Face à soi-même

Je pense au « jour blanc » dont a parlé Marion.* Des jours Blancs… Cela m’a toujours fait sourire. Marion. Qui est Marion ? Les jours blancs. Ce sont les jours sans mémoires. Au début, je trouvais cela parfaitement terrifiant, angoissant. Mais ce n’est plus la même. Ce sont des jours, où ma vie ressemble davantage à une page blanche qu’à tout le reste. Des visages qui devaient m’être familiés, ne sont plus rien à mes yeux que des traits qui semblent avoir un écho à ma mémoire. Mais ma mémoire n’a plus les parois pour que rebondissent ces échos. C’était ainsi maintenant. Des jours blancs. Qui était Marion ? Je ne savais pas. Ou je ne savais plus ? Peut-être ne connaissais-je pas réellement de Marion ? Et que mon esprit me jouait des tours ? C’était possible aussi.

Je n’avais plus peur de ces « jours blancs ». Ils faisaient partie de moi et je savais que plus s’angoisser à ce sujet, plus ils devenaient invivables. Alors… au maximum, je laissais couler, je ne m’énervais pas contre moi-même. Dit comme cela… Cela avait l’air si simple, mais j’avais mis longtemps à les accepter, à les laisser simplement passer. Ce n’était pas définitif. C’était ce qu’il fallait se dire, ils ne faisaient que passer. Ils passeront… comme la pluie sur les montagnes, comme un vent dans les prairies. Les jours descendront à l’ouest derrières les collines, dans l’ombre… Je n’étais plus inquiète pour cela, enfin sans doute parce que je n’avais pas grande responsabilité… C’était bien mon seul avantage. Je n’avais que ma dragonne que je devais m’occuper.

Je ne l’oubliais pas, parce qu’elle était plusieurs fois notée dans mes carnets. Comme Edwyn, Seralya ou Feng. Je caressais le carnet que j’avais entre les mains, immobile devant mon bureau. Je n’avais pas peur. Je savais très bien comment cela commençait. Par des pertes légères… et de plus en plus vite après. Mes journées seraient chaotiques, je serais solitaire pendant quelque temps. Mais après, tout irait mieux. L’important était juste d’avoir la patience d’accepter de n’être plus que des fragments pendant un temps.

Non, ce n’était pas facile de regarder un visage qui devait être coutumier, amicale ? Et de ne pas savoir qui c’était, de devoir composer avec des informations données dans la conversation et non plus par son propre esprit. Depuis des années, je vivais ainsi, je savais que j’avais des périodes où c’était beaucoup plus facile… Il fallait juste attendre que cela aille mieux. Avoir cette patience, c’était un certain travail et prendre sur soi, s’obliger à prendre tout en note, de calculer, d’essayer sans forcer. La mémoire était meuble aux tiroirs parfois trop solidement verrouillés pour que je force dessus. Mais j’avais mis du temps, beaucoup de temps, à ne plus paniquer, à ne plus m’angoisser quand venaient ces moments-là. Je savais qu’ils venaient, je savais reconnaître les signes. Maintenant… je devais juste les affronter et un guerrier, un vrai guerrier ne triomphe de son ennemie qu’avec le calme et la patience. C’était comme au tir à l’arc , il fallait prendre son temps pour apprendre à viser et réussir à toucher sa cible. Et bien là… c’était la même chose. La patience m’avait permise d’apprendre à faire face sans peur. Car la peur tue l’esprit. Et je n’aurais plus jamais peur de l’absence.

Que ferais-je si j’étais maléfique ? La question se pose, n’est-ce pas ? Si j’avais été mauvaise, sans doute aurais-je saisi les cheveux de la servante qui vient de m’interrompre dans ma tache pour planter mon couteau dans sa gorge et je l’aurais puni de m’avoir brisé dans une routine pour une question qui aurait dû attendre et que j’avais déjà oublié… Mais qu’importe, mon humeur n’était pas belliqueuse, bien loin de là… c’était comme-ci mon humeur était un champ de neige, blanc, paisible, la couleur de la paix, de l’oubli… Mon humeur était aussi égale que ma mémoire… léger, blanc… vide… Certains hurleraient que c’était horrible, un malheur de perdre tout cela. De perdre des souvenirs. Mais j’en avais eu assez de laisser la peur se déverser dans tout mon être à chacune de ces périodes. Les accepter c’était… ce qu’il y avait de plus simple, moins paniquer… C’était aussi un confort sans fin, de juste… accepter. Et à mes yeux, l’accepter, ce n’était pas abandonner. C’était aussi apprendre à vivre avec e pouvoir y faire face.

