Mistakes are always forgivable, if one has the courage to admit it - ft. Edrick

Seule, Lyanna ne l’était plus. Depuis la mort de Maege il y a maintenant quatre lunes, bien des choses s’étaient passées. Elle avait sombré, s’était éloignée de tous et de toutes, n’était devenue plus que l’ombre d’elle-même et avait même eu envie de mourir. Puis, la voie de la raison, de la guérison et la petite oursonne changea du tout au tout. Cela ne se fit pas sans malheur et il fallut bien l’arrivée d’Arya et de Lyra pour que la jeune Mormont aillent mieux. La présence de ses sœurs, Dacey, Alysane et Jorelle n’avaient guère eu l’effet escompté. Leur passage auprès de leur jeune sœur était peut-être trop tôt. Lyanna était encore enfermée dans son chagrin et sa souffrance. Désormais, quatre lunes plus tard, elle rayonnait, souriait à la vie, avait commencé un travail de deuil et avançait dans la voie de la guérison pour le plus grand bonheur de son entourage. Alesta et mestre Ormund étaient si fiers d’elle. Arya ne la quittait pas d’une semelle. Lyra était heureuse d’avoir retrouvé sa petite sœur et cela était réciproque. La petite oursonne avait également fait un pas vers ses autres sœurs. Il fallait qu’elle renoue le contact, le lien qu’elle avait elles. C’était important. Pour elle et pour Maege. Son souvenir planait encore au-dessus de leur tête, c’était normal. Et maintenant qu’elle regardait devant elle, elle était prête à avancer, à mener une vie sans Maege Mormont comme elle l’aurait voulu. Elle gardait bien évidemment la dague qu’elle lui avait offerte près d’elle, du moins, elle avait pu la récupérer quand son état s’est amélioré au vu des antécédents. Quoiqu’il en soit, c’était une Lyanna enjouée qui s’était levée ce matin-là. Et tandis que la dixième lune se dirigeait vers sa fin, l’ombre approchant à grand pas sans que personne ne s’en rende vraiment compte, Lyanna, sortant de la demeure des Mormont, se retrouva nez-à-nez avec Edrick.

« Maege est morte. » Ces mots. Ses mots. Ils lui revinrent en tête comme un énorme coup de vent, pire un coup de poing en plein visage. Face à l’homme qui avait annoncé la mort de la matriarche, Lyanna se figea, les joues rouges, le regard fixe. Elle ne s’attendait pas à le croiser, elle qui faisait tout pour l’éviter tout comme elle évitait Marthe. Malgré les tentatives d’Arya, d’Alysane puis de Jorah, Lyanna ne se sentait pas encore prête, malgré tout ce temps à faire face à ces deux-là. Non pas qu’elle le leur en voulait toujours mais elle s’en voulait à elle-même d’avoir réagi de la sorte. Certes, elle avait perdu sa mère, elle était détruite, décomposée, n’étant plus que l’ombre d’elle-même. Mais cela ne l’avait pas autorisé à gifler Edrick et encore moins à malmener et insulter sa pauvre nièce. Que dirait Maege ? Qu’aurait-elle dit ? Lyanna ne le savait que trop. Elle ne bougea pas, ne fuit pas, ne parla pas. Rien. Elle ne fit rien et resta figer pendant de longues minutes face à lui, les souvenirs remontant en elle petit à petit. Elle se revoyait le frapper encore et encore et encore. Sa main prenant de l’élan fendait l’air et claquait la joue d’Edrick. C’était bien évidemment impossible mais Lyanna avait l’impression de voir la marque de sa main sur son visage. Que faire ? Que dire ? Que penser ? Fuir ? Lyanna ne pouvait indéfiniment fuir ses responsabilités. Cela faisait quatre mois, il était peut-être temps de tourner la page, affronter celui qu’elle avait fui. Il devait lui en vouloir terriblement. Malgré les dires d’Alysane, Edrick devait lui en vouloir de son comportement, de ses mots. Comment avait-elle pu douter du fait qu’Edrick n’ait pas tout essayé pour ramener Maege ? Lyanna baissa alors le regard, une larme s’en échappant. Elle avait honte et était gênée. Elle n’osa rien dire puis décida finalement de passer son chemin, espérant tout au fond d’elle qu’il la retienne...

