The Red Viper vs. the Kraken - ft. Theon

Oberyn avait été déçu d’apprendre que le salon princier, le salon qui lui était dédié, était occupé par un autre. Mais avait-il le droit d’être en colère pour ça ? Cinq ans s’étaient écoulés depuis son départ de Lancehélion. Cinq longues années se succédèrent sans que personne ne sache où le prince de Dorne était ni si ou quand il reviendrait à Dorne. Comment pouvait-il en vouloir au gérant de cet établissement d’avoir donné la suite princière à d’autres clients bien plus présents qu’Oberyn lui-même. Cela ne l’avait pas empêché d’être agacé et d’avoir débarqué dans ladite suite, interrompant là toute activité quelle qu’elle soit. Il ne prit pas la peine de se présenter et annonça directement la couleur en demandant haut et fort qui osait se prendre pour un prince en ce lieu. L’homme allongé et bien entouré semblait énervé de cette interruption. Oberyn ne pouvait qu’en être content, c’était là l’effet escompté. Il le défiait du regard et ne se présentait guère à son tour, clamant que c’est celui qui importunait qui devait le faire en premier. Ne répliquant rien à cela, ils se toisèrent quelques secondes l’un et l’autre avant que l’homme, sans aucun doute plus jeune que la Vipère Rouge, finit par se présenter.

Voilà un homme auquel il ne s’attendait pas à voir ici, en ces lieux, en cette région même. Le prince Theon Greyjoy. Il ne se souvient pas d’avoir déjà rencontré le « dernier fils vivant de Balon Greyjoy, roi des Îles de Fer ». Regardez-le se pavaner de son titre celui-là. Il n’en demeurait, aux dernières nouvelles, pas moins que le second dans l’ordre de succession. Les dires étaient ainsi vrais. Les Fer-Nés sont orgueilleux, condescendants et vaniteux. Il en avait un bel exemple sous les yeux en tout cas. Il ne s’inclinerait sûrement pas face au petit prince. Qu’importe qu’il vienne d’un royaume indépendant. Qu’importe qu’il appartienne à une grande maison. Qu’importe que Dorne soit alliée aux Îles. Elle ne l’est que par nécessité. En effet, le prince, éloigné de la cour princière depuis des années déjà, par son exil en Essos bien sûr mais également par son échec à réconcilier Dorne et la Couronne du temps de Rhaegar, n’avait que peu d’espoir en cette alliance. S’il revenait à Lancehélion sous un meilleur jour que lorsqu’il partit cinq ans plus tôt, certaines choses demeuraient encore dans son esprit. À voir ce que cette alliance avait apporté depuis son départ. À voir ce que Doran en avait tiré pour la principauté qui pouvait, désormais, se targuer d’être pleinement et à nouveau indépendante, se hissant au même niveau que le royaume des Îles de Fer.

- Voyez comme en l’espace de deux secondes, nous partageons déjà deux points communs. Je ne savais pas qui vous étiez et visiblement, vous ne savez pas qui je suis.

Il marqua une pause pendant laquelle il prit une nouvelle gorgée du vin qu’il s’était servi. Toujours aussi agacé de voir que sa suite avait été donnée à un autre, il afficha néanmoins un clin d’œil envers l’une des deux femmes que s’était offert le prince Fer-né. Il avait bon goût, cela devait être souligné mais il devrait désormais faire ses affaires ailleurs. Oberyn Martell était de retour et il reprenait ce qui lui revenait de droit ou du moins ce qu’il pensait lui revenir de droit. Si les Fer-nés étaient perçus comme fiers et orgueilleux, les Dorniens l’étaient tout autant.

- Je suis au regret de vous dire, cher prince, que le gérant n’aurait pas dû vous donner cette suite. Les années ont passé, je le reconnais, et cela a dû lui échapper mais je suis le seul propriétaire de ces lieux. Aussi, je vous prierai de bien vouloir prendre vos… affaires et je suis sûr que notre ami commun vous trouvera une chambre tout aussi agréable.

Oberyn n’avait vraiment pas le temps pour cela. Il rentrait d’un long voyage, d’un exil de plusieurs années. Il était exténué et n’avait qu’une envie, s’allonger dans un lit dans les bras d’une femme quelconque qu’il aurait choisi parmi tant d’autres ou bien plusieurs ou encore dans les bras d’une femme et d’un homme. Peu importe tant que cela n’impliquait pas ce petit prince Fer-né qui se tenait devant lui.

