The wolf pack survives (Robb/FB)

Sur le dos de sa monture, Brandon Stark admirait les paysages du Conflans dont il ne se lassait pas et qu'il avait appris à aimer durant ces nombreuses années aux côtés des Nerbosc. Voilà sept ans que le jeune loup avait quitté sa meute : ce départ sonna le glas de son enfance pour le faire entrer brutalement dans l'âge adulte, mais ce n'était que plus récemment que son corps avait changé. Plus grand, des traits qui s'affinaient, loin des grosseurs de l'enfance. Tant de choses étaient arrivées dernièrement, le départ de Lucas l'obligea à rejoindre Corneilla afin que son apprentissage puisse se parfaire auprès de Brynden. Quitter Castel-Bois l'avait affecté plus qu'il ne l'aurait imaginé, cet endroit l'avait accueilli durant des années, devenant un cocon agréable qui lui rappelait sa cité natale. Un second départ donc qui lui rappela le premier mais qu'il avait dû subir malgré lui. Les raisons appartenaient à son ancien mentor et il les comprenait dans un sens : ce dernier n'acceptait pas l'accord noué entre le Conflans et le Val. Mais pouvait-on réellement blâmer Brynden de désirer instaurer la paix après ces nombreux conflits ? Eviter que le sang ne coule encore plus ? Non, Brandon saluait même cette décision, dans la veine de feu son père, Eddard Stark qui aurait fait de même pour préserver son peuple d'une énième boucherie. Et pour sûr que son ainé partageait ce sentiment.

Le ciel bleu au-dessus de leurs têtes faisait écho à son bonheur impatient de retrouver une partie de sa famille. Vivesaigues reconstruite, Sansa et son époux y avaient établis une nouvelle branche Nerbosc : rétablissant indirectement l'injustice dont furent victimes les Tully lors de la rébellion du Cerf. Cette occasion était trop belle pour eux de ne pas fêter cette consécration dignement. Pourtant, nul banquet en grand comité fut prévu : ce dernier serait simplement fait en présence des deux familles, une intimité salvatrice pour le jeune loup qui les retrouvait après tant d'années de séparation. Les nombreuses lettres échangées ne remplaçaient pas les conversations et les mots dits avec émotions ou les étreintes fraternelles. S'il avait quitté les siens en enfant, c'était en tant que jeune homme qu'il les retrouvait - non sans une émotion certaine.

Rapidement, le château de Vivesaigues se dévoila à sa vue, le convoi fut accueilli par le couple et leur petite fille que tenait sa soeur dans ses bras. La prenant dans ses bras avec force, il les saluait et quelques heures plus tard ce fut au tour des nordiens d'envahir la cité, plongée dans l'effervescence de cette réunion. Lorsque la délégation nordienne arriva dans la cour, ce fut le coeur battant que le juvénile les attendait, impatient, ému. Sans surprise, Catelyn le serra dans ses bras, l'embrassant, découvrant celui qu'elle avait quitté des années plus tôt.  Elle aurait pu pleurer si la fatigue n'avait pas tari ses larmes. De bras en bras, le loup retrouvait sa meute, pour son plus grand plaisir. S'ils avaient changé, l'amour lui, ne s'était que renforcé en dépit de la distance.

Ils auraient bien l'occasion de discuter, de rattraper le temps perdu et de nouveau : les rires envahissaient les murs du château si longtemps abandonné. Des jours tendres salvateurs pour la famille Stark durement éprouvée - comme le reste du continent par la nouvelle danse des dragons. Le lendemain du banquet, chacun vaquait à ses occupations alors que le soleil s'était levé depuis peu, Brandon déambulait déjà dans les couloirs, Eté à ses pieds. Son sommeil était toujours aussi instable, encore plus avec l'évolution de son don en vervoyance. Soudain, une silhouette familière attira son attention, bien que de dos, il reconnut aisément son frère ainé et suzerain. "Robb ! Tu es bien matinal." Dit-il avec un sourire, accélérant le pas pour arriver à sa hauteur. Désormais, il faisait sa taille, loin d'être l'enfant d'antan, de quoi les perturber tous les deux, sans nul doute. A dire vrai, nulle gêne dans son comportement, Bran était simplement heureux de le retrouver, sincèrement. "Que dis-tu de prendre le petit-déjeuner en ma compagnie ?"

