Découverte du lieu, redécouverte du cœur

Le voyage jusqu’à Herpivoie-Ville m’avait paru interminable. Même si Polar était avec moi, même si tante Célia était là… J’avais tellement hâte de retrouver Symeon ! Mon Symeon… Tante Celia avait accepté de me relire encore et encore la dernière lettre que j’avais reçue juste avant de partir. La quinzaine de jours de voyage m’avait paru interminables. Tout ce que je voulais c’était arriver pour enfin retrouver Symeon ! Oh par les sept ! Qu’avais-je hâte de pouvoir rien que discuter de vive voix avec lui ! Par tous les dieux ! C’était trop long ! J’avais l’impression d’être une enfant et j’entendis Tante Celia plusieurs fois soupirer longuement et plusieurs fois elle me reprit pour que je m’apaise un peu. Pouvait-elle comprendre à quel point Symeon m’avait manqué ? Je ne l’avais pas revu depuis de trop nombreuses lunes ! Oh par les sept ! Je descendis rapidement du carrosse, Polar sur mes talons, mon vieux toutou… Je n’étais pas sûre qu’une fois qu’il serait partit, je puisse retrouver un chien comme lui… et que je puisse même accepter un autre chien à mes côtés. Puis qu’importe, je ne serais sans doute plus seule, j’aurais Symeon à mes côtés.

Néanmoins, je ne pouvais pas me jeter à son cou, j’étais malgré tout fatiguée de ce voyage, c’était long… Je fis la conversation avec tous, quelques mots de plus pour Symeon, à qui Polar fit d’ailleurs la fête !, avant qu’on ne se retire dans nos appartements une petite heure avant qu’il y ait le repas de bienvenu. À nouveau je ne pus que peu échanger avec Symeon, il y avait toute sa famille après tout il fallait discuter avec tout le monde. Et Tante Celia était à mes côtés. On se retira tôt, le voyage était malgré tout très fatiguant… je me couchais ainsi tôt pour profiter le lendemain.

J’avais amené avec moi ma servante personnelle qui savait s’occuper et ranger mes affaires. Tante Celia était dans la chambre d’à côté. La servante peigna soigneusement mes cheveux après le bain chaud que j’avais pris ce matin. Elle rassembla une partie de mes cheveux en tresse souple pour me dégager le visage. Mon pauvre Polar était couché sur le tapis. Il était vieux mon pauvre pépére. Un si long voyage… Elle finit de me coiffer et je lissais ma toilette bleue brodés de fleurs pervenche que je portai. La servante me l’avait décrite. Comme la chambre simple, le tapis en laine verte, les rideaux bruns et quelques tapisseries. On frappa, trois coups à la porte. Je me levai du fauteuil aussitôt et le chien se redressa lentement pour venir vers moi.

« Dame Liliyana, il s’agit de Ser Symeon. Il aimerait passer un moment avec vous. »

Mon cœur battit avec plus de force et je me sentis rougir avant de m’approcher de la porte avec un grand sourire, Polar se leva et s’avança à mes côtés aussitôt. La servante me guida légèrement jusqu’à la porte.

« C’est avec un grand plaisir ser Symeon, de passer un moment avec vous. »

J’attendais cela depuis que j’étais arrivée ! Mais bientôt je pourrais juste le tutoyer, je pourrais l’embrasser, l’aimer plus simplement. Même si tout le monde savait que nous nous aimions. Je tendis la main pour prendre son bras.

Elle était là. Symeon n’avait pu que se réjouir, alors qu’on lui annonçait que les bannières des Ryger avaient été aperçues non loin d’Herpivoie Ville ! A dire vrai, il ne tenait plus en place depuis quelques jours maintenant. En fait, depuis le moment où il avait su que le convoi de la famille de sa fiancée s’était mis en route. C’était presque une éternité, non ? Ses proches s’étaient amusés de ce fait et n’avaient pas manqué de le railler. Symeon n’y avait pas prêté beaucoup d’attention. Tout se devait d’être parfait et même plus encore ! Liliyana serait bientôt des leurs définitivement et il souhaitait de ses vœux que cette visite préfigure un bel avenir pour eux-deux.


Mais alors pourquoi hésitait-il ? Les Ryger étaient arrivés la veille et Symeon avait jugé plus agréable de remettre la visite de la demeure des siens à aujourd’hui. La route était longue et Liliyana avait besoin d’un peu de repos et de prendre ses marques. A bien y réfléchir, ce n’était pas de l’hésitation. Non. De la peur ? Symeon secoua la tête avant de pousser la porte de ses appartements. Et puis quoi encore ? Il ne voulait que le bonheur de sa fiancée et il avait toutes les cartes en main pour cela.


C’est rasséréné à cette idée que le jeune homme frappa à la porte de sa fiancée, une impatience nouvelle au cœur. Il avait tout préparé ! Ou tout du moins, il avait fait de son mieux pour. S’il avait découvert les nuances de l’âme de Lili… Est-ce qu’il avait le droit de l’appeler ainsi ? Non, pas encore ! Liliyana avait des besoins particuliers et il voulait que cette visite, sa visite, se passe pour le mieux. Symeon avait fait en sorte de penser à tout. A prévoir un itinéraire calme, sans trop d’odeurs aussi. Bien sûr, sa fiancée devrait s’y faire lorsqu’elle viendrait vivre avec eux. Mais chaque chose en son temps. Il pourrait toujours lui présenter ces lieux plus tard. Et Herpivoie Ville aussi ! Il faudrait qu’il lui fasse parcourir Herpivoie Ville ! Peut-être que leur Mestre accepterait de l’aider à réaliser un plan en relief ou en gravures pour que Liliyana s’y repère un peu mieux ? Ça pourrait lui faire une belle surprise pour la prochaine fois !


Symeon se prit à sourire, un peu béatement il y est vrai, en y songeant. A moins que cela ne soit la vision des traits de sa fiancée, qui se présentait à lui. Elle avait les joues aussi roses que les siennes étaient rouges. Le Racin reprit contenance cependant. Il ne tenait pas à rester cramoisi devant la servante qui chaperonnerait Liliyana ! Avec déférence et douceur, Symeon prit la main de sa fiancée, la glissant jusqu’à son bras pour la tranquilliser. Allez, une dernière répétition. Il comptait commencer par les jardins. Ils étaient calmes à cette période de la journée. Ils étaient modestes mais ils existaient et Symeon savait que Liliyana y trouverait un agrément. Et ensuite… Ah oui, leur bibliothèque. Sa fiancée ne pouvait pas lire mais plus tard, il se ferait un plaisir de le faire à sa place. Bon, d’accord, ce n’était pas le meilleur des lecteurs mais il était prêt à faire un effort ! Ce serait déjà beaucoup pour ce début de journée. L’après-midi ne dépendrait que de la jeune femme et de son état de fatigue.