J’étais toujours en face de la servante, immobile, un couteau en main alors que j’étais visiblement en train de découper de la viande cuite de… Qu’elle était cette viande. Cela devait être pour Seralyon. Au vu de la tête du morceau… Je cillai un peu en regardant toujours la servante. Une question. Avais-je… besoin d’aide ? Je secouais la tête.

« Non, merci, je peux me débrouiller seule. »

Elle s’inclina un peu et partit. Ouf… Enfin. Je posai mon couteau sur la planche à découper avant de fermer les yeux, le silence était d’or pour moi. Moins je parlais mieux c’était. Je cillai un peu. Qu’est-ce que je devais faire ? Où est-ce que j’en étais ? Par les Anciens… J’avais l’impression d’être un charlatant perdant le fil de son numéro face à son public. Quelle farce… J’inspirai profondément avant de tourner la tête pour regarder ce que j’avais déjà préparé. Je devais sûrement préparer mon repas pour aller rejoindre Seralyon. Cela devait être ça.

Je finis de découper la viande avec grand soin, c’était pour ma dragonne après tout. Aussi étrange que cela puisse paraître j’avais une grande affection pour ma dragonne. Je savais qu’elle n’aimait pas que je sois très loin. Une vraie enfant capricieuse. Qu’importe, il ne me restait plus grand-chose de mes racines… Peut-être que c’était pour cela que j’aimais voler. Je finis de préparer le repas, rajoutant un morceau de fromage et trois oranges, je chargeais mon sac sur mes épaules, nettoyant l’endroit rapidement avant de ressortir. La question… maintenant c’était réussir à sortir pour rejoindre ma dragonne et ne pas me perdre dans un salon. J’avais peur de faire irruption dans un endroit où je ne devrais pas être.
   

La ville avait été bien animé ce matin, les marchés grouillaient de monde. Une [b[averse[/b] de visage m’entourait en permanence. Qu’importe, j’avançai sur le dos de a jument, qui se frayait un chemin à pas lents dans les ruelles étroites. Ma jument connaissait parfaitement le chemin et je n’avais aucune protestation à avoir. Elle était d’une grande aide quand ma mémoire me faisait défaut. Au moins, depuis ma hauteur, j’avais largement assez d’espace pour respirer. J’avançai, tranquillement jusqu’à la sortie de la ville. Je pressai gentiment les talons pour inciter ma jument à accélérer. Le calme et la solitude était le meilleur antidote pour mes migraines.

Je me demandai où était Seralyon, est-ce qu’elle s’était éloignée peut-être jusqu’au cœur de Dorne ? C’était possible aussi. Elle était grande maintenant. Je glissai ma main dans mes affaires pour caresser le cachet de cire encore intact qui venait d’Edwyn. Ça je le savais. Je continuai mon petit bout de chemin jusqu’aux traces de ma dragonne qui semblait fort aise, il y avait des cadavres de chèvres, moutons, phoques… Enfin, elle avait toujours de quoi manger. Du moment que ce n’était pas des humains, je ne demandais pas grand-chose. Enfin, elle obéissait ! C’était ça le plus important.

Perdue dans mes pensées, je ne pus rester en scelle quand Galitaca fut surprise par ma dragonne qui passa avec un rugissement. Elle fit un violent écart et je vidais mes étriers. Je poussai un cri de douleur, je venais de me prendre un os, ressemblant plus à un harpon qu’à un véritable os, dans la cuisse. Je serrais les dents avant de siffler, Heureusement que ma jument avait juste fait un écart et ne s’était pas barrée en galopant je ne sais où. Elle revient aussitôt, elle avait l’habitude de Seralyon, mais cette dernière l’avait juste surprise. Je tendis la main pour attraper les rennes et me redresser. J’avais toujours de quoi faire dans mes fontes. Merci Edwyn de m’avoir tout préparé… Je retirai l’éclat d’os avec une grimace, heureusement, ce n’était pas trop large, et cela n’avait pas traversé toute la cuisse, mais c’était une belle plaie. Avec une grimace, je retirais l’os brisé, descendis mon pantalon, toujours appuyée sur ma jument, nerveuse, pour bander fermement ma chair. C’était mieux que rien. Je passerais voir le mestre plus tard. La douleur serait un bon moyen de se rappeler. Pas vrai Boa ? Je finis de tout ranger, rattrapant le peigne en os que j’avais avant de finir le trajet à moitié claudiquant, Seralyon, posée, n’aimait pas que je ressente la douleur. Mais je me laissai glisser contre le seul arbre qu’elle n’avait pas brûlé, pour lire la lettre d’Ed.