De nacre et de neige [Avec Robb Stark]

L’œil affûté, les mains agiles, Aemma réajusta le collier de perle sur le cou de la tête de bois qu’elle avait posé devant elle. La jeune femme fredonnait un petit air léger tout en s’affairant, ouvrant et fermant les petits coffres qui se trouvaient sur la table à l’envie. Elle vérifia que les boucles d’oreilles étaient bien en place, changea l’une d’elles afin de montrer la richesse des teintes que les siens proposaient. Plutôt du rose, oui, cela ressortait mieux sur le bois clair. Les perles blanches seraient d’un meilleur effet sur l’étoffe carmin qu’elle utilisait pour présenter les broches ! Puis ce qui était des bagues, la jeune femme les avait glissé sur un support arrondi en bois flotté. Un Ne manquait plus qu’un miroir et cette scène serait parfaitement arrangée. La Massey quitta son siège, s’agenouillant à côté d’un autre coffre. Elle écarta une longue pièce de tissu, découvrant son propre reflet de la sorte. Parfait, le voyage ne semblait pas avoir eu raison de la glace. Usant d’un petit support, Aemma déposa le miroir sur la table, dissimulant le pied de bois dans un pli de la nappe.


Et quelque chose à boire également ! On ne parlait pas affaires en craignant d’avoir la gorge sèche ! Une cruche de vue patientait sur un plateau en bois, de même que deux gobelets. Tout était prêt, semblait-il. La jeune femme fit le tour de la tente une dernière fois, pour s’en assurer. Ce n’était pas tous les jours que les Massey recevaient un tel client ! Le suzerain du Nord en personne, rien que cela ! Afin d’écouler une partie de leurs créations, l’intendance avait prévu cette tente dans lesquels les Massey accueillaient ceux et celles qui voulaient faire quelques emplettes. Les pièces étaient alors sorties au fur et à mesure des deux ou trois boîtes qui avaient fait le chemin avec eux. Pour Lord Stark, Aemma avait effectué une petite sélection, gardant quelques pièces à l’abri des regards, afin de ne pas attirer les convoitises d’autres personnes. Elle pourrait toujours les lui montrer après l’avoir interrogé sur la raison de sa venue.


Aemma avait encore du mal à se figurer ce qui allait se produire. Pour le tournoi de Port-Réal, son père lui avait transmis quelques pièces fabriquées par leurs artisans, afin qu’elle puisse les porter le temps des réjouissances. Son apparence sortait de l’ordinaire, avec ses longs cheveux d’argent, aussi attirait-elle déjà l’attention. Dès lors, mettre leur production perlière en valeur devenait un jeu d’enfants. Aussi, la Massey alternait selon ses envies les parures qu’elle portait. Tantôt, il s’agissait des bijoux légués par sa grand-mère puis, le lendemain, de parures de perles. Parfois les deux, lorsque les deux se mariaient. Une stratégie qui avait porté ses fruits, leurs ventes se portant pour le mieux.


Lord Stark n’avait pas été indifférent à la parure à la fois discrète et élégante qu’elle avait porté, lors de certaines épreuves. Aemma avait été surprise de le retrouver à la fin de l’une des journées de joute. Ils avaient discuté un temps, se rappelant les quelques souvenirs qu’ils avaient en commun. Leur première rencontre remontait à bien des années, à l’époque où Lord Robb était la pupille de feu leur roi. A dire vrai, la jeune femme avait été surprise en apprenant qu’il l’avait reconnue, malgré toutes ces années. Il n’en restait pas moins que la conversation avait été plaisante et que le jeune homme lui avait confié qu’il recherchait un présent pour Dame son épouse, restée dans le Nord pour mener à bien sa grossesse. C’était tout naturellement qu’Aemma lui avait parlé de l’artisanat propre à Danse-des-Pierres.