« Tout le plaisir est pour moi, ma Dame. assura Symeon, tout sourire. Je suis heureux, très heureux, de vous savoir parmi nous. Nous n’avons pas pu passer beaucoup de temps ensemble depuis votre arrivée. Nous avons l’occasion de nous rattraper, j’espère que cela suffira pour m’excuser. Polar est le bienvenu bien sûr ! La boue d’Herpivoie pourrait faire du bien à ses vieux os, même si son pelage risque d’en souffrir quelque peu. »


Symeon aimait bien ce vieux chien. Il avait été impressionné lorsqu’il s’était mis sur ses pattes arrières pour réclamer des caresses la veille. Malgré son âge, l’animal de sa chère et tendre restait une force de la nature ! D’un autre côté, c’était bon signe. Symeon l’espérait du moins. Polar avait toujours été les yeux de Liliyana. S’il se comportait ainsi avec lui, cela ne présageait que du bon.


« J’ai pensé que nous pouvions commencer par les jardins. Vous verrez, ils sont très calmes à ce moment de la journée. Si on tend bien l’oreille, on peut même entendre le Trident ! »

Je sentis la main de Symeon prendre la mienne et je pus glisser mon bras autour du sien. Polar était tout content de voir son copain. Je sentais sa queue battre mes jambes alors qu’il venait automatiquement avec moi. La servante viendrait également comme chaperon, même si nous étions fiancés. Mais qu’importe. Ce n’était pas très grave, je faisais grande confiance en Symeon pour me protéger et pour être un véritable chevalier servant avec moi. J’eus un sourire à ses mots, j’aimais son parfum et sa chaleur au creux de mon bras et tout cela. C’était des moments uniques que j’avais l’impression hors du temps. Me marier. L’aimer enfin… Tout cela… J’eus un sourire éclatant quand il me confirma être tout rouge. Je hochais tout doucement la tête à ses mots. Nous avions été… peu ensemble la veille. Polar aboya à la mention de son nom.

« Nous sommes arrivés qu’hier Ser Symeon. Nous avons tout le temps de passer du temps ensemble, bientôt, je suis si heureuse d’être ici avec vous. Je crois que Polar sera ravi d’une balade et s’il est plein de boue, je vous laisserais lui donner un bain ! »

Mon pauvre petit chien. Il s’ébroua un peu et j’écoutais sa proposition de visiter les jardins. J’adorais les jardins, ceux de Bois-De-Saule bien sûr ! Mais je découvrirais la joie d’être dans ceux d’Herpivoie-Ville ! Et surtout au bras de mon futur époux. Je glissai discrètement ma main dans celle caleuse de mon fiancé, caché dans les plis de nos vêtements, personne ne pouvait voir. Et puis pour des fiancés, rien de plus normal, non ? Je souris un peu plus.

« J’adorerais les découvrir ! Je vous laisse me guider Ser Symeon ! J’adore les jardins et je suis sûre que je pourrais entendre le Trident ! J’ai l’oreille presque aussi fine que celle de Polar ! »

Je suivis Symeon dans les couloirs, Polar marchant lentement à nos côtés et la servante s’était glissée derrière nous à quelques pas. Mais qu’importe.

« J’ai hâte Ser de pouvoir vous appeler « mon époux ». Le mariage me semble si proche et si loin maintenant. »

Avait-il aussi hâte que moi ? J’espérais grandement que oui ! Est-ce qu’il voudrait bien me décrire la salle ? Les gens ? Tout cela ? Pouvait-il comprendre à quel point j’avais hâte ? Oh… je pensais qu’il avait aussi hâte que moi ! Nous nous étions écrit pendant tant de lunes et même… d’années ! Nous avions dû être très patients tous les deux. Mais cela prouvait la force de notre amour après tout.
   

Symeon se surprit à rire de bon cœur. A rire devant ses propres maladresses, devant sa propre impatience. Liliyana avait entièrement raison. Son séjour ne faisait que débuter et ils avaient-là plusieurs jours devant eux. Sans doute était-ce pour le mieux. Sa fiancée aurait besoin de temps pour se faire à ce nouveau lieu et peut-être devrait-elle prendre un peu de repos prochainement. Pour sa part, cela lui permettrait de s’organiser pour le mieux. Les choses étaient bien faites, oui. Tapotant doucement la tête du vieux chien lorsqu’il passa à sa portée, Symeon ne put s’empêcher de l’imaginer tout couvert de boue. Pouvait-on réellement laver à son aise un tel molosse si cela était nécessaire ? Il était au moins aussi grand qu’un mouton !


« Vous avez raison, ma chère. Je vous prie d’excuser mon empressement. Votre venue n’a pas quitté mon esprit depuis son annonce et je crains de ne manquer de temps. Un nouveau rire acheva cette phrase. En voilà une bonne excuse pour que je vous rende visite un jour prochain avant nos noces. Quant à Polar, je pense préférer voir la boue sur ma personne que dans son pelage blanc comme neige. Comptez sur moi pour lui éviter toutes ces flaques avec autant de précaution que je ne le ferais pour vous. »


Symeon faillit se retourner en entendant la servante toussoter derrière eux suite à ses mots sans doute. Décidément, il ne lui avait pas fallu bien longtemps pour oublier sa présence. Le Racin se nota à nouveau de ne pas se montrer trop expansif, bien qu’il garda obstinément la main de la Ryger dans la sienne. Après tout, il était là pour la guider, cette excuse était bien suffisante pour se comporter de la sorte ! Un jour prochain, plus personne ne s’étonnerait de tout cela. Ils devaient juste faire preuve de patience, tous les deux.


« Si tel est le cas, il va me falloir de retenir de ronfler d’ici quelques temps, je n’aimerais pas que être comparé à un fleuve grondant. » ironisa Symeon.


Ils étaient arrivés aux jardins. L’espace d’un pas, Symeon prit une légère avance. Il y avait là une petite volée de marches que Liliyana ne pouvait pas connaître. Pas encore du moins. Un pied sur la marche la plus haute, un autre sur la marche la plus basse, le Racin guida sa fiancée du mieux possible, lui décrivant le chemin à emprunter. Il espérait qu’après leur mariage, elle serait capable de se déplacer jusqu’ici sans son aide si telle était sa volonté.


