Bon, allez… j'ai pas peur d'elle quand même !

J’étais plongée dans la lecture d’un ouvrage sur la citée de Penthos ainsi que ses nombreuses descriptions. Bien que mon foyer soit le Nord et Winterfell, je me sentais vouloir le quitter pour explorer le monde. J’avais devant moi un parchemin vierge et je comptais dessiner une carte de Penthos rien qu’à l’aide des descriptions et indications du livre. Nul doute qu’elle serait fausse et incomplète, mais c’était un très bon exercice je trouvais. La carte n’était pas le terrain, mais elle devait offrir un bon aperçu de cela. J’avais passé ma matinée sur le terrain d’entraînement, j’étais ensuite allée voir Kylis et Lyanna pour manger avec elles. Et pour finir, j’étais passée aller voir le forgeron pour récupérer un cadeau pour Bran que je donnerais à Robb pour qu’il lui offre de ma part. Il serait bientôt chevalier ! Il lui fallait une épée digne de ce nom. Si bien qu’elle était posée sur la table où j’étais pour travailler.

Je finis de prendre quelques notes sur un parchemin en machouillant ma lèvre, habitude que je n’avais jamais perdu depuis des années. Ma propre épée était posée contre le bord de la table. Je tournai la page en continuant de lire avec attention, les sourcils légèrement froncés de concentration. Il fallait le dire, c’était bien l’une des rares activités qui arrivait à me poser et rester assise des heures durant. Le mestre avait essayé jusqu’à trouver cela ! Il fallait l’avouer, c’était bien joué de sa part. Mais cela me donnait plus qu’envie de voyager… Et pourtant je restais surtout à Winterfell. La preuve, je n’allais pas au conflans… Mais soit. Rickon était important à montrer et pour ma part, moins j’étais vue, plus on oubliait que je n’étais pas mariée et… plus on l’oubliait, mieux c’était. Même si je savais très bien que cela ne durerait pas très longtemps.

Je pris ma plume pour noter de nouvelles informations sur ma feuille de parchemin avant de lever la tête alors que j’entendais la porte s’ouvrir… Nymeria redressa la tête, elle avait passé bien du temps dehors et profitait d’un repos maintenant. Je poussai un soupir discret… J’essayai toujours de trouver un endroit calme, discret et de me faire oublier quand j’essayais de dessiner des cartes. Je plongeai soigneusement ma plume dans l’encre pour continuer ce que je faisais. Des bruits de pas… Je tournai la tête…

« Oh. Bonjour Robb. Comment vas-tu ? »

Il ne devait pas être occupé avec son épouse ? Ou à préparer son voyage ?
   

Robb prendrait bientôt la route pour le Conflans, pour débuter un voyage qui le tiendrait sans doute une demi-douzaine de lunes hors de Winterfell et de ses femmes. Ses femmes, oui, car Kylis, déjà très enceinte, ne pourrait pas l’accompagner, ni donc leurs deux filles, et Arya était chargée d’aider la suzeraine à veiller sur Winterfell, puisque Catelyn, elle, joignait le convoi pour le Conflans. Il s’agirait, en effet, dans ce voyage diplomatique, de découvrir la demeure restaurée des désormais Seigneurs Nerbosc de Vivesaigues, Hoster et Sansa, entre autres affaires politiques ; la née-Tully avait donc elle aussi été invitée. Rickon et Ned Omble accompagneraient aussi le Suzerain, tandis que Lyanna Mormont veillerait sur la Dame de Winterfell. Il était par ailleurs envisagé de trouver, pendant ce voyage, une nouvelle dame d’atour à la Suzeraine. Winterfell resterait donc sous la protection de ses femmes – et de quelques hommes, ne nous méprenons pas – auxquelles Robb s’appliquait à confier quelques responsabilités individuellement. Aujourd’hui, il s’était fixé l’objectif d’amener à Arya les siennes, et ce n’était pas mince tâche.