Lyanna dépassa Edrick, sans un regard, sans un mot. Elle n’était pas prête. Pas encore. C’était trop tôt. Elle l’entendait encore annoncer la mauvaise nouvelle, le corps fatigué, l’esprit épuisé dans cette salle. Pris de tremblements, il s’était vu alors gifler par Lyanna. Elle s’en voulait tellement. Edrick n’avait été que le messager de cette mauvaise nouvelle. Ce n’est pas sa faute si Maege Mormont avait été assassinée. Il n’y pouvait rien. Et quatre lunes après, elle ne lui en voulait pas lui mais bien à elle, pour son comportement, pour l’avoir pensé paresseux. Alors qu’elle croisa son regard quelques secondes plus tôt, elle se figea comme si elle avait vu un fantôme et préféra finalement fuir, fuir loin. Mais elle sentit alors une main saisir son poignet et elle n’eut d’autre choix que de se retourner et faire face à Edrick qui lui souriait.

- Bonjour Lyanna.

- B’jour, Edrick…

-J’suis content de te voir debout.

Il ne semblait pas avoir de la haine, ni ne semblait lui en vouloir. Lyanna s’imaginait déjà recevoir toute une troupe de reproche qui la ferait sentir plus bas que terre. Elle avait vécu un enfer ces quatre dernières lunes et, bien qu’elle assumât ses actes passés, elle n’avait pas envie de recevoir des reproches, pas aujourd’hui, pas alors que sa santé mentale semblait guérir, que son corps reprenait des forces. Et face au sourire d’Edrick, qui n’avait pu l’air d’un vagabond et qui semblait lui aussi guérir de ses blessures.

- De c’que j’vois… T’as l’air en forme, la présence d’la p’tite louve te fait du bien.

- Oui, beaucoup.

- C’bien pour toi. J’aime te voir comme ça p’tite ourse.

Lyanna esquissa un sourire et plongea son regard dans celui d’Edrick. Il était temps de relever la tête et ne plus regarder l’herbe qui pousse. Maege était morte. Lyanna avait enfin accepté ce fait. Il fallait avancer. Elle sourit en retour à Edrick. Ses mots étaient réconfortants. Il ne lui en voulait pas, cela se voyait. Elle se dit alors qu’elle avait du bol. Elle ne voulait pas, au vu de ces dernières lunes, être vue comme une créature de l’ombre, avec d’immenses cornes, sombrant de plus en plus. Elle invita alors le jeune homme à marcher un peu. Se dégourdir les jambes lui faisaient un bien fou. Étant nerveuse, cela l’empêcherait également de tapoter du pieds. Regardant l’horizon, la merveilleuse collection de paysages que leur offrait l’Île-aux-Ours, Lyanna finit par rompre le silence, désireuse de briser la glace entre eux, glace qu’elle entretînt depuis sa dépression.

- Je suis… désolé, Edrick. Pour… la gifle. Pour… toutes ces lunes d’ignorance.

Marquant une pause, s’éclaircissant la gorge, fixant son regard vers l’horizon, Lyanna revoyait dans sa tête les images de sa gifle. Elle en avait eu mal à la main jusqu’à son réveil. Cette culpabilité la rongeait et elle devait l’extérioriser, se faire pardonner par Edrick et se pardonner à elle-même.

- J’espère que tu sauras me pardonner...

Elle ne savait que dire d’autres. Elle s’excusait beaucoup ces derniers-temps et cela n’était guère dans ses habitudes. Mais, elle avait fait vivre aux gens sur l’île des lunes insupportables et se devait de réparer ses erreurs. Ce n’était guère une position idéale pour elle mais elle devait s’en accommoder. Le mestre la félicitait tous les jours pour ses efforts et ses améliorations. Son état physique s’était amélioré. Son état mental semblait lui aussi guérir, doucement mais sûrement. Maintenant, il fallait que Lyanna répare son cœur.

- Y a rien à pardonner Lyanna.

