That Nobility Never came From Chivalry | Pv-Wayra Wyl
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That Nobility
Never came From Chivalry
Never came From Chivalry
| Wyl | An 302 Lune 6 |
Ce n'était pourtant qu'un après-midi comme les autres. L'engourdissement du midi avait succédé à la précipitation silencieuse du matin, débarassant les falaises de leurs échos tout en égrainant dans son sillage une pesante sensation de solitude. Le jeune homme déambulait entre les pics rocheux, méprisant les abris et les astuces héréditaires. Il longeait les gorges et faisait avancer son étalon au centre des chemins de pierre plate, où le passage des imprudents avait attendri la rocaille jusqu'à lui donner l'éclat lisse d'une cambrure de femme. Les routes secrètes le répugnaient. Il dédaignait leur usage, à peine conscient de son caprice.
Le vent venu des sommets hurlait et, fouettant de son haleine chaude son visage, ambitionnait d'extraire de ses volutes tourmentées le peu de larmes que renfermaient ses yeux. Le chemin lui était connu. Pourtant, et en dépit de l'âpreté hautaine de ses traits, ses mains gantées de serpent se resserraient maladivement sur les rênes, pinçant le cuir noir comme pour tenter d'en presser quelque chose.
Il se tournait à chaque instant, cherchant un reflet de son soleil; il scrutait l'horizon, les yeux fixes. S'il quittait ce reflet, son esprit commençait à se troubler. Dans ces moments de défaillance, il ne serait pas à même de s'exprimer. Gainé de soie, voilé de gazes, empêtré de colliers d'or et de perles, Wasen avançait sur les terres de son Clan, vaste continent inexploré de montagnes accablées, d'inextricable pauvreté et de malice. Son regard semblait un trait d'obscurité liquide. Quelque fois, un élan spontané le prenait tout entier: il faisait volte face; quand il reprenait la route, il ne savait plus où son cheval le faisait courir. Sur ces terres qui l'avaient vu naître, la sensation de s'être évadé d'un bosquet comme un cerf en quête d'eau battant les bois noirs et les plaines brûlantes ne le quittait pas. Transfuge du camp des forts, le Wyl venait risquer ici sa chance d'être autre chose qu'un produit de ces landes infâmes.
Les champs de pierre cédaient désormais sous le pas de sa monture comme le creux mou d'une vague. Un sentiment de pâleur reposait au creux de ses côtes: Il était presque arrivé.
Déjà, la forme humble et ramassée de la masure se faisait reconnaitre dans l'ombre mince des pics. Les relents de moiteur exhalés par la rivière imprimaient l'atmoshpère. Sa longue silhouette noire et humide se tordait au pied des monts, emmélant son corps liquide aux roches découpées par son court à la manière d'une vipère brune, luisante, qui se retourne et présente parfois son ventre trop pâle pour feindre la mort. Des bêtes brunes lapaient ses eaux glacées. C'étaient les chevaux de son père. Des animaux de valeur, une mince gloire, vanité parmi la décadance du Clan. Un linceul de soie sur un squelette, songeait-il.
Bientôt, une jument rousse lui apprit ce qu'il voulait savoir, et il poursuivit plus avant, cherchant encore. Où est ta maîtresse, ma belle?
Sa soeur, qu'il avait quittée tumultueuse et renfermée, lui avait été rendue à son retour dans un état semblable. Elle ne serait pas facile à trouver. L'envie de la débusquer à la manière des siffleurs de serpents, entre insolence et pragmatisme, reposait toujours dans un recoin de ses pensées. Imiter la trille sévère du sifflement, repérer la tanière du reptile, puis lancer sèchement un galet dans sa direction en espérant lui voir sortir la tête...
"Wayra!" tenta-t-il de l'appeler une première fois qu'il savait déjà vaine. Son regard doux comme une lame caressait les rochers à la recherche d'un mouvement qui lui eut permis de dénicher la chienne.
Le garçon à la taille mince, drapé de soie menthe et ceinturé d'argent sombre jurait terriblement contre l'ocre et la fierté nue des alentours. S'il croyait échapper au fond de cette prison d'apparat aux sollicitations de son clan et de ses victimes, la vie de Wayra n'avait été qu'un long glissement vers le silence ; elle s'abandonnait sans lutter.
"Wayra!"Clama-t-il à nouveau, décidé à aboyer son nom.
Un ordre nouveau grondait à l'horizon. Un objectif supplémentaire pour anesthésier la volonté de son ainée. Définitivement.