Il ne s’agissait ni de préparer un plan pour envahir le Val, ni, plus crédible, de lui confier la responsabilité de cartographier le nouveau village à Chêne-Egide dévolu au commerce avec les Sauvageons … Non, il s’agirait de quelque chose de bien moins agréable pour Arya … Mais ne gâchons pas tout de suite le plaisir en dévoilant trop vite les intentions du Suzerain, vous les découvrirez bien assez tôt. Décrivons le déjà, hésitant, ordonner à son Sombreloup de l’attendre en bas, alors que lui grimpait les escaliers qui l’emmènerait jusqu’aux appartements de sa jeune sœur. Il avait décidé de ce mode opératoire en imaginant que ce serait moins protocolaire que de la sommer dans son bureau seigneurial. N’était-ce pas une riche idée ? Kylis lui avait confirmé que si, en tous cas.

La porte était ouverte, il n’eut donc pas à frapper pour rentrer, mais il surprit sa sœur très concentrée sur un parchemin. Le Mèstre avait eu un éclair de génie en trouvant cette occupation à sa sœur qu’il avait toujours été difficile d’asseoir sur une chaise plus de cinq minutes. Robb sourit doucement, la trouvant tout de même fidèle à elle-même : Nymeria soupirait à ses pieds, et elle était entourée de deux épées, dont une qu’il n’avait encore jamais vue. Robb trouva dans ce sujet-là un très bon sujet pour ouvrir la conversation. Arya, sans doute un peu surprise de le trouver-là, lui demanda comment il se portait. Il noua ses mains derrière son dos avant de lui répondre, évitant un instant son regard : « ça va … je règle les derrières affaires avant le départ. Et toi ? Sur quoi travailles-tu ? » Il se pencha sur son parchemin griffonné et reconnu, sans surprise, une carte. Il ne reconnut toutefois pas la ville, et doutait ainsi qu’Arya y ait déjà mis les pieds. Derrière tous ces papiers, cette fameuse épée, que Robb empoigna pour la soupeser. Il la trouva fort bien équilibrée et finement forgée. « tu t’accordes des gâteries, maintenant ? on ne te fait pas assez de cadeaux ? »

Peut-être faudrait-il lui trouver un mari, alors, qui pourrait la couvrir de tout l’or de Westeros …  

Robb semblait profondément mal à l’aise. Je n’étais pas sûre de comprendre pourquoi ma simple présence le rendait aussi nerveux… Je ne lui avais jamais fait faux bond, torturé ou même moqué de lui. Allons bon… Qu’est-ce qu’il avait à être aussi nerveux ? Je ne comprenais pas trop en regardant mon frère. Lui qui venait pourtant dans ma chambre alors que pour une fois, je ne faisais rien de mal… Je savais que je n’allais pas l’accompagner au Conflan, il l’avait dit. Il fallait que je veille sur une Kylis enceinte jusqu’aux yeux. Anciens, je n’étais pas prête à ce que cela ne m’arrive ! Je préférais largement ma vie ici ! Mais ce n’était pas le moment de parler de cela alors que Robb venait vers moi, aussi à l’aise que si il avait dans le pantalon une poignée de verre pilé !

« Quelles affaires ? Si bien sûr j’ai le droit de le savoir. J’étais en train de faire une carte sur Penthos à partir des informations de quelques livres. C’est un exercice assez amusant à faire. Je ferais peut-être celle de Braavos plus tard. »

Braavos était peut-être un peu plus facile. Je le laissai saisir l’épée pour Bran avant de rire à sa remarque en secouant la tête. Pas que la spécialité de la maison Stark fut d’oublier mon anniversaire, mais un peu malgré tout. Et je ne faisais aucun effort pour le rappeler. Je n’avais pas envie qu’on me le fête cet anniversaire.

« J’ai pas besoin de cadeau, ni avant, ni aujourd’hui, ni demain. C’est pour Bran. Je lui ai fait forger, comme tu descends dans le Conflan tu pourras lui apporter. Comme il sera bientôt et enfin chevalier, lui faut lui épée digne de ce nom représentant sa maison. Je me suis dit que ça lui plairait. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Nymeria observait Robb et je lui glissai un regard qui voulait tout dire. À ma louve, pas à Robb. Je refermai mon livre, posai ma plume et autre instrument pour m’entraîner pour croiser les mains sur mes genoux, presque comme une vraie dame si on oubliait mes chausses.

« Robb, il y a quelque chose qui va pas. C’est aussi visible que ton nez au milieu de la figure. