Listening to birds

A bien y réfléchir, il semblait au Seigneur de La Roselière qu’il n’était encore jamais venu à Bois-de-Saule. Peut-être son père s’y était rendu avant lui lorsqu’il était plus jeune ou encore écuyer mais même en creusant dans sa mémoire, il n’avait pas de souvenirs au sujet de cet endroit, le fief des Ryger. C’est donc avec l’œil curieux de celui qui découvre un nouveau lieu pour la première fois qu’il franchit les portes du château, observant tout ce qui se trouvait à portée de vue et appréciant déjà l’atmosphère qui y régnait. Bien accueilli par les Ryger, qui avaient préparé des tentes très agréables pour leurs invités et participants au tournoi non loin des jardins du domaine, il fut aisé aux Erongué et à leurs quelques gardes ayant fait le trajet avec eux de prendre leurs marques. Toutefois, tous les Erongué ne partageaient pas l’engouement de Wyllam pour Bois-de-Saule. Jorrel participait à son tout premier tournoi car bien que n’ayant pas le rang de chevalier en raison des nombreux tourments qui vinrent frapper la Maison Erongué à l’époque où il aurait dû avoir le statut d’écuyer, Jorrel s’était toujours entraîné avec acharnement auprès du maître d’armes de La Roselière, un homme bourru mais incroyablement efficace et pédagogue en ce qui concernait l’art du combat. Le jeune homme et héritier de la Maison Erongué se sentait donc prêt à relever ce nouveau défi et à faire honneur autant à son père qu’à sa jeune épouse venue l’admirer et se gausser de le voir porter ses couleurs durant le tournoi. Wyllam aurait certes préféré le voir arborer les couleurs rose et jaune de sa propre maison mais il ne put résister à l’engouement communicatif de Lady Melissa, née Kyndall. Aussi donna-t-il son consentement à son fils pour les joutes et les couleurs choisies.

Bien sûr, Wyllam était fier de voir son fils sur la lice, une activité que ni lui, ni le défunt frère de Jorrel, Koryn, n’appréciaient vraiment. Mais Jorrel était jeune et, à cet âge, l’on rêve encore de gloire et de victoire. Le Conflans vivant une époque un peu plus paisible qu’il y avait quelques années, il avait accepté de faire le trajet jusqu’à Bois-de-Saule pour se divertir et s’y montrer. Sur place, il croisa plus d’un visage connu avec lesquels il prit plaisir à discuter, à prendre des nouvelles des uns et des autres ainsi qu’à en donner de son côté. La Roselière prospérait, et de plus en plus, grâce au statut de percepteur de la dime qu’il devait à Lord Lothar Frey, une mission qu’il exerçait avec plaisir car il se sentait utile malgré son âge avancé. Et même si, parfois, le ton devait se hausser ou des menaces pour non paiement être proférées, il s’acquittait de cette charge sans rechigner. Elle avait été attribuée en guise de remerciement pour le sang et le deuil de son fils aîné ; en sa mémoire, Wyllam se devait de la mener à bien. Mais durant son séjour à Bois-de-Saule, il ne penserait à rien d’autre qu’à se divertir et à profiter de l’hospitalité des Ryger qu’il connaissait malheureusement si peu.

Pour pallier à son manque de connaissance au sujet du lieu où il séjournait, en-dehors des repas et des joutes, il errait la plupart du temps dans les merveilleux jardins du domaine avec un livre comptant l’histoire de Bois-de-Saule que lui avait gracieusement prêté Mestre Lucian, le mestre de la famille Ryger. Par ce bel après-midi de printemps, comme à son habitude, il déambulait dans les jardins, marchant lentement tout en lisant quelques pages en quête d’un endroit tranquille où s’asseoir pour poursuivre sa lecture lorsqu’il en fut tiré par un cri inhabituel et qui venait du ciel. Wyllam s’arrêta net et observa le ciel bleu parsemé de nuages blancs et gris, en quête de l’oiseau qu’il venait d’entendre. Il finit par l’apercevoir, sur sa gauche, tournoyant paresseusement et en cercle non loin d’une jeune femme, elle aussi captivée par le ballet du rapace. Car c’était bel et bien un rapace, à en jugé par l’amplitude de ses ailes. Il s’approcha d’elle tout en ayant son regard toujours braqué vers le grand volatile.

