Across Westeros - ft. Shedda

Les journées passent et se ressemblent pour le seigneur des lieux. Lorsque le soleil se lève, les affaires commencent. Il doit s’occuper des personnes qui dépendent de son pouvoir, les paysans autour de son château, les soldats gardant son fief, les servants et servantes qui grouillent dans les couloirs, les membres de sa famille et bien d’autres. Tout le monde s’en remettait au seigneur pour régler les différends et les problèmes rencontrés. Mais le seigneur en avait marre de tout ça, des responsabilités, des affaires courantes, des missives quotidiennes, des demandes, des attentes. Au fil des années, il s’était efforcé de tenir, par loyauté pour son défunt père et parce qu’un chevalier digne de ce nom n’abandonnait jamais. Il ne voulait en aucun cas porter le déshonneur sur sa famille. Mais l’état mental dans lequel il se retrouvait désormais prenait trop de place face aux principes, face à cette loyauté. Il sombra peu à peu dans la dépression, chose qui n’était pas étonnant aux yeux de sa famille, de sa mère plus particulièrement. Enfant, il n’était pas joyeux et s’amusait peu. Son écuyage lui permit de s’ouvrir un peu au monde mais demeurait toujours l’enfant au regard perdu qu’il était. Bien des années plus tard, seigneur aguerri, chevalier expérimenté, le seigneur s’était retrouvé dans une situation délicate. Si son frère cadet avait eu des enfants, ce n’était pas le cas du second-né ni du seigneur lui-même. Pire encore, des fausses couches et des mort-nés étaient le résultat des grossesses de l’épouse du seigneur et de celle du second frère. La situation déjà complexe fut empirée lorsque le second frère s’en prit à son aîné. Présents tous deux au bord de la falaise qui bordait le château qui les avait vu grandir, les deux frères en étaient venus aux mains. Le seigneur tentait de raisonner son petit frère, en proie au chagrin et au deuil. Aucun des deux ne vit alors que le bord de la falaise était proche et le seigneur chuta sans que son frère ne puisse le rattraper à temps. La chute sembla longue pour le seigneur, voyant alors sa vie défiler devant ses yeux et voyant, surtout, au loin le visage de son frère arborant une expression de choc. Lorsque son corps entra en contact avec l’eau de la mer qui se trouvait en bas de la falaise, tout disparut et tout devient noir.

Wart se réveilla en sursaut et en sueur. Regardant autour de lui, il lui fallut quelques secondes pour se rappeler où il était. Bien loin de Vieux Jardin, le seigneur déchu avait vécu bon nombre d’aventures depuis sa chute qui le hantait encore. Se trouvant quelque part dans les contrées désertiques de Dorne, il faisait route vers l’inconnu, là où les Sept voulaient bien les mener, sa protégée et lui. Après un petit séjour à Lancehélion, il était temps pour eux de quitter la cité pour avancer dans leur voyage. Wart ne savait pas encore où tout cela les mènerait mais il savait que son retour à Westeros le mènera probablement un jour jusqu’à Vieux Jardin. Mais pour l’heure, il était temps de se lever. Le soleil brillait déjà depuis quelques minutes. Shedda était encore endormie. Consultant les cartes qu’il avait réussi à se procurer à Lancehélion, Wart étudiait tous les jours les potentiels trajets qu’ils pouvaient emprunter. Bien sûr, l’idée était d’éviter à tout prix le Bief et là où les gens pourraient potentiellement le reconnaître. Il n’avait pas encore repris sa véritable identité et demeurait encore ce chevalier errant du nom de Wart. Sans réel but pour l’instant, ce voyage entrepris en partance de Lancehélion ne pouvait avoir qu’une destination provisoire possible : l’Orage. Wart espérait ainsi pouvoir atteindre la frontière et traverser les Marches de Dorne avant la fin de l’année si possible. Leur progression était en effet lente étant donné la méconnaissance des lieux. Wart avait très peu eu l’occasion de voyager jusqu’à Dorne, en tout cas pas dans les terres intérieures. Il avançait presque à l’aveugle. Plongé dans ses réflexions quant à son rêve de la nuit passé ainsi que sur la direction à suivre pour le trajet du jour, il n’entendit pas tout de suite le bruit des pas approchant de lui. Cela ne pouvait être que Shedda, désormais réveillée. Passant une main dans sa barbe, devenue généreuse, lui qui en arborait une légère autrefois, Wart rangea les cartes et autres affaires dans sa besace. Il ne se retourna pas et tout en posant délicatement sa main sur le pommeau de son épée, il brisa le silence qu’il s’était imposé depuis son réveil.

- Prête pour ton entraînement matinal ?

La jeune fille n’avait que quatorze ans mais depuis qu’ils avaient débarqué sur Westeros, Wart l’élevait comme sa fille, l’entraînait comme son fils, l’éduquait comme un enfant de Westeros. Il lui enseignait tout ce qu’on lui avait enseigné et cela passait également par le maniement des armes. Il aurait pu laisser cette enfant à un orphelinat ou à une famille désireuse d’avoir un enfant à élever mais du moment où la mère de la petite est morte, il avait fait une promesse. Il avait fait la promesse à sa mère de protéger sa fille. Il avait fait la promesse à la fille de toujours être là pour elle. Il s’était fait la promesse de ne jamais l’abandonner. Elle était devenue sa responsabilité, le fardeau qu’il avait accepté de porter et de ne plus jamais quitter. À ce stade, il n’était pas encore l’homme qu’il deviendrait des années plus tard, le père qu’il deviendrait pour elle dans les lunes et années à venir. Ils étaient encore inconnus pour l’un et l’autre, s’apprivoisant au jour le jour. Leur voyage ne faisait que commencer après tout.