« Il n’y a que cinq marches, comme vous pouvez le constater. Elles font toutes la même taille sauf la cinquième, qui est un peu plus basse et traîtresse. Symeon accompagna la descente de la jeune femme de sa main. Et voilà, vous avez retrouvé le sol ! Si je puis me le permettre, vous vous débrouillez très bien. Votre nez est sans doute plus fin que le mien. D’ici quelques temps, vous saurez mieux vous repérer que moi ici, bien que je sois né dans ce château ! »


C’était tout ce qui lui importait. Symeon savait que Liliyana était la protégée des siens. Comment leur en vouloir ? Lui-même se serait comporté de la sorte si un membre de sa fratrie s’était retrouvé dans la situation de sa future épouse. Pour toutes ces raisons, en plus de celles qui étaient nées dans son cœur depuis bien longtemps maintenant, tout devait bien se passer. Au fil du temps, le Racin s’était renseigné auprès de leur Mestre concernant la cécité de sa promise. Il lui avait assuré que les personnes dans sa condition pouvaient rêver, tout comme lui. Peut-être même voyaient-ils dans leurs rêves ? Si tel était le cas, il n’en était que plus important de forger les plus souvenirs possibles pour que Liliyana puisse les « voir » dans ses songes.


« Je ne demande que cet honneur, ma Dame. répondit galamment Symeon. Le temps passe vite, vous savez. Bientôt vous ne pourrez plus supporter ma présence. ajouta-t-il, tout sourire. Mais avant d’en arriver-là, je vous promets le mariage que vous méritez. »


Il ne serait ni grand ni fastueux, c’était un fait. Mais Symeon ne doutait pas du fait qu’ils passeraient tous un merveilleux moment. Ils seraient entourés de leurs proches, il y aurait de la douce musique de Liliyana percevrait sans doute mieux que quiconque et plus personne ne pourrait les séparer. Voilà un destin qui lui semblait fort enviable.

Son empressement était adorable et faisait battre un peu plus fort mon cœur. Comme-ci ce n’était pas suffisant d’être proche de lui. J’étais presque sûre qu’il pouvait sentir mon cœur battre dans sa main ! Mais qu’importe ! Il le savait ! Il avait porté mes couleurs lors du tournoi de ma maison, il avait fait chanter un barde pour moi… Il savait très bien que je l’aimais de tout mon cœur. Alors partons en promenade ensemble avec Polar qui marchait tranquillement à nos côtés. Mon vieux chien. Son empressement. Je secouais doucement la tête en serrant plus fort sa main dans la mienne avant de rire à sa remarque sur Polar qui s’ébroua un peu alors que la servante toussotait :

« Je partage votre empressement ser Symeon. Et j’aime beaucoup cette excuse. Il faut bien que j’apprivoise ce nouveau lieu, n’est-ce pas ? Quant à Polar, je comprends ! Il a un pelage fort épais et soyeux. »

J’avais presque envie de lui répondre quelque chose, peut-être un peu… trop… Non, c’était hors de question ! Surtout avec la servante derrière nous ! Je ne devais pas penser ainsi ! Pas à penser sur le fait que si j’étais couverte de boue, au besoin il pourrait m’aider à me laver ! Et je lui assurais que j’avais une ouïe fine. Je ris à nouveau à sa remarque.

« Vous ne pourrez pas vous empêcher de ronfler ! Mais je ne suis pas inquiète, je suis sûre que vous ne ronflez pas. »

Depuis le début, je comptais le nombre de pas que nous faisions depuis ma chambre, peut-être que ce n’était pas tout à fait une bonne idée ? Après tout il faudrait sans doute que je le fasse une fois que nous aurons nos appartements définitifs ? Cela serait sans doute le mieux. Cinq marches. Très bien. Je mémoriserais toutes ces informations bientôt. Je sentais les bonnes odeurs du jardin avant de rire à nouveau à sa remarque.

« Il me faudra du temps pour mémoriser toute la disposition de ce château, mais je suis presque sûre que j’arrive très bien à me débrouiller, car j’ai un très bon chevalier guide à mon bras ! »

Mais bientôt je pourrais l’appeler « Mon époux », bientôt je pourrais l’embrasser librement et marcher à ses côtés sans une servante ou tout cela. Le temps passe vite ! Je lui enfonçais deux doigts entre les côtes pour le chatouiller.

« Je doute que ce jour n’arrive ! Je suis sûre que ce mariage sera très beau. Mais je compte sur vous pour vous assurer de me décrire tout ce qu’il se passera ! »

Je tendis ma main pour effleurer le mur et le suivre tranquillement.

« L’air devient un peu plus frais, n’est-ce pas ? »

J’en avais en tout cas bien l’impression.
   

« A ce propos, auriez-vous des souhaits dont vous ne m’avez pas encore fait part quant à notre mariage ? J’aurais peur d’oublier le plus important. »


Oui, un tel voyage pouvait s’entendre. Peut-être même pourrait-il raccompagner Liliyana jusqu’à Bois-de-Saule ? Présenter ses hommages à sa future belle-famille pourrait être de bon ton, non ? Après tout, le mariage était prévu dans une poignée de lunes. Il y avait encore fort à faire et régler les derniers détails concernant leur union en personne pouvait s’entendre. Symeon se nota d’en parler avec son père. Bien sûr, Symeon ne pourrait pas s’attarder de trop à Bois-de-Saule, bien qu’avec une petite escorte il ne leur faudrait guère plus d’une semaine pour être de retour à Herpivoie Ville. L’idée était réjouissante ! Néanmoins, le jeune homme jugea bon de ne pas en informer sa fiancée pour le moment. Il voulait être certain que la chose soit possible, afin de ne pas lui causer de malheureux faux espoirs.


« Vous me connaissez déjà trop bien, ma Dame. répondit Symeon, d’un ton amusé. N’ayez crainte, votre sommeil sera paisible, si on excepte le fleuve tout proche. Il se montre parfois fort bruyant mais rien qui ne puisse pas être oublié au cours du temps. N’y voyez pas là une quelconque flatterie de ma part mais vous vous débrouillez fort bien, en effet. »


Les eaux du Trident étaient parfois dangereuses. Symeon ne comptait plus le nombre de fois où leur Mestre lui avait parlé des crues importantes du fleuve. Ce dernier submergeait parfois une partie de la ville, avant que l’eau ne retrouve son lit, laissant derrière elle les reliefs de son extension. Fort heureusement, ces évènements restaient rares. Ils étaient parfaitement en sécurité ici. Liliyana le découvrirait bien assez vite. Si sa cécité avait tout d’abord inquiété les Racin, l’appréhension semblait s’être petit à petit envolée. Elle trouverait bien vite sa place aussi bien entre les murs de leur demeure, que dans le famille au sens large.