Des derniers jours que Robb Stark avait passé à Corneilla, il n’avait fait que trépigner. Gracieusement invité par les suzerains du Conflans à séjourner dans leur fief imposant, il y avait désormais passé une lune quasiment entière. En vérité, il n’en avait pas fallu moins pour récupérer des trois lunes de voyage que lui et sa suite avaient déjà dans les pattes après la traversée qui les avait menés de Winterfell jusqu’au Conflans, mais autre chose les attendait encore pour ce voyage que le fils de la Truite ne pouvait attendre plus longtemps.

   Rickon, Robb et leur mère avaient quitté Winterfell pour retrouver à Corneilla un autre Stark trop longtemps éloigné de sa meute. Brandon était devenu, depuis maintenant bien des années, un écuyer pour la famille suzeraine du Conflans. D’abord au service de Ser Lucas Nerbosc, ce dernier avait désormais quitté ses terres natales pour d’autres auspices ; le jeune loup se retrouvait désormais au plus près du suzerain lui-même, Lord Brynden. Robb avait ainsi retrouvé un garçon qu’il n’avait plus vu depuis bientôt sept ans et qui avait beaucoup grandi. Son visage s’était affiné, laissant derrière lui ses rondeurs d’enfant ; Rickon et Ned Omble, lui aussi du voyage, l’avaient beaucoup jalousé pour cela. Son corps aussi s’était affuté, pour ressembler maintenant bien plus aux corps des jeunes hommes sans épouse et sans enfants qui couraient les champs de bataille comme s’il n’y avait pas de lendemain. Brandon avait en effet intégré les rangs des Nerbosc quand ceux-ci avaient dû parcourir leur région pour en débusquer les traîtres et les mener devant la Justice – la gueule du Dragon de Lady Daenerys, jurait la rumeur. Le suzerain du Nord remerciait les Anciens de lui avoir permis d’étouffer dans l’œuf les premières idées rebelles à l’occasion de la Bataille de Fort-Terreur ; il n’y avait rien de plus terrible que ces batailles intestines. Les traits de son jeune frère s’étaient aussi creusés et noircis, on le notait sous ses yeux clairs, notamment. C’est que depuis bien des années, Brandon devait supporter, nuit après nuit, l’apparition de rêves verts. Si la vervoyance était fréquente dans la lignée des Stark, il était le seul, de la meute, à en être affecté. Le Seigneur Stark, toutefois, percevait bien la force physique que requérait ce don, puisque sa propre épouse faisait elle-même des rêves-verts. Lady Stark passait ainsi nombre de ses jours couchée, pour se remettre de ses nuits, son époux imaginait donc bien à quoi pouvait ressembler le quotidien du jeune écuyer, qui en plus, développait ses capacités de change-peau en prenant le contrôle de son sombreloup. Les hôtes de Brandon furent fort gracieux à ce sujet : il leur avait confié son secret, qu’ils s’appliquèrent à garder avec lui en tentant de lui rendre la vie aussi facile que possible. Le seigneur Stark n’avait pas manqué de les remercier pour cette mansuétude, il n’était pas ordinaire qu’un écuyer doive abandonner le service de son maître pour rester couché aussi régulièrement, et Robb Stark, aussi peu lettré qu’il l’était sur la chevalerie, savait au moins cela. Les Nerbosc avaient déjà souligné leur amitié en acceptant de prendre Brandon comme écuyer, et continuaient de le prouver tous les jours en acceptant ce quotidien qui pouvait parfois être fait de fièvres et de fatigue plutôt que de service et d’obéissance. Toutes ces nuits sans lune noircissaient ainsi le regard de Brandon, cernaient ses yeux, le fatiguaient jusqu’à parfois le rendre malade – Catelyn s’en était beaucoup inquiétée. Mais elles lui donnaient aussi une connaissance particulière sur le monde, que Robb pouvait aussi lire sur la face de son jeune frère. On aurait dit que ces six ou sept années loin de Winterfell l’avaient rendu plus sage.

   Ce n’était ainsi plus un jeune garçon que les Stark avaient retrouvé à Corneilla, mais un jeune homme bien fait, aux facettes bien différentes de celles de ses frères, propres à lui et pourtant intimement Stark. Robb l’avait serré contre lui un long moment, quand il l’avait retrouvé, avant de prendre son visage entre ses mains pour mieux le voir. Sept années de correspondances ne valaient pas cette étreinte.

