Rayon de soleil un jour d'automne [Flashback][Alys&Lyra]

« Je t’assure, Lyra, je me trouve ridicule. »

Je fronçais les sourcils alors que ma sœur ainée tirait sur les plis de sa longue robe blanche, comme pour s’en débarrasser. Je lui tapais gentiment sur la main et remis le tout en place avec minutie. Elle leva les yeux au ciel, mais se laissa faire. Son mariage avec Robb Stark avait été précipité par les événements. D’abord, le jeune héritier était rentré du Sud, de chez les Targaryens où il avait été pupille durant toute son enfance et une bonne partie de son adolescence. Ensuite, des discordances à Port-Réal avait plongé le trouble à Westeros et l’inquiétude grandissante avait poussé à la course aux alliances. Et enfin, l’hostilité du Nord face aux jeunes loups, que beaucoup considéraient comme peu digne de confiance de par son éducation chez les dragons, avait motivé lord Stark à le présenter comme digne fils et successeur à la tête de la maison la plus puissante du Nord. Et Eddard Stark avait bien conscience que d’imposer son fils de la sorte face aux rudes et peu bavards hommes du Nord ne servait à rien. Au contraire, ils se feraient un plaisir de se montrer encore plus têtus et farouches qu’auparavant. La jeunesse de l’ainé des louveteaux et le calme silencieux de nos terres faisaient qu’il lui était impossible de prouver sa loyauté par le combat ou des faits d’armes. La seule option possible restait donc une union. Et quoi de mieux qu’un mariage unissant le loup à l’ourse, la fille ainée de Maege Mormont, une des plus fidèles alliées des Stark ? Une des plus fidèles alliées, mais également une alliée qui éprouvait le besoin de se racheter, de redorer le blason de l’estimé maison de l’Île suite à la faute impardonnable commise par le neveu et le cousin banni.

« Au contraire, je te trouve très belle, » la rassurais-je avec douceur.

Je terminais d’orner sa longue chevelure brune de fleurs fraichement coupées et de tresser ses mèches rebelles pour maintenir un peu sa crinière qui avait décidé de n’en faire qu’à sa tête. Ma sœur s’était humblement pliée à la décision prise par notre mère. D’ailleurs, heureusement qu’elle y avait consenti. Si jamais son refus s’était imposé, catégorique et indiscutable, je n’osais imaginer ce qu’il se serait produit. Mais je savais également que Dacey agissait pour nous. Elle ne devait avoir rencontré Robb que de très rares fois et il était encore jeune, guère plus âgé que Lyanna. Ce qu’elle faisait, elle ne le faisait ni par amour, ni par plaisir. Non, mon ainée mettait avant tout son honneur et son devoir envers sa maison dans cette union. Je n’aimais y penser de la sorte et elle m’aurait remise à ma place si je lui avais fait part de mes pensées, mais pour moi, elle se sacrifiait, en quelque sorte. Plus que personne, ma sœur aimait notre île. Et voilà qu’elle quittait tout pour racheter la honte de Jorah. Cela aurait suffit à me révulser, mais je ne pus que lâcher un soupir las.

« Allons allons, hauts les cœurs ! » me taquina-t-elle en relevant mon menton pour me regarder. « C’est moi qui me marie, pas toi ! »

Je pinçais les lèvres.

« Mais c’est que… »

Elle fit claquer sa langue contre son palais pour m’interrompre et me fit non de l’index, juste sous mon nez, ce qui manqua de me faire loucher.

« Je ne veux pas que tu tires cette tête à mon mariage ! Alors, tu me fais un peu sourire, d’accord ? Si j’avais voulu une soupe à la grimace, j’aurais demandé à Alysanne de me préparer. »

Sa remarque me fit lâcher un rire et elle hocha la tête, satisfaite. Il était vrai que notre sœur n’aimait guère quitter l’Île et ses petites habitudes. Durant le voyage jusqu’au fief des Stark, elle n’avait pas pipé mot, la bouche scellée par un sortilège qu’elle seule connaissait. Et, si nous en avions discuté toutes les deux, la mère de Marthe avait partagé son opinion, similaire à la mienne sur le mariage de Dacey. Mais nous respections son choix et ne lui en avions pas parlé. Cela n’aurait servi à rien.

« Elle a d’ailleurs refusé de mettre une robe, » déclarais-je. « Tu t’imagines ? Alysanne refuser de mettre une robe ? »

Mes yeux, ronds comme des soucoupes, je faisais mine d’être étonnée. Cette fois, ce fut à Dacey de s’esclaffer.