« J’espère vous en dresser le meilleur portrait possible, en ce cas. assura Symeon, avec un petit rire. D’ailleurs, je vais me mettre à la tâche immédiatement. Nos jardins sont modestes mais certains membres de ma famille, notre famille, ne seraient pas contre quelques ajouts. Hélas, l’eau du fleuve empêche la pousse de certaines plantes. Il n’empêche, nous avons pour nous quelques bosquets de fleurs roses. Votre main touche un muret qui délimite deux espaces. Des arbres se trouvent derrière, ainsi que le parterre que notre Mestre utilise pour ses plantes. »


Symeon poursuivit sa description ainsi quelques instants, ayant à cœur de rassurer Liliyana autant que possible. Si le jardin était petit, le jeune homme le décrivait avec force de détails, s’attardant même sur les plantes les plus insignifiantes. Ou sur le nombre dalles qui se trouvaient au sol. Sa fiancée l’écouta poliment avant de reprendre la parole. Le Racin se tut, l’écoutant avant de hocher la tête. En ces lieux, le printemps était plus humide qu’ailleurs. Le froid y était plus perceptible qu’à Bois-de-Saule.


« Vous sentez là un autre présent du Trident. Même au plus fort des pires étés, il peut faire très frais ici. Nous pouvons rentrer si vous le souhaitez ? Ou alors quitter l’ombre pour profiter quelques minutes du soleil ? Je m’en voudrais que vous attrapiez froid avant votre retour auprès de votre famille. »


Aucun rapprochement n’était possible, Symeon le savait. Même proposer sa cape à Liliyana pourrait lui attirer l’ire de sa servante, qui semblait prendre sa mission de chaperon très à cœur. Un fait tout à son honneur, bien que le jeune homme se trouvait limité dans son champ d’action.

Je cillai en réfléchissant à la question de mon fiancé. Par les sept, ma servante ne pouvait-elle pas s'écarter et nous laisser en paix ? Des souhaits pour le mariage à lui faire part. Plus qu'une poignée de lune avant de pouvoir le célébrer ! Le temps que la délégation Ryger revienne de Port Réal pour ensuite monter jusqu'ici ! Mais c'était autre chose. Qu'est ce que je souhaitais... Je rougis un peu avant de baisser la voix.

" J'ignore si mon oncle en a parlé à votre père qui vous en a fait part... Mais j'aimerais éviter la cérémonie du couché... Je crains ne pas être à l'aise et être perdue par la suite. "

Sans rien rajouter d'autres je m'écartais un peu, je m'étais approchée pour lui chuchoter à l'oreille. Mais...

" En dehors de cela je ne souhaite qu'une belle journée et que nous soyons heureux ! "

Dis-je d'une voix plus joyeuse, serrant doucement sa main dans la mienne. Il me parlait de ronfler et je ris un peu. Il ne ronflait pas, j'en étais presque sûre. Et puis je m'habituerais ! Si c'était le cas ! Quant au fleuve ou à ce genre de bruit, et bien la même chose ! J'apprendrais à aimer ces bruits et les absorber pour ne plus en être inquiète et me bercer même avec ce son. Quant à m'habituer au lieu, cela ne serait qu'une question de temps. Je hochais la tête.

" Peut-être devrions nous entraîner à danser ensemble ? Que vous vous habituiez à me guider. Qu'en pensez-vous ? "

Je lui offris un doux sourire en grimpant les marches pour me plonger avec lui dans les jardins. J'aimais déjà les odeurs, les bruissements tout autour de moi. Sa présence. Peut être étais-je trop amoureuse de lui ? Sans doute. J'écoutais avec grande attention ses descriptions, m'arrêtant parfois pour sentir la fleur qu'il me décrivait. Je sentis le parfums léger d'un pommier également. Je me retiens de cueillir une fleurs pour la poser sur ses boucles. Peut-être blondes ? Je sentis le fond de l'air plus frais. Le trident. J'aimais cette fraîcheur également. J'eus un rire joyeux à la remarque de Symeon.

" Oh non Ser ! J'aime cette fraîcheur. Ne vous en faites pas. Pensez-vous qu'il sera possible que nous allions faire une promenade à cheval sur les bords du Trident ?"

Et puis si j'avais froid peut-être pourrais-je lui voler sa cape pour m'en draper ? Quoi qu'avant l'heure cela ne serait pas bien du tout ! Non il fallait attendre. Encore et toujours attendre !

" Le temps me paraît infini jusqu'à notre mariage Ser. Pas vous ?"

J'entendis la servante se racler un peu la gorge. Nous étions un peu trop proche physiquement. Je me remis a une distance plus raisonnable.
   

Intrigué par le comportement de sa chère et tendre, Symeon pencha la tête sur le côté, afin de mieux l’entendre. Son air, ses manières, tout cela avait changé du tout au tout en quelques instants à peine. Avait-il commis un impair ? Le Racin retint un marmonnement à cette idée. La précipitation n’apportait rien de bon et il venait de mettre mal à l’aise Liliyana moins d’une journée après son arrivée. Aussi, les mots de sa fiancée ne purent que le rassurer. A bien des égards, leur mariage n’aurait rien de conventionnel. Une nouvelle entorse au protocole habituel ne représentait que peu de chose. A ses yeux, le plus important était que l’arrivée de Liliyana dans sa famille se passe pour le mieux.


« N’ayez crainte, tout cela n’aura pas lieu, ma douce. assura Symeon avec une grande douceur. Mon père m’avait fait part de votre vœu et je me suis engagé devant lui à le respecter. Par ailleurs, vous faites bien d’aborder cette question. Comment souhaitez-vous que les choses se déroulent ? Si vous souhaitez que nous adaptons cette situation, j’ai quelques cousines qui se feraient un plaisir de vous escorter. Ou bien vous pouvez demander aux femmes de votre famille, à votre guise. Dans le cas contraire, nous devrions pouvoir nous arranger pour que vous soyez à mon bras. »


Leur mariage regrouperaient amis et famille. Tous et toutes étaient au courant de la cécité de Liliyana et des adaptations que son état demandait. Dès lors, Symeon était presque certain que personne ne verrait d’inconvénient à ce qu’il guide Liliyana jusqu’à leurs appartements ou qu’ils soient séparés et que la jeune femme soit prise en charge par une personne en qui elle avait confiance. Ce n’était que peu de choses tout en contribuant à la réussite de leurs épousailles. Dès lors, Symeon n’en était que plus déterminé à voir les choses se dérouler selon les volontés de sa future compagne !


