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Invitation au supplice - Alys Royce

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Gerold Grafton
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Gerold Grafton

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An 310, lune 4, semaine 1, Roche-aux-Runes. @Alys Royce

Depuis plusieurs heures maintenant, des hurlements épouvantables, tantôt plaintifs, tantôt déments secouraient la maison des Royce. De ne pouvoir y assister, il avait fui ; d'abord la pièce adjacente, puis l'aile, l'étage, mettant autant de distance que possible entre sa conscience et le cri douloureusement animal qui continuait à résonner dans sa tête, quel que fut son refuge. La fin de sa grossesse avait été délicate, les Mestres et Savants l'avaient prévenu, mais comme toujours, elle n'en avait fait qu'à sa tête, et maintenant, elle hurlait, hurlait, hurlait...
C’était étrange comme parfois les mots se prêtaient difficilement. Tantôt ils étaient des sacs qui donnaient forme aux émotions et tantôt ils devenaient un étouffoir. Au début, il avait songé avec exaltation à l'avenir de cet enfant, fruit de leur passion, à l'amour débordant qu'il éprouvait déjà pour lui. Maintenant, la seule chose qui lui importait, c'était de les voir survivre. Encore une fois, la vulnérabilité de l'existence se rappelait à l'insouciant orgueil. Ne supportant pas l'impuissance face à la souffrance d'un être cher, qu'il n'était de toute façon pas légitime d'aider, Gerold était parti, d'abord pour ne pas se compromettre, puis pour ne plus l'entendre ; à chaque plainte qui s'infiltrait dans les murs comme un courant d'air, il avait l'impression de la voir dépérir dans un dernier râle d'agonie. Un acte d'amour ne pouvait pas s'achever ainsi, consumé par sa propre frénésie...
Loin d'elle, il n'y avait que du vide et la confrontation dans le silence absolu avec tout ce qu'il était incapable de mettre en exergue. Ce qui avait été endigué avec tant de difficultés et qui n'avait cessé de s'accumuler menaçait de déborder, de briser le barrage qui perdait son unique raison d'être. Tout ce à quoi son intelligence avait accordé une existence, loin d'elle, était en train de s'écrouler sur son coeur comme un cercueil d'inévitables manquements.  
Dans un instant d'insupportable lucidité, il était retourné à son point d'origine, s'isolant dans le bureau de travail qui lui avait été dédié, se dissimulant derrière la banale réputation de bourreau de travail insensible que tout le monde lui connaissait. C'était mieux ainsi ; à part les enfants, personne ne dormait dans cette demeure hantée par la tourmente d'un accouchement douloureux. Pendant quelques instants même, Gerold était parvenu à se convaincre qu'il était capable de s'oublier dans les chiffres et les tableaux, mais les tremblements qui secouraient son corps tels des spasmes témoignaient de l'insupportable réalité, qui avait déjà commencé son labeur sur son esprit et son coeur. Tenter de reporter son attention sur le travail le fit soudain réaliser à quel point la tâche était vaine. Et alors que se répandre devant autrui était chose impensable, ici, seul dans le bureau, il se brisa au-dessus d'une pile insensée de parchemins, succombant à un cri de détresse ultimement long. Etrangement, son corps n'était pas parvenu à suivre la persistance de son pragmatisme et une fissure spontanée avait libéré un sanglot étouffé. Tout en lui s'était recroquevillé pour supporter l'exode et colmater la fuite en priant qu'il n'y ait pas d'autres points faibles dans son endurance prête à lâcher. Il ne savait même pas pourquoi il se retenait autant. Peut-être parce que la vie lui avait toujours inculqué que la parole était plus salvatrice que l’émoi et que la logique permettait des échappatoires que le cœur ne possédait pas. Parce qu'il savait que se plaindre ne servait à rien, que ce n'était pas une solution et qu'il n'aidait ni Vaeranah, ni soi-même en fondant sous sa terreur de la perdre si ce n'était pour des considérations purement pathétiques. Alors, il tenta de se ressaisir, mais cela ne fit qu'empirer les efforts, rendant son affliction plus horrible encore et finalement, toute son attention fut accaparée par ses tentatives de ne rien laisser lui échapper. Mais plus il s'efforçait de s'y soustraire, plus ce répétitif et étouffé sanglot le rattrapait, busquant son dos comme un arc qui ne demandait qu'à se redresser. Au fond, il était certain que cet irrépressible flot d'émotion n'allait pas se tarir. Au contraire, Gerold comprenait très bien que cette angoisse ne lui accorderait aucun répit et qu'il n'était pas en mesure d'endiguer son épuisement. La souffrance de Vaeranah avait tiré un fil qui s'était tour à tour entremêlé à ses nombreuses émotions irrésolues, et qui maintenant provoquaient sa chute. Ca n'en finissait plus, comme si se tordre de chagrin était insuffisant et qu'il allait toujours y en avoir trop : trop de regrets, trop de douleur, trop de peurs, trop d'amour, trop de tout ; trop de bouleversements pour se contenter d'une petite brèche comme il s'était toujours efforcé de le faire. Dans l'existence, il s'était au possible arrangé pour être seul, pour ne rien devoir à personne et surtout pas à soi-même. Une vulnérabilité solitaire qui, à quelques exceptions près, n'avait appartenu qu'à lui.