Lyanna ne pensait pas qu’Edrick avait pu ne pas tenir compte de son comportement. Elle s’en voulait tellement pour ça. C’est alors qu’il l’attira dans ses bras et elle profita de cette étreinte pour tout lâcher. Il fallait avancer et si malheureusement elle n’arrivait pas à se pardonner, elle était heureuse qu’Edrick l’ait fait. Cela signifiait beaucoup pour elle. C’était une bien difficile période depuis la disparition de Maege. Elle se relevait à peine de cette épreuve et il lui fallait renouer avec les membres de sa famille. C’est ce qu’elle avait fait, épaulée par Arya et même Jorah. Il n’y avait que Marthe avec qui elle ne s’était pas entretenue depuis leur altercation à la toute fin de la lune 6. Là encore, elle s’en voulait terriblement mais elle ne savait pas comment remédier à cela. Elle avait honte et avait peur que Marthe ne lui parle plus jamais. Quoiqu’il en soit, elle avait réussi à faire face à Edrick, un peu par défaut car si elle ne l’avait pas croisé, elle n’aurait sûrement pas fait un premier pas vers lui. Elle sentait sa bienveillance et être dans ses bras lui avait fait du bien. Elle lui sourit lorsqu’il caressa sa joue mais était incapable de prononcer un seul mot. Elle n’avait d’ailleurs pas besoin de le faire puisque le compagnon d’Alysane poursuivit.

-J’t’ai pardonné au moment où j’ai rouvert les yeux. J’crois que j’aurais été dans l’même état qu’toi. J’ai été dans l’même état.

Cet homme était parfait. Alysane avait de la chance de l’avoir et Lyanna, bien que loin de toutes ses histoires de famille, mariage, enfants, aussi jeune soit-elle, se disait au fond qu’un jour, elle aimerait aussi avoir un compagnon comme Edrick. Lyanna l’avait baffé, lui avait hurlé dessus comme à un chien ou à un vagabond. Elle le regarda dans les yeux et sentait toute sa culpabilité, tout son chagrin de ne pas avoir pu ramener Maege.

- T’sais… j’aurais aimé la ramener… La ramener chez elle. L’Bolton il a lancé ses chiens. Des trucs qui ont l’habitude de bouffer d’l’humain. J’ai fuis. C’était lâche d’ma part… Mais j’me suis dis qu’si j’revenais pas… personne aurait rien sut. P’tre que ça aurait été pire. Mais… Ta mère s’est battue. Jusqu’au bout. Elle s’est pas laissée faire…

- C’tait la meilleure chose à faire, Edrick… Maege n’aurait jamais voulu qu’tu restes pour elle...

Cela lui aurait coûté de dire ça quelques semaines plus tôt mais c’était la vérité. Elle en était désormais consciente. Jamais elle n’aurait laissé Edrick se faire tuer. Celui se massa alors l’épaule. La douleur devait être encore présente. Il était revenu blessé. Cela la peinait de le voir comme ça et posa alors une main tendre sur son bras, le regard plongé dans le sien et le sourire aux lèvres – devenu une véritablement habitude pour la petite oursonne au caractère bien trempé. Elle l’écouta attentivement, le jeune nordien poursuivant son monologue.

- J’la vois encore. Parfois elle, parfois Alysane, mes enfants à sa place. Ça quitte pas ma tête. J’crois… j’crois que j’étais aussi en colère contre moi qu’toi tu l’étais contre moi p’tite Ourse. T’as pas à t’excuser pour la claque, ni pour m’avoir ignoré. J’tais malade à un moment aussi. Puis Alysane voulait pas trop que j’vienne. On a été tous les deux malades.

- Cela n’excuse pas le geste qu’j’ai eu ni la façon dont j’t’ai parlé.

Elle marqua une courte pause, forçant pour que ses larmes ne coulent pas. Elle soutint le regard d’Edrick et voulait affronter ce regard, son regard. Il lui avait pardonné mais elle n’arrivait pas à se pardonner.

