Quiet resource [Celesse & Maddy]

Il y avait ce cliquetis insupportable, clac clac clac clac, clac clac clac clac, clac clac clac clac, ils résonnaient dans la salle à manger avec une telle force que personne ne pouvait l'ignorer. Dans ce même rythme, cette même tonalité, cette même énergie, la marâtre claquaient ses ongles abîmés sur la longue table. Et bien que toutes les autres domestiques la scrutaient avec leurs airs mauvais, elle continuait ce manège. Inlassablement, ses ongles cognaient le bois, encore et encore. Le regard perdu, elle ne semblait pas se rendre compte de son tintinmarre, ni de cette exaspération partagée. La vieille cuisinière se trouvait aux milieux des deux groupes de femmes qui s'affairaient dans la salle à manger. Le premier frottait avec conviction un tissu blanc maculé de tache de vin, tentant désespérément de le sauver, mais dans leurs propres maladresses, des particules de poudre brune s'éparpilla sur le sol. Un drame qui aurait pu éviter, mais les servantes étaient trop concentré sur leurs besognes pour faire attention à leurs gestes. Tandis que le deuxième, dont faisait partie Maddy, nettoyait l'argenterie des Royces.

En réalité, la vieille cuisinière veillait au grain, mimant l’inattention pour surveiller chaque filles qui se trouvaient dans cette grande pièce. De connivence avec la fille du maître d'armes, elle menait une enquête. Une intrigue qui durait depuis quelques lunes déjà, les tenants toutes deux en haleines, mais dont l'avancement restait stérile. De l'argenterie disparaissait. Cela avait commencé avec des cuillères, mais le voleur avait pris le goût du risque, c'était dorénavant des fourchettes qui s'évanouissaient dans les airs. Les deux femmes avaient réfléchi à toutes les possibilités et pour le moment, il n'y avait qu'une hypothèse valable. Une des leurs les volaient. En soit, elles n'étaient nullement choqué pour leurs maîtres, et n'allaient sûrement pas trahir cette personne, car dans cette équipe écliptique, tous se serraient les coudes. Mais pour cela, il fallait être des leurs. Pourtant, cela ne les empêchait pas de se critiquer entres-elles, de lancer des ragots, mais elles fonctionnaient comme ça.

Assise près du feu, Maddy écoutait les autres domestiques se plaindre, oubliant presque la véritable raison de sa présence dans la salle à manger :

- Tu vas voir, on va d'voir la relaver demain.
- Elle l'es tellement mirot, ch'ui même pas sûr qu'elle s'est rendu compte.
- Pfff... En tout cas, elle a bien réussi son coup ! Regarde-moi ça, on en a encore pour des heures.
- Si c'est pour nous d'nner autant de travail en plus, elle aurait pu rester chez elle !
- Ils l'ont p'tet envoyer ici pour s'en débarrasser.
- Au moins, les filles de là-bas doivent avoir moins à faire.
- Moi, j'suis même étonné qu'elle n'est jamais chutée dans les escaliers.

Toutes trois se mirent à rires, sous le regard acéré de la matrone et l'embarras de Maddy. Il était vrai que Celesse était maladroite, mais elle n'y était pour rien. Ce n'était pas de sa faute si ses yeux lui faisaient défaut, toutefois, elle pouvait comprendre le désarroi des domestiques. Mais elle ne souhaitait pas que la conversation dégénère, alors l'insulaire releva la tête de son couteau et annonça d'une voix claire :

- Elle pourrait vous entendre.
- Encore heureux. Sourdes et aveugles, ça serait bein dommage.

Les yeux de la jeune femme se firent plus ronds, abasourdi. Maddy appréciait la jeune femme au teint très pâle, elle activait en la valoise se sentiment maternel. Une fragilité qu'elle voulait protéger.

- Cela suffit. Je suis sûr que vous seriez dans sa situation, vous ne serez pas aussi médisante. Ça ne doit pas être facile pour elle non plus. Elle ne mérite pas dddd...

La fille du maître d'armes s'interrompit violemment, suivant le regard des domestiques qui fixait la porte derrière elle. Celesse était là...

- Lady Froideseaux... Avez-vous besoin de quelques choses ? Dit-elle automatiquement, comblant le blanc gênant.

La situation était gênante. Personne n'osait prendre la parole et encore moins la regarder en face, même si elle ne percevait sûrement pas leurs yeux ronds. Une des domestiques donna un coup de coude à l'autre, l'incitant à parler la première, mais Maddy roula des yeux et se mit debout. Et tout en s'approchant de Celesse, elle annonça :

- Nous vous remercions, mais cela n'était pas nécessaire Lady Froideseaux, vous n'étiez pas obligé de vous donner autant de mal.

Sous ses mots, une des domestiques fit une grimace de désapprobation, car pour elle, la position de Maddy n'était pas la même que la leur. L'insulaire n'était pas dans l'obligation de travailler, elle avait décidé de prendre un rôle plus important auprès des domestiques, de leur donner un coup de main, mais elle était fille de maître d'armes, elle était libre d'être autre chose que servante. Toutefois, elle saluait sa décision, car il était certains que sans la rouquine, elles auraient bien plus de tâches.

- Ça sent drôlement bon, est-ce vous qui les avaient fait ? Demanda-t-elle presque inquiète.

Oui, Maddy savait pertinemment qu'elle était capable de faire des choses, mais n'avait peu foi en ses talents culinaires. Et en plus de cela, la marâtre était resté avec elle durant des heures... Alors soit, c'était elle qui avait réellement cuisiner et auquel cas, elle attendrait les avis de ses comparses, ou alors, le bras droit de la cuisinière avait pris les commande de la cuisine et là, il y aurait sûrement un meurtre.

Le voile de gêne était toujours présent, c'était peut-être pour cette raison que l'insulaire quitta les lieux aussi vite. Avait-elle entendu quelques choses ? Prise tout entière par la culpabilité et par ce sentiment maternel qui l'animait, Maddy déposa le panier sur la table et s'avança :

- Retournez-vous auprès de Lady Royce ? s'hasarda-t-elle.

Elle devait trouver une raison, car elle ne voulait pas la laisser partir toute seule. Du regard, elle vit l'étole d'Alys.

- Est-ce que je peux vous accompagner ? Je dois lui donner cette étole, j'ai fini de la recoudre.