Mais un silence prolongé lui fit craindre que tout était perdu et ça, plus qu'autre chose, accrût son sanglot convulsif et sec. Pris d'une soudaine raideur, Gerold se courba sur lui-même et pressa sa paume contre sa bouche. L'appel reprit, en langue étrangère, empli de désespoir... Il n'arrivait même plus à se redresser ; tout son corps pliait vers le sol, où il rêvait de poser son front pour rejoindre enfin physiquement cette place de repos pathétique que son esprit paraissait chérir. A genoux, visage contre terre, comme pour une ultime prière et un doux abandon.  
Pitié, que tout cela s'arrête, que cela prenne fin et qu'elle me revienne...  
Il détestait être comme ça, cette vulnérabilité qui lui faisait choisir entre humilité et courage. Il détestait en cet instant que Vaeranah soit devenue sa raison de respirer, et que tous les raisonnements du monde s'avouent incapables à tarir ce pitoyable flot de sentiments qui lui faisaient si honte. Sa présence dans sa vie lui avait déjà fait perdre pied à plus d'un égard, mais jamais il ne s'était imaginé que l'idée de son absence puisse prolonger à ce point la fissure faite dans sa résistance. Les larmes lui avaient déjà valu quelques claques pendant l'enfance et ce souvenir, au lieu de consolider ses exigences d'homme fait, amena une autre convulsion et un autre gémissement. Il n'était pas un Grafton pour rien. Sa pudeur avait toujours été quelque part un trait de caractère naturel, facile et spontané. Mais si l'existence de cette réserve lui était commode, sa raison d'être s'était plus d'une fois mêlée à l'orgueil familial. Sa position d'héritier ne s'était jamais montrée particulièrement encline à supporter les enfantillages habituels d'un petit garçon et on lui avait très tôt refusé l'expression du moindre caprice. Ses parents l’avaient toujours perçu depuis les sommets d’une maturité, et même d’une froideur, qui n’avaient été pendant longtemps guère l’adage inné d’un enfant. Gerold avait grandi vite, très vite, trop vite, gagnant en simulacre d’une sagesse qu’il n’avait compris que bien plus tard. Sa réserve avait alors été conditionnée par un isolement émotionnel forcé : personne n’avait ni le temps ni l’envie de prêter crédit à ses élucubrations infantiles. Quelle tragédie était donc suffisamment terrible pour permettre l’insensé ? La colère, voilà tout ce qu'il pouvait s'autoriser à faire briller dans son regard. La compassion, l’amour, la bienveillance, s’ils avaient un jour existé en son cœur, ils y étaient probablement morts sans jamais s’en échapper au-delà d’un mystérieux miroitement de la pensée. Pour être Seigneur, il fallait être sec, dur et souple : jamais rien ne devait être capable de le briser, ni dévoiler quoi que ce fut des secrets méandres de sa psyché. Il ne restait plus qu'à se retenir : pour être à la hauteur, pour ne pas devenir le petit garçon que l’on regarderait avec dédain.
Cette retenue inconsolable n’était qu’une vieille habitude devenue presque aussi inconditionnelle que le sommeil, et plus encore tenace parce qu’il avait senti à quel point son endurance était proche de la rupture. C’était une solitude autant physique qu’intellectuelle qui avait composé un recueil dans lequel Gerold avait fini par trouver son réconfort. Ce n’était pas ce qu’il avait souhaité avoir, mais c’était ce qu’il avait eu et ce avec quoi il s’était accommodé aussi bien qu’il en avait été capable.
Mais avec Vaeranah, il s'était lamentablement décomposé tout seul. Songer à sa souffrance ou son absence était insupportable.
On toqua à la porte. La première fois, perdu entre les cris ou simplement ignorée, la requête demeura sans réponses et se réitéra. L'instinct le redressa de force, crispant son cou et son visage qui s'imprégnèrent d'une colère agacée. Il ne voulait voir personne ; au-delà de ne pouvoir y faire face, il ne voulait surtout pas découvrir dans les yeux d'autrui le reflet de son propre état.
« Pas maintenant ! » aboya-t-il d'une voix sèche et autoritaire, exutoire de toute cette impuissance qui le consumait.  
Son agacement lui donna la vague impression d'avoir retrouvé ses moyens, tant la fermeté était un refuge facile et réconfortant. Il fixait la porte, hautain et venimeux, mais ne savait pas que quelque chose demeurait sur son visage, une sorte de palpitation très faible de douleur crispée, et que son expression ressemblait à celle qui vient après un accès de chagrin.