Telle était la raison de cette minutieuse préparation. Son père n’en avait pas cru ses oreilles, lorsque sa fille cadette lui avait fait le récit de sa journée. Décision avait été prise qu’Aemma se changerait de la transaction, une preuve de confiance que la Massey avait acceptée, le cœur gonflé de fierté. C’était ainsi qu’elle s’était retrouvée dans cette tente, sous bonne garde d’un garde appartenant à sa maisonnée. Au-delà de sa propre vie, il était question de veiller au mieux sur les bijoux et autres parures qui avaient fait le voyage avec eux. Il s’agissait d’efforts de plusieurs mois et il était hors de question de gaspiller tout cela de quelque manière que ce soit.


« Demoiselle Aemma, Lord Stark approche. lui apprit l’homme posté à l’extérieur.
- Ah, fort bien ! Ne tardez pas à le faire entrer, je vous prie. »


La jeune femme prit une grande inspiration avant d’adresser un grand sourire au Stark lorsqu’il pénétrait dans la tente. Se fendant d’une gracieuse révérence, Aemma invita ensuite son prestigieux client à s’asseoir sur l’une des chaises, prenant place devant lui.


« Lord Stark, c’est un plaisir de vous revoir ici. Le tournoi est toujours à votre goût ? Il est rare de voir tant de personnes de qualité réunies dans un même endroit, nous en garderons tous et toutes bien des souvenirs. Aemma posa ses mains devant elle, sur la table. Et peut-être qu’un autre de ces souvenirs se trouve sur cette table ? Dites-moi ce que vous recherchez et voyons si je peux exaucer votre souhait. »

 Robb Stark devait admettre que les épreuves de Tir à l’Arc l’intéressaient peu. Après la mêlée à laquelle Jon avait participé et n’opposant pas des gaillards qu’il avait particulièrement envie de regarder, il doutait de son implication sur les gradins de la lice, ce jour-là. Il était préoccupé par autre chose, maintenant que cette affaire-là était terminée. Il attendait avec impatience un courrier qui devait lui annoncer la naissance de ses enfants. Il avait en effet quitté Winterfell en laissant derrière lui sa suzeraine enceinte ; entre temps, il avait appris qu’elle n’attendait pas un mais deux enfants, dont elle parvenait manifestement à mener la grossesse à bien, puisqu’une dizaine de lunes plus tard, ils n’étaient pas encore arrivés. Le mestre du Château avait annoncé l’accouchement pour le tournant de la décennie, ce qui mettait le Stark en joie ; quelle meilleure façon que de commencer l’An 310 qu’en accueillant deux nouveaux héritiers, et peut-être parmi eux, son premier garçon ?

Peinant à mettre de l’ordre dans ses pensées, Robb avait quitté l’arène entre deux tours de l’épreuve de tir à l’arc, laissant derrière lui ses frères faire bonne figure pour les Stark, et espérant qu’il pourrait profiter d’un peu de tranquilité si tout le public était pressé dans les gradins de la lice. C’est qu’il avait quelque part où aller, cet après-midi là. Vêtu d’atours fort estivaux qu’il avait fait confectionner avant de quitter le Nord, il s’était aventuré dans les allées plus commerciales de Port-Réal. Escorté par deux gardes, il cherchait une tente en particulier dans laquelle on l’avait convié. De nombreux commerçants s’étaient effectivement installés-là spécialement pour l’événement, Robb prenait ainsi plaisir, tous les jours, à découvrir quelles merveilles les Sept Couronnes avaient à offrir. Grappillant de quoi grignoter en chemin, mirant quelques étals d’artistes qui lui plurent beaucoup, il se promis de revenir avec Rickon à qui il essaierait de transmettre quelque rudiments de son goût pour ces choses-là. Arrivant finalement dans les allées des artisans, il envoya devant lui une de ses escortes pour chercher l’entreprise des Massey, celle pour laquelle il était en quête. Il en profita pour toucher du bout des doigts quelques ferronneries et autres objets précieux, sentant bien qu’il se rapprochait du but, si toutefois les choses étaient quelques peu ordonnées dans ce marché. Sur son passage, des chuchotis émergeaient et un chemin se frayait trop facilement ; sans doute que sa tunique bleue nuit sur laquelle un grand sombreloup était brodé d’un fil d’argent faisait son petit effet. Heureusement n’avait-il pas emmené le véritable Vent-Gris avec lui, au risque que des cris d’effroi sillonnent aussi son passage. Son escorte le retrouva devant un joaillier au sourire presque aussi brillant que ses pierres, et le tira vers un étal qui se situait quelques dizaines de mètres plus haut. Le suzerain du Nord demanda à ses gardes de l’attendre devant, ne souhaitant pas être empêtré dans ses pas par des hommes en armure.