- Q’tu m’pardonnes. C’est que’qu’chose à laquelle j’m’attendais pas. J’pensais pas qu’tu s’rais en m’sure d’le faire. J’n’arrive pas à m’le pardonner moi-même...

Elle le regarda mais le chagrin était trop fort. Elle revoyait encore et encore cette scène où elle le giflait, lui hurlait dessus, l’accusait de la mort de Maege. Lyanna laissa couler quelques larmes et se blottit dans les bras d’Edrick. La mort de Maege l’avait éprouvé. Si elle avait réussi à remonter la pente, parfois, dans certains moments, certaines situations, le chagrin revenait. Elle pleurait un moment. Elle repensait à toutes ces semaines de cauchemar, vivant un véritable enfer.

- C’est si difficile, Edrick…

La dépression l’avait changé, c’était le moins qu’on puisse dire. Lyanna n’était plus la même depuis quatre lunes. Grâce au mestre, à Alesta, à Arya et désormais à ses sœurs, à Jorah, elle n’était plus la même. Elle avait grandi. Elle avait mûri. Cette année 302 marquerait le début d’un nouveau chapitre pour Lyanna. Celui de la maturité. Elle avançait en âge, se dirigeant avec force et courage vers ses treize ans. En attendant, elle suivait le bon chemin, celui de la guérison, celui de la rédemption. Elle avançait à son rythme, reprenait goût à la vie, reprenait ses habitudes. La jeune oursonne se retrouva une nouvelle fois dans les bras réconfortant d’Edrick. Il lui était difficile de se pardonner mais si Edrick avait pu le faire alors pourquoi pas elle. Il était si gentil, si attentionné. Elle ne méritait pas tant de considération. Elle se blottit contre lui et sécha ses larmes, calmant son chagrin, reprenant ses esprits. Lyanna était une ourse, une battante. Arya lui avait montré à mainte reprise qu’elle était forte, plus forte qu’elle ne le pensait. Alesta l’avait reboosté. Le mestre l’avait accompagné. Avancer était le maître mot de la jeune fille. C’est alors qu’Edrick lui adressa quelques mots, souriant et la berçant, ce qui avait l’effet de la calmer, de calmer son chagrin et de l’apaiser. Lyanna était forte mais encore fragile par moment. Il fallait du temps. Le cœur cicatrisait bien difficilement. Lyanna l’avait appris à ses dépens. Relevant la tête, tout en restant dans ses bras, la petite oursonne demeura attentive.

- T’as vraiment cru que j’pourrais pas d’pardonner ?

- P’t-être…

- T’sais, c’était qu’une claque. J’me souviens pas trop de c’que t’as pu m’dire. J’étais trop dans les vapes pour ça.

Et ce n’était peut-être pas plus mal. Sur le coup, Lyanna non plus ne se souvenait guère de ses mots mais elle savait qu’elle avait dû être méchante et tranchante. Elle avait un sale caractère. Ajoutant à cela le chagrin immense et dévastateur, Lyanna ne s’était plus contrôlée et avait cédé à cette pulsion.

- C’toujours dur de s’pardonner, on a eut des regrets t’sais… Mais on peut pas y faire grand-chose. Faut s’dire que si l’autre a pu pardonner… C’était que c’était pas si grave.

- J’essaierai, promis...

Mais cela demeurait encore difficile pour la petite Mormont. Elle s’éloigna alors d’Edrick, brisant l’étreinte, reprenant son souffle et son calme. Chassant les dernières larmes de ses joues, elle put alors reposer son regard sur l’homme. Il semblait aller mieux. Il semblait s’en remettre lui aussi, du moins physiquement. Psychologiquement, c’était toujours difficile pour les nordiens insulaires. La perte de Maege avait laissé un grand vide sur l’île, un vide que personne, pas même Dacey, pouvait combler. Adressant un faible sourire, elle finit tout de même par lui poser une question.

- C’ment vas-tu, Edrick ? J’veux dire… ton épaule…

- Elle est encore un peu raide comme t’peux voir, mais j’ai plus mal d’tout. Tout comme la morsure, tout a bien guéris. J’ai eu d’la chance, mais j’peux manier mes haches comme je veux, je les aiguise bien aussi.