« Voilà une promesse que je me ferais un plaisir de tenir. répondit le jeune homme, tout sourire, gardant la main de Liliyana dans la sienne. Nous avons quelques jours devant nous. Nous aurons tout le loisir de nous entraîner, c’est là une riche idée. Nous pourrons le faire dans la salle où la fête aura lieu, si vous le désirez. Ainsi, vous pourrez commencer à vous y repérer ! Je tâcherai d’être le meilleur guide possible, bien que je compte sur votre clémence face aux erreurs qui pourraient être les miennes au début. »


Symeon avait entendu la venue de Liliyana avec impatience. Si leur correspondance leur avait permis de faire connaissance, puis d’entretenir un début de relation, le Racin avait encore bien à apprendre. Cependant, il faisait bonne figure, trop heureux de savoir que cette rencontre précédait de peu leurs épousailles. Plus tôt il apprendrait et mieux sa fiancée se ferait à sa nouvelle vie !


« A la bonne heure ! Néanmoins, je ne peux vous cacher mon manque de connaissances à ce sujet. Malgré cela, Symeon conservait sa bonne humeur. Avez-vous une selle adaptée à votre condition ? Ou une monture que vous appréciez tout particulièrement ? Si tel est le cas, nous pourrions aller découvrir les environs demain ? Vos proches pourraient nous accompagner dans un premier temps, si le cœur leur en dit. »


Les environs de la demeure étaient sûrs, là n’était pas la question. Pour autant, Symeon ne pouvait pas oublier le regard de la chaperonne sur son dos. Ah ça, il serait heureux d’avoir quelqu’un pour veiller de la sorte sur sa propre fille ! Pour autant, sa présence était quelque peu étouffante. D’autant plus étouffante lorsqu’un nouveau raclement de gorge lui parvint. A cet instant, Symeon ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel. C’était pour cette raison que le Racin avait mentionné les autres Ryger venus à leur rencontre. Qui plus est, le jeune homme souhaitait rencontrer davantage sa future belle-famille. Il apprendrait bien des choses en leur compagnie.


« Ne vous en faites pas, le temps passera bien plus vite que vous ne le pensez. remarqua Symeon, tout en suivant sa fiancée du regard alors qu’elle s’éloignait. Un beau jour, nous nous réveillerons et l'heure sera venue. Je vous le promets, tout cela arrivera bien vite et tout se passera pour le mieux. Nous ferons tout pour. »

Je n’aimais pas être bousculée et entraînée dans tous les sens, alors la cérémonie du couché… En quelque sorte très peu pour moi. J’avais demandé à mon oncle d’en toucher un mot au père de Symeon. Je préférais éviter tout cela, puis cette excitation… Bien que notre mariage n’était pas dicté par les alliances, mais bien plus par l’amour, certaines traditions avaient la peau dure, mais j’avais bien l’impression que la cérémonie du couché était appréciée par certains et pas du tout par d’autre. Ce n’était pas tant que je ne l’aimais pas, c’était que je serais déjà assez bousculée et désorientée pour ne pas en rajouter. Symeon me rassura aussitôt, je me sentis rougir malgré moi à son nom doux. « Ma douce ». J’aimais déjà ce surnom. Pas de cérémonie du couché. Tant mieux. Je restais silencieuse à ses mots avant de répondre.

« Je préférerais monter à votre bras. Mais si je ne le puis, hé bien je demanderais sans doute à vos cousines de m’escorter. »

je n’étais pas sûre que je souhaite que ma tante m’escorte pour cette situation ! Je lui proposais ainsi de s’entraîner à danser avec moi. Au moins nous pourrions profiter tous les deux pour discuter et nous habituer l’un à l’autre. Les lettres c’était bien, c’était ainsi que nous nous étions rencontrés ! Mais passer du temps ensemble c’était ce qu’il y avait de mieux ! Même s’il avait fait faire une chanson pour moi ! Mais c’était autre chose maintenant ! Nous allions passer des journées entières ensembles ! Alors danser ensemble… cela serait tellement bien ! Quelques jours ! Je souris un peu plus, il ne voyait cela qu’en journée… C’était sans doute bien ?

« Cela serait parfait que nous puissions nous entraîner dans cette salle ! Je suis sûre que vous saurez vous en tirer parfaitement ! J’espère que vous serez indulgent pour vos orteils ! »

J’espérais que nous pourrions ensuite partir nous promener à cheval ! J’adorais cela après tout ! Même si je ne pouvais pas chevaucher seule ! Impossible ! J’avais insisté auprès de ma Tante pour qu’on prenne un de nos chevaux, celui dont j’avais le plus l’habitude. Et Symeon semblait être tout aussi ravi, je lui offris un grand sourire.

« Ma selle est normale Symeon ! Mais j’ai fait venir avec moi un cheval avec qui je monte habituellement ! Je pense que ma Tante sera d’accord pour venir avec nous ainsi que ma cousine. »

Elles seraient sans doute un peu moins… collante que la servante ? Mais nous verrons plus tard. Je dus m’écarter puisque la servante nous trouvait trop proches. Mais c’était long jusqu’au mariage ! Sept semaines plus ou moins… Cela serait long… J’eus un grand sourire à ses mots.

« Je sais que tout cela se passera très bien Ser. Et que nous avons tout le temps de mieux nous connaître. Cela fait longtemps que nous nous connaissons après tout. »

Des lettres, des tas de lettres… Je les avais emportés avec moi après tout ! Mais, j’imaginais que lui aussi les avait gardées ?

« Et si vous me montriez la bibliothèque ? Vous pourriez peut-être choisir un livre que nous pourrions lire ensemble ! »

Fis-je joyeusement avant de venir reprendre son bras.   

Il y avait toujours une autre solution. Liliyana allait déjà subir de grands changements, que cela soit pour leurs épousailles ou pour sa vie ici. Si Symeon pouvait lui éviter la cérémonie du coucher, ou d’autres situations anxiogènes, il le ferait avec plaisir. Après tout, à l’instant même où il aurait déposé sa cape sur les épaules de sa fiancée, elle deviendrait son épouse et il serait son protecteur. A lui de la protéger, donc. Qu’importe qu’il s’agisse d’ennemis réel ou de traditions désuètes. Il le ferait sans hésiter si elle lui demandait, comme c’était le cas à présent.


« Bien, nous en parlerons avec nos familles mais je pense qu’il y aura matière à trouver un arrangement qui conviendra à tous. Assura Symeon, en se montrant aussi rassurant qu’il en était capable. Ce mariage ne sera pas comme les autres, je vous le promets. Vous en garderez un très bon souvenir, nous en garderons un très bon souvenir. »


Liliyana souriait. Symeon avait l’impression de la redécouvrir, depuis son arrivée. Non pas que leurs lettres lui aient donné une vision faussée de sa fiancée, au contraire. Il était juste heureux de pouvoir passer tout ce temps avec elle. Quitter Bois-de-Saule serait synonyme de grands changements pour Liliyana. Malgré sa présence, celle de sa famille et des quelques Ryger ayant fait le voyage, il n’avait pu que craindre que sa fiancée ne se sente pas à son aise ou quelque peu dépaysée. Le voilà pleinement rassuré !


« Soit, soit ! Symeon se laissa aller à un rire franc. Nous danserons et nous monterons à cheval, en ce cas. J’espère ne pas perdre trop d’orteils dans ces expériences, je vous fais confiance. Le Racin finit par s’apaiser, esquissant un sourire. Veuillez m’excuser, je ne voulais pas me montrer blessant avec vous. Je suis certain que vous êtes une cavalière douée et que votre monture serait capable de mettre la mienne à l’amende. Votre tante et votre cousine sont bien sûr les bienvenues. Vous n’êtes pas la seule que je compte convaincre des aspects agréables de la vie ici. »


Si l’alliance entre leurs deux familles seraient bientôt scellée, Symeon avait conscience de l’attachement que les Ryger pouvaient avoir pour Liliyana. Sa tante l’avait prise sous son aile, en témoigne sa présence ici. Plus que jamais, il voulait prouver à Lady Celia que ce mariage était ce qu’il fallait pour sa nièce. Qu’il prendrait bien soin de Liliyana et qu’elle n’aurait pas à souffrir de ce grand changement que représentait ce mariage. La jeune femme avait raison en disant qu’ils se connaissaient depuis longtemps. Il avait l’impression que leur première rencontre remontait à une éternité, qu’ils s’étaient toujours connus, pour ainsi dire. Ce séjour était l’occasion de confirmer cette impression.


« Bien sûr ! J’espère qu’elle ne vous semblera pas trop humble, celle de Bois-de-Saule doit être d’un tout autre acabit. Mais elle a pour elle le fait d’être confortable. Je suis certain qu’elle sera à votre goût. Sa main se posa sur le bras de Liliyana. Venez, je vais vous guider et tout vous décrire, dans le cas où vous souhaiteriez vous y rendre seule durant votre séjour. Puis-je vous demander quel  type de livre souhaiteriez-vous que je vous lise ? Je ne sais pas si me laisser la primeur de cette décision est une grande idée, j’aurais peur de choisir un récit qui sera à même de vous assommer. »


Son ton était amusé. Il savait ce que sa fiancée préférait lire. Pour autant, il souhaitait qu’elle prenne elle-même cette décision, afin d’être à son aise. Leur bibliothèque était certes modeste mais Symeon savait qu’ils y trouveraient leur bonheur quoiqu’il arrive. Tout en laissant à Liliyana le loisir de lui répondre, le Racin l’emmena avec lui, lui indiquant à nouveau de prendre gare aux marches qui menaient jusqu’à la demeure familiale. Une fois qu’ils furent tous les trois rentrés, Symeon prenant garde à ce que leur chaperonne soit toujours en leur compagnie, le jeune homme poursuivit sa visite, les entraînant dans un nouveau couloir.

Vraiment, la cérémonie du couché me donnait presque de l’urticaire. Je n’aimais pas être bousculée et ce genre de chose et puis je ne trouvais pas cela grandement agréable. Non, j’étais heureuse d’être avec Symeon, mais il n’y avait que ce point qui me gênait grandement… Mais cela se passerait bien, n’est-ce pas ? Symeon me le confirma, nous en discuterons avec nos familles, Tante Celia devrait être d’accord avec moi j’imagine. Quant au père de Symeon, nous verrons bien ! Il n’avait pas d’intérêt à être contre en quelque sorte. Un beau souvenir.

« Chacun des souvenirs que j’ai avec vous Symeon est beau. Je sais que tout cela se passera très bien et notre mariage sera unique. Je le sais. »

Mais j’avais hâte d’y être ! Il nous faudrait un peu de temps, rien que pour pouvoir l’embrasser, me blottir contre lui sans avoir un raclement de gorge de la servante. Je savais aussi que nous étions là bien en avance pour que je puisse commencer à mémoriser les chemins, les lieux… Et qu’il puisse aussi se rendre compte ce que cela voulait dire vivre avec une aveugle. Mais j’étais sûre que tout cela se passerait bien. Je ris doucement à ses mots en serrant doucement son bras.

« Hé bien nous nous écraserons mutuellement les orteils Ser ! Je ne suis pas vexée, ne vous en faites pas. Ma jument réussira à tenir la comparaison, mais elle ne sait pas dépasser les autres chevaux. »

Comme je ne pouvais pas la conduire, elle avait été entraînée à toujours rester à hauteur d’un autre cheval. Quant à ma tante et ma cousine.

« Je suis sûre qu’elles seront faciles à convaincre ! »

Ma tante serait sans doute très critique sur beaucoup de chose, mais… c’était un autre détail qu’il n’avait pas besoin de savoir. La bibliothèque ! J’avais hâte qu’il me lise quelque chose. Pas humble ? Je lui offris une minuscule bourrade dans l’épaule.

« Vous n’aurez pas à rougir de votre bibliothèque Symeon. Je suis sûre qu’elle est parfaite ! Ne soyez pas si tendu pour tout cela. Voyons… J’aimerais… Un récit de voyage ! Je crois que cela serait parfait ! »

Je ne pouvais pas voir, mais j’aimais voyager au travers des livres quand je ne pouvais pas me rendre dans le lieu.

