommes. Mais sinon, jamais, ô grand jamais, elle n’avait fait le premier pas. Elle avait une réputation. Même si elle avait su rester très discrète avec ses amants – même si ça n’avait pas toujours été facile entre un père protecteur et des yeux/oreilles présents partout – elle ne voulait pas que cela se sache. Jusqu’à Rognar. Cet homme avait semble-t-il opéré un changement dans sa vie, c’était indéniable. Elle le côtoyait, entre autres choses, depuis maintenant trois ans. Elle ne pensait pas que cela allait durer aussi longtemps entre eux. Et malheureusement pour la fer-née, il était tombé amoureux d’elle, éperdument. Mais c’était un bâtard, issu d’une famille mineure des Îles. Déjà que Snö ne désirait pas se marier pour le moment, ce n’était pas pour le faire avec un bâtard. Là, même Sigfryd, son grand-père, la tuerait sur place. Rognar était un homme merveilleux mais elle ne l’aimait pas. Elle n’était pas amoureuse de lui, elle aimait seulement sa présence à ses côtés quand elle en ressentait le besoin, ses bras quand elle voulait se sentir en sécurité, son corps quand elle voulait s’évader. Mais là, c’était différent. Lorsque son regard s’était posé sur Grayce quelques semaines plus tôt, c’était un véritable coup qu’elle avait reçu en plein cœur. Elle qui ne pensait qu’aimer son oncle, Sigfryd. Elle avait là des sentiments naissants et croissants pour la jeune Bonfrère. La dernière fois qu’elles s’étaient vues, elle avait fait le premier pas, inconsciemment, sans réfléchir, sans penser aux conséquences. Elle avait juste envie de profiter de ce moment. Snöfrid faisait très rarement le premier pas avec les hommes. Il faut croire qu’avec les femmes, c’était une toute autre histoire.

Face à Grayce, Snöfrid ne savait que faire, que dire. Elle se sentait gênée et comprenait bien évidemment la colère de la charpentière. Elle sentit son soupir et son regard la fuya. Elle tendit alors la porte se fermer à clé puis Grayce de nouveau rentrer dans son champ de vision. Elle ne pouvait pas lui tourner le dos constamment. Elle le prendrait mal. Elle devait affronter son regard, se confronter à elle et surtout s’expliquer. C’est alors que la jeune blonde lui ouvrit son cœur. Elle fit un grand monologue qui troubla Snöfrid. Elle ne s’attendait pas à ça, ne pensait pas qu’elle se livrerait à elle de la sorte. Elle voyait Grayce comme une jeune femme plutôt discrète sur ses émotions et sentiments. Elle ne montrait pas cette facette sur le chantier et cela perturbait quelque peu la capitaine en devenir. Le « vous » avait été abandonné pour un « tu » plus intime. C’était réciproque, voilà l’une des choses que Snö avait retenu et pas des moindres. Alors elle se posait la même question que Grayce venait de poser. Est-ce vraiment mal de céder ?

- Non, c’n’est pas mal...

La phrase était sortie d’elle-même et était alors accompagnée d’un regard de nouveau braqué sur la jeune fer-née. Snöfrid se rapprocha alors du bureau, plaçant sa main non loin de celle de Grayce. Elle réfléchissait, regardant l’horizon qui s’étendait face à elle, voyant les remparts du château et au loin la mer toujours aussi mouvementée. Elle en oubliait toute sa volonté de ne pas céder. Elle la voyait du coin de l’œil, elle sentait son regard sur elle. La colère était présente mais moins intense que quand elle est rentrée dans la chambre. Elle tourna alors la tête vers la jeune femme, les joues quelque peu rouges elle aussi, rapprochant doucement sa main de la sienne, leurs doigts se touchant tout justes.

- J’ai peur de c’que j’peux r’sentir pour v… toi…

Accepter. Assumer. C’était bien difficile quand on n’était pas habitué à aimer de la sorte. Plus son regard se posait sur Grayce, plus Snö était dévoré par ses sentiments, son plaisir, son désir grimpant. Sa main était désormais sur la sienne, jouant instinctivement avec ses doigts, affichant un sourire timide en coin, le regard vers Grayce, n’ayant d’yeux que pour elle. Elle se place alors devant elle, bien en face, reposant alors son autre main sur celle qu’elle venait de quitter. Son autre main alla recoiffer une mèche blonde et elle se rapprocha encore plus jusqu’à sentir sa respiration sur elle. Sa main droite, posé sur sa main, remonta le long de son avant-bras puis son bras jusqu’à atteindre son épaule, le tout dans un silence des plus agréable. Elles n’avaient pas besoin de parler. Elle lui faisait comprendre rien que par le regard. Elle doutait encore, oui, complètement. Snö était comme ça mais si elle ne cédait pas maintenant, elle ne céderait jamais et elle en serait malheureusement. Elle en était consciente, elle vivait la même chose avec Sigfryd, mais dans son cas, ce n’était pas réciproque et elle ne pouvait pas l’aimer. Là Grayce partageait ses sentiments. Elle savait que c’était réciproque. Alors pourquoi se retenir ? Elle continua à parcourir son corps de sa main remontant l’épaule jusqu’à nuque, le regard toujours plongé dans le sien. De son autre main, la gauche, elle vint se perdre sur sa taille tandis que la droite s’aventura dans sa nuque. Elle approcha alors son visage, sentant leur désir commun les envouter. Au diable la colère de Grayce. Au diable les explications sur ce qu’elles ressentaient pour l’autre. Au diable l’incertitude et l’inquiètude de Snöfrid. Elle s’avança encore et lui murmura alors quelques mots.

- Je… J’ai b’soin d’toi, Grayce…

Ces mots étaient sortis si spontanément. Elle était sincère. Elle avait besoin d’elle, non pas pour quelque chose mais dans sa vie. Elle l’aimait, elle la voulait, la désirait. Elle avait besoin d’elle éperdument. Et elle rapprocha une dernière fois son visage du sien, mêlant ses doigts dans ses cheveux, glissant son autre main dans le creux de ses reins et l’embrassant passionnément. Elle assumait. Sur l’instant du moins. Et cela s’en ressentait dans ce fougueux baiser qui était sans aucun doute plus savoureux que le premier il y a quelques semaines. Et c’est à ce moment très précis, malgré ses doutes, ses peurs et inquiétudes, que Snöfrid Harloi commença à complètement céder à ses sentiments pour Grayce, s’abandonnant à elle, l’aimant toujours plus de jours en jours.