Son reflet dans le miroir [SOLO]

La vision fut furtive mais elle se surprit pourtant à reculer de quelques pas pour lui faire face plus longuement. Elle avait mis du temps à l’apprivoiser, cela se comptait en années, et une fois que cela fut fait elle ne lui accorda dès lors qu’un intérêt limité. Mais ce matin-là, sans qu’elle ne puisse se l’expliquer, cette vision venait d’attirer son attention plus que d’ordinaire, plus que de raison.

Cassandre recula donc prudemment de deux pas pour se trouver de nouveau face au grand miroir cerclé de bronze qu’elle venait de dépasser. Son double fit son apparition à rebours, plantant sur elle des iris d’acier qui n’avaient jamais changées. La Cassandre du miroir fixait l’autre avec la même mine austère, le même regard implacable, le même sourire glacial que tous ici lui connaissaient. L’ombre intimidante de l’indéchiffrable et taciturne Lord Commandant faisait désormais partie des murs. Et ces murs-là, la concernée les observait si peu, qu’elle en oubliait souvent la présence des miroirs.

Elle se demandait donc pourquoi ce matin-là, cette vision fugace et éphémère avait suspendu chacun de ses gestes et le cours de sa journée. Pourquoi s’en trouvait-elle esclave tout à coup ?

L’autre Cassandre semblait la toiser du regard dans son armure aux éclats verts. Elle se moquait, la défiait de trouver le fruit de son étonnant tourment.

Lorsqu’enfin elle le vit, elle eut la sensation que son reflet se faisait plus moqueur encore. Tout ça pour ça. Pour cette toute petite chose qui l’indifférait. Pourtant, elle porta ses doigts jusqu’à son front et suivait le sillon que commençait doucement à tracer cette ride au milieu de son front. Elle était infime, presque insignifiante. Mais elle était bien là. Depuis combien de temps ? Cassandre accordait si peu d’intérêt à son image qu’elle l’ignorait.

Les rides étaient d’ordinaire la crainte des coquettes et l’ancienne esclave devenue chevalier s’en détournerait bien vite. Mais ce matin-là, cette ride l’avait poussée à faire demi-tour.

Signe du temps passé qu’elle n’avait pas vu s’écouler, elle représentait surtout une vérité qui venait de frapper Cassandre avec autant de violence qu’un coup en plein thorax. D’aussi loin qu’elle se souvenait, cette première ride, elle avait toujours pensé ne jamais la voir apparaître. Elle avait toujours cru mourir avant que les signes de l’âge ne prennent possession de son visage.

Elle plissa les yeux comme pour mieux analyser ce reflet que lui renvoyait le miroir. Celui d’une femme qui pendant longtemps n’avait eu aucun espoir de vieillir et qui désormais percevait le temps qui s’écoulait.