Alys Royce
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Alys Royce

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Invitation au supplice
Roches-Aux-Runes | An 310, lune 4, semaine 1

Sous la lumière d’une épaisse bougie rougeoyante qui atteindrait bientôt son trépas, Alys buvait un verre de vin, un ouvrage sur les genoux qu’elle faisait semblant de lire. Autour d’elle, si l’on regardait y étant un tant soit peu attentif, on se rendrait compte que tout était un peu faux. Roches-Aux-Runes était rarement silencieuse, surtout pas quand elle accueillait autant d’invités, et pourtant, ce soir-là, on pouvait même y entendre les pas du chat de la maisonnée sur la pierre. En l’occurrence, l’animal ronronnait gracieusement sur les genoux de son maître, dont le regard semblait perdu dans le vide. Andar Royce, lui aussi, faisait semblant de ne pas attendre le prochain cri qui déchirerait l’air, comme un couperet dans le silence qui régnait dans ce petit salon. Une femme était en train d’accoucher dans une chambre du fief sur la Roche, et ses lamentations résonnaient dans les couloirs, comme si une fenêtre avait été laissé ouverte sur son intimité.
La pulpe des doigts de la Dame Royce frottait le grain particulier du parchemin. Le mouvement était mécanique, caressant, comme une femme le ferait sur son ventre rond, plein et nu, au faîte de sa grossesse. Comme Alys l’avait fait elle-même, quatre fois durant, pour tenter de sentir sous sa paume ses propres enfants. Pour les trouver sous ses doigts, pour les rencontrer avant leur naissance, pour jouer avec eux, pour sentir leur tendresse, pour apaiser leurs maux. Elle s’oubliait, dans le silence assourdissant de ce salon à la lumière plus que tamisée, et retrouvait ainsi des gestes que son instinct avait dictés et que ses muscles n’oublieraient jamais.

