[FB] being a woman in a world built for men - teora veneur

« Lady Lysa, puis-je avoir l’honneur de m’asseoir à votre table ? », avait demandé Eustace Veneur alors que les discussions au sujet du tournoi allaient bon train à la table où s’étaient réunis quelques valois et où une place venait tout juste de se libérer auprès de la régente. Lysa s’était retenue de soupirer. Son statut ne lui permettait guère de se montrer insolente, d’autant plus que les Veneur faisaient partie des familles qui ne semblaient point à voir quelque chose à redire sur sa manière de diriger le Val, mais que n’aurait-elle pas donné pour pouvoir lui dire « non, je ne préfère pas ». A la place, elle lui adressa un léger sourire poli derrière lequel les plus attentifs verraient de la comédie.

« Messire Veneur, je vous en prie. », eut-elle à lui répondre. « Nous nous croisons décidément bien souvent. », ajouta-t-elle malgré tout, avant de boire une gorgée de vin. Trop souvent, pensait-elle véritablement.

Et ça y est, c’était parti ! Eustace Veneur avait l’occasion de discuter avec Lady Arryn et il ne comptait pas la laisser passer, cherchant à capter son attention autant que son regard, lui glissant un compliment par ci, un compliment par-là, veillant à ne pas avoir de comportement déplacé mais tâchant tout de même de maximiser ses chances de séduire la dame du Val. C’était à une collection de vautour que Lysa devait faire face depuis la fin de sa période de deuil mais Eustace Veneur était sans doute parmi les pires d’entre eux, même s’il n’avait, du fait de sa position de second-fils d’abord et du fait de ce que Lysa avait entendu sur lui ensuite, qu’une infime et ridicule chance de parvenir à ses fins…

Il y eut un moment où le jeune Robin Arryn interrompit brutalement messire Veneur, réclamant l’attention de sa mère, et le regard qui apparut à ce moment-là sur le visage de cet ambitieux personnage ne put échapper à Lysa. Bien sûr, Lysa écouta son fils et prit le temps de lui répondre avant d’accorder à nouveau son attention à messire Veneur. Que croyait-il ? Robin était son fils et le seigneur du Val qui plus est. Il se mettait le doigt dans l’œil, vraiment, s’il pensait que celui de ses prétendants qui arriverait à ses fins, s’il y en avait un qui y arriverait, passerait avant son fils. Lysa l’écouta, se retenant de soupirer, mais elle croisa le regard de Lady Teora Veneur, assisse un peu plus loin, qui sembla s’en rendre compte. Messire Veneur n’avait aucune chance, vraiment. Aucune…

Lady Lysa finit par prendre congé du Veneur et se retrouva un peu plus tard dans les jardins du château, où Robin, jeune seigneur du Val, trouva un compagnon de son âge avec qui jouer. C’est là qu’elle croisa la route de Lady Teora, qui lui adressa salutation et sourire poli mais dans lequel on ressentait toutefois une certaine gêne. Lysa devina sans peine la raison de cela et décida qu’elle détendrait l’atmosphère à ce sujet. Après tout, Lady Teora n’était nullement responsable du comportement insistant de son oncle…

« Lady Teora. », la salua à son tour Lysa. « Comment allez-vous ? », commença-t-elle cependant.


@Teora Veneur

« Je me porte bien, ma dame, merci de vous en soucier. Et vous-même ? Le jeune seigneur ? », demanda poliment Lady Teora.

Connaissant la santé fragile de son fils Robin, Lady Lysa avait pris la route vers Lestival une certaine appréhension, espérant qu’il ne prendrait pas froid et prenant d’ailleurs toutes les précautions pour éviter un tel scénario. Mais, la joie du jeune seigneur était contagieuse. Si Robin, enfant craintif qu’il était, n’avait pas très bien vécu leurs premières journées de voyages, il avait fini par se laisser gagner par la curiosité et à s’extasier sur les paysages défilant devant ses yeux. Désormais, à Lestival, c’est l’idée d’assister aux joutes du tournoi qui l’enthousiasmait plus que tout.