   Une certaine effusion avait toutefois régné à Corneilla et autour des deux suzerains. Brynden et Robb s’étaient entretenus à de nombreuses reprises, et jusque tard dans la nuit, évoquant divers sujets, politiques ou familiaux. Là encore, ç’avait été plus facile de le faire dans l’intimité d’un bureau seigneurial que ça ne l’aurait été de le faire par courrier. Des festivités avaient aussi été organisées, divers banquets et sorties dans les alentours du château suzerain. Robb n’avait ainsi pas pu profiter de son frère comme il l’aurait voulu. Ce dernier, avant d’être le jeune frère du suzerain du Nord, était à Corneilla écuyer pour la maison Nerbosc. Ses journées étaient rythmées par ce quotidien-là, son frère aîné n’avait ainsi pu profiter que de courts moments en sa seule présence, et trop peu à son goût.

Toutefois, toute cette belle troupe partait bientôt pour rejoindre l’auguste château de Vivesaigues ayant historiquement appartenu à la famille Tully, désormais investi par une autre branche de la famille Nerbosc : celle de Lord Hoster et de son épouse, Lady Sansa née Stark. Cette visite à Vivesaigues sonnait la fin du voyage des Stark dans le Conflans, puisque Catelyn rentrerait bientôt dans le Nord, et que le reste du groupe prendrait le chemin de la route royale pour rejoindre Port-Réal. Ce devait aussi être un moment plus intime : ne se retrouveraient dans ce fief-là strictement que les familles Stark et Nerbosc, sans trop d’autres fioritures. Robb y retrouverait sa sœur et y rencontrerait ses nièces dont il avait hâte de découvrir le visage. Il se délesterait d’une malle remplie de cadeaux, dont une partie avait déjà été offerte à Brandon, qui avait récupéré une armure et une épée tout droit sortie de la nouvelle forge de la Ville d’Hiver.  

Quand ils arrivèrent, enfin, dans ce fief où Robb était né, une émotion particulière le saisit : il y avait quelque chose de familier ici-bas, bien plus qu’à Corneilla. Même sans être aux Tully, ce fief était celui d’un membre de sa meute qu’il n’était que trop content de retrouver. Après avoir trépigné, ces derniers jours, il était enfin là, il pouvait serrer Sansa dans ses bras et embrasser les petites Mélina, Lucinda et Mariah en cherchant dans leur regard la trace de leur identité de Stark.

Au lendemain de ces émouvantes retrouvailles, Robb s’était levé tôt, pour raconter dans un long courrier à son épouse ses dernières aventures. Il avait attaché à la lettre un petit portrait de Mélina, l’héritière des Nerbosc de Vivesaigues, comme Lyarra était l’héritière des Stark de Winterfell. Robb trouvait aux cousines une certaine ressemblance, qu’il avait tenté de faire apparaître dans ce croquis. La veille, il avait demandé à sa mère où était le pigeonnier, et il en revenait tout juste quand il entendit, derrière lui, une voix le héler. C’était celle de son frère, qu’il avait appris à reconnaître ces dernières semaines – car elle avait bien changé depuis l’époque où Brandon avait encore douze ans. Il le trouvait matinal, et lui proposait d’aller petit-déjeuner avec lui. Robb passa une main derrière son épaule, profitant de tous les moments d’intimité fraternelle qu’il pourrait trouver, et le serra contre lui une seconde avant de le pousser en avant : « Très bonne idée, j’ai une faim de loup. » Vent Gris, d’ailleurs, profitait lui-aussi de sa fratrie et passait ses journées dehors avec Eté, Broussailles, et Lady désormais. « Je me suis levé tôt pour écrire à ma douce épouse. J’aurais aimé qu’elle soit là, avec nous … » Robb évita le regard de Bran, en regardant droit devant lui dans la direction de la salle où ils déjeuneraient. Pas besoin d’en faire trop dans ce genre d’effusions. « Et toi, que fais-tu levé de si bonne heure ? »

