Blood is in the rocky waters (Catelyn)

Des lunes et des lunes que Catelyn tourne en rond parfois dans ses appartements. Chassant les suivantes, elle reste seule, préfère être seule, confiant ses précieuses filles à leurs nourrices. Gerold lui cache quelque chose. Elle le sait. Elle le sent. Il a changé. Il ne la regarde presque plus, ne le touche presque plus, ne la désire que de temps à autre. Est-ce là l’évolution normale d’un couple ? Ce n’est pas ce que Jonos le lui avait vendu. Ce n’est pas ce qu’elle s’était imaginée en quittant la Haye-Pierre pour Goëville. S’était-elle fourvoyée ? Peut-être mais elle n’avait pas le choix, elle ne l’aurait jamais. Elle devait s’accommoder de cette vie. Mère de deux filles, épouse de suzerain, sœur de la reine, Catelyn Grafton entrevoyait désormais son quotidien les années à venir et elles seraient sans aucun doute nombreuses. Accepter ? Elle n’avait pas le choix et en même temps, c’était bien trop facile, même pour une femme, d’accepter tout simplement. Prendre un amant ? Pour quoi faire ? Catelyn aimait Gerold malgré les soupçons qu’elle portait à son égard. Elle l’aimait, sincèrement. Faire un scandale ? Ce n’était pas son genre, encore moins sur un léger soupçon comme celui-ci. Non, Catelyn réfléchissait dernièrement à comment se prouver à elle-même qu’elle avait raison. Elle en avait touché quelques mots à sa sœur Jayne qui n’avait été que peu aidante. Ce n’était là pas sa faute. Pieuse, respectueuse et loyal, Jayne ne concevait sûrement pas que Gerold ait pu tromper sa sœur. Ce serait là un geste idiot. Pourtant, plus les lunes passent et plus la suzeraine s’en persuade. Mais elle n’en disait mot. Elle ne laissait rien paraître. Elle se montrait toujours souriante, bien apprêtée, jamais un mot plus haut que l’autre en public. En somme ? Une parfaite épouse.

Mais voilà, Gerold s’était énormément absenté depuis la conquête du Val par Viserys. La région devenue royaume indépendant devait revoir toute son organisation, sa politique, ses alliances et ses conflits. Gerold était la Main du Roi et par conséquent, la fonction voulait qu’il soit mobile, occupé, très occupé même. C’est ce qui l’a mis sur le chemin de la tromperie. Son comportement avait changé. Catelyn sentait des choses. Parano ou soupçon avéré, elle n’en savait rien et n’en disait rien, menant son enquête secrètement. Les soupçons s’intensifièrent lorsque son époux quitta quelques jours plus tôt Goëville pour Roches-aux-Runes. Quelque temps auparavant, ce fut Vaeranah, la Grande Argentière, qui y était partie. Catelyn se demanda donc si ce n’était pas avec la braavienne qu’il la trompait. Puis, elle repensa aux mots qu’avaient pu avoir sa sœur pour la rassurer. Pourquoi ? Pourquoi irait-il se blottir dans les bras d’une autre ? Certes, Catelyn n’avait pas donné de garçon à son époux mais elle demeurait encore jeune du haut de ses vingt-trois ans. Malgré de nombreuses grossesses déjà à son actif, elle avait encore le temps de faire un fils à Gerold. Si tant est que ce soit cela qui le chagrine, qui le fait devenir de plus en plus distant. Cependant, les deux filles ne manquaient pas d’attention venant de leur père qui les visitait dès qu’il le pouvait. Alors pourquoi ces soupçons ? Pourquoi ce pressentiment ? Après plus de six ans de mariage, la solitude qu’elle ressentait peu à peu avait peut-être raison d’elle. L’éloignement marital la peinait, elle qui tombait de plus en plus amoureuse de Gerold à mesure que les années avançaient.

Catelyn se retrouva ainsi seule, ou presque, à Goëville alors que chacune et chacun vaquaient à leurs occupations, leurs responsabilités, leurs devoirs. Son devoir d’épouse laissa ainsi sa place à son devoir de mère. Cela avait l’avantage de lui faire penser à autre chose. Joane avait quatre ans maintenant mais avait encore besoin de sa mère tandis que Shirrei avait à peine un an et la réclamait de plus en plus, surtout lorsqu’elle la confiait à sa nourrice pour rester seule avec ses songes. Elle profitait également des moments de siestes de ses filles pour s’évader dans les jardins. Après tout, que pouvait-elle faire d’autre ? Son mari était parti, sa sœur était pas mal occupée, les courtisans et courtisanes l’insupportaient. Elle n’avait pas non plus d’épée-lige ni de dames d’atour. Elle n’en avait jamais souhaité ni ressenti le besoin. Songeant à faire changer les arbustes horribles qui trônaient dans l’une des allées des jardins qu’elle parcourait alors, elle ne vit pas tout de suite la grande silhouette qui était sur le point de la croiser. C’est en tournant le regard qu’elle le vit et qu’elle s’arrêta, manquant presque de lui rentrer dedans. La révérence du chevalier la fit sourire, appréciant le geste et faisant de même pour le saluer.

- Ser Vaeron. Voilà une idée pour le moins saugrenue !

Elle marqua une pause tandis qu’il vantait le climat agréable de la journée. Elle ne pouvait qu’acquiescer mais ne comprenait pas bien comment cela pourrait être possible. Elle était suzerain, épouse de la Main du roi, sœur de la reine et lui était un simple chevalier, frère de la Grande Argentière. Que diraient les gens s’ils les voyaient se promener ensemble tous les deux ? Qu’auraient-ils à dire ? Ils ne feraient rien de mal, ils se promèneraient simplement, discutant comme deux êtres lassés par la solitude, profitant du beau temps qui leur est donné. Elle songea alors au fait que c’était peut-être une belle occasion que les Sept lui donnaient là. Catelyn avait encore beaucoup de questions concernant les deux Braaviens, quand bien même ils faisaient partie de l’entourage de Goëville depuis de nombreuses années maintenant. C’était là sans doute la porte que la suzeraine devait emprunter pour obtenir quelques réponses et quelques confirmations peut-être. Ses pensées concernant les ragots et les rumeurs qui pourraient découler de son escapade avec Vaeron Antaryon s’estompèrent immédiatement.

- Mais vous avez raison… Ce serait dommage de ne pas en profiter, d’autant que nous ne pouvons savoir combien de temps cela durera.

Catelyn congédia sa suivante dont elle avait accepté la présence uniquement parce que la solitude lui pesait aujourd’hui. Une suivante pour un chevalier. L’échange était en sa faveur et tandis que la jeune femme quittait sa maîtresse pour rejoindre l’intérieur de la demeure des Grafton, Catelyn porta toute son attention sur le chevalier auquel elle emboîta le pas.

- De plus, un peu de compagnie ne nous fera pas de mal, n’est-ce pas ?

Elle lui adressa un petit clin d’œil significatif, lançant ainsi, très consciemment, les prémices quant aux divers sujets de conversation qu’ils auraient dans les minutes à suivre.