« Très bien, je vous remercie », répondit Lysa. « Quant à notre Seigneur, et bien, je pense qu’il s’amuse beaucoup à ce tournoi. », ajouta-t-elle  avec le sourire en regardant son fils. Dans les regards que s’échangeait la mère et le fils, un lien des plus fusionnels se devinait aisément. Mais, le seigneur du Val, après avoir vérifié si sa mère se trouvait toujours proche de lui, repris sa discussion avec ceux de son âge. Les enfants semblaient jouer à se mettre dans la peau de personnages de l’Histoire de Westeros et Robin venait de décréter fièrement qu’il serait pour sa part Ser Artys Arryn et commanderait ses troupes de cavaliers en montant son cheval ailé. Artys Arryn, fondateur de leur noble maison, était l’un des personnages favoris de Robin, qui possédait une impressionnante collection de contes et de légendes de chevaliers idéaux, que sa mère n’avait jamais refusé de lui lire, qu’il soit souffrant ou en pleine santé.

« Votre oncle…C’est un sacré personnage. », déclara Lysa, crevant l’abcès. « Je n’ai pu m’empêcher de remarquer votre malaise, Lady Teora, aussi, soyez rassurée ; ni vous, ni les autres membres de votre noble maison ne sont à mes yeux à blâmer pour…la détermination de messire Eustace. », la rassura Lysa avec bienveillance. C’était par politesse, comme pour ne pas gêner davantage Lady Teora, que la dame du Val avait opté pour le terme de détermination plutôt que pour celui d’insistance, qui cependant, se prêtait bien mieux à la situation…

Etait-ce le respect que Lady Teora lui portait qui lui donnait cette apparence si timide ou était-elle comme cela de nature ? Dans sa jeunesse, Lysa avait été une jeune fille réservée et aisément embarrassée, qui ne se sentait véritablement à l’aise qu’en présence de ceux qu’elle connaissait vraiment. Lorsqu’un banquet était prévu, lorsque des invités devaient être reçus à Vivesaigues, Lysa s’en réjouissait. Mais, une fois les festivités venues, elle ne pouvait qu’envier l’aisance et le charisme de sa sœur, quand elle, pour sa part, ne savait que rester en retrait, discrète, parfois même cachée.

C’était il y a longtemps, cela dit, et en la regardant aujourd’hui, à Lestival, il était difficile de deviner que Lysa avait été une jeune fille si timide. Le pouvoir, de fait, avait de quoi changer une femme. Qu’elle était la dame la plus puissante du Val, Lysa en avait bien conscience et le sentiment de sécurité que cela lui procurait lui était indéniablement agréable. Elle oscillait pourtant, entre craintes et confiance, comme elle oscillait depuis des années entre bonheur aussi soudain que furtif et désespoir incessant.  Robin était tout ce qu’elle avait et si souvent, les racontars qui parvenaient à ses oreilles le dépeignaient comme un enfant chétif, qui ne vivrait probablement pas longtemps… Lysa levait les yeux au ciel, décidée à prouver au monde entier la fausseté de leurs funestes prophéties. Mais, son assurance était autant une façade qu’un mensonge qu’elle se répétait à elle-même. Car si vraiment, la veuve Arryn était si confiante quant à l’avenir de son fils, alors pourquoi le protégerait-elle autant ?...

« Le comportement de mon oncle est vraiment grossier et honteux pour notre famille. Je ferais part de votre sollicitude à mon grand-père. », dit la jeune lady.

« Oh, si cela peut vous rassurer, il n’est pas le seul », répondit Lysa. Elle était la veuve la plus riche et la plus puissante de Westeros. Cela avait indéniablement de quoi attirer convoitises et opportunistes. Si la dame du Val ne pensait absolument pas à épouser l’un de ses prétendants, est ce que cette attention, bien que tout à fait intéressée, elle en avait pleinement conscience, la dérangeait vraiment ? Venant d’Eustace, oui, sans doute car elle trouvait le personnage presque insupportable. Mais, ces courtisans qui se pressaient autour d’elle pour gagner ses faveurs ne faisaient que refléter l’importance de son propre pouvoir et ce pouvoir…Et bien, elle l’affectionnait bien plus qu’il ne l’effrayait.