Quelle étrange sensation que de retrouver les siens dans cette nouvelle cité qu'était Vivesaigues, aussi méconnue que familière aux yeux du jeune loup. Il y voyait un beau symbole, la présence de Sansa et maintenant celle de Catelyn sonnait comme le retour des Tully sur le Conflans. Une manière de clore ce douloureux passé : une manière de rendre hommage à la famille suzeraine qui se voyait reprendre sa place dans la région. Brandon n'était pas insensible à l'émotion que cela suscitait chez sa mère ou son grand-frère, né entre ces murs. Finalement ce banquet arrivait à point nommé, permettant aux familles Stark et Nerbosc de se retrouver en toute intimité, loin des regards insidieux de la cour de Corneilla ou de Port-Réal où ils se rendraient tous ensemble par la suite. Les retrouvailles furent émouvantes, sept années d'échanges épistolaires ne suffisaient pas totalement et le juvénile ne put que profiter des étreintes des siens. En sept ans, tous les Stark avaient changé, évolué, gagné en sagesse et il ne put que le constater : Robb ressemblait de plus en plus à feu Eddard Stark - autant physiquement que mentalement, le Suzerain et gouverneur du Nord suivait à la perfection les traces de son aïeul. Lui aussi avait affronté des batailles, des tragédies, si Bran avait dû faire face à des rêves-verts innommables, ce n'était pas aussi éprouvant que de le vivre.  Ses traits s'étaient creusés, l'innocence de l'enfant avait définitivement quitté le regard sombre du petit loup, là où cette étincelle existait encore chez Rickon et Ned Omble. Pourtant, jamais Brandon ne s'était plaint de son épuisement, refusant que les Nerbosc le qualifie de fragile ou de pleurnichard, il s'était contenté de leur révéler des faits. Une façon de se rendre utile, à défaut d'être un écuyer capable. Ser Lucas ne lui en tenait pas rigueur et force était de constater que son frère fut de même. Bien que plus impressionnant et bourru, il appréciait fortement Lord Brynden avec qui il partageait la croyance des Anciens. Jamais on ne lui avait reproché de rester au lit, et il était sûr qu'il n'aurait pas trouvé une telle compréhension ailleurs.

Le château de Vivesaigues se voyait être de nouveau habité par la vie, l'on pouvait entendre les pleurs des nourrissons de Sansa et Hoster, les rires de Rickon et Ned. Durant cette halte, l'on oubliait presque la guerre qui menaçait. Depuis longtemps, Brandon se sentait en paix, entouré de tous ceux qu'il chérissait - bien que son coeur songeait toujours à Arya, Kylis et particulièrement à Lyanna restée à Winterfell. S'il regrettait de ne pouvoir les serrer dans ses bras, il était convaincu que cela viendrait bientôt. S'il ne pouvait achever sa formation, il repartirait aussitôt dans le Nord. Le Brandon aventureux, rêvant de chevalerie avait été confronté à la réalité de sa fragile constitution. Il ne savait plus s'il pourrait encore prétendre au titre de Ser. Encore plus depuis l'évolution de ses dons en vervoyance. Peu à peu, cette utopie s'étiolait, le rendant quelque peu amer. Mêmes si les cadeaux de son frère étaient encourageants, il ignorait si un jour il serait assez digne ou fort pour les porter. Cette armure aux armoiries Stark lui paraissait si lourde. Il ne la méritait pas pour l'instant, et peut-être jamais.