Les bougies, bientôt, s’éteindraient toutes. Il était tard, et pourtant Alys, comme d’autres dans ce château, continuerait de veiller. D’un geste lent, elle referma l’ouvrage en même temps qu’elle retrouvait ses esprits. Se relevant à la manière d’un chat qui s’étire, elle joignit de quelques pas silencieux son époux, dont elle caressa d’un geste tendre le visage. La sensation, sous ses doigts, de sa barbe naissante à ces heures tardives de la nuit, lui était aussi familière que celle de sa main sur son ventre. Si même des années venaient à séparer deux de ces touchers, son corps s’en souviendrait pour elle. « Je reviens vite », souffla-t-elle doucement à son époux, attrapant une chandelle dont le bougeoir en laiton lui permettait de la déplacer. En même temps qu’elle fermait la porte silencieusement, un long râle vint couvrir le silence. La pauvre femme semblait souffrir terriblement. Il ne s’agissait pas là de cris ordinaires que demandait l’effort d’un accouchement. Dans ceux-là, il y avait, aussi, un souffle de délivrance. Là, Alys avait l’impression d’entendre la douleur d’un déchirement. Reprenant son souffle, elle fila dans les couloirs, la tête haute, tentant de tenir sa main stable, de sorte que la flamme de sa bougie ne s’éteigne pas en chemin. Il faisait noir, dans les couloirs de Roches-Aux-Runes, qu’on maintenait éteints la nuit durant pour ne point utiliser inutilement les précieuses mèches fort coûteuses par ces temps parcimonieux. Ce soir, un couloir seulement restait allumé, celui au bout duquel se trouvaient les appartements de la femme qui accouchait, et qui permettait à ceux qui l’aidaient dans cette tâche d’apporter des linges propres, de l’eau chaude, et, si cela s'avérait nécessaire, des instruments affutés.

Alys partait dans une autre direction que celle-ci, celle d’un cabinet, au détour d’une aile un peu plus éloignée, où étaient rangées une partie des bougies que gardait Roches-Aux-Runes en stock, pour remplacer celles, lancinantes, du salon où elle était installée avec son époux pour la nuit. S’il était possible que, malgré les cris, Andar s’endorme sur l’épais fauteuil où il s’était installé, son chat lui réchauffant les parties qu’un homme déteste avoir rafraichies, Alys, pour sûr, ne fermerait pas l’œil de la nuit. La voix de son invitée déchira l’air à nouveau, et il sembla à la Dame Royce que, cette fois-ci, elle formait des mots dans une langue qu’il lui était impossible de comprendre, ou même d’identifier. Naïvement, la brune s’imagina que c’était du valyrien ; mais qu’en savait-elle, peut-être était-ce du braavien, ou, plus ironique encore, peut-être était-ce aussi inintelligible pour celle qui les émettait que celle qui les entendait. Alys, enfermée depuis trop longtemps dans un Val étriqué par la guerre et la trêve, rêvait d’exotisme. Vaeranah Antaryon avait été, ces derniers temps, le sujet parfait d’une vie fantasmatique renouvelée.

Alors qu’Alys s’apprêtait à attraper une pleine poignée de bougies, son mouvement fut figé par un gémissement d'une toute autre sorte qui fendit l’air. Celui-ci la fit frissonner, secouant son échine, tant elle ne l’attendait pas. Elle en entendait rarement de cette sorte, car c’était le râle d’un homme qui souffrait, rauque et grave, animal. Il lui fit peur, mais il l’attira aussi.

Se retournant précipitamment vers la source du bruit, laissant derrière elle le cabinet grand ouvert, elle avança plus profondément encore dans l’aile qu’elle avait pénétrée, cherchant l’origine de cette lamentation, un peu perdue par la pénombre de son propre château. Qui était-là ? Qui gémissait dans la nuit noire, au détour d’un corridor éloigné du reste de la société rocheuse ? Marchant avec précaution sur la pierre, Alys retenait son souffle pour être certaine d’entendre, encore, ce cri. Elle aussi devenait animale, dans cette nuit à la Lune éclatante où le sommeil était impossible. Cherchant à reconnaître son environnement, elle poussait sa chandelle loin devant-elle, de sorte à former un halo de lumière. Dans cette partie du fief, quelques offices s’amassaient les unes contre les autres, aux côtés de petites chambrées souvent vides, pour accueillir des invités.