Lyanna sembla alors rassurée de voir qu’Edrick s’en remettait plutôt bien. Elle lui adressa un large sourire. Elle lui emboîta le pas et tous deux reprirent la marche ensemble. L’air frais faisait du bien. L’enfer semblait être désormais derrière elle et Lyanna profitait de chaque jour qui passait, remerciant les Anciens, remerciant ses sœurs, remerciant Arya et Jorah. La présence de tous ces gens autour d’elle l’avait aidé à guérir, à avancer, à accepter, à ne pas abandonner. Si par moment, elle s’était montrée paresseuse, elle était désormais bien déterminée à reprendre sa vie en main. Regardant Edrick, elle remarqua alors son menton rasé. Il est vrai que ces dernières semaines, elle ne l’avait guère vu, préférant l’éviter. Il y eut tout de même une fois où elle l’aperçut tandis qu’elle regardait dans le vide à sa fenêtre. Il arborait à ce moment-là quelques poils sur son visage, ce qui n’était plus le cas désormais. Et en effet, il pouvait se raser disait-il prenant comme prétexte ses garçons qui clamaient que leur père piquait. Cela fit rire doucement la petite oursonne qui imaginait ses jeunes neveux, Joer et Benjen dans sa tête ainsi que le jeune Lydrick, encore un bébé. Et le sujet qu’elle redoutait, arriva. Elle ne pouvait y échapper. À la mention de son prénom, Lyanna se ferma complètement, effaçant le sourire qu’elle arborait jusqu’ici, se remémorant alors son altercation avec sa jeune nièce. Elle aurait voulu oublier tout ça mais tous ces souvenirs faisaient partie d’elle désormais. Elle guérissait, oui. Elle oubliait, non, jamais. Elle ne le pourrait pas. Cela la remettait tellement en question sur ce qu’elle pensait, ce qu’elle était, ce qu’elle paraissait être. Continuant à marcher, elle finit par lui répondre.

- Ouais… On s’est battu… Mais… j’suis pas allée la r’voir d’puis… J’voulais pas qu’elle m’voit comme ça…

Lyanna regardait devant elle, fixant l’horizon. Elle revoyait sa jeune nièce à terre mangeant la poussière. Elle se revoyait lui hurler dessus, rejetant la faute sur son père et elle. Une larme, encore, s’échappa de son œil. Elle la chassa immédiatement. Il était hors de question qu’elle pleure, pas maintenant, pas pour ça. Elle devait assumer. Elle devait avancer. Si elle avait pu faire face à Edrick, elle pourrait faire face à Marthe. Elles étaient si proches, si amies, si sœurs oubliant alors leur lien familial de base, demeurant plus proches au fur et à mesure qu’elles grandissaient. Lyanna était bien évidemment consciente qu’elle était la fautive, qu’elle n’aurait jamais dû s’en prendre à Marthe de la sorte. Elle s’en voulait. Elle culpabilisait. Elle avait peur. Elle avait peur que sa nièce ne veuille plus lui parler. Elle avait peur qu’elle la renie, qu’elle l’oublie, qu’elle ne lui pardonne jamais. Mais pour savoir cela, il fallait bien aller la voir. Et si même Arya et Jorah n’avaient guère réussi à la convaincre jusqu’ici, difficile de croire qu’Edrick le pourrait...

- C’ment va-t-elle..? J’m’en veux tell’ment, t’sais. J’ose pas aller la voir comme j’osais pas aller t’voir. J’avais trop honte… J’m’en veux d’c’que j’vous ai dit… fait…

Elle ne pleurait pas. Aucune larme ne coulait mais son visage exprimait sa tristesse, sa culpabilité, son chagrin. Sa nièce… son amie… sa meilleure amie… sa sœur lui manquait. Elles partageaient tellement tout ensemble. Elles étaient l’idéale de l’autre. Elles s’aimaient, se protégeaient, se consolaient, s’engueulaient mais jamais elles n’en étaient venues aux mains, aux insultes, aux reproches de la sorte. Peut-être était-il temps pour Lyanna de mettre de côté sa peur avant de perdre complètement Marthe.