« Vous choisirez le second. Mais je veux bien que vous me décriviez le chemin. »

Polar était à nouveau à ma hauteur, il émit un long bâillement qui voulait tout dire : il voulait faire la sieste !

« Et Polar fera une sieste en vous écoutant. »

J’espérais qu’il racontait bien les histoires, mais au besoin il apprendrait j’imaginais bien !

Si Liliyana avait pu voir au sens propre du terme, elle n’aurait pas manqué de remarquer le feu qui lui était monté aux joues. Symeon s’était plusieurs fois interrogé quant à la cécité de sa future épouse. Pas dans le mauvais sens du terme mais plutôt sur sa manière d’aborder le monde. Bien sûr, il y avait Polar. Mais en tant que personne, comment ressentait-elle les choses ? Ce que ses yeux ne pouvaient voir, ses autres sens le captaient d’une manière ou d’une autre. L’émotion qui avait pris Symeon ne devait pas être passée inaperçue, plus encore avec la Ryger à son bras. Ses muscles, sa posture. Tout cela parlait pour lui et elle comprenait ce langage mieux que quiconque.


« Vous me flattez plus que vous ne pouvez l’imaginer, Liliyana. Ils sont aussi parmi les plus doux que je garde à l’esprit et il me tarde d’en avoir d’autres à ajouter à ma collection. Et si vous me permettez une confidence, vous vous en sortez très bien pour quelqu’un arrivé depuis peu. Vous serez ici chez vous en moins de temps qu’il ne faut pour le penser. »


Symeon n’était pas avare en compliments. Plus encore lorsqu’il était question de Liliyana. Les mariages comme le leur étaient d’une grande rareté et il voulait qu’ils puissent y goûter autant que possible. Qui plus est, il cherchait encore à se faire pardonner, sans raison visiblement. Désormais pleinement détendu, le Racin poursuivait son chemin à pas mesurés. Sa fiancée devait les compter pour se repérer et il ne tenait pas à la perdre à cause de foulées trop éloignées.


« Votre famille a eu beaucoup de prévenance à votre égard. Je gage que nos palefreniers sauront prendre soin de votre jument comme il se doit. Symeon se tut, plongé dans ses pensées. Un livre d’aventures, dites-vous. Hum… Les Neufs Voyages devraient faire parfaitement l’affaire ! Celui vers la Mer Grelotte est passionnant également, vous m’en direz des nouvelles ! A moins que vous ne préféreriez rêver de Yi-Ti et de ses contrées lointaines ? »


Si leur bibliothèque n’était pas onéreuse, les Racin disposaient bien sûr de classiques. Les Neuf Voyages en faisaient partie. Celui-là et d’autres ouvrages avec lesquels ses frères et lui avaient appris à lire. Il fallait avouer que ces récits fantastiques étaient plus attrayants que l’Étoile à Sept Branches, tout respect gardé. Aussi, Symeon ne doutait pas qu’il trouverait aussi son bonheur lorsque serait venu le tour de faire son choix. Le jeune homme se raidit cependant un peu, comprenant qu’il avait connu un léger impair. Impair qu’il se pressa de corriger.


« Bien sûr, où avais-je la tête ! Nous avons repris le couloir qui nous a mené au jardin. Nous y sommes toujours pour le moment mais nous n’allons pas tarder à bifurquer. Je vous dirais que ce sera le cas. Nous allons devoir monter quelques marches. Elles ne sont pas très hautes, vous devriez pouvoir les emprunter seule, par la suite. »


Rongé par le sérieux de sa mission, Symeon ne put retenir un sourire, puis un léger rire, lorsqu’il entendit le bâillement du chien. Décidément, il ne lui manquait plus que la parole, à ce vieux Polar ! S’il en avait été doté, le Racin était certain qu’il n’aurait pas manqué de lui dire qu’il trouvait le chemin bien long.


« La patience de Polar sera bientôt récompensée. assura Symeon. Nous y sommes presque, voilà les marches. Le jeune homme prit une légère avance, aidant sa fiancée à les monter, une à une. Voilà, vous y êtes. La porte est juste-là. »


Poussé par l’habitude, Symeon retint le battant de la porte, laissant la petite équipée entrer dans la pièce. Il faisait doux et sec dans la bibliothèque. Tout était bon pour chasser l’humidité de la rivière toute proche, afin de ne pas gâter le cuir et le parchemin des livres. Aussi, il faisait bon ici. Un endroit parfait pour faire connaissance tandis que Polar ne manquerait pas d’y trouver sa place pour une sieste bien méritée. Après avoir aidée Liliyana à s’asseoir confortablement, le Racin partit fureter parmi les étagères toutes proche, prenant le soin de rester à portée de voix.


« Alors, où se cache-t-il… Ne vous inquiétiez pas, ma dame, ce livre n’a pas pu aller bien loin ! Je reviens vite, n’hésitez pas à parler, je vous entends. Le jeune homme se tut quelques instants, fouillant une nouvelle étagère. Cet endroit est très chaleureux, vous verrez. En hiver, c’est très agréable et les longues soirées sont toute de suite plus agréables avec un bon livre et les siens autour de soi. »


Symeon s’était toujours demandé s’il souhaitait avoir des enfants. Sa place dans la famille ne nécessitait pas qu’il engendre pour assurer la continuité de son sang. Il avait pour lui cette liberté propre aux cadets, qui lui permettait déjà d’épouser celle qui considérait comme la femme de sa vie. Liliyana voulait-elle des enfants ? Le Racin devait avouer qu’il était dans le brouillard, à ce sujet. Il pouvait comprendre qu’au vu de sa cécité, un tel projet ne faisait pas partie de ceux nourris par la jeune femme. Chaque chose en son temps, ils avaient tout le temps d’en discuter, après tout ! Ces retrouvailles étaient là pour ça !

Je sentis la légère tension de Symeon dans son corps, comme une vague de chaleur traversant mon bras, s’infiltrant dans mes veines pour mieux toucher mon cœur. J’avais l’impression avec lui de pouvoir mieux voir le monde que je ne l’avais jamais fait. C’était comme si enfin j’avais trouvé à ses côtés quelqu’un pour me faire danser au rythme de la vie et non plus au rythme de souvenir. J’avais envie de me nicher dans ses bras, de le laisser m’emporter dans ce nouveau monde… Qu’importe… Nos souvenirs ensembles seraient baignés de cette odeur de fleurs et de soleil ! Un brin de folie et de rire. Une joie simple de se réveiller aux côtés de la personne qu’on aime. Je souris à ses mots, largement avant de souffler une réponse :

« À vos côtés, je serais toujours chez moi, qu’importe le lieu où vos bras me porteront. »

Quant aux confidences, je ne lui avais pas caché le baiser de Manfred Flower, avant même qu’il ne me demande en fiançailles. Je lui avais écrit, me tordant d’anxiété dans mon lit en attendant une réponse. Mais Manfred était mort, pouvait-il être jaloux d’un mort ? Non. Il ne le pouvait pas. Parce que c’était à son bras que j’étais actuellement. C’était à lui que j’avais donné mon cœur. Mais nous parlions chevaux, ma famille ferait attention, Tante Celia également, mais c’était bien la bibliothèque également que je voulais voir.