Enfin, une fois qu’elle fut prête, ce fut notre mère qui vint nous chercher. La coutume voulait que le père de la mariée la conduise jusqu’à son futur époux, mais d’une certaine façon, nous n’avions jamais eu de père. Et notre génitrice s’était gaussée lorsqu’elle avait prétexté emmener un ours à Winterfell pour jouer ce rôle. Finalement, cela ne serait autre qu’elle qui conduirait sa fille ainée. Après tout, les femmes Mormont n’avait pas besoin d’hommes.

Alors que nous nous approchions du barral immaculé, je me détachais du duo pour rejoindre le rang des invités. J’embrassais Dacey sur la joue et la regardais rejoindre doucement, presque sereinement, l’adolescent qui serait son mari. À côté de moi, Alysanne avait toujours sa mine des mauvais jours. J’enfonçais mon coude dans ses côtes pour lui dire sans ouvrir la bouche de sourire, mais je n’arrivais qu’à me heurter contre ses côtes de maille et à grimacer de douleur.

Derrière nous, j’entendis un soupir désapprobateur. Parmi le noir et le blanc, je distinguais la famille Karstark et Harrion, l’ainé de la famille qui regardait ma mère et ma sœur comme deux bêtes curieuses. Son regard finit par tomber sur moi et il me fusilla du regard. Je levais les yeux au ciel avec un sourire agacé. Oui, les femmes Mormont n’avaient pas besoin d’hommes, en particulier lorsqu’ils n’étaient mentalement guère plus avancé qu’une méduse. Pourtant, je remarquais à ses côtés une jeune fille aux cheveux noirs dont le visage me disait quelque chose. La petite dernière de la famille de Karhold pouvait-elle avoir autant grandi ? Je lui adressais un petit geste de la main et me reconcentrais sur la cérémonie.

J’applaudis religieusement et solennellement lorsqu’ils s’embrassèrent et nous nous dirigeâmes tous dans le grand hall de Winterfell, désormais rempli de grandes tables et de mets fumants. Lyanna se jeta sur la nourriture comme une petite sauvage et je pris place. Je fus étonnée de voir les Karstark s’asseoir à nos côtés. Assise en bout de table, je me trouvais nez à nez avec la jeune Alys.

« Lady Alys ! » m’exclamais-je, ravie. « Comme je suis heureuse de vous revoir. Vous étiez haute comme trois pommes lors de notre dernière rencontre. »


  

Si les regards pouvaient tuer, je serais probablement morte poignardée à cet instant précis. Détendue et tout sourire avec Alys, je m’attirais les foudres d’Harrion, de ses frères et de lord Karstark qui me toisaient sans même avoir la décence de dissimuler leur hostilité derrière un masque d’indifférence. Nos demeures se trouvaient aux deux extrémités de la large et étendue région Nordienne aussi, nous ne nous rencontrions que peu. S’il n’y avait jamais eu de querelle officielle entre nos deux maisons, les enfants de Karhold éprouvaient une certaine rancœur envers les Mormont et ce depuis l’annonce du mariage Robb Stark avec ma sœur Dacey. Nous n’étions pas sans savoir que depuis le retour du jeune loup, le seigneur Karstark avait accéléré et multiplié les propositions pour fiancer sa fille unique au fils ainé d’Eddard Stark. La jeune Alys et lui avaient le même âge et l’on savait les Karstark distants cousins, branche très secondaire de la famille suzeraine. Cela aurait pu être un mariage parfait. Pourtant, le chef du Nord avait choisi Dacey. Notre mère ne nous avait jamais dit s’il y avait eu quelques échanges entre elle et lui avant cette annonce, si tout avait été planifié dès le départ ou si, tout simplement, un concours de circonstances avait abouti à l’alliance de nos deux familles. Les ourses n’étaient pas riches, mais elles étaient loyales. En revanche, les Karstark avaient beau être des maisons les plus puissantes du Nord, elle n’en demeurait cependant pas moins orgueilleuse. Et peut-être cela avait-il pesé dans la balance lorsque lord Stark avait pris sa décision. De plus, depuis une légère altercation entre le fils ainé de Karhold et la fillette que j’étais il y avait des années de cela, l’héritier de me portait guère dans son cœur et je n’imaginais ce qu’il avait pu raconter à sa famille à mon propos.