A l’intérieur de l’ambiance feutrée de la tente l’attendait Aemma Massey, dont il croisa le regard bleu sombre en lui adressant un large sourire. Elle l’accueilli en se fendant d’une profonde révérence, a laquelle Robb répondit d’un geste du crâne respectueux. Précipitée, la jeune femme lui adressa quelques mots de bienvenue en l’invitant, d’un geste de la main, à s’asseoir sur un des sièges qu’elle avait sans doute préparé pour lui. Amusé, le suzerain du Nord se pris au jeu, et s’installa à son bureau, retirant d’un mouvement ses gants en cuir qui lui tenaient trop chaud dans l’air étouffant de la capitale. « Ma Dame, je ne pensais pas que vous m’attenderiez ici en personne, quand vous m’avez invité à visiter votre boutique ! Je vous remercie de prendre ce temps pour moi … » lui répondit-il gaiement alors qu’il regardait un peu autour de lui, jaugeant déjà de ce qui lui était présenté.  Il n’était pas foncièrement sincère, il savait bien que pour un suzerain on sortait le grand jeu et qu’il n’aurait pas été accueilli-là par un simple commerçant de seconde zone … Il savait toutefois comment faire plaisir, et ce genre de flatteries étaient gratuites et faisaient toujours bon effet.

La jeune femme aux allures vaporeuses ne se laissait toutefois pas gagner trop facilement par la bonhommie, et rentrait dans le vif du sujet, emportant le Seigneur Stark avec elle. Elle philosophait sur les souvenirs qui seraient construits à l’occasion de ce tournoi, et qu’on pourrait emporter avec soi en quittant Port-Réal. C’était sur un souvenir, d’ailleurs, que reposait cette rencontre : Robb Stark avait reconnu la jeune femme dans les gradins des épreuves de joute. Il se souvenait d’elle, gamine, et sans doute lui l’était plus encore, dans les couloirs du Donjon Rouge. Ils s’y étaient rencontrés à quelques reprises pendant leur enfance, et y avaient échangé à quelques occasions. Robb se souvenait notamment d’une fois, une discussion passionnée dans la grande bibliothèque du Château. C’était toutefois sans nostalgie qu’il était allé l’aborder après le second tour, la complimentant sur ses parures, auquel il avait été fort sensible. Lady Aemma avait ainsi saisi cette opportunité pour lui mentionner le commerce et l’artisanat familial, trop contente de pouvoir le vanter à si haut personnage. Robb en avait été fort satisfait, lui promettant ainsi une visite dans sa boutique quelques jours plus tard ; ils s’étaient accordés sur le jour du Tir à l’Arc, qui laissait entre chaque tour un peu de temps pour des balades.

La jeune femme lui demandait déjà comment elle pourrait l’aider à trouver son bonheur dans son commerce. Saisi par une telle vivacité, le suzerain haussait des sourcils amusés. « Quand j’ai vu vos perles, madame, là-haut dans les gradins … J’ai tout de suite pensé à mon épouse. Elle a hérité d’un collier de perles grises qui appartenait à une aïeule Stark, voyez-vous, mais il est fort court et j’aimerais qu’elle puisse avoir une parure en son nom … » Le regard du suzerain s’était perdu quelques instants, alors qu’il songeait au souvenir de son épouse, portant cet atour en ras-le-cou. Ému, il chassa cette pensée de son esprit en retrouvant le regard de la Massey, et poursuivit son propos : « Elle vient d'accoucher d'une petite fille. C’est pour ça qu’elle n’a pas pu m’accompagner jusqu’ici, et qu’elle ne peut choisir elle-même ce bijou, ce que j’aurais préféré, bien sûr … » Robb aimait, toutefois, faire des cadeaux, et pouvait se vanter de réussir, bien souvent, à faire sincèrement plaisir à ceux à qui il en offrait. « Aidez-moi, s’il vous plaît, à trouver un cadeau qui sera à la hauteur d’un pareil événement … »