« J’ai été très longtemps dans ma famille. J’ai presque cru que je ne la quitterais jamais. Les Neuf voyages seront parfaits ! Je nous garde Yi-Ti pour une prochaine lecture ! »

Mais pour continuer à mémoriser le chemin, bien que je comptasse les pas et tout cela, je lui demandais de me décrire l’endroit. Cela ne semblait pas grand-chose, mais c’était bien plus essentiel pour moi. Sa longueur de foulée n’était pas la mienne et il me faudrait des lunes sûrement pour cartographie mentalement tout le lieu et pouvoir marcher seule comme-ci je voyais ! Mais il prenait son temps pour tout me décrire et c’était fort délicat de sa part. Je le rassurais tout de suite.

« Ne vous en faites pas ! D’ici quelques semaines, je pourrais sans doute réaliser seule les trajets de nos appartements aux lieux les plus fréquents. Et d’ici une année, je crois que je pourrais presque entièrement me déplacer seule. Ce n’est qu’une question de patience ! »

Et Polar bâilla de tout son soûl. Pauvre chien, lui aussi était fatigué… Mais bientôt il pourrait se reposer. Bien que je ne fusse pas pressée qu’il rejoigne Grand-Mère. Pas de pensées triste Lili ! Pas de pensée triste ! Je gardais les mains de mon fiancé dans les miennes en grimpant les marches, les comptant au passage. L’odeur d’un feu brûlant au loin, du cuir et du parchemin me sauta au nez. Pa de doute ! Nous étions à la bibliothèque ! Pas d’humidité et je me fis bientôt installer, Polar se couchant avec un grand soupir, je lui frottais les oreilles avec amour. Mon pauvre chien !

« Oh je me doute qu’un livre ne s’échappe pas ainsi ! Ils n’ont pas encore de petites pattes pour nous fuir Symeon ! Je vous crois sur parole et par expérience ! Rien de plus agréable qu’une lecture bien entourée ! Arrivez-vous à le trouver ? Ou dois-je vous envoyer Polar pour qu’il vous aide ! »

Je le taquinai gentiment, Polar émit un grondement qui voulait tout dire !

« Polar dit qu’il préfère le confort des tapis à vous donner un coup de pattes ! »

Je ris, joyeuse de la situation.

Symeon savait qu’il n’avait que peu à offrir. Il n’était qu’un quatrième fils, d’une petite maison du Conflans qui plus est. Il ne pouvait exhiber ni terres, ni richesses propres. Tout ce qu’il ne pouvait pas donner à Liliyana en honneurs, il lui donnerait en reconnaissance, en respect et en affection. C’était là le cadeau de mariage le plus précieux qu’il possédait. Le plus simple également. D’une tendre simplicité. La plus belle qu’il soit.


« Pour le moment, nous serons ici chez nous, en ce cas ! Et puis, je ne suis qu’un quatrième fils ! Nous pourrons voyager dans le Conflans, peut-être même au-delà. Je ne manquerai pas de tout vous décrire, bien sûr. » assura Symeon, galant.


Les Racin se devaient de participer à certains tournois ou à d’autres fêtes. Symeon ne savait s’il se permettrait d’entrer en lices, si cela devait arriver. Il lui faudrait en parler avec celle qui serait son épouse. Il ne voulait pas que cela soit la source d’inquiétudes inutiles et facilement évitables. Et quant bien même les tournois ne seraient pas pour lui, tout un monde s’offrait à eux ! Il lui semblait que sa fiancée avait une amie proche dans les Terres de la Couronne. Lady Hortense, oui ! Pourquoi ne pas imaginer aller la voir, un jour prochain ? Avec un peu d’organisation, tout devenait possible.


« Tout cela fera bientôt partit du passé. Nous ferons en sorte que vous puissiez profiter de votre nouvelle liberté ! Au-delà de la lecture, il me semble que vous avez quelques amitiés en dehors de notre belle région. Je pourrais parler à mes parents du fait de vous y accompagner, si le temps nous le permet et une fois que vous aurez pris vos marques ici. Symeon se tut quelques instants, tout sourire. Mais commençons par les Neuf Voyages. Malgré toute ma bonne volonté, je crains qu’il me soit impossible de me comporter comme Lord Corlys Velaryon, bien que l’envie ne m’en manque pas. »


En attendant, le jeune Racin ferait aussi preuve de patience. Sa jeunesse le poussait à vouloir tenter de nouvelles choses, à découvrir de nouveaux lieux. Tout en fouillait les différentes étagères, il arrivait à Symeon de jeter un regard en direction du milieu de la bibliothèque, où il avait fait asseoir Liliyana. Il esquissa un sourire en voyant la mine de Polar. Un bon vieux chien. Qu’il se repose bien, il l’avait mérité. Il accompagnait sa fiancée depuis tant d’années, c’en était impressionnant.


« Non mais je connais bien des petites mains qui auraient pu le déplacer, à défaut de pattes ! La voix de Symeon était amusée plus que gênée par ce constat. Ah, le voilà ! Ce cher Polar va pouvoir rester bien couché, je n’ai pas failli à ma mission. Qu’il profite bien de ce tapis, nous allons rester ici un petit moment. »


Symeon contourna une étagère, le livre dans les bras. Il s’installa aux côtés de Liliyana, prenant l’une de ses mains afin de la déposer sur la couverture. Il voulait qu’elle puisse profiter des petits détails et décors qui avaient été pressés dans le cuir, à défaut de pouvoir contempler les illustrations. Après quelques instants, le jeune homme ouvrit le livre, débutant sa lecture avec force et conviction. Les découvertes continueraient encore un peu, loin, bien loin du Trident. C’était désormais les mers et les océans de Westeros et d’Essos qui accueilleraient leurs rêves et leurs songes.