Pourtant, je les regardais sans ciller, leur offrant même un sourire discret. Ce n’était pas le moment idéal pur s’attirer les foudres des Soleils de l’Hiver et le temps était à la fête. Ma sœur se mariait et je ne voulais pas gâcher ses épousailles et me confrontant aux Karstark. Et de toute façon, cela n’était pas dans ma nature. Loin d’être belliqueuse, je n’allais jamais aux devants des conflits. Cependant, l’on ne pouvait pas dire la même chose d’Alysane et si nos voisins de tables continuaient à nous observer comme ils le faisaient, je ne donnais pas cher de l’issue de cette soirée. L’Ourse finirait par lâcher un commentaire, une boutade brusque ou une critique ouverte et j’imaginais très bien que ses adversaires n’en resteraient pas là. Les Karstark étaient différents de nous, certes, mais nous avions une chose en commun. L’indéniable fierté qui coulait dans nos veines et servait à enflammer notre sang, peu importait le moment et la raison.

Et pourtant, malgré ce que je m’étais imaginée, Alys me répondit avec un sourire, sans anicroche ni aucune remarque désobligeante. Si j’en étais ravie, j’en fus également surprise. Peut-être avais-je été mauvaise langue. Peut-être m’étais-je montée la tête et que finalement, dans cette histoire, c’était bien moi l’idiote. J’avais prêté de mauvais sentiment et de mauvaises intentions à Harrion. Le jeune homme n’avait peut-être jamais parlé de moi. M’étais-je considérée trop importante ? Avait-il oublié notre bataille verbale enfantine ? Je n’osais y croire. Il m’avait si souvent ignorée et dédaignée que j’imaginais le souvenir de son humiliation encore bien présent dans son esprit. Mais son orgueil l’avait sûrement privé d’en parler ouvertement, de peur de la réaction de son père. Un fils ainée, héritier, repris par une troisième fille d’une maison noble, mais pauvre et reculée, voilà qui n’avait rien de reluisant. Mais le fait était qu’il avait peut-être gardée sa langue et que j’étais la plus sotte des deux.

« Cela ne m’étonne pas ! » lui répondis-je en le resservant en vin. « Vous étiez si petite que vous arriviez à peine à courir sans vous casser la figure ! »

Je riais doucement à ce souvenir. Je venais d’avoir huit ans et je me défendais déjà à l’arc. Je ne connaissais que la rudesse de l’Île et la terreur des attaques. Aussi, voir une enfant toute pouponnée, choyée par sa famille, portant des robes inconfortables et courant comme une dératée à travers Winterfell m’avait arrachée quelques éclats de rire. Alys était encore jeune, mais j’avais reconnus en elle cette étincelle si particulière que nous autres, Nordiennes, possédions souvent, au détriment des autres régions de Westeros. Malgré la froideur de la neige dans laquelle nous nous épanouissions, nous avions toutes cette glaciale rudesse, mêlée à ces flammes, cette envie d’aventures.

Notre échange attira le regard de sa famille et je remarquais que la jeune fille les ignora superbement. J’en fis de même et ouvris de grands yeux lorsqu’elle prononça mon prénom.

« Vous vous souvenez de mon nom ! » lui dis-je un peu plus fort pour que ma voix dépasse les bruits ambiants. « Je suis réellement étonnée ! Avez-vous une excellente mémoire ou bien… »

Je réfléchis quelques instants. Soit, en effet, elle se souvenait réellement de notre première rencontre, soit elle avait entendu mon nom dans d’autres bouches. Je fronçais les sourcils et derrière un pauvre sourire, lâchais un soupir contrit.

« Allons, j’imagine que si mon prénom ne vous est pas inconnu, c’est que vous l’avez entendu quelque part, n’est ce pas ? J’imagine que vos frères n’ont pas tari d’éloges à mon sujet… »

Les Mormont n’avaient pas une excellente réputation, de cela je m’en étais accommodée depuis bien longtemps. Des femmes combattant en côtes de maille, une famille pauvre et sauvage, un cousin qui avait versé dans la traite d’esclaves… Mais je n’appréciais pas réellement que l’on parle en mal des miens et de ma petite personne dans mon dos. Même si j’étais convaincue de ne pas confronter les Karstark en face à face, il n’en restait pas moins que la décence et la présence d’esprit faisait que parler en mal d’inconnus pour des faits parvenus il y avait si longtemps et parce qu’une fille avait été choisie plutôt qu’une autre n’était pas très cavalier. Mais la jeune Alys n’y était pour rien dans tout cela. Et elle me le prouvait par son ouverture d’esprit et le ton amical de ses propos. Je n’allais pas me laisser aller au jeu de sa famille.