Il eut un geste de découragement. Dans cette urgence qu'il imaginait commune, il se sentait maintenant rattaché par une parenté plus intime et plus mystérieuse à cette soeur qu'il pensait avoir peu aimé, et qui revêtait plus souvent le masque d'une ennemie musclée que celui d'une douce confidente.
"Lâche ce carnet et ramène toi, Wayra!" Son ton était plus mielleux, doucement provocant; il la visualisait, assise sur son fauteuil de pierre et de poussière, se gonflant comme un serpent à l'écoute de ses appels répétés.
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Wyl, an 302, lune 6, semaine 2
Wasen Wyl & Wayra Wyl
Il n’y a pas longtemps, j’ai fait un rêve. Je ne m’en souviens presque plus, aujourd’hui. Pourtant, je ne rêve pas beaucoup, ça aurait peut-être dû me marquer. Ce ne fut pas vraiment le cas. Je me souviens vaguement d’un bébé sans visage. Probablement Wyl. Pas étonnant qu’il n’ait pas de traits, je ne me rappelle plus de ce à quoi il ressemblait. Malgré ça, il était charmant et je pouvais sentir qu’il était de bonne humeur alors que je le berçais.
Puis, je me suis réveillée et je me suis rappelée le crâne de mon fils, écrasé par son père.
*
Les Montagnes Rouges étaient magnifiques. Elles s’étalaient comme une couverture de velours carmine sur les sommets et les arêtes avant de s’arrêter tantôt mollement, pour devenir plages ocres, tantôt abruptement, découpées en falaises surplombant la mer bleue de Dorne. Au loin, les voiles blanches, jaunes, oranges et vertes claquaient sous le vent marin, s’éloignant des côtes pour ne plus être que des points colorés à l’horizon. L’image était belle. Poétique. L’esprit d’un artiste aurait pu se laisser conquérir, écraser même par la simplicité charmante d’un tel décor. L’imagination aurait pris le dessus et peut-être se serait-il laissé entraîner dans un tourbillon de songes chamarrés où s’entremêleraient la mystérieuse Dorne et l’au-delà étrange des flots calmes.
L’âme simple de Wayra la bornait à simplement recopier ce qu’elle voyait dans son petit carnet de cuir qu’elle tenait fermement, comme une enfant qui aurait craint qu’on ne lui dérobe son trésor. Comment aurait-il pu échafauder les rivages d’un autre continent alors qu’elle connaissait à peine le sien ? A quoi cela aurait-il bien pu lui servir ? Ces questions ne l’effleuraient même pas. Elle se contentait de dessiner les courbes sinueuses des chemins de chèvre qui descendaient des pics les plus escarpés jusqu’aux petits ports de pêcheurs invisibles. Parfois, le bois sombre qu’elle utilisait pour ses croquis se laissait aller à quelques phrases lapidaire, description sans charme d’un brouillon gris et noir. Elle avait quelques fois vu, sur les marchés, des saltimbanques s’affairer autour d’une toile colorée, les doigts tâchés de couleurs. C’était joli, mais tellement compliqué. Elle n’avait pas envie de s’embêter la vie à se balader partout avec un sac plus lourd qu’elle, chargée de poudres et d’eau.
Juchée sur une crète, à l’ombre d’un balcon naturel de roche, elle profitait du silence uniquement perturbé par le souffle iodé. La brise, oscillant entre légèreté et moiteur, écartait de son visage ses cheveux noirs et semblait déposé sur sa peau une fine couche de sel humide. Lorsqu’elle sècherait, des éclats blancs cristallins se trouveraient emprisonnés dans ses poils sombres. L’après-midi assommant avait rempli Wyl d’une lourde nonchalance. Un sentiment que la brune ne connaissait pas, toujours habitée par ce quelque chose qui l’empêchait trop souvent de fermer l’œil. Elle avait alors fui la langueur pour les brûlantes montagnes, en quête d’une quiétude qu’elle ne pouvait se représenter.
Pourtant, c’est bien le sommeil qui la saisit alors que ses yeux las observaient, une fois encore, le paysage immuable qu’elle ne finissait jamais d’apprendre. Ses muscles, naturellement crispés, se délaissaient et son menton vint caresser sa poitrine. Elle ne lutta pas et reçu l’obscurité de ses paupières comme une bénédiction, une délivrance attendue depuis si longtemps.
Ce fut l’aboiement d’une voix masculine qui la tira méchamment de sa torpeur. Que disait-il ? Elle ne se fatigua même pas à grimacer. Peut-être l’imbécile finirait-il par disparaître. Un berger perdu, peut-être. Les chacals le mangeront.