Depuis son retour sur Westeros, Wart enchaînait les cauchemars. Il se revoyait tomber, encore et encore, de cette falaise près de Vieux Jardin. Six ans ont passé depuis cette chute, depuis sa disparition. Il était un autre homme, connu sous le nom de Wart, tout simplement Wart, sans nom de noblesse, sans appartenance à une quelconque famille. Il arborait encore ce nom dont il s’était affublé lui-même. Galladon Oldflowers était un lointain souvenir encore et il venait tout juste de débuter la quête pour le retrouver. Le chemin serait long, très long, bien plus long qu’il ne l’aurait pensé. Quand il ne rêvait pas de sa chute, il rêvait de son épouse, lady @Delena Oldflowers et, réveillé par un sursaut, il pensait à elle, l’imaginait vivre le deuil à Grenadier d’un mari bien lugubre, un seigneur dépressif et un père qui n’aurait pas été à la hauteur. Il avait encore de cet homme fataliste en lui. Chassé le naturel, il revient au galop. Ses années en Essos ne lui avaient pas fait que du bien et en cela, il louait l’attention des Sept à son égard. Jusqu’ici, seul le Père s’était manifesté mais il était convaincu que les six autres figures viendraient à lui, l’appelleraient en songe, lui indiqueraient la marche à suivre, le chemin à prendre pour accomplir sa quête de rédemption. Debout bien avant sa protégée, bien avant le lever du soleil, il consultait les cartes de Westeros qu’il s’était procuré. Une seule motivation pour trouver son chemin : éviter le Bief. De Lancehélion, ils se dirigeaient évidemment vers les terres de l’Orage, via les montagnes rouges. Mais il était hors de question de rallier le Bief. Au sud, se trouvaient Darkdell et Trois Tours, de proches parents de Galladon. Au nord, se trouvaient Grenadier et Herbeval, le fief de son ex-épouse et celui de son mentor. L’Orage semblait plus prompt comme destination et c’était vers la frontière entre les deux régions méridionales que Wart et @Shedda se dirigeaient.

La voix de la jeune fille lui rappela justement qu’il ne s’agissait que d’une jeune fille. Shedda venait d’avoir quatorze ans et depuis plusieurs lunes maintenant, elle suivait aveuglément Wart. Elle l’écoutait, lui obéissait, le suivait, l’épaulait. Elle était devenue son obligée, sa protégée, sa disciple. Dès leur arrivée à Westeros, il lui annonça qu’il l’éduquerait et l’instruirait afin qu’elle passe partout à ses côtés. Elle devait savoir se défendre dans ce monde brutal. Bien sûr, il en avait interrogé les Sept. Une jeune fille maniant une épée ? Était-ce honorable ? Était-ce accepté ? Il trouva ses réponses. Shedda n’était pas une fille comme les autres. Elle n’était pas née à Westeros mais à Meereen où la vie était bien plus cruelle que sur le continent occidental. Il commença alors à l’entraîner, à lui montrer son savoir, à faire d’elle son « écuyer ». Bien sûr, les premiers temps d’apprentissage furent consacrés à la langue même si le chevalier était peu loquace. Shedda parlait peu et la langue commune devait être apprise si elle souhaitait suivre Wart sur le continent et pouvoir comprendre les personnes qui lui parlent. C’était un véritable défi pour Wart qui n’avait jamais éduqué ni instruit un enfant avant. Il n’avait pas eu le plaisir de connaître cela. Les fausses couches répétées de Delena ne présageaient, à l’époque, rien de bon les concernant. Il s’était fait à l’idée au fil des années. Mais le voici découvrant quelque peu une forme de paternité avec sa petite protégée. Sa mère, lady Ermesande, serait sans doute horrifiée de voir cette scène qui s’installa quelque part dans les terres arides de Dorne. Wart, un chevalier errant, faisant face à une jeune fille frêle et étrangère. Quelle idée !

- Ta garde. Ta posture. Tes jambes.

Wart tournait autour de Shedda. C’était sans réellement répondre à sa question qu’il commençait lui-même la leçon du jour. Retour aux bases. Posture. Se tenir droite. Ne pas baisser sa garde. Tenir fermement son épée. Le regard vif. Le poids du corps bien réparti. Les jambes puissantes. Parfois, il en oubliait qu’il avait une petite fille à ses côtés. Mais dans la quête qui était la sienne, il savait qu’il rencontrerait maints dangers. Elle devait s’y préparer. Peu bavard, lançant çà et là des mots, des ordres, des réflexions, il lui demanda de travailler quelques mouvements appris ces derniers jours. Il s’agissait de mouvements de base. Attaque. Esquive. Parade. Contre-attaque. Tapotant du plat de son épée, il la remettait en place à chaque pied écarté, chaque dos courbé, chaque garde baissée. Il avait fabriqué un mannequin pour les entraînements afin de lui montrer où porter les coups s’ils venaient à se faire attaquer par des bandits. C’était là bien tout ce qu’il lui apprenait pour le moment. Les bases, les simples bases, vues et revues encore et encore. À chaque entraînement, il se montrait plus exigent encore que les précédents. Shedda n’était effectivement pas une fille comme les autres, elle n’était pas Ouestrienne et c’est pourquoi il l’entraînait au maniement des armes, au combat. L’éducation martiale fut la première chose que Wart inculqua à la jeune Meereenienne qui ne savait encore que peu de choses sur Westeros.