Lady Aemma ne risquait pas grand chose : à moins qu’elle soit fort mauvaise, ou que ses joailleries soient toutes informes, le suzerain était d’humeur dépensière, surtout quand il s’agissait de sa chère et tendre.

Une pointe d’amusement piqua le sourire de la Massey, avant qu’elle ne se recompose d’un de ces masques de courtoisie dont sa cousine avait le secret. Un secret que la jeune femme maniait désormais aussi sérieusement que ses frères pouvaient manier l’épée. La jeune femme n’était pas insensible aux flatteries. Elle y picorait volontiers, tout en sachant pertinemment qu’il ne s’agissait-là que de quelques friandises qui pouvaient bien vite donner le tournis. Elle trouverait toujours à se nourrir davantage en d’autres lieux. Aussi, les mots du suzerain firent leur effet et Aemma les savoura un instant. En y ajoutant les mines indéniablement surprises, peut-être même un peu déconfites, d’Arthur et Justin lorsque leur père lui avait attribué cette vente, tout cela prenait un tour des plus délectables. Qui plus est, la gaieté du Nordien faisait plaisir à voir et elle était bien décidée à le suivre sur ce chemin !


« Les Massey ont le sens de l’accueil de Danse-des-Pierres jusqu’aux Îles d’Été. assura Aemma, humblement. Quelle hôtesse serais-je si vous rapportiez dans votre si cher Nord que les Couronniens ne sont que des rustres ? » s’empressa-t-elle d’ajouter, faussement atterrée.


Sa voix s’était délestée sans mal de sa modestie pour ne revêtir que de l’amusement. Bien sûr, Aemma avait eu un semblant de trac, en entrant seule dans cette tente. Il lui avait fallu faire preuve de trésors de calme pour recomposer ce masque comme Vaelle lui avait si bien appris. Pour que ses mains acceptent de ne plus trembler, alors qu’elle fouillait dans les malles et les coffres qu’elle avait pourtant elle-même sélectionnés. Tout cela pour en arriver à cet instant. Les perles provenant de Danse-des-Pierres, ou façonnées à cet endroit, commençaient à avoir leur petite réputation dans les environs. Les imaginer parer le cou d’une si noble Dame que la suzeraine du Nord serait un grand honneur ! Un grand honneur et une œuvre d’art en soi. Si Aemma choisissait ses perles selon son humeur, au-delà de la carnation de sa peau ou de la couleur de ses cheveux ou de ses prunelles, elle se montrait plus intraitable encore concernant ce qu’elle conseillait à leurs clientes.


« Vous êtes fort prévenant, Lord Stark. Comment ne pas souhaiter votre bonheur, à vous, votre épouse et à cette jeune enfant ? Vous avez d’ores et déjà mes plus sincères félicitations, nous avons tous besoin d’un petit éclat de bonheur de temps en temps. Aemma s’était grandement adoucie, sincèrement touchée par la situation. Nous allons trouver une fort belle manière de célébrer ce petit miracle ! »


Cette aïeule Stark ne pourrait que rougir en voyant ce qui se faisait désormais. Le gris était une couleur toute indiquée pour les Stark, certes. Aemma escomptait bien détourner son client de cette idée. Ou au moins pouvait-elle lui proposer un gris-bleuté ! Ce serait bien un minimum ! Quelque chose qui sortirait de l’ordinaire, qui attirerait le regard parmi les étoffes sombres ou les fourrures que les Nordiens se devaient de porter parfois même à la belle saison. De la discrétion, de la sobriété, mais sans pour autant tourner à l’austérité la plus totale. La Massey se refusait de croire que les terres du Nord n’étaient que frustes. Elles avaient un charme indéniable, pour ce qu’elle avait pu apprendre à ce sujet. Ce qu’il leur fallait, c’était un petit détail qui ferait la tenue de Dame Stark, en somme !