Marthe Mormont était une sacrée petite nordienne. Tout comme Lyanna, elle avait un sacré caractère et elle ne se laissait rarement faire. Edrick lui dit même qu’ils s’étaient fâchés plusieurs fois. Les lunes qui s’étaient écoulées avaient probablement été difficiles pour Marthe aussi. Elle avait perdu sa grand-mère. Elle aussi faisait face au deuil, comme tout le monde sur l’île. Lyanna avait mis bien du temps à la comprendre. Edrick lui conseilla alors d’aller parler à Marthe. Son visage était fermé et elle ne disait mot, laissant le nordien la conseiller et lui dire la vérité. Leurs retrouvailles pourraient être comme la dernière entrevue. Lui en coller une ? Lyanna ne sourcilla même pas à ces mots. Elle était prête à recevoir ce qu’elle méritait. Elle avait déçu son amie, l’avait frappé, avait cassé leur lien. Elle devait désormais en payer le prix. Edrick était attentionné et Lyanna en était bien consciente. Elle acquiesça même lorsqu’il rappelle qu’elle avait son caractère. Marthe était une petite brute. La petite oursonne l’aimait pour ça et un sourire s’afficha brièvement sur son visage. Elle repensa à tous ces moments passés avec elle, aux quatre cents coups qu’elles avaient commis ensemble, à tous les secrets qu’elles avaient partagés. Continuant leur marche au gré du vent, Lyanna ne cessait de penser à sa nièce. Elle resta silencieuse quelques minutes puis Edrick rajouta quelques mots. Il lui assura que Martha l’aimait beaucoup, ce que Lyanna ne doutait guère. C’était un amour indestructible qu’il y avait entre elles. Elles avaient grandi ensemble. Malgré tout ce qui avait pu se passer, Lyanna aimait encore Marthe et ne voulait qu’une chose : se réconcilier avec elle. Mais la culpabilité, la peur et le chagrin l’en empêchaient. Tout le monde autour d’elle avait raison mais sa peur prenait le dessus sur tout le reste.

- J’sais. Et j’l’aime aussi…

Ils arrivèrent à un endroit que Lyanna reconnut tout de suite et qui la fit s’interrompre. C’était là qu’elle rejoignait souvent Marthe. Ce n’était pas un endroit secret puisque proche de la route qui allait de la demeure des Mormont au port mais elles s’y donnaient rendez-vous souvent. Lyanna se souvint alors être revenue, une fois, il y a de cela une lune. Elle n’y avait pas trouvé Marthe et avait pleuré toutes les larmes de son corps. Ce jour-là, elle fut retrouvée par Arya, encore une fois, en pleurs, clamant qu’elle avait honte, que Marthe ne lui pardonnerait jamais, qu’il était trop tard. Il n’est jamais trop tard. Le mestre le lui avait dit. Alesta le lui avait dit. Arya le lui avait dit. Et encore aujourd’hui, Edrick tentait de lui faire comprendre. Elle répondit à son sourire par un autre, rouvrant ainsi son visage, ne demeurant plus dans cet été dépressif à la moindre mention d’un sujet triste. Elle finit alors par reprendre calmement tandis que son regard quittait cet endroit pour se replonger dans l’horizon qui s’étendait face à eux.

- J’ai peur. J’ai peur qu’elle m’pardonne pas. Parfois, on peut aimer des gens sans réussir à leur pardonner…

Elle marqua une courte pause, gardant son calme, ne cédant pas au chagrin qui montait en elle. Elle reprit ensuite.

- J’ai trahi not’ lien, Edrick. J’m’suis laissée emporter par mon chagrin et j’lui ai fait du mal…

Il était une nouvelle fois difficile pour la jeune oursonne de se le pardonner. Maintenant qu’elle se rendait bien compte de son état des dernières lunes. Mais il viendrait un temps où elle sera obligée de croiser Marthe. C’est par ailleurs un exploit si jusqu’ici les deux filles ne se soient pas encore croisées. Lyanna y était bien sûr pour quelque chose. Les premières semaines, elle les avait passé dans sa chambre et depuis l’arrivée d’Arya, elle faisait tout pour éviter Edrick et Marthe. Mais comme ce qu’il venait de se passer avec Edrick, croiser Marthe pourrait arriver d’un jour à l’autre. Alors autant que ça soit une initiative de Lyanna. Mais la jeune Mormont avait encore du chemin à faire.