« C'est votre premier tournoi, ma dame ? », demanda Lady Teora. Cette tentative de redirection de la conversation ne passa pas inaperçue à Lady Arryn, qui en comprit évidemment le sens… Teora était l’héritière d’un héritier, aussi avait-elle tout intérêt à gagner en confiance et en assurance car ce que vivait Lysa aujourd’hui, la Veneur le connaîtrait sans doute aussi, à moindre mesure. C’était là le lot des femmes d’important statut. Cependant, elle n’était pas là pour faire la leçon à la demoiselle et ne souhaitait pas embarrasser davantage une loyale et respectueuse vassale de la maison Arryn.
« Oh non, point du tout. », répondit Lysa. Après tout, la veuve Arryn avait déjà trente-quatre ans. « J'étais à Harrenhal lorsque j'avais quatorze ans.», dit-elle. A l'époque promise à Jaime Lannister, Lysa avait bel et bien assisté à ce très célèbre tournoi, où Lyanna Stark s'était vue couronnée reine d'amour et de beauté. Une humiliation pour cette pauvre princesse Elia Martell...

« Oh, mon grand-père y était avec sa cousine. Je ne sais pas si vous l'avez rencontrez, Janyce Veneur, elle a épousé Edwyn Frey. », lui répondit Lady Teora. Harrenhal avait été un grand tournoi et du monde était venu de partout dans les Sept Couronnes pour y assister. Certains y voyaient une opportunité pour nouer une collection de relations et rencontrer de nouvelles personnes…Mais, à cette époque-là, Lysa était encore la jeune fille timide qu’elle avait un jour été. Aussi était-elle essentiellement restée auprès des siens, contrairement à ce qui avait été prévu. Car ce qu’elle avait prévu, comme toute fiancée pouvait l’espérer, était de profiter de l’occasion donnée par ce tournoi pour discuter avec Ser Jaime Lannister. Elle espérait apprendre à le connaître davantage, comme elle espérait lui plaire et s'il l'aurait fallu, et que lui même ne serait pas venu à elle, elle aurait pris le taureau par les cornes et aurait tenté de lui adresser un mot. Il le fallait bien ; à l'époque, il était supposé devenir son époux, et la jeune Tully aspirait à un mariage heureux. Cependant, le jeune chevalier avait surpris tout le monde en choisissant soudainement de renoncer à son héritage pour un poste de manteau blanc, rompant toute possibilité d’alliance.

Pour ce qui était des Frey, la dame du Val avait beau être née conflanaise et avoir bien connu cette famille, elle peinait toujours à se rappeler qui était qui au sein de cet enfer de généalogie compliquée. Le Tardif avait eu bien des enfants et continuait à en avoir d’autres alors que ses propres enfants ne chômaient pas en la matière…De quoi s’y perdre, vraiment. Cependant, elle savait qui était Edwyn Frey, comme elle savait qui était son épouse Janyce Veneur. Les rumeurs ne les épargnaient pas, malheureusement...En effet, il se racontait que la valoise était infidèle à son époux, lui préférant l'un des plus ambitieux Walder que la famille des Jumeaux connaissait...

« Oh, vous savez, il y avait bien du monde à Harrenhal...», répondit-elle donc. Elle aurait pu ajouter qu’elle était essentiellement restée auprès des siens, mais elle ne le fit pas. Il y avait longtemps qu’elle avait pris la « bonne » habitude de ne pas mentionner son ascendance Tully en public, même si celle-ci était connue de tous. Après la très grande part qu’avaient les Tully menés dans la rébellion, allant plus dans la révolte que nulle autre famille,  avoir porté ce nom n’était point chose idéale à mentionner. Arryn était un patronyme bien plus respecté ; malgré la participation de Jon dans la rébellion, lui n’était point allé jusqu’à la capitale et puis, c’était le refus de livrer ses pupilles au roi qui l’avait contraint à se rebeller, ce qui de toute évidence, semblait pour beaucoup un acte noble, au-delà de la désobéissance que cela impliquait...

« La première fois que vous quittez le Val, vraiment ? Et bien, cela doit beaucoup vous changer. », répondit Lysa. « Avez-vous fait d’agréables rencontres ? », lui demanda-t-elle. Si cela était la première fois que Teora quittait le Val, c’était peut-être aussi la première fois qu’elle rencontrait des orageois, des couronniens ou des bieffois.