Comme tous les matins, le brun s'était levé à l'aube, émergeant d'un sommeil difficile - comme la plupart des nuits. Eté dans ses pieds, il quittait sa chambre pour arpenter les couloirs, direction la cuisine. Sans crier gare, son loup s'éclipsa pour retrouver ses comparses dehors, tout aussi heureux de retrouver ses frères, à l'image de Bran qui héla Robb, celui-ci étant de dos. Il lui proposa de petit-déjeuner ensemble, l'occasion de passer un peu de temps ensemble avant que le château ne s'éveille de sa léthargie. Un doux sourire franc illumina le visage du plus jeune tandis qu'il profitait de cette étreinte fraternelle, avant de prendre la tête de la marche. Lorsqu'il évoqua Kylis, Bran comprit aisément qu'il regrettait son absence. La jeune suzeraine souffrait encore de son accouchement, entreprendre un tel voyage était trop risqué. Remarquant que son frère en souffrait, il préféra ne pas rebondir sur le sujet, tandis qu'ils arrivaient tous les deux dans la grande pièce où attendaient des assiettes de mets garnies. Pain, fruits, et de la viande pour les plus courageux. "Ma nuit a été aussi agitée que l'est Arya, même si elle a dû s'assagir un peu depuis." Tenta-t-il de plaisanter tandis qu'il s'asseyait pour commencer à se servir, proposant des plats à son frère, qui put avoir tout le loisir d'entrevoir le pendentif offert par Lyanna autour de son cou. L'on entrevoyait un loup et un Ours, les symboles des deux familles. "Je suis impressionné de voir que tu n'as pas perdu ton appétit légendaire !" Un soupir amusé traversa la barrière de ses lèvres tandis qu'il buvait un peu d'eau. "Tu sais, j'ai encore du mal à réaliser que tu es là, avec moi, j'avais tellement espéré ce moment ! Sept ans que c'est long sans vous tous." Même si les Nerbosc l'avaient accueilli avec bienveillance et amitié, cela ne remplaçait pas sa meute. Il était vraiment heureux. "D'ailleurs que vous êtes-vous dit avec Lord Brynden ?" Curieux ? Un peu oui, il espérait que le suzerain du Conflans ne s'était pas plaint de ses absencs ou de sa fragilité.

Le suzerain du Nord laissait courir, à son propos, des rumeurs qui revêtaient parfois les atours de légendes. On racontait qu’il prenait, les nuits de pleine lune, l’apparence de son sombreloup, ou bien que Vent-Gris justement était capable de communiquer avec lui par la pensée, et lui confiait ainsi tout ce qui pouvait se tramer dans les chaumières de ses sujets. A ces chuchotis, Robb Stark répondait par de grands et mystérieux sourires, et devant les enfants, il se surprenait même à confirmer ces mythes en montrant ses canines blanches et en laissant lui échapper quelque grognement. Cette façon de confirmer au grand jour ce qui aurait dû être un secret le trahissait. En effet, ce genre d’atout est d’ordinaire furieusement caché, ou pour ceux qui le craignent, honteusement camouflé. Quand il se tenait en la compagnie de son frère, Robb n’en prenait que mieux la mesure. Face au monde extérieur, le jeune Brandon ne laissait apparaître de lui que la figure digne d’un héritier du Nord, fier de son apprentissage dans la famille suzeraine du Conflans qui ferait de lui le premier chevalier que les Stark aient connu. Son secret était bien gardé par ce masque de discrétion qu’on finissait par lui connaître. Le petit frère du Seigneur de Winterfell … L’écuyer de Lucas Nerbosc … Voilà ce qu’on savait de lui ; point qu’il rêvait, la nuit, du passé et du futur, et qu’il tentait, le jour, de démêler ces fils temporels pour mieux comprendre quels signaux lui étaient envoyés.

Robb, s’il n’y prêtait pas attention, pouvait lui aussi oublier ce que son frère cachait. Ces retrouvailles étaient un moment festif, faites d’heures joyeuses et de discussions légères. Il lui fallait prêter un effort pour passer au-delà de tout cela. Il lui fallait prendre du temps, et plisser un peu des yeux pour mieux voir. Brandon ne laissait rien apparaître, il fallait ainsi qu’il tende l’oreille pour entendre, dans son commentaire sur sa nuit agitée par exemple, un indice de ce qu’il cachait. Du reste, le jeune homme ne se plaignait pas, ce qui rendait la tache de lui demander de partager un peu plus ce qui le tracassait d’autant plus ardue. Les choses étaient plus aisée avec son épouse, dont il partageait une intimité quotidienne et qu’il pouvait ainsi questionner plus facilement. Avec Brandon … Robb craignait d’admettre qu’il avait perdu l’habitude, maintenant qu’il était dans le Conflans, alors que cette acclimatation s’était déjà faite si difficilement après les années qu’il avait passées de son côté à Port-Réal. Les deux frères Stark avaient évolué plus souvent loin l’un de l’autre qu’ensemble. Tel était le sort qu’avaient voulu les Anciens pour eux. Pourquoi ? Seul Bran le devinerait peut-être un jour.