Il ne s’avoua pas vaincu, beuglant cette fois son nom. Les yeux mauves s’ouvrirent comme ceux d’un rapace ayant repéré un rongeur. Une humeur mauvaise s’empara derechef de la jeune femme. Elle venait non seulement d’être réveillée, mais par Wasen pour couronner le tout. Sa voix pincée aux accents de nobliau décérébré était reconnaissable entre mille. Une furieuse envie de sortir de sa cachette pour lui torde le cou la fit grincer des dents. Elle ne bougea cependant pas, bien décidée à faire la morte. Elle ne savait pas ce qu’il lui voulait, mais elle ne voulait pas parler. Et encore moins avec lui. Un instant, elle regretta que Yev ne soit pas avec elle. Sur un malentendu, en voyant l’enturbanné approcher, peut-être aurait-il mis fin à ses jours en le prenant pour un agresseur. Difficile de prendre Wasen pour un agresseur, mais enfin, l’aînée ne pouvait s’empêcher de se représenter la scène. Le soldat n’étant pas là, peut-être serait-ce elle qui abrègerait la vie de son cadet. Elle en avait souvent rêvé. Et ce d’autant plus qu’elle se l’imaginait, bien heureux de l’agacement qu’il générait chez elle.
La mention de son carnet finit de l’exaspérer. Le blond se moquait souvent d’elle à ce sujet. Et cela depuis toujours. La fille du Roi Sauvage n’avait pas honte de son petit journal, il était la seule trace de futilité et de philosophie primaire qu’elle se permettait. Mais elle n’aimait pas l’air supérieur que prenait son frère lorsqu’il en parlait.
La jeune femme dut se rendre à l’évidence. Wasen ne partirait pas. Pas avant de lui avoir déclaré ce qu’il souhaitait si ardemment lui dire. Résignée, mauvaise et agacée, elle se redressa avec un soupir où se mêlaient exaspération et lassitude. Elle le vit, non loin, arpenter les bords de la Wyl, tout orné d’argent et de vert, deux couleurs qui juraient vilainement avec le paysage. Une verrue, un crapaud, pensa-t-elle.
« Tu t’es décidé à me gâcher chaque moment de tranquillité, hein ? » grogna-t-elle en s’étirant paresseusement.
Elle glissa sur les rochers jusqu’à lui. Les chevaux qui buvaient là se retournèrent vers elle, mais l’identifiant, ils retournèrent à leur besogne en l’ignorant à nouveau. Même Abeyan, ses grands yeux noirs lourds de sommeil, ne broncha pas à son approche.
« Qu’est-ce que tu me veux ? » demanda-t-elle, naturellement sur la défensive.
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| Wyl | An 302 Lune 6 |
Les écrits des Mestres racontaient en creux l'Histoire de ces Montagnes éternellement figées dans son regard. L'encre- comme honteuse- se révolterait certainement au contact du papier. Tous les coeurs étrangers le faisaient, une fois guéris de la sidération première qu'infligeaient ces ruines de la nature. C'était la patrie des ombres. Ce n'était pas la sienne. Dans l'immobilité des coulées de terre rouge, sa figure brillait de toutes les transgressions.
Bercé par le pas lent de son cheval, le dornien, silhouette qui revenait de loin, s'abandonnait à l'attente avec une douceur infinie. Léger, heureux de sa nonchalance, son oeil alangui sourit, vague de souvenirs, lorsque le silence s'ouvrit, enfin crevé par le ton acerbe et reconnu. La moindre approche de son ainée, fut-elle dans de bonnes dispositions, lui faisait l'impression d'une source découverte dans le grès. Nécessaire, fraîche au contact des lèvres. Il n'avait pas suffit d'avoir raclé le sable avec les ongles pour la trouver: elle était insipide. Ce sommet de crâne où s'alanguissait la lourde chevelure noire, qui se soulevait au dessus d'une casse fébrile suffisait à le contenter.
"Jamais un bon mot pour moi! " fit-il mine de se désoler. A nouveau, la pâleur tapie sous son coeur frémit, désagréable. Que de banalités. Cela lui laissait un sentiment nerveux, lourd d'appréhension pesant sur la poitrine. Presque une défaite que, pourtant, il contournait sans un regard pour elle. Comme une truite évite un rocher pour remonter le fleuve, le blond ne s'embarassait pas de ce genre de sentiments. Trente ans n'avaient pas suffit à les lier d'affection. Il avait découvert très tôt, brusquement, que cela ne l'interessait plus. Quelque chose cependant, subsistait entre eux- c'était sa conviction profonde.