- Quelle merveille, n’est-ce-pas ?

C’est alors qu’il détacha son regard clair du ciel pour observer la jeune femme en question et découvrit avec stupeur qu’un autre oiseau, entièrement blanc, était perché sur ses épaules.

- Mes yeux ne me trompent pas ? Est-ce bien là un corbeau blanc ?

@Delya Nerbosc  | dialogue : gras | pensées : italique

Étant enfin en paix avec elle-même, Delya n'avait plus peur du regard des autres. Il y avait déjà des années qu'elle s'était dévoilé, des années qu'ils étaient courants de savoir qu'une Nerbosc avait le don de Vervoyance, des années que sa mère avait couper court à leur relation, mais elle se sentait plus forte que jamais, sans plus aucun doute. En-tout-cas, avant son rêve puis sa rencontre avec lui, il y a quelques lunes, de par cette rencontre, il venait à tout chambouler. Dans les yeux de Perwyn, Delya ne voyait aucun dégoût, aucune crainte, pour la Corneille, il avait été envoyé par les anciens dieux, mais elle ignorait dans quel but. Appréciant sa présence au mariage de sa soeur, ils avaient fini par s'échanger des lettres, jusqu'à ce tournoi. Le cœur allégé, le chevalier la faisait rire, lui vidait la tête, puis un soir, le rapprochement opéré. Un baiser chaste, mais qui la chamboula, un baiser qui fut coupé par l'intervention de Noblecoeur qui venait comme à son habitude se poser sur l'épaule de son alliée. Un rire fit son apparition, puis chacun vint à reprendre son chemin en se promettant de se revoir. De se revoir...ses mots ne la quittèrent pas, à tel point que la nuit fut très courte et que le lendemain, elle préféra aller se promener avec ses oiseaux et se vider l'esprit. 

Comme à son habitude, Noblecoeur croassait sur son épaule tandis que Barral profitait du vent léger pour apprécier son vol. Elle aurait pu prendre le contrôle du corbeau pour pouvoir rejoindre Barral et savourer cet instant de liberté, mais Delya n'osait pas le faire, hors de Corneilla. Car entre connaitre son don et le voir, il y avait tout de même une différence. Fermant les yeux quelques secondes, Barral vint à chanter comme il savait le faire et la Nerbosc vint à sourire comme jamais. Son âme était liée à ses trois êtres, Aube étant resté à Corneilla et elle ignorait si elle pouvait laisser rentrer un homme dans leurs vies. 

Quelle merveille, n’est-ce-pas ?

Cette phrase la coupa dans ses pensées et la fit observer la personne qui venait à lui parler. Un homme qu'elle ne connaissait pas, mais qui lui paraissait être une bonne âme. Qui ne le trouverait pas ? Il venait de dire que son Barral était une merveille. Affichant un grand sourire, il s'agrandit encore plus face à la surprise de l'homme.

Mes yeux ne me trompent pas ? Est-ce bien là un corbeau blanc ?

- Blanc...Blanc

Noblecoeur lui aussi se sentait flatté et ne pouvait s'empêcher pour le coup de faire son beau et montrer de quoi il était capable. Oubliant qu'à l'habitude, l'oiseau montrait le plus souvent son côté ronchon. S'étant enfui de la citadelle, il avait choisi Delya et non l'inverse.

- Vous voyez bien clairement ! Je vous présente mes compagnons Noblecoeur. Et en levant la main vers le ciel. Et Barral ! Je pourrais passer des heures à l'admirer voler et croyez-moi, il n'y pas meilleur sensation dans la vie ! Enfin...