En attendant, Robb amassait les petits cailloux que son frère laissait derrière lui pour retrouver le chemin de son identité. Autour de son cou, il vit briller un pendentif. Un loup et un ours, si le suzerain identifiait bien les petites créatures. Il sourit doucement. De cela non plus, les deux frères n’avaient pas eu le temps de discuter, alors qu’ils étaient ensemble depuis plus d’une lune, maintenant. Le suzerain regarda autour de lui, et se servit bruyamment de ce qui était disposé pour eux sur la table. Il ne voulait pas qu’on fasse attention à eux, mais il était de toute façon suffisamment tôt pour que quiconque ne les interrompe. Alors qu’il attrapait une poignée de mûres qu’il avala sans tarder, son frère commenta son appétit légendaire, avant de s’épandre sur le plaisir qu’il trouvait dans leur retrouvailles. Beurrant allègrement une tranche de pain noir, Robb répondit en souriant : « moi aussi. Je suis trop heureux que nous soyons tous réunis, Mère a dû te dire combien elle attendait ce moment, et ne laisse pas Rickon prétendre que ça n’était pas son cas à lui aussi. » Un air taquin rajeunissait ses traits ; le sort voulait qu’il connaisse désormais mieux son plus petit frère que celui qui vivait trop loin de lui pour qu’il ne sache reconnaître dans son air une pensée ou une autre. Brandon demanda à Robb ce dont il avait déjà discuté avec le suzerain du Conflans. A vrai dire, cette curiosité avait du bon : le jeune homme qu’était encore Bran deviendrait bientôt son meilleur conseiller, dans le Nord. « De toi, bien sûr ! » Robb adressa un regard amusé à son frère, dont il espérait avoir titillé l’intérêt. Sur sa tartine il avait disposé différentes tranches de jambonneau et écrasé deux ou trois mûres de plus, pour le plaisir. Ils reprendraient bientôt la route, pour Port-Réal, s’engraisser un peu avant ce trajet ne lui ferait sans doute pas de mal. « Mange un peu, toi aussi. Si tu dors mal, tu dois trouver ton énergie ailleurs ; c’est la recette secrète d’Arya, qui double les rations et qui se lève tous les matins à cinq heures pour s’entraîner … » Emballé par sa propre diatribe, il fourra son pain dans les mains de son frère, en profitant au passage pour tirer, en tendant le bras en travers de la table, sur la chaîne qui attirait son regard de pie. Rien de trop taquin, juste de quoi voir apparaître, sur les joues de son frère, un trait de rouge. « On n'a pas parlé de ça, je te rassure. De ça, on va discuter tous les deux, d'abord. » Reculant à nouveau sur son siège, Robb entama la concoction d’une nouvelle tartine, du même acabit que la première, non sans tricher un peu en se laissant aller à croquer au passage quelques bouts de dinde. « De Ser Lucas, beaucoup, et de son devenir en Essos. Lord Brynden s’est excusé très humblement pour son frère, qu’il soit parti sans avoir pu terminer ton instruction. C’est un homme honorable, ce suzerain. » Robb se targuait de pouvoir le compter parmi ses alliés, le Nerbosc n'était pas un homme facile à connaître ou à comprendre, mais c’était sans doute là la qualité d’un grand suzerain. Celui du Nord croqua goulûment dans sa tartine, avant d’ajouter : « il m’a dit que ton rythme n’était que plus soutenu maintenant que tu apprenais à ses côtés. Il n’a pas des années aussi faciles dans le Conflans que je les ai eues dans le Nord, depuis la trêve. Je crois qu’il est content de toi. » Robb n'en dit pas beaucoup plus, se laissant le temps d'apprécier la viande qui venait remplir sa panse, et le regard fier de son frère qui, bientôt, lui manquerait à nouveau.

Brandon était heureux, réellement de revoir les siens après tant d’années de séparation. Comme les Nerbosc, ils étaient dans la confidence des rêves dont il était victime, et plus récemment de sa vervoyance, le rendant capable de contrôler son loup. Sa santé déclinait, s’il arborait un physique d’adulte, il savait qu’il n’aurait jamais la force de son frère aîné ou l’agilité d’Arya. Telle était le prix à payer pour posséder de tels dons. Pour ainsi dire, il n’avait jamais vraiment su pourquoi les Anciens l’avaient gratifié de tout cela. Durant son enfance, il avait entrevu ses rêves comme une malédiction. Plusieurs années plus tard, il avait changé d’avis : certes, cela mettait à mal sa santé mais il voyait le passé et le futur. Jamais, Brandon ne s’était plaint ouvertement de sa condition, laissant ses tourments s’exprimer une fois qu’il était seul. Personne n’avait su qu’à ses quatorze ans, il avait maudit la terre entière pour être cloué au lit, pour ces fièvres interminables.