Au lieu de rencontrer le regard fraternel, le jeune homme scrutait l'horizon, comme s'il pouvait obliger ses yeux à voir jusqu'à Pentos." Le soleil se couche déjà, c'est affreux. " Soupira-t-il, las. Sa main droite guida le destrier jusqu'à son ainée. Son autre main, nue du gant qu'il venait de retirer, reposait, ouverte, sur la soie de son genou. Régulièrement, cette dernière se levait jusqu'à passer sur le satin vert-d'eau de son turban, sur la ligne duveteuse de sa machoire, sur ses épaules, et la pulpe exercée de ses doigts s'assurait du bon compte de ses perles. Leur éclat crémeux lui était une armure plus digne que les mailles camouflées des voleurs, des serviteurs de leur père.
Un mouvement rond parcourut son épaule; étirement géné qui traduisait le malaise feint, teinté d'une juste hésitation et qui avait moins pour but d'exprimer une maladresse dont Wasen ne se sentait nullement saisi que d'attirer plus près de lui l'attention de Wayra. La vulnérabilité clignait toujours de l'oeil devant la race de Warden."J'étais allé interrogé le Mestre un peu plus tôt dans la journée, et la discussion a dérivé vers un autre sujet auquel je ne m'attendais pas." Wasen, qui jouissait de son entrée dans l'antichambre de l'isolement de Wayra comprenait l'état d'esprit dans lequel elle le recevait par un triste automatisme. L'âme de la fille du Roi Sauvage ne se conformait qu'à sa propre droiture faite de serment, d'aliénation et d'incomplétude. Et de bétise...S'entendit-il siffler au creux de ses pensées. Il brida aussitôt ce cynisme, le retenant prisonnier derrière ses dents. Le sujet qu'il s'apprétait à présenter l'amusait presque autant qu'il le déroutait. Il n'oubliait pas que dans l'ombre toujours secrète de sa soeur, à une époque qui paraissait aujourd'hui lointaine et blanche, au mystère d'être une femme s'était ajouté l'énigme d'être mère.
Sa mine rendue sévère par la gravité des mots qui glissait entre ses lèvres devenait naturellement dédaigneuse en rencontrant l'ombre hautaine que découpait le jour sur son visage."Evidemment père s'est bien gardé de m'en parler; mais je te vois poursuivre tes habitudes, alors je me demandais..." Son menton altier s'était enfin baissé. Exhubérance, hédonisme, opulence; Il aurait voulu d'un monde fait de fêtes perpétuelles dans lequel oublier ces soucis moindres et insupportables. Ce monde cru et vide, écrin de leur discussion, le déstabilisait. Croire poser un pied au dessus du vide ne lui aurait pas fait un effet différent.
"Il va te marier, tu sais?" asséna-t-il soudain. Sa voix était plus sèche qu'il ne l'aurait voulue, résidu de l'intolérance dont il accablait les lacunes de Wayra. Couronnant l'obscurité de son regard jaloux et enjoleur, ses sourcils sables étaient à peine froncés.
Dispersé par la sécheresse et la moiteur de la vallée, l'essence de parfum au creux de son col laissait dans son sillage une odeur de miel chaud, de sel et de résine. Il devinait celui de sa soeur pour l'avoir frolé, parfois avec espoir. Une aura équestre, terrestre. Et peut-être un brin d'humidité craché par la rivière qui se serait déposé dans ses cheveux longs.
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Wyl, an 302, lune 6, semaine 2
Wasen Wyl & Wayra Wyl
Il y avait dans la figure encore juvénile de son frère des expressions, des regards et des éclats qu’elle ne reconnaissait plus. Ces cils clairs laissaient de grandes ombres sur ses tempes, sous le soleil rasant de l’après-midi.
Nés à quelques lunes d’intervalles, presque jumeaux sans se ressembler, il avait été, pendant longtemps, son seul et unique compagnon de jeu. Ce garçon trop maigre et trop grand qui jurait si bien avec le paysage aride des Montagnes Rouges. Un jour, elle avait tout su de lui. Ensemble, ils avaient souffert du poison qui glissait dans leurs veines tous les matins. Ensemble, ils représentaient l’engeance de la branche secondaire des Wyl qui laissait les gens frémissant ou méprisant. Il avait toujours été proche de leur mère, fourré dans ses jupes, alors qu’elle n’avait été et n'était toujours que l’ombre de leur père. S’ils ne s’étaient jamais disputé l’affection de l’un ou de l’autre, les deux enfants avaient coexisté sans partager la tendre affection, le mystère intime liant un frère à une sœur. Peut-être étaient-ils trop différents, de ces différences qui font que la compréhension des actes de l’autre étaient insurmontable. Peut-être les épreuves rencontrées les avaient-ils rendus si durs qu’ils ne se laissaient plus guère qu’aller aux badinages de surface, comme un cygne qui glisse sur l’eau.