Ses joues virent à s'empourprer en se souvenait du baiser de la veille. Ne voulant pas lui montrer cet écart, elle chercha à faire plaisir à l'inconnu en lui proposant :

- Voulez-vous que je rappelle Barral pour le voir de plus près ? 

@Wyllam Erongué  

Nombreux avaient été les livres sur les oiseaux et leurs facultés que Wyllam avait parcouru dans sa longue vie mais d’aussi loin qu’il s’en souvenait, aucun ne parlait de leur capacité de parole. Il y avait bien certaines espèces exotiques qu’on ne trouve qu’en Essos ou peut-être dans les plus belles demeures de Dorne qui étaient de temps en temps mentionnées. Pourtant, les spécialistes de ces volatiles s’accordaient tous pour dire que ces oiseaux « doués de parole » n’arrivaient en fait qu’à reproduire certains sons, ceux qui se trouvaient être les plus proches des sons naturels produits par les cordes vocales humaines. Or, Wyllam était plus qu’abasourdi par ce qu’il venait d’entendre car les lettres et les sons composant le mot « blanc » n’avaient rien de naturel pour un oiseau. Le Seigneur de La Roselière ne put dissimuler son étonnement. Ses lèvres s’entrouvrirent sans qu’aucun son n’en sorte, tout à son observation de ce corbeau blanc. L’animal lui renvoyait d’ailleurs son regard et le fixait d’un oeil, ses serres fermement plantées dans les épaules de la jeune femme.

— Impressionnant ! souffla-t-il. S’approchant doucement de l’oiseau car ses yeux ne voyaient plus aussi bien de loin que dans ses jeunes années, Wyllam se mit à le détailler sous tous les plans, pestant intérieurement de ne pas avoir sur lui son carnet de notes et son crayon à dessin pour esquisser un croquis de cette petite merveille blanche.

— Noblecoeur, répéta-t-il en se détournant enfin de la contemplation du corbeau blanc pour s’adresser à sa maîtresse. Un bien noble nom pour un noble compagnon.

Puis, suivant son geste, il leva la tête et aperçut de plus près l’oiseau qu’il avait vu tournoyer. C’était lui en premier qui avait attiré son regard, avant même de voir l’oiseau blanc perché sur les épaules de la jeune fille. Au vu de l’envergure de ses ailes et des teintes de son plumage, il reconnut dans l’instant un faucon, un oiseau de chasse, difficile à maîtriser.

— Je vous comprends aisément. Ce sont de magnifiques créatures mais…Il laissa son regard retomber sur la jeune fille brune. Comment avez-vous fait pour dresser ce faucon ? Pardonnez ma question, ma Dame, mais il m’a rarement été donné de voir un faucon aussi…paisible dans son vol ! Son utilisation pour la chasse parle d’elle-même. C’est un oiseau de proie or là… Il releva la tête et l’observa, un grand sourire aux lèvres. C’est surprenant ! Je n’ai jamais observer un comportement pareil chez un tel rapace auparavant !

Wyllam était si profondément plongé dans ses contemplations qu’il ne releva pas le message à demi caché dans les propos de la jeune femme. Toutefois, il repéra le nom du faucon et fit de lui-même la déduction qui s’imposait car, dans le Conflans, il n’y avait qu’une famille à prier encore les Anciens Dieux.

— Au nom de votre faucon, j’en déduis donc que vous devez être une parente de notre maison suzeraine ? Lord Wyllam Erongué, ma Dame, pour vous servir.

Il eut une légère inclinaison du buste puis se redressa, les yeux brillants de curiosité comme s’il avait retrouvé sa jeunesse.

— Avec grand plaisir ! Mais de grâce, il faudra me révéler votre secret envers vos oiseaux ! Je peux pourtant me vanter de bien connaître ces petites merveilles mais de ma vie, et elle est longue je vous prie de me croire, je n’ai jamais rien pu observer de tel. C’est…presque magique.

@Delya Nerbosc  | dialogue : gras | pensées : italique