Marthe devrait comprendre. Lyanna avait beau se le dire un million de fois dans la tête, la culpabilité était trop forte. Comment pourrait-elle comprendre ? Avec toute l’amitié qu’elles se portaient, leur lien fort et qu’elles pensaient indestructible. Elle accueillit ses conseils avec un sourire tout en continuant à marcher. Edrick était un homme bon. Lyanna gardait donc l’idée d’aller voir Marthe dans un coin de sa tête. Elle voulait en reparler à Arya avant, elle qui insistait également de son côté pour qu’elles reforment le trio qui lui manquait tant. Lyanna le souhaitait également et il fallait qu’elle mette de côté sa culpabilité. Il était temps de passer à autre chose. Tout le monde sur l’île s’efforçait d’avancer. La petite ourse avait fait de même en reprenant des forces, en se faisant aider par Arya, en remontant cette pente glissante. La Lyanna en lune 6 n’avait rien à voir avec la Lyanna actuelle. Si elle avait réussi à surpasser son chagrin, elle réussirait bien à renouer avec Marthe. Après tout, elle venait de le faire avec Edrick alors il n’y avait aucune raison pour que ça ne fonctionne pas avec sa jeune nièce. Elle le ferait quand elle s’en sentira prête mais Edrick lui conseilla de ne pas trop tarder non plus et en cela il avait raison. Cela n’avait d’ailleurs que trop duré. Elles ne se parlait plus depuis près de quatre lunes maintenant. C’était long. Lyanna n’y avait jamais songé pendant ses crises et autres états seconds par lesquels elle était passée mais Marthe lui avait terriblement manqué. Dans les moments les plus difficiles, elle aurait aimé qu’elle soit là.

Ils avancèrent, profitant de l’air frais, admirant les paysages magnifiques qu’offraient l’île. Lyanna sentait un poids en moins en elle. Le fait de parler à Edrick lui avait fait du bien. Elle se sentait mieux, libérée. Certes, sa culpabilité et ses remords étaient toujours présents mais le fait qu’il lui ait aisément pardonné l’avait touché et aidé dans son travail de guérison. Il était si attentionné envers la famille Mormont. Edrick était un homme déterminé et loyal. Alysane avait bien choisi et Lyanna espérait pouvoir un jour tomber sur un homme de la même trempe. Elle lui répondit avec un sourire, le remerciant d’être là pour elle. Il n’était pas aussi présent que pouvait l’être Arya, Alesta, ses sœurs ou encore le mestre mais si jamais elle avait besoin de parler et qu’elle ne pouvait le faire qu’avec lui, elle le trouverait aisément. La grotte. Alysane. C’étaient deux points de repère qu’elle connaissait et avec lesquels elle était sûre de trouver Edrick au bout du compte. Lyanna jeta alors un regard vers lui. Elle l’avait toujours apprécié, avait toujours aimé la façon dont il la traitait bien. Il était en quelque sorte une figure paternelle pour elle comme il l’était pour Marthe. C’était rassurant d’avoir ce genre de lien, elle qui n’avait jamais connu son père. Certes, elle s’en accommodait très bien mais, sans savoir pourquoi, cela la rassurait et désormais, elle savait qu’elle pouvait compter sur lui, comme avant. Elle lui dit alors sur un ton calme et moins timide que ses précédentes interventions.

- Merci, Edrick. Merci, vraiment, d’êt’ là. J’irai voir Marthe, quand j’me sentirai prêt’. T’as raison. Faut qu’j’lui r’parle. Elle m’manque trop…

S’arrêtant, elle lui fit alors face et plongea dans ses bras. Lyanna n’était pas connue pour être la plus câline des Mormont mais on va dire que les choses changent. L’hiver était là, Maege s’en était allée et Lyanna ne sera plus jamais la même dorénavant.