Aujourd'hui, il était presque devenu un étranger pour elle. Désormais, il n’était plus rien que celui qui était parti.
Néanmoins, il existait bien entre eux ce lien sacré et fraternel qui faisait qu’en dépit de tout, ils ne pourraient jamais se haïr. Wayra s’était longtemps persuadée du contraire lorsqu’il avait quitté Wyl sans mot dire. Non pas pour son départ en tant que tel, mais parce qu’il avait été capable de s’arracher à l’étreinte des Wyl. Sa sœur, elle, en était incapable. Trop fidèle, trop dévouée, trop aveugle. Elle lui en voulait encore. Ils n’en avaient jamais parlé. D’ailleurs, Wasen ne s’était jamais ouvert à personne. Depuis, le temps avait passé et le sujet était devenu lointain et désagréable si bien que de le rouvrir n’aurait rien fait de mieux que profondément gêner les interlocuteurs. Si la brune n’était pas sensible à ce genre d’impair, une pudeur insoupçonnée l’avait soustraite à la confrontation. Maintenant, il était trop tard et les pots resteraient cassés.
La nouvelle joute entamée par son cadet s’inscrivait dans la tendance. Voilée de non-dits et d’embarras, il n’y avait que l’air revêche de chacun qui subsistait : celui de Wayra, dissimulé par l’agacement et celui de Wasen, mâtiné de nonchalance. Que voulait-il, à la fin ? Comme elle, il ne prenait aucun plaisir à cet entretien familial. Il se forçait, pourtant. Voilà qu’il s’épanchait sur le soleil et la nuit avec cette voix trainante et aux accents superficiels. Pour accentuer ses manières excentriques, il laissait courir ses doigts sur ses bijoux, une marque ostentatoire qui frustrait particulièrement son aînée. Elle aurait voulu les lui arracher, ses perles qui brillaient doucement sous les rayons orangés.
« Et bien, qu’est-ce qu’il y a à tourner autour du pot ? » le pressa-t-elle en croisant les bras.
Jamais elle ne se ferait à la lenteur calculée de son cadet. Petit à petit, méticuleusement, il distillait les informations, comme s’il dévoilait le plus grand des secrets. Peut-être prenait-il du plaisir à malmener ainsi la fille du Roi Sauvage. Lorsqu’enfin il posa sa question, Wayra darda sur lui un oeil éberlué. Le visage de Wasen frappa désagréablement sa soeur par son expression égarée.
« Eh bien oui, je le sais. »
L’idée même qu’il eut cru être au courant d’une telle nouvelle avant elle l’étonnait si fort qu’elle ne savait plus comment réagir. Elle resta bête, à l’observer, coite. Seuls ses bras devant elle lui donnait l’illusion d’une contenance.
Après la mort de Wyl et de son amant, elle s’était naturellement persuadée qu’elle resterait seule. Sans raison apparente. La naissance de son fils avait semblé être le point culminant de son existence. Une fois le petit corps enterré, il ne restait rien et c’est ce néant qui l’avait agréablement résigné à un sort qu’elle s’était inventée. Les jours et les années passant, elle devenait de plus en plus vieille et les perspectives d’un mariage s’amoindrissait. Inconsciemment, elle était ravie de cette vie qu’elle continuerait à mener sans se poser de questions. C’était plus facile ainsi.
C’était sans compter sur Warden qui s’était soudainement rappelé les bénéfices des unions pacifistes.
« Pourquoi ? Tu as peur d’être le prochain sur la liste ? »
Humour ou réalité, elle n’en savait rien, elle non plus. En dépit de leur proximité, le Roi Sauvage restait un être discret sur le futur qu’il envisageait pour sa famille. J’ai un plan. Ces mots, elle les entendait avec sa voix et jamais elle ne les questionnait. Elle se contentait d’obéir, abandonnant bien volontiers son esprit critique et sa volonté entre les mains de ce géniteur tout-puissant. Parfois, cet abandon de conscience lui laissait commettre d’horribles choses. S’unir à un homme était un moindre mal. Elle ne s’opposerait pas à son mariage puisqu’il l’avait décidé, que celui lui plaise ou non.
L’âme en contradiction de Wasen aurait du mal à accepter une telle éventualité.
« Tu n’as pas l’air ravi. »
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