Il n’en tenait pas rigueur à ses proches, sa réserve rendait toute approche assez difficile. S’il distillait quelques informations par lettres, les informations s’arrêtaient là. Il ne désirait pas accabler davantage sa famille ou son mentor. Les Nerbosc étaient compréhensifs mais il ne désirait pas de leur pitié, il voulait être traité comme tout écuyer - du moins, c’était son souhait. Désormais, il prenait la mesure des responsabilités qui pesaient sur ses épaules. Pouvait-il réellement prétendre au titre de chevalier ? Cela signifierait de renier sa foi aux Anciens ? Eux qui pourtant lui confiaient tant de pouvoir. Il n’était plus sûr de rien, tandis qu’il s’asseyait aux côtés de son frère pour profiter d’un bon petit-déjeuner. Il était heureux, certes, mais pas moins inquiet pour son avenir. Sa conversation avec son homologue avait porté sur lui, évidemment, il s’en doutait bien. Brynden était un allié loyal et un homme d’honneur - même s’il n’était pas aussi sympathique qu’avait pu l’être Ser Lucas.

Peu à peu, ses rêves de chevalerie s’éloignaient pour laisser place à la réalité : sa santé fragile ne lui permettra pas d’être le bras-armé dont Robb avait besoin. Cette idée lui serrait le cœur tandis qu’il attrapait la tartine offerte par le suzerain du Nord à qui il adressa un doux sourire. Arya avait toujours des conseils avisés !

Sa joie sincère se mua en une rougeur intense sur les joues alors que Robb remarquait la présence du pendentif, ses doigts agrippant le présent de Lyanna, qu’il portait tous les jours. Une manière pour les deux jeunes gens d’être connectés malgré la distance qui les séparait. Pris de court, il bredouilla quelques mots avant d’enfin parvenir à formuler une phrase. “C’est vrai…” Souffla-t-il penaud, ils n’avaient pas encore évoqué de vive voix les sentiments qu’il ressentait à l’égard de l’Ourse. Sentiments qui n’avaient fait que de se renforcer au fil de leurs échanges épistolaires. Cependant, le sujet changea aussitôt, Bran laissant son aîné évoquer le devenir de Lucas Nerbosc en Essos ainsi que des impressions du suzerain à son sujet. Tandis qu’il croquait dans la tartine beurrée, le jeune loup écoutait attentivement, demeurant silencieux. Son sourire s’était tarit alors qu’il laissait ses opales sombres divaguer dans le vide, la voix brisée par l'émotion. “Tu sais, plus j’y pense et plus je me dis que jamais je ne deviendrais un chevalier. Et si ma voie n’était pas celle-là ? et si je devais suivre les Anciens ? Et si être adoubé me détournait de ma destinée ?” Reposant la tartine entamée, il sentait la nausée le gagner. Décidément, les rêves d’enfants s'étiolent. Le Brandon de quinze ans n'aurait jamais remis en doute sa destinée, persuadé qu’elle serait faite d’aventures et de gloire. C’était bien la première fois qu’il ouvrait son cœur sur les questions qui le tourmentaient. Il n’était plus un enfant maintenant, il ne devait plus fuir face à la vérité, aussi cruelle soit-elle. “ L’arrivée de ma vervoyance n’est sûrement pas une coïncidence…J’ai la sensation que les Anciens m’encouragent à les suivre, à les écouter.” Dit-il en plongeant ses opales dans celles de son voisin, avec plus de détermination cette fois-ci. Mais que faire alors qu’il était tiraillé ? Que faire alors qu’une partie de lui désirait toujours devenir chevalier ? Comment pouvait-il y renoncer sans abandonner une partie de son âme ? Il l’ignorait et n’attendait pas forcément des réponses aujourd’hui. Baissant la tête, il fixa son verre d’eau.
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Si le jeune loup ne se plaignait jamais de sa condition, il savait aussi que son frère avait bien plus de responsabilités. L'on attendait de lui tant, toute une région, tout un peuple de nordien exigent. Robb avait sa propre croix à porter, Bran refusait de la rendre encore plus lourde. Tout comme Lord Brynden, ils avaient à penser, à faire que de se préoccuper de ses propres tergiversations d'adolescent. Si des cernes se creusaient à cause de ses nuits, elles étaient là tous les jours sous les yeux des suzerains qui jamais ne dormaient paisiblement. Chacun sa place, en effet, mais où était la sienne ? Dans un lit à se morfondre de ne pouvoir tenir une épée alors que sa place devrait se trouver aux côtés de son Seigneur et Suzerain ?