Oberyn ne comptait aucunement quitter la pièce et encore quitter l’homme qui se tenait devant lui du regard. Même si tous deux avaient été victime d’une énorme maladresse du maître de l’établissement, aucun des deux n’étaient prêts à céder. L’intervention inattendu du prince dans la suite avait fait son petit effet sur le prince des Îles de Fer. C’est avec un sourire arrogant qu’il lançait quelques regards envers les demoiselles quelques peu dénudées qui se trouvaient sur le lit en arrière-plan. L’écoutant argumenter, Oberyn soutenait son regard plus encore et se dirigea naturellement vers la petite table qui se trouvait non loin de lui, prenant une coupe, se servant du vin, en mode provocateur. Buvant gorgée après gorgée, il laissa son rival du jour terminer son monologue puis lui adressa un clin d’œil. Il avait trouvé qui se tenait devant lui. Si la Vipère avait fait preuve de condescendance, en face, il y avait un adversaire à sa taille dans ce domaine. Personne n’osait intervenir, surtout pas le maître du bordel.

- Quel sens de la déduction vous avez là, cher prince. Vos années dans le Nord auront finalement servi à quelque chose.

La suite monta crescendo et fut moins plaisante. L’atmosphère était lourde et les deux hommes ne faisaient rien pour l’adoucir. Deux forts égos allaient s’affronter ici sans que personne ne puisse intervenir ni réussir à calmer la tension grandissante. Voilà maintenant que Theon le traitait de vieux, se moquant de lui ouvertement de son âge avancé. Le prince ne pouvait contredire certains éléments. Il est vrai qu’Oberyn n’était plus de toute première jeunesse. Son corps avait changé et quelques rides apparaissaient sur son visage. Ses cheveux n’étaient plus aussi noir qu’avant, le blanc de certains ressortant çà et là. Si le charme n’avait pas diminué pour autant, il fallait effectivement se rendre compte qu’Oberyn Martell vieillissait. Allant sur ses cinquante-quatre ans, il faisait partie de l’ancienne génération, celle, en effet, du roi Balon. Oberyn ne répliqua pas sur le moment et laissa échapper un petit rire tout en soutenant le regard du prince. Il le provoquait et le prince sentit désormais à qui il avait à faire. L’image qu’il avait du jeune Theon n’était plus celle qu’il avait désormais. En quelques minutes et en quelques phrases, une nouvelle image se dessinait. Le prince avait changé avec l’âge et le temps qui avance. Assuré, il le provoqua une dernière fois avant qu’Oberyn ne daigne, cette fois, de répliquer en s’asseyant sur une chaise, posant ses pieds sur la table, montrant qu'il comptait bien s'installer et rester ici.

- Pour être franc, je ne peux pas en dire autant.

Oberyn le regarda de la tête au pied affichant un petit sourire narquois. L’homme était provocateur, bien jeune et surtout… Fer-né mais le prince ne pouvait pas dire qu’il n’en aurait pas fait son goûter en d’autres circonstances. Dommage qu’il soit si énervant et arrogant.

- Mais il va de soi que je ne suis pas venu jusqu’ici pour renoncer aussi facilement. Quant à notre charmante compagnie, elles avaient déjà l’air ennuyé lorsque je suis arrivé alors imaginez ce qu’elles ressentent actuellement en voyant les deux coqs que nous sommes au milieu de cette basse-cour. Toute femme adore que l’on se chamaille pour l’obtenir, n’est-ce pas ?

Les demoiselles ne purent cacher plus longtemps un léger sourire face à la situation qui se dessinait sous leurs yeux et surtout face à un Oberyn souriant et charmeur.

- Oh et… l’âge n’a aucune importance ici. Des vieux, des jeunes, des borgnes, des laids, des beaux, des handicapés. Ce genre de maison accueille toutes celles et tous ceux qui peuvent payer. Peu importe le reste. Vous êtes à Dorne, ici !

Oberyn but à nouveau quelques gorgées de vin. Du vin de Dorne. Le bon vin de Dorne. Il leva sa coupe en direction de Theon qui avait commencé à se dévêtir. S’il pensait que cela ferait fuir le prince, il en était tout autre. C’est alors que le propriétaire des lieux voulut intervenir mais la main levée de la Vipère le fit s’interrompre. Theon et lui étaient assez grands pour régler cette situation. Pas besoin de cet idiot de maître dont l’erreur commise était l’origine de tout ceci.