Alors qu’elle identifiait mieux son environnement grâce à la lumière, Alys comprit sans y croire, fit le lien sans en démêler le nœud. Son frère, Gerold Grafton, avait poussé les portes de Roches-Aux-Runes près d’une semaine plus tôt, et avait été logé-là, dans cette aile tranquille et silencieuse du fief, tandis que son pupille et neveu, amené lui aussi par ce petit convoi en provenance de Goëville, retrouvait les appartements familiaux et sa chambre d’héritier. Alys avait été trop obnubilée par le retour de son fils prodigue, passager et délicieux, pour se préoccuper des raisons qui avaient amenées la Main du Roi Viserys à voyager jusque la demeure des Royce. Elle avait appris, par une note vite griffonnée, que Lucas et son oncle logeraient quelques semaines à Roches-Aux-Runes pour terminer de superviser le redressement financier de la maison Royce. Fort bien, fort bien, s’était-elle réjouit en agitant tout son petit monde pour préparer l’arrivée de son fils aîné, qui n’avait plus mis les pieds dans le fief dont il était l’héritier depuis cinq ans. C’était Andar qui lui avait signifié que Gerold non plus n’était plus venu à Roches-Aux-Runes depuis fort longtemps : la dernière occurrence de sa venue avait été pour leur mariage, près d’une douzaine d’années plus tôt. Alys avait acquiescé distraitement à cette remarque : de Lord Grafton, elle ne se préoccupait pas. L’effusion dans laquelle elle baignait depuis qu’elle avait appris cette nouvelle effaçait tout ce qu’elle considérait comme futile, et Gerold comptait parmi ces choses-là, tant et si bien qu’elle n’avait pas supervisé personnellement l’installation de son frère dans cette aile du Château. Elle avait plutôt passé des heures à bousculer le mobilier de la chambre de Lucas pour qu’il n'y retrouve pas l’ameublement d’un enfant de cinq ans, mais plutôt celui d’un jeune homme aux responsabilités grandissantes. Elle avait personnellement dépoussiéré des tableaux qui avaient été remisés pour les accrocher au mur, elle avait trouvé l’édredon parfait pour tenir son fils au chaud, dans ce fief perché sur la roche, non sans oublier de glisser dans la malle, devant son lit, une nouvelle cape qu’elle avait fait confectionner pour lui et espérait lui apporter à leur prochaine rencontre, pour fêter son dixième anniversaire. Une broche gravée des mêmes runes de protection que celles du blason des Royce venait la fermer.

Tout cela l’avait bien trop absorbée, ces derniers temps, pour qu’elle ne se questionne sur l’enjeu qui avait poussé le suzerain du Val à visiter leurs vassaux Royce après douze ans d’éloignement. Alys restait ainsi bien coite, dans ce couloir assombri par la nuit où résonnaient, malgré la distance, les cris d’une femme qui mettait au monde un enfant dans la douleur, et le souffle profond d’un homme qui semblait se battre avec lui-même. Alys toqua quelques coups à la porte qu’elle avait identifiée comme celle d’où émanaient les bruits. Elle n’avait plus entendu de râle ou de cri, mais il y avait quelqu’un ici, puisqu’un liserait de lumière apparaissait sous la porte. Un homme s'y trouvait, il soufflait tellement fort qu’il n’entendit pas les coups discrets portés sur le bois. Les yeux d’Alys s’écarquillaient d’incrédulité et d’appréhension devant ce que son instinct l’avait poussée à faire. Pourquoi avait-elle toqué ? Pourquoi s’apprêtait-elle à le refaire à nouveau, poussée par l’intuition terrible qu’elle allait trouver-là un homme blessé auquel elle devait venir en aide ?