« Parlez-moi de cette grande Dame, de ce qu’elle est pour vous. l’enjoignit la Massey. De sa manière d’être au fil des jours, que je puisse me faire une idée de ce qu’elle est en dépit de son absence. Peignez-moi le portrait que vous souhaitez que je souligne de quelques perles. »


Aemma ne connaissait rien de sa cliente. Ce n’était pas une première, cependant. Ces messieurs appréciaient de dissimuler leurs présents jusqu’au dernier moment à l’élue de leur cœur. Tant de cachottiers qu’il fallait contenter sans craindre de se tromper. Cette situation avait tendance à l’amuser. Dès lors, la Massey faisait preuve d’imagination. Tous les détails étaient bons à prendre, de la couleur de ses cheveux à sa démarche. Il serait fort malvenu d’alourdir une silhouette gracile de trop grosses perles. Ou d’en proposer de trop petites qui ne s’accorderaient pas à la forme de son visage. Il serait bien trop dommage que Lord Stark s’en retourne en sa demeure avec un présent mal accordé.

Robb rit doucement en haussant largement ses sourcils épais à l’idée de Lady Massey. « Jamais de la vie » répondit-il avec une fausse précipitation dans le ton : elle suggérait que les nordiens puissent juger les habitants de la Couronne comme des rustres. Or, s’il y avait bien une chose que ses sujets ne diraient certainement jamais sur les couronniens, c’était bien cela. Qu’ils soient un tas d’hommes délicats et enguirlandés, sans doute, que ce soient des lèches-bottes couverts d’or par des nobles qui élisaient trop facilement leurs favoris, sans doute, qu’ils jouent à la guerre comme les filles à la dînette à l’occasion de leurs tournois, évidemment, mais que ce soient des rustres, non sûrement pas. Ca, c’était l’apanage des nordiens, et la jeune femme le savait bien. Le Seigneur Stark ne se souvenait pas de Lady Aemma comme d’une femme particulièrement affable, elle lui apparaissait comme une personne discrète, pour ne pas dire effacée, mais il l’avait vue pour la dernière fois âgée d’une douzaine d’années, au Donjon Rouge. Être une jeune fille d’une maison mineure, toute couronnienne puisse-t-elle être, dans le château du Roi Rhaegar ne devait pas lui avoir permis une grande loquacité. Sous cette tente, toutefois, la Massey était dans son royaume : celui des perles de Danse-les-Pierres, que le suzerain du Nord admirait avec un œil excité.

Elle le félicitait pour la naissance de sa fille, Robb songea alors que Lady Aemma devait compter parmi les premiers westerosi à connaître la nouvelle. C’est qu’avant les deux lunes d’un enfant, on évitait d’annoncer sa venue au monde, surtout au moment d’un tournoi pour le Roi : ça risquait de faire de l’ombre aux célébrations royales, ou pire, de passer inaperçu. Et s’il y avait bien quelque chose que le Seigneur de Winterfell ne voulait pas, c’était que la naissance de sa troisième fille ne soit effacée par une autre nouvelle qui serait plus lustrée, pour une raison ou pour une autre. Ses filles, en effet, méritaient toute l’attention que réclamait leur illustre nom. « Je vous remercie, ma Dame », entama-t-il, révérencieux, avant de poursuivre, plus gaillard dans le regard : « et je vous fais toute confiance à ce propos ». Si Robb était sincère, il lui cachait son exigence : le suzerain n’était pas un client facile, tout nordien qu’il fut, car il n’avait justement rien d’un rustre. Il avait été élevé dans le Donjon Rouge par le Roi des Sept Couronnes et son épouse, il avait grandi avec les princes et les princesses Targaryen sans que son statut de pupille ne les en éloigne trop, il avait reçu le même enseignement que les autres enfants de son âge de ce château royal, il avait ainsi développé, comme eux tous, le goût des belles choses. Cela s'appliquait aussi pour ce qu'il avait envie d'offrir à ceux – celles, en l’occurrence – qu’il aimait : Robb s’appliquait toujours à faire de beaux cadeaux, et il avait bien l'intention de s'appliquer pour que cette occasion ne manquerait pas à la règle.

