Le trio infernal : Chapitre I

   Elle se dit que, peut-être, le silence lui offrira une protection suffisante contre la colère qui se lit dans le regard du Mestre. Marthe n'a pas envie de déplaire au monstre. Elle sait qu'il ne lèvera pas la main sur elle mais elle est également consciente qu'il est capable d'écrire une lettre. À sa maman, par exemple. Ou à sa grand-maman. Une lettre qui détaillerait son comportement jugé irrespectueux et qui lui vaudrait sûrement de solides remontrances. L'homme pourrait même pousser le vice jusqu'à s'adresser à leur propre Mestre pour l'encourager à lui imposer des cours inutiles. Un frisson remonte le long de l'échine de la gamine. « J'suis pas une Lady... » répond-t-elle malgré tout par habitude, d'un air absent, à son accusateur. La remarque se perd dans le flot de mots prononcés par sa tante. Ah, Lyanna... Marthe écoute son aînée inventer une excuse en dardant sur elle son regard reconnaissant. Les deux petites Ourses font front commun contre le vieil envahisseur et la cadette retrouve des vestiges de son aplomb. Elle croise les bras et hoche la tête pour confirmer la version de son alliée. « Voilà ! C'la faute du t'bouret ! Ou du lit ! J'suis plus bien sûre... » Elle croise le regard de Lyanna et comprend que son intervention n'aide pas. Elle n'est plus certaine du véritable coupable... « On à qu'a dire qu'c'est la faute des deux ? » propose-t-elle dans une tentative de conciliation. Non, vraiment, elle va garder le silence désormais. L'enfant s'emploie donc à se faire toute petite pendant que sa tante change habilement de sujet et explique au monstre qu'elle a réussi à faire manger Arya. La diversion fonctionne et un sourire apparaît sur le visage ridé. Marthe y répond par une grimace de dégoût. S'il y a bien une chose qu'elle trouve étrange, c'est un érudit qui sourit. Elle oublie parfois qu'ils sont capables de le faire et que, dans le fond, ils sont des humains comme les autres. L'enfant recule d'un pas supplémentaire et son regard fuit cette vision cauchemardesque. Marthe oublie même de faire remarquer à l'homme qu'il ne doit pas dire d'Arya qu'elle est petite, même si c'est vrai. Elle s'obstine dans le silence jusqu'à ce que l'envahisseur bardé de son gros collier leur annonce que Lady Stark souhaite les voir déguerpir dans les quinze prochaines minutes. N'a-t-il donc aucune pitié  ? « V's'êtes aller dire à L'dy Stark qu'on était là ?! » s'insurge-t-elle. Marthe n'a pas le droit d'en vouloir à Cateline parce que les Ours obéissent aux Loups et aussi parce qu'elle comprend qu'une mère s'inquiète pour sa fille. Mais elle n'oubliera pas ce coup bas orchestré par le vieillard qui n'a de cesse de vouloir séparer leur trio. Il n'a pas l'air de comprendre que leur présence fait du bien à celle qu'il entend protéger. « Traître ! » Son insulte fuse jusqu'à la porte que l'homme a refermé derrière-lui et ne la dépasse pas.

   L'enfant se renfrogne et se met à imaginer des plans divers et variés pour venger la trahison du soigneur. Elle se réinstalle sur son tabouret et se pose en spectatrices de ses pensées qui partent en tout sens et l'empêchent de se concentrer. Lyanna répondra sûrement aux questions soulevées par la jeune Louve. Le sentiment de plénitude revient. Son sourire béa, aussi. Ce n'est que lorsque Arya prononce son nom que Marthe renoue avec les impératifs de l'instant présent. « Mmh ? » Il est question, croit-elle se rappeler, du temps dont elle dispose pour renouer avec la réalité. Elle n'en a aucune idée. C'est la première fois qu'elle ingurgite du lait de pavot et elle espère sincèrement que ses effets ne tarderont pas à s'estomper. «  J'sais pas trop ! Si ça s'trouve j'vais rester comme ça toute ma vie et j'vais me faire jorater... » Elle espère que ce ne sera pas le cas mais puisqu'elle est incapable de fournir une réponse satisfaisante à Arya sur sa condition, elle décide de lui confier les craintes que sa situation soulève. « J'vais m'tremper la tête dans l'neige, p't-être qu'ça aidera ! » Elle ne peut pas se présenter à ses autres tantes dans cet état et elle le sait. Elle ne pourra pas les tromper et elle n'a aucune envie de leur mentir. Elle en serait bien incapable d'ailleurs. Ce n'est pas dans sa nature. Marthe se redresse et titube un bref instant lorsque ses jambes assoupies protestent contre l'effort consenti par leur maîtresse. Il ne lui faut pas faire plus de quelques pas pour se retrouver face à la fenêtre ouverte et à la neige qui s'est accumulé contre son rebord. Elle pousse un soupir, prend une large portion d'or blanc entre ses deux mains et l'écrase sur son visage. L'Oursonne savait que le contact avec ces paillettes glacées allait être désagréable mais elle est surprise par l'intensité des frissons qui l'assaillent et l'immobilisme de ses poumons. L'air semble la fuir quelques longues secondes puis sa poitrine se soulève à nouveau lorsque le choc passe. Elle n'est pas sûre, en revanche, que sa courageuse action ait changé quoi que ce soit à son état. Elle est juste un peu plus réveillée. Mais on le serait à moins... « Vous croyez qu'on p'rrait convaincre L'dy Stark d'nous donner un peu plus d'temps ? » demande-t-elle avec espoir. « Les m'mans ont toutes un point faibles ! » La faiblesse d'Alysanne, elle le sait, c'est elle. Peut-être que les enfants sont la faille de tous les parents. Elle ne saurait pas le dire. Mais elle n'oublie pas non plus que Cateline Starke est une Louve doublée d'une Truite. Elle sait que les premières sont très protectrices envers leurs petits mais elle doute que les poissons soient dotés du même instinct. C'est bête, les poissons ! La gamine prend une longue inspiration avant de se tartiner une nouvelle fois le visage de neige. Elle se demande ce qui pourrait bien faire plier la Truive !