Trois coups, encore, et cette fois-ci, un cri, des mots, comme réponse. « Pas maintenant ! » , aboyait l’homme, mais c’était trop tard. Alys avait déjà tourné la poignée, bien décidée à suivre ce qui l’attirait. Elle ne pouvait plus revenir en arrière. Quelque chose de maternel avait été éveillé en elle, quelque chose qu’elle ne put tarir, malgré la peur qui venait lui enserrer la trachée et qui faisait frissonner sa nuque après l’invective de Gerold. La porte s’était ouverte à la volée, et Alys, peinant à la retenir de sa seule main libre, avait l’œil fixé devant elle. Son regard cherchait à trouver celui du Grafton, dans cet office spécialement aménagé pour lui. Il était au bureau, droit sur son siège, comme un homme appliqué au travail. Sauf que dehors, la nuit était profonde. Sauf que sur la table, tout était désordonné, les parchemins froissés et une plume semblait même cassée. Les yeux de la maîtresse de maison ne s’écarquillaient qu’un peu plus face à cette vue. Elle trouva, enfin, ceux de l’homme ; elle y rencontra une lumière qui ne manqua pas de la faire trembler : celle du désespoir.

Le temps, qui semblait s’être arrêté un moment, reprit à toute allure. Alys, sans réfléchir, se retourna, souffla la bougie qu’elle tenait dans la main puisque le bureau était déjà éclairé, et referma la porte derrière elle avec une précaution silencieuse. Il fallait qu’elle les enclose tous les deux là, elle le fit d’une main soignée et décidée, sans précipitation. En vérité, elle tremblait, ses gestes ne pouvaient être plus rapides que cela au risque de se faire maladroits ; elle ne voulait faire aucun bruit. Elle ne voulait pas brusquer la bête qui avait brâmé-là, quelques minutes plus tôt. Faisant volte-face à nouveau, Alys avança, sourde face à son inquiétude qu’il glapisse encore. Aveugle face à l’homme qu’était son frère, qu’elle savait pourtant plus dangereux encore qu’un animal blessé.

Retrouvant le regard de son frère, Alys était assaillie de questions qui étaient toutes doublées d’incrédulité. Travaillait-il vraiment, et autrement, pourquoi était-il éveillé à cette heure-là ? Quelle était cette lueur, qui brillait dans son regard, le dérangeait-elle à ce point ? Et cette odeur, dans la pièce, celle d’une chaleur moite et inquiète, était-ce lui qui la dégageait ? Avait-elle réellement entendu ce cri, plus tôt ? N’avait-elle pas pu le confondre avec l’un de Vaeranah ? Car autrement, ce devaient être les siens, et là, comme une vague, toute une autre série de questions déferleraient encore, cette fois-ci pour la noyer toute entière.

« Gerold… » souffla-t-elle, une inquiétude quasi-préhensible dans la voix, le regard toutefois gagné d’un souci maternel. Elle déposait lentement le bougeoir sur la table, comme pour ne pas le brusquer, quand, derrière elle, la souffrance criée de la braavienne reprenait, déchirant la nuit à nouveau. Alys ferma les yeux et serra les lèvres, comme pour se rendre hermétique à la souffrance de cette femme qu’elle ne connaissait que trop bien, et qu’elle craignait de ressentir dans son corps propre. Quand elle les rouvrit, son regard chercha celui de Gerold.

Il lui sembla qu’en croisant ses orbes sombres, certaines de ses questions trouvèrent réponse.