La Massey mettait ainsi toutes les cartes de son côté en demandant au Seigneur Stark de lui parler de son épouse : il n’y avait que comme ça, à l’avis de Robb aussi, qu’on pourrait lui trouver une parure qui la mettrait en valeur pour le mieux. Cherchant comment décrire au mieux sa femme, le Stark réalisa qu’il l’avait quittée depuis plus de cinq lunes. Pourtant, il gardait encore en mémoire le moindre de ses traits : « mon épouse a les traits typiques des Omble : sa peau est blanche et laiteuse, elle a de grands yeux bleus et ses cheveux sont bruns, presque noirs. » le suzerain songea à la courbe de ses sourcils, délicate, et à l’arrête de ses pommettes, fort haute. Il ne précisa pas, par respect pour son beau-père, que si sa femme tenait bien des Omble, elle avait un air noble qui leur ressemblait peu. Plutôt, il ajouta : « son visage est long et fin, certains pourraient le juger anguleux mais il n’en est rien. Lady Stark a le visage d’une suzeraine. » Un air de fierté brillait dans le regard de son époux, qui avait les yeux rivés sur l’entrée de la tente, comme si, d’une minute a l’autre, Kylis pouvait en franchir l’entrée. Inspirant profondément avant de retrouver le regard de la Massey, le suzerain poursuivit : « malgré ses grossesses, la suzeraine a la taille fine et les poignets encore plus fins. Elle s’habille richement, et vous devrez garder en tête, ma Dame, que dans le Nord, on se découvre peu : question de températures. Elle a quelques élégants grains de beautés dans le cou, mais il sera fort rare de les apercevoir. Winterfell reste toutefois chauffée en son intérieur par les sources chaudes sur lesquelles elle est construite : la suzeraine ne porte donc pas toujours ses épaisses fourrures brunes qu’il lui faut toutefois revêtir dès qu’elle se rend à l’extérieur des murs du château. » Robb, en disant cela, s'imaginait son épouse, le corps perdu sous des dizaines de couches de vêtements, comme flotter au dessus du sol, assise au pied de l'Arbre Cœur du Bois Sacré de Winterfell. « Lady Kylis passe toutefois le plus clair de son temps entre les murs de son château. C'est une suzeraine appliquée et travailleuse, fort instruite, aussi. Elle a le regard vif, quoi qu'il puisse être fatigué, parfois, par les tâches qui lui incombent. » Robb s'en tint-là, dans cette élaboration, ne tenant pas à incommoder, même de si loin, son épouse. Si Kylis n'avait pas honte des fatigues qui la prenaient, ni du teint gris que prenait sa peau ces jours-là, sa dignitait l'empêchait de s'en plaindre ; il ne le ferait pas pour elle, alors. « Elle porte régulièrement les couleurs des Stark mais n'hésite pas non plus à porter celles des Omble. Le rouge lui va fort bien, comme l'argent, plus que l'or, d'ailleurs. » Au grand dam de son époux qui, lui, préférait la chaleur de l'or ; encore un résidu de son enfance à Port-Réal, sans doute.

