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Tous les matins du monde [SOLO]

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L’aube débutait à peine lorsque le seigneur des Eteules posa un premier pied hors du lit conjugal. C’était un rituel de longue date, un geste devenu si habituel qu’il en prenait à peine conscience, ses yeux s’ouvraient désormais sans que le soleil ne vienne le faire. Ilyn avait toujours était matinal. Enfant déjà, il avait à coeur de se lever le premier pour profiter de quelques instants rien que pour lui. Loin du regard méprisant de sa grand-mère qui épiait chacun de ses gestes, loin des attentes de ce père qu’il voulait rendre fier sans toujours y parvenir, loin aussi de l’énergie si contagieuse de Jyana. C’était un moment à lui, un des rares qu’il s’autorisait vraiment. Lorsque la lune était encore maîtresse du ciel, il avait la sensation d’avoir le monde pour lui. Si depuis son mariage ces réveils à l’aube n’était plus lié à l’irrépressible besoin de fuir ceux qui l’entouraient, ce besoin de quiétude solitaire était pourtant bien ancré en lui.

A pas feutrés, il quitta la chambre où le corps assoupi de Beth se soulevait paisiblement au rythme de sa respiration. Devant la porte, il se retourna et jeta un dernier regard dans sa direction. Cela aussi faisait partie de ces rituels qu’il chérissait. La regarder dormir, la voir si paisible, l’espace d’infimes secondes. Et sourire à cette vue comme s’il s’agissait de la première fois. Comme si elle pouvait disparaître la minute suivante. Même après toutes ces années, il ne se lassait pas de ce geste anodin.

Ces dernières lunes, les nuits de son épouse se faisaient plus sereines, moins agitées. C’était là un signe qui prouvait que son état s’améliorait doucement, que son corps n’était désormais plus l’esclave du lait de pavot qu’elle prenait trop souvent sous la contrainte. Bientôt, elle ouvrirait les yeux et viendrait le rejoindre pour manger dans la salle qui accueillerait vite le reste de la maisonnée, les enfants sur les talons de leur grand-mère, à réclamer l’attention de leur mère ou de leur père par des questionnements, des supplications et quelques facéties. Hypérion, lui, réclamerait une fois de plus de suivre son père dans ses pérégrinations seigneuriales et Ilyn ne saurait le lui refuser. Parce que l’orageois le préssentait, un jour viendrait où ces corvées barberaient son aîné comme elles avaient pu l’ennuyer lui-même. Autant profiter de la bonne volonté du petit garçon tant qu’il n’était que cela. Un petit garçon. La famille Selmy s’éveillerait au compte-goutte et viendrait emplir le petit château de rires et de cris. Des sons qui emplissaient le coeur d’Ilyn de joie et de gratitude.

Lorsqu’il regardait quinze ans en arrière, il peinait encore parfois à se dire que cette vie-là était la sienne et qu’elle le comblait. Envolé le grand dadais gauche qu’on imaginait célibataire endurci. Disparues aussi les longues années de souffrance qui avaient laissé croire que le couple qu’il formait avec Beth finirait sans enfants. Loin derrière eux ces années de crainte face à la guerre des Dragons. Et disparu aussi le jeune seigneur qui fuyait ses terres et ses responsabilités autant qu’il le pouvait.

Chaque aube en solitaire rappelait à Ilyn tout le chemin parcouru. Mais cette solitude étant en vérité toute relative quand vous passiez ces instants avec un volatile toujours aussi curieux juché sur votre épaule. Ce rituel-là, Pouic l’avait adopté sitôt débarqué dans la vie de son maître. Et tous deux de se dire depuis la fenêtre où ils assistaient au lever du soleil que cette aube comme celles d’avant valait tous les matins du monde.