Il savait pertinemment qu'en évoquant son don, la conversation n'allait pas rester aussi légère qu'elle avait débuté. Brandon avait la sensation de marcher sur des œufs, car il ne comprenait pas encore le sens de tout cela, mais il était sûr d'une chose, les Anciens le gratifiaient d'un nouveau don, et ce changement ne devait pas ignoré. Par cette évolution, il semblait être de plus en plus poussé vers la foi dont il s'était détourné durant son enfance, ses rêves de chevalerie semblaient d'ailleurs aller à l'encontre du chemin qu'il empruntait désormais. Pour son plus grand malheur, une partie de son âme se voyait amputée par tout cela. Comment devenir chevalier devant les Sept alors qu'il se voyait de plus en plus prier les Anciens ? Face à la surprise de son aîné, le plus jeune baissa un instant les yeux, regrettant de se montrer aussi honnête : voilà longtemps que ses tourments ne cessaient de le hanter.

L'adoubement paraissait être une réalisation inaccessible, une utopie d'une enfance où il avait grandi dans les croyances des Nouveaux dieux. Bran avait nourrit une admiration profonde pour ce titre honorifique qui récompensait l'honneur et la droiture, tout ce que représentaient les Stark. C'était le rêve ultime de n'importe quel enfant ayant grandi sur le continent. Dire ses mots à voix haute lui brisait le coeur, bien plus que ce n'étaient que de simples pensées fugaces. Les verbaliser de vive voix rendait tout cela plus réel. C'était d'ailleurs presque un chuchotement, comme s'il était terrifié de ses propres paroles - et c'était en parti vrai. S'il savait que les Anciens avaient tracé son avenir, il ignorait tout de ce dernier ou du chemin à suivre. Jetant un oeil sur la tartine qui tombait lentement dans l'assiette du plus vieux des loups, il leva ses yeux pour les ancrer dans les siens. Naturellement, les questions fusaient, méritaient des réponses claires, ce que n'avait pas Brandon dont les doigts se crispèrent aussitôt autour de son verre. "Je ne sais pas, pas clairement du moins, je suis capable de voir le passé, le présent, le futur, si je parviens à mieux interpréter ces rêves, je pourrais t'aider dans ta tâche de Suzerain. Tu pourrais ainsi prendre des décisions en connaissance de cause.. Et si ce n'était pas plutôt ça, ma place ?" Tenta-t-il de justifier, les sourcils froncés, en pleine réflexion, il ne savait où cela pourrait le mener. Quant à prendre le contrôle d'Eté, il y arrivait plus facilement et acquiesça du chef. "Oui, j'ai chassé et goûté au sang, j'ai cru vomir." A ses mots, il regarda avec dégoût sa tartine, qui en cet instant lui paraissait aussi ragoûtant que le gibier qu'il avait traqué. Robb avait raison toutefois, il avait des obligations envers les Nerbosc. "Mon devoir envers les Nerbosc passera toujours avant tout ça, je ne ferais rien pour te mettre dans une position délicate. Lord Brynden est au fait de mon don et de son évolution, s'il ne te dit rien, il n'est pas aveugle et voit bien que je suis un piètre écuyer." Et ce n'était pas peu de le dire. Il n'était pas rare qu'il reste des jours alité. Finalement, le brun secoua la tête et avoua dans un soupir. "Désolé de t'ennuyer avec mes problèmes." Dit-il en prenant conscience que tout cela ne faisait qu'ajouter un peu plus de pression sur les épaules de son aîné. Celui-ci avait certainement mieux à faire que d'écouter les états d'âmes de son petit frère.