Prenant une nouvelle inspiration, un sourire rassasié au visage, Robb Stark ajouta, d'un air amusé : « parvenez-vous mieux à vous imaginer mon épouse, Lady Massey ? Autrement, il vous faudra la rencontrer ... »

Il y avait de ces nouvelles qui provoquaient toujours une petite lueur dans le regard. Celle de la venue au monde d’un enfant en faisait partie. C’était de cette lueur qu’Aemma voulait s’inspirer, pour cette fois. Discrète dans ses jeunes années, plutôt s’ennuyait-elle des propos des autres enfants en y réfléchissant, elle avait eu tout le loisir d’observer autrui. Les autres ne se rendaient pas compte de tous les parasites qui pouvaient animer leurs silhouettes et leurs traits. Un sourire en coin pour une future plaisanterie, un regard qui trésaille face à une mauvaise nouvelle, une pointe d’amour sincère dans la voix pour une personne considérée comme indigne de nous… Oui, ce n’était que des petites choses, des reliquats d’une œuvre plus grande mais la Massey avait appris à les décrypter. Dans les affaires, tout cela lui était plus utile que les lois pour lesquelles elle avait une appétence réelle.


Lady Stark serait donc parée comme une reine. La chose était décidée, on ne parlait pas si bien d’une femme pour ne pas vouloir la porter au firmament. Lord Stark ne parlait pas d’elle comme d’une épouse mais comme d’une amante. Non pas que ce fait soit à même de la désarçonner. Au contraire, il y avait là plus d’affection, plus d’attention, qu’elle n’avait pu en ressentir pour d’autres commandes qu’on avait pu lui faire. Aemma ne savait pas quelles circonstances avaient mené Lord Robb à épouser sa dame. Une union arrangée, sans doute. Pour autant, quelque chose de tangible, de réel, les liaient. Quelque chose de plus fort que cet amour que les bardes et les trouvères pouvaient bien leur vendre au cours des banquets. Au fond, le hasard et les obligations de leur monde pouvaient avoir la main heureuse et créer des familles heureuses.


Et dire qu’elle devait sublimer un joyau qui était déjà de toute beauté. Un défi qu’elle relèverait, bien sûr ! Encore fallait-il voir avec quelles armes. Se laissant porter par les paroles du Nordien, Aemma traça le portrait de sa belle dans ses pensées, tissa une expression ou deux, comme pour s’assurer que sa reproduction était exacte, fonctionnelle plutôt. Personne ne souriait comme son voisin. Chacun avec ses manies, ses petites mimiques. Les parures devaient s’y accorder. Elle ne donnerait pas des bijoux tintant à une personne qui avait la fâcheuse manie d’agiter les mains en permanence quand elle devait s’exprimer, tout comme il était hors de question de donner une parure trop imposante à une dame au cou délicat sous peine d’alourdir ses traits ou de lui causer quelques douleurs. C’était toute une alchimie. Une alchimie qui ne se fiait que peu à la rareté des matériaux. Le bois et la pierre pouvaient aussi bien rehausser un sourire, un teint, que l’or ou le grenat. Une reine aurait toujours un air altier, qu’importe les bijoux qu’elle pouvait bien avoir décidé de porter.


« Eh bien… Aemma laissa échapper un léger soupir, à la fois pensif et admiratif. Je dois avouer qu’il est rare qu’une description me fasse pareil effet, milord. Si tous les hommes pouvaient parler comme vous, non seulement ma tâche serait bien plus aisée mais je pourrais dire sans me tromper que l’amour est une réalité à laquelle tout le monde peut goûter. »


Un sourire sincère accompagna cette douce remarque. Aemma savait que ses perles ne se retrouvaient pas toujours autour du cou d’une épouse légitime. Certains clients la pensaient assez idiote pour ne pas s’en rendre compte. Allons bon, mieux valait fermer les yeux pour faire une bonne vente. Le mieux était quand les époux malheureux se sentaient obligés d’acheter deux parures différentes, afin de convenir aux deux femmes en question. En de telles circonstances, la Massey n’avait aucune pitié. Dans les mariages malheureux, les femmes étaient encore celles qui souffraient le plus, ne pouvant fuir leurs responsabilités aussi aisément que leurs comparses masculins. D’une certaine manière, savoir qu’elle nourrissait son pécule par cette douce vengeance lui donnait une toute autre importance à ses yeux. Fort heureusement, Lord Stark ne semblait pas être de ces seigneurs. Cette découverte lui plaisait et elle n’en était que plus heureuse de faire son travail le plus honnêtement du monde.