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Que la mer nous mange le corps
Que le sel nous lave le cœur
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Elle était entrée entre deux cris, dans la vallée d'un parfait et résonnant silence.
Ses pieds étaient froids comme le marbre. Son regard, quoi que déterminé, errait sans but sur la figure de sa soeur ; la vie du château lui parût soudain si misérable, si muette, d'un silence si absolument écrasant qu'il semblait empli du bruissement lointain d'une cascade. Cette paix rendait intolérable le supplice de la conscience, la malpropreté de l'existence, la perte, la perte, la perte. Et tout s'avérait alors figé, dans le temps et dans la mémoire, si bien que Gerold se demanda s'il était encore en train de respirer. Voilà donc à quoi ressemblait un Temps Mort. Et voici que soufflait le vent du Présent au sommet du Passé ! Et plus ce néant s'appesantissait, plus il sentait la palpitation très faible de son visage, dont l'emprunte se répandait par échos successifs dans la pièce. Graduellement, l'apparence de sang-froid retrouvée par une opération proprement magique s'étiola ; l'image d'Alys persistait, s'approchait de la conscience difficile qu'il était parvenu à avoir de lui-même. Dans le vide ainsi mélangé se précipitaient une foule de réflexions prosaïques, pantomimes de la pensée rationnelle, mais en réalité la rage montait en lui, faisant feu de tout bois. Néanmoins, il regardait seulement sa soeur, veillant très précautionneusement à ne surtout pas bouger, de peur de briser le nouveau, l'inconnu, le vulnérable Gerold qui était né un instant plus tôt.  
S'ils avaient vécu ensemble pendant toutes ces années, peut-être n'auraient-ils pas connu ce choc et cette humiliation ; leur intimité n'aurait été qu'un ajustement progressif, aussi imperceptible que le temps lui-même. Mais ils étaient des étrangers et Gerold commençait à la haïr pour ces années d'éloignement qu'elle ne respectait pas, pour son autorité, à laquelle elle ne se conformait pas, comme si ses ordres n'étaient rien et que leur indifférence était vaine. Il la haïssait du manque d'empire qu'il avait sur lui-même, et pour la façon dont elle le regardait, comme si elle était capable d'entendre la musique de sa souffrance, comme si derrière l'air supérieur, elle revoyait le jeune homme qu'elle avait jadis quitté. Il la détesta d'aller ainsi contre son gré, contre sa nature ; de le traiter comme un enfant qui ne savait pas où était son bien en ignorant sa requête, en le regardant tel un animal blessé. Il était faible, faible et fatigué, et cette façon de nourrir son impuissance l'éreintait davantage encore. Ne serait-ce qu'un regard condescendant aurait suffi à tout faire taire en lui ; au lieu de cela, Alys lui offrait quelque chose de pire : sa prudente indulgence. Et Gerold ne pouvait pas, comme le disait l'adage, tourner les talons pour mettre une distance raisonnable entre ses fêlures et le regard des autres. Plus le temps passait, plus il se sentait acculé et la rage montait en lui de se faire surprendre, défait comme au réveil entre les draps éparpillés de ses sentiments égarés. Il n'était pas assez mendiant, trop fier, pour se précipiter et les ramasser, et préférait s'y complaire comme un pirate au milieu de son butin.  
« Gerold...
-Gerold... »  S'entendit-il répéter, d'une voix dont suintait un cinglant sarcasme.  
Cruel, il singea son inquiétude. Un marteau ne voyait que des clous. Gerold était à présent persuadé, si peu maître de lui-même, que tout était limpide et qu'il avait été découvert comme l'on découvrait un sordide secret. Mais plus encore que d'avoir été ainsi dépouillé de sa salvatrice solitude, il détestait cette fausse compassion qui tentait de rentrer sous sa peau tel un serpent. Elle était peut-être sa soeur, mais cela faisait longtemps qu'elle n'avait de soeur que le nom et avait depuis longtemps perdu le privilège de pourvoir s'inquiéter pour lui. Pas après avoir souhaité si longuement, si ce n'était sa mort, au moins son trépas. Elle n'avait pas le droit de le regarder comme ça, de l'approcher, et encore moins de substituer son indifférence par cette odieuse esquisse de compassion.  