« Oui vous avez raison, cela est assez différent du val. Je ne pensais pas avoir un jour la chance de voir le reste de Westeros. », dit la jeune femme. Des tournois, il y en aurait sans doute d’autre, pensa Lysa. Cependant, Lady Teora était l’héritière d’un héritier et son avenir n’était point dans une autre contrée que la sienne mais ce ne serait pas demain que la jeune femme serait en charge du fief de sa famille. Son père la devançait tout naturellement dans la ligne de succession.

« Lestival a son charme, c’est vrai. Le Grand Architecte du roi a fait du bon travail pour redonner vie à ces ruines. », lui répondit poliment Lysa, tout en surveillant son fils et surtout les enfants qui entouraient son fils. Pour sa part, Lady Arryn n’avait point l’âme d’une aventurière. Elle appréciait ce tournoi et était contente d’être là, certes, mais elle savait qu’elle serait aussi très contente de rentrer chez elle. Après tout, il y avait pire région que le Val pour vivre sa vie. Née conflanaise, la veuve Arryn avait passé plus de temps aux Eyriés ou aux Portes de la Lune qu’à Vivesaigues, dans le château qui l’avait vue naître…Sa relation avec le Val n’avait pas débuté idéalement, pourtant. Au début, elle s’y était sentie isolée, esseulée. Cela avait d’ailleurs été le cas assez souvent dans sa vie d'épouse. Mais, elle avait trouvé une certaine sécurité, paradoxalement, dans ces montagnes et avait fini par s’y sentir chez elle. Et aujourd'hui, cela ne faisait absolument aucun doute ;  elle y était bel et bien chez elle, c’était son royaume, après tout. Vivre ailleurs, elle ne le souhaitait pas. Tant mieux, cela n'était point prévu.

Lady Teora commença à lui répondre puis s’interrompit soudainement. Hésitante, la jeune valoise semblait souffrir d’un grand manque de confiance en elle. Lysa avait été timide, dans le passé, certes. Mais, pas à ce point...Et puis, elle était très jeune à l’époque. Teora avait déjà plus de vingt ans. La tentative d’empoisonnement qu’elle avait vécu était-elle en partie responsable de sa difficulté à sociabiliser ? En tout cas, par les Sept, il faudrait qu’elle parvienne à passer outre cela pour assumer son rôle d’héritière de son père ! Et que dire du mariage…Si Teora ne prenait pas davantage confiance en elle avant d’épouser un homme, il lui dicterait sans peine sa conduite, et prendrait le contrôle de son fief en un clin d’oeil, à moins qu’elle n’ait l’incommensurable chance de tomber sur quelqu’un d’aussi désintéressé par le pouvoir que doux et compréhensif. Mais, les hommes étaient rarement faits ainsi…

Quel dommage cela serait ! Cela n’était pas donné à toutes les femmes d’être destinée à gouverner. Certes, cela sous-entendait une collection de responsabilités sérieuses et parfois oppressantes. Mais, le pouvoir venait avec bien des avantages également. Et cela serait bien triste qu’ils échappent à Teora au profit d’un homme plus confiant et charismatique, plus à même à diriger, et ce, qu’il s’agisse d’un époux ou d’un parent ambitieux. Il était temps, sans nul doute, que la demoiselle prenne le taureau par les cornes et parvienne à s’affirmer. Mais, déjà, elle reculait, s’excusant alors qu’elle n’avait pas à le faire puisqu'elle ne s'était point mal comportée...

« Comme vous voudrez. », répondit Lysa avec un sourire poli. Lady Teora ne l’importunait pas, mais elle n’allait pas tenter de la retenir pour la mettre plus mal à l’aise encore. Elle aurait pu lui donner son conseil mais la jeune femme paraissait déjà bien mortifiée par la gêne, aussi, elle renonça, estimant que le moment n’était point idéal pour cela. « Profitez bien des festivités, Lady Teora. », lui souhaita-t-elle, sincère et laissant la jeune valoise s’éloigner, elle reporta toute son attention sur son fils bien aimé.