La Foi transporte des montagnes [Luceon]

La Foi était en danger, en grand danger, ou en tout cas c’était la conviction profonde de Sa Sainteté Tymeon. La Reine Rhaenys avait toujours été acquis à la cause des Sept, peut-être par héritage familial, sa grand-mère étant elle-même une femme très pieuse que l’on voyait souvent au Grand Septuaire de Baelor. Cette accointance avec la religion avait déjà servi à plusieurs reprises la cause de la Foi, ainsi, lors d’une des entrevues que Sa Sainteté Tymeon avait eu l’occasion d’avoir avec l’ancienne Reine Rhaenys, il avait obtenu de celle-ci que les hommes du Guet protège de leurs armes les prêches des officiers du culte des Sept qui ne font qu’Un. Une grande avancée qui allait dans le sens d’une reconquête des esprits hérétiques qui vouaient leur âme pécheresse et souillée au démon qu’était le Maître de la Lumière. Mais les choses étaient en train de changer, Port-Réal avait subi une épreuve supplémentaire, comme si la ville était condamnée aux bouleversements sans jamais pouvoir connaître la paix et la tranquillité. Après une tentative d’empoisonnement, voilà que la reine abdiquait, par crainte pour la vie de sa fille – qui entre nous était toujours en danger, étant l’héritière directe des Targaryen et de leur trône maudit – et c’était Aegon, son frère, qui lui avait succédé. Une véritable tragédie pour Tymeon et ses confrères, tout le monde savait en effet qu’Aegon était un hérétique, il croyait en ce R’hllor dont certains parlaient ! Il ne restait plus qu’à espérer pour la Foi qu’il ne prenne pas les mêmes habitudes que son oncle, Viserys, qui avait fait brûler le Grand Septon et livrer le Grand Septuaire aux prêtres rouges. Leurs Saintetés et le Grand Septon allaient devoir batailler dur pour conserver leur emprise sur la Couronne, ce ne serait pas facile, et pour cela, les ecclésiastes avaient besoin de se rassembler et d’agir comme un seul homme pour ne pas tomber sous la coupe des hérétiques… La Foi ne pouvait se permettre de reculer, leur Lumière ne pouvait pas s’éteindre, et leurs caisses ne pouvaient pas se vider ! C’était une nécessite, pour la Foi et pour Tymeon en particulier.

Sa Sainteté était fort troublée ces derniers temps, tracassé comme il était par ces changements politiques, il n’avait en effet pas encore eu le temps de converser avec le nouveau souverain dont la priorité n’était pas de venir au Grand Septuaire. Il s’était parait-il entretenu avec le Grand Septon et lui aurait promis la paix, une sorte d’armistice entre sa religion et celle des Sept, une atmosphère de tolérance. Pour Tymeon, cette atmosphère était semblable à un gruau infâme et épais, engluant les plumes des oiseaux de la Foi pour mieux les faire couler et les étouffer silencieusement, sans douleur, sans cri, sans plainte et sans remous. Une mort douce en somme, et cela il le refusait. Il n’avait pas fait tant de sacrifice pour en arriver là si le nouveau Roi lui enlevait tous ses privilèges ! Il avait voulu le pouvoir, l’argent et le plaisir et il y était parvenu, grâce à la Foi et son habile jeu de comédien, il n’abdiquerait pas. Cette tension, cette appréhension, était partagée par de nombreuses autres Saintetés, il le savait. Et justement, il en avait discuté avec certaines dont Septa Aglantine, qui malgré son tour de taille défiant celui d’un tonneau de vin parvint à lui assurer qu’ils ne craignaient rien car les sept ne sauraient les abandonner. Peu crédible. Sa Sainteté Tymeon déambulait ainsi dans les couloirs du Grand Septuaire, rencontrant d’humbles croyants qui venaient régulièrement priés. Il se posa dans la chambre destinée à l’Etranger, une salle bien souvent vide car peu de croyants comprenaient cette face de Leur Dieu. Mais pour Tymeon, cette figure, cette image, représentait le mystère, l’inconnu et le destin. L’inébranlable destin, farceur et inquiétant.

Dans son brocard d’argent, il pensait, non pas aux innombrables versets sur l’Etranger et son rôle dans la conquête des Esprits par la Foi, mais à son chemin pour arriver jusqu’ici. Si les choses se passaient mal, il pourrait toujours s’enfuir, mais il ne voulait pas tout perdre… Il ne serait pas sans rien, ayant accumulé suffisamment de richesses pour s’en sortir convenablement, mais ce serait dégradant. Oh, si la Foi perdait du terrain, il pourrait toujours s’isoler dans un coin fort pieux épargné par la folie des hérétiques, ou même alors sur Essos et se reconvertir, mais quel avenir cela serait pour lui ? Un bien triste avenir à vrai dire… Il releva la tête quand il entendit la porte de la salle s’ouvrir. Il était rare que des personnes s’aventure ici, pour prier devant l’Etranger. Néanmoins, il ne s’agissait pas d’un fidèle, mais d’une Sainteté, Sa Sainteté Luceon, un homme d’une cinquantaine d’années qui avait toujours été plus paternaliste avec Tymeon. Suite à l’épisode Viserys, le jeune homme l’avait aidé à fuir et à se cacher, et en retour, Luceon avait appuyé Tymeon pour qu’il devienne Sainteté. Une profonde relation père-fils les liait, même si Tymeon continuait de jouer son rôle de Sainteté formaliste et formel devant lui, il était hors de question de dévoiler la moindre faiblesse devant quiconque.

- Votre Sainteté Luceon, c’est un plaisir de vous voir ici. Recherchiez-vous quelque chose ? Peut-être du réconfort auprès de Celui qui représente l’inconnu et le futur fragile de nos existences ? A moins que vous ne me cherchiez ?