« Si j’apprécie grandement voir nos créations portées, le Nord devra attendre, je le crains. Aemma se laissa aller à un léger rire. Quoique, à bien y réfléchir, il est plus proche que les Iles d’Été. Si vous entendez parler d’une jeune fille aux cheveux d’argent cherchant à faire commerce dans vos vastes étendues, un jour prochain, vous saurez que j’aurais convaincu mon père de l’attrait de votre région. »


Sans se laisser plus aller à l’amusement, Aemma se leva, fouinant dans un autre coffre. Des yeux bleus, une peau de lait, des cheveux fort sombres, voilà un portrait qui lui plaisait bien et qui sortait de l’ordinaire. Dame Stark avait des traits des Premiers Hommes, là où ses autres clientes étaient plutôt des descendantes d’Andals. Elle savait ce qu’il lui fallait. Des perles, oui, mais d’une couleur chaude. Des perles bleutées ne pourraient jamais s’accorder totalement avec le regard de la suzeraine. Elle était bien placée pour savoir qu’une telle couleur était aussi changeante que le temps, une caractéristique dont les perles n’étaient pas dotées. Il fallait quelque chose qui attire le regard même sur des fourrures sombres dans le cas où la dame souhaiterait sortir sans se défaire de sa parure, qui s’allie aussi bien au gris qu’aux couleurs des Omble. Oui, tout cela à la fois.


Et elle savait ce qui pourrait faire l’affaire.


« J’ai deux propositions à vous faire, milord. Aemma était revenue s’asseoir, déposant deux boîtes en bois devant elle. Je sais votre œil avisé et je peux vous assurer que ces merveilles ne sont pas encore parues à la Cour. Nous les gardons jalousement mais pour le joyau qu’est votre épouse, je me dois de vous les proposer. De telles couleurs ne pourraient convenir à des femmes aux cheveux clairs, comme nous en croisons tant en ces lieux. »


Sans ajouter un mot de plus, Aemma ouvrit les deux boîtes, les retournant en direction de son client. Deux colliers, le premier de perles orangées, entrecoupées de petites perles taillées dans du corail rouge tandis que le second abordait une belle teinte lavande, agrémentées de petites billes argentées entre chacune d’entre elles. Les perles de Danse-des-Pierres arboraient le plus souvent une teinte blanche ou rose. Il arrivait cependant que quelques huîtres donnent des perles violines, alors que rien ne les différenciaient de leurs sœurs. Ces perles étaient jalousement conservées, tant il en fallait pour ne faire ne serait-ce qu’un collier.


« Le mestre de Danse-des-Pierres m’a un jour dit que le ciel au nord de notre royaume se paraît parfois de couleurs allant du rose au vert en passant par le jaune et le bleu. Il appelait cela des aurores boréales, il me semble. La jeune femme prit les colliers un à un, les faisant miroiter à la lumière. Voilà ce que je vous propose, Lord Stark, de parer votre épouse d’aurore. »


A défaut de pouvoir la couronner de l’une d’entre elles, Dame Stark pourrait toujours la porter autour de son cou et la contempler même au plus fort des hivers. Une parure qu’elle n’aurait pas honte d’offrir à l’une de ses filles, le moment venu. Les meilleures parures étaient celles qui se transmettaient de génération en génération. Aemma en avait fait l’expérience. Sa propre aïeule lui avait laissé un pareil héritage qu’elle chérissait autant pour sa valeur intrinsèque qu’à cause du fait qu’il avait été porté par la dame la plus forte qu’elle n’ait jamais connu. Des bijoux qu'elle transmettrait sans doute à la future dame de Danse-des-Pierres, ne pouvant elle-même engendrer. Pour le moment, il s'agissait de son trésor et elle ne s'en séparerait pour rien au monde. Tel était le sentiment qu'elle voulait inspirer avec leurs créations.