Oberyn venait de faire son retour à Dorne. Il n’était nullement allé au Palais Vieux encore. Il n’avait vu aucun membre de sa famille à qui il avait simplement annoncé son retour durant la première lune de cette nouvelle année, de cette nouvelle décennie. Les Martell l’attendraient. La première chose que le prince avait décidé de faire était de venir dans un bordel où il avait l’habitude de venir. Quelle idée ! Elle n’était pas si incohérente avec le personnage. Il avait toujours aimé profiter, encore plus à l’âge qu’il a désormais. Laissant derrière lui toutes ses responsabilités de prince, il n’officiait qu’en tant que prince de la maison Martell. C’est là, la seule fonction qu’il souhaitait bien remplir, qu’il avait le devoir de remplir. Mais il ne désirait rien de plus. Le prince avait donné et aujourd’hui, il ne donnait plus. Ses années à Port-Réal avaient été une perte de temps. Son retour à Dorne avait été une désillusion. Puis, s’en suivirent des tragédies et des remises en question lourdes de conséquences. Aujourd’hui, il revenait à Dorne sous un nouveau jour. Certains se souviendront sans doute du prince Oberyn avant la mort d’Elia. D’autres le découvriront. Ils souhaitaient aller de l’avant, vivre sa vie comme il l’entend, même s’il demeurait toujours le frère du prince régnant, un prince, un Martell.

- Ma foi, en d’autres circonstances... Mais je doute que, respectivement, votre père et mon frère ne soient aptes à accepter un tel rapprochement.

Oberyn demeurait assis confortablement à la table où se trouvait le vin qu’il buvait à grosses gorgées. Il répondait aux attaques du Fer-né dans cette joute verbale qui durait depuis quelques minutes déjà sous le regard charmé des filles de joie qui se trouvaient là, payées par ledit Fer-né pour passer du bon temps à Lancehélion. Il avait bien raison cela dit mais l’orgueil était tellement présent dans qu’il n’était pas possible que les deux princes en restent là. Oberyn avait mis les pieds dans le plat avec son entrée fracassante. L’effet était escompté et il s’amusait à voir le prince des Îles de Fer lui répondre. Il adorait ça et quelque part derrière ce grand égo qui était le sien, il semblait séduit par la situation. Comme il venait de dire, en d’autres circonstances, il n’aurait eu aucun mal à s’approcher du beau prince, à continuer de le dévêtir tout en invitant les demoiselles nues sur le lit à les rejoindre. Déjà qu’il frôlait l’incident diplomatique avec son impertinence face à celle de Theon, Oberyn n’osait effectivement pas imaginer ce que penserait le roi des Îles de Fer et le prince régnant de Dorne si les deux princes se donnaient l’un à l’autre et que cela finissait par se savoir. Il afficha un large sourire amusé à l’idée que cela puisse se produire et but à nouveau une gorgée de vin.

- Vous me plaisez, prince Theon. Et n’y voyez pas là une technique de séduction. Loin de là. J’aime votre répartie et votre aisance à me faire face. D’autres, du même rang que nous, n’aurait osé.

Il en avait croisé des rois, des reines, des princes, des princesses, des chefs, des dirigeants de toute sorte. Oberyn en imposait, il fallait l’admettre et malgré le rang qui était le leur, certains ne menaient pas large face à la Vipère Rouge. Mais aujourd’hui, c’est le prince Theon qui se trouvait devant lui. Il était ici en tant qu’ambassadeur d’un royaume indépendant avec lequel Dorne était allié depuis plusieurs années. Cette alliance était importante pour les deux régions. Oberyn ne pouvait pas revenir après tant d’années d’absence et détruire ce que son frère et sa famille avaient mis sur pied pour les intérêts de Dorne, désormais indépendante elle aussi. Oberyn finit sa coupe et hésitait fortement à ce qu’il allait faire. Le prince Fer-né n’était pas prêt à partir. Cela se voyait dans sa posture comme sur son visage mais le prince Dornien non plus à vrai dire. Il avait beau s’amuser de la situation, il n’était pas venu pour repartir ainsi. La réflexion de Theon lui revint en tête et décida alors de se lever. Il servit deux coupes, les prit et s’approcha de lui, toujours avec ce sourire si caractéristique. Il lui tendit alors la coupe de vin.

- C’est à ça que servent les alliances pourtant, non ? Cela rapproche deux régions, deux familles… deux personnes.

Il ne dit rien de plus, affichant un sourire plus amusé encore, dévisageant le prince, l’observant même de la tête aux pieds puis, il lui adressa un petit clin d’œil.