Endure and survive (Manfred)

Les rumeurs du retour de Vaeron Antaryon s’abattirent comme la misère sur le pauvre monde à un moment de pur désœuvrement pour Manfred. Son tour de garde ne viendrait que dans quelques heures et jusqu’à là il était entièrement libre, autant dire qu’il avait tout loisir d’assouvir sa curiosité. La domesticité avait son avis sur la question. Le braavien était d’humeur massacrante, à ce qu’il entendait. Comme il valait toujours mieux s’adresser aux dieux - en l’occurrence, celui du carnage – qu’à ses saints, l’emploi du temps de l’Intranquille était tout trouvé. Lui qui hésitait entre une sieste bien mérité et un entrainement décida il s’en irait à la rencontre de celui qu’il considérait sinon comme un ami, du moins comme un genre de frère sinon de sang, au moins de statut, celui de paria, et bien sûr d’armes – du moins une fois cette appétissante tourte à la viande engloutie.

Flowers savait depuis longtemps que les braaviens n’étaient pas appréciés à Goeville. Trop valyriens, trop fusionnels, trop proches du roi, trop victorieux, trop différents, trop étrangers en somme. Du point de vue du bâtard, c’était une excellente raison de les fréquenter. Qui se ressemble s’assemble, après tout, et puis Manny avait toujours eu l’esprit de contradiction. Lui-même n’était sans doute pas très apprécié – ce dont il se moquait : en temps que bâtard, il n’avait jamais été très apprécié nulle part – et devait susciter une désapprobation à peu près similaire, l’inceste en moins, ce qui n’était que justice. On ne pouvait pas être et avoir été et il était déjà, pour sa part, l’enfant du pêché, ce qui lui suffisait dans la catégorie « réputation sulfureuse ». Sans compter les éventuels envieux. A force, il avait découvert leurs existences. Tant qu’il ne s’agissait que de cela, Manfred avait décidé de s’en moquer. Mais qu’on approche de trop près, ce serait une autre histoire…

Dans tous les cas, cette attitude, adoptée depuis qu’il était gamin et qu’il avait été en âge de comprendre que les gens étaient en général relativement stupides, l’avait conduit à ignorer la plupart des rumeurs concernant les braaviens. La plupart ne procédaient que de la peur de ce qui est différent ; seule l’idée de l’inceste pouvait éventuellement être crédible. Ne parvenant pas à trancher, ne sachant pas quoi en faire, et jugeant que cela ne l’impactait pas, Manny avait laissé cette histoire de côté et décidé qu’en l’absence de preuve, ceux qui répandaient les rumeurs étaient malfaisants. Eux ne l’avaient jamais jugé, comme si les parias se reconnaissaient entre eux. S’il s’était jamais senti inégal face à eux, c’est parce qu’il n’avait pas l’habilité pour les chiffres de Vaeranah et qu’il savait que Vaeron était meilleur que lui sur le plan militaire. Plus sanguinaire – ce que Manfred, tout colérique qu’il fut, n’était pas – et encore plus inconscient -ça, ser Martyn en aurait été étonné. Alors il l’admirait, d’une certaine manière et l’avait pris pour modèle, un peu comme un frère ainé, avant même qu’il ne le sauve à Combemèche. L’Intranquille ne serait peut-être pas allé jusqu’à dire que c’était réciproque, mais il lui semblait que Vaeron l’appréciait également, au moins assez pour subir son insolence et le laisser trainer dans ses pattes, voire pour partager une bière ou un entrainement. Cela se rapprochait assez d’une forme solide d’amitié pour que Flowers ait acté de son existence. Et qu’il se sente autorisé à se pointer au terrain d’entrainement pour essayer de l’y voir.

Une rapide observation dudit terrain d’entrainement lui appris que pour une fois, les rumeurs avaient raison et que Vaeron était réellement d’humeur massacrante, au sens propre d’ailleurs. Pas candidat au poste de défouloir – ou en tout cas pas de cette manière là – il se contenta de dégainer Écarlate avec nonchalance, posant l’épée sur son épaule. La lame défouraillée émit un bruit clair, attirant l’attention du braavien. Le lynchage du malheureux qui s’était trouvé là par hasard resta au stade de projet avorté. Rengainant provisoirement,  Manfred leva une main pour saluer Vaeron, dont le regard venait de se fixer sur lui : « Partagé. J’ai appris que vous étiez revenu aujourd’hui, je me suis dis que j’allais venir vous saluer. » Il se décida finalement à approcher et à lui tendre une main amicale : « Qu’importe, je ne m’attendais pas à ressortir propre en sortant ici. » Le bâtard se fendit d’un sourire : « J’allais vous demander si votre voyage s’était bien passé, mais je suppose que je vais éviter. » Il n’était pas exactement certain d’en comprendre la raison. Ni de vouloir la connaitre, malgré la curiosité qui le tenaillait. Manfred était assez intelligent pour comprendre que certaines choses lui échappaient depuis leurs voyages en Essos et qu’il ne comprenait pas tout ce qui se jouait autour du conseil. Poser des questions directement était un jeu dangereux. Si quelqu’un, Vaeron ou un autre, avait du lui parler de quoique ce soit, l’initiative serait venue d’eux. Ne restait plus qu’à attendre ou à provoquer le destin.  « J’étais venu avec l’idée de m’entrainer, si jamais vous cherchiez un véritable partenaire…un peu plus à votre niveau. Je crois qu’un mannequin de quintaine aurait été plus résistant que ce pauvre type là. Tenté ? » Soit, peut-être risquait-il un mauvais coup, mais un entrainement n’était jamais perdu, et si tout allait bien, il tiendrait mieux le choc que le chevalier de la Compagnie Dorée.