Soudain, un hurlement déchira la nuit d'une longue entaille terriblement lumineuse et Gerold ne put réprimer un frisson et ferma un instant les yeux. Lorsqu'il les rouvrir, un sourire féroce déforma sa bouche, mauvais et obscène. Elle était venue pour cela, non ? Confirmer de ses propres yeux ce que ses oreilles avaient cru entendre : la souffrance de son frère. Gerold... Il sentit ses sourcils s'arquer sous le poids de sentiments qui revenaient comme des vagues, sous la crainte qui renflait à mesure que sa soeur le soudoyait de sa pitié plaintive. L'affection ne pouvait entrer d'un seul coup dans une âme longtemps restée seule ; elle avait besoin de se préparer aux émotions douces comme les autres âmes avaient besoin de se préparer aux émotions fortes. Cette pitié qui luisait dans le regard d'Alys, c'était le témoignage de son échec ; un échec qui venait se mêler aux sentiments de vive médiocrité. Il avait échoué, ici et là, partout, à tous les niveaux, même à l'élémentaire et ponctuelle nécessité d'avoir un coeur aussi bien fait que sa tête. De tout son être, il ne parvenait pas à accepter cette présence qui le violentait.  
« Gerold... » Répéta-t-il, plus plaintif, plus moqueur.  
Lentement, le Grafton se laissa aller contre le dossier de sa chaise, et écarta les bras en montrant ses paumes, une expression mauvaise se mêlant à la douleur qu'il parvenait de plus en plus difficilement à dissimuler. A défaut de pouvoir se défendre convenablement, il s'offrait en spectacle.
« Alys... siffla-t-il cette lettre qui faisait frémir la langue contre une rangée de dents serrées ; maintenant qu'ils s'appelaient soudain par leurs prénoms respectifs, il insista lourdement sur le sien Alors, viens-tu contempler le déclin de ton Seigneur ? »
Ses sourcils tremblants s'arquèrent en une expression durement dubitative. Ce n'était pourtant pas une question, c'était une certitude. Et une leçon durement apprise pour sa part, alors qu'il devait lutter contre sa terreur pour ne pas finir un peu plus en pâture aux pieds d'une Royce. Sa bouche eut une grimace de dégoût, alors qu'il fixait Alys dans regard aussi noir que sinistre.
« Il n'était pas suffisamment palpable à travers les murs, alors il a fallu que tu viennes le regarder de tes propres yeux ? » Commenta-t-il d'une voix terriblement froide, dans laquelle perçait à peine le tremblement d'une émotion qui persistait.  
Que pouvait-il donc espérer ? Les Royce avaient été les premiers à se dresser et à se battre, à subir un siège et à ployer le genou sous la menace de la faim, à sacrifier un fils, leur fierté et ce qu'ils considéraient comme étant leur devoir, se faisant abandonner par leur suzerain. Depuis, ils payaient le prix des choix qu'ils avaient faits pour résoudre des désirs qui n'étaient pas les leurs. Lorsque le coupable de ces crimes se brisait sous leur toit, que pouvait-on espérer de plus ? Est-ce que les Dieux qu'Alys priait tard le soir étaient à la hauteur de ses sollicitations ? Que leur demandait-elle qui puisse-t-être à la hauteur de sa rancune ? La culpabilité était une conséquence que Gerold était prêt à porter, mais la solitude étranglait alors davantage.  
Il refusait de se laisser conquérir, saisissant néanmoins que cette attitude n'avait aucune issue, que ca n'allait pas durer éternellement et qu'il allait devoir abandonner cette part défendue de sa nature. Alys rendait sa souffrance d'autant plus sévère qu'il entendait parfaitement à quel point il avait besoin de faire confiance, au moins en quelqu'un, sans jamais parfaitement en être capable. Il aurait bien voulu espérer qu'elle fut plus sa soeur qu'une Royce, et que des années de cordiale rivalité étaient d'une moindre importance que des liens jadis éprouvés, mais ce n'était pas le monde dans lequel il vivait. Ce n'était pas sa réalité.  
« Et bien vas-y. Regarde. Mais après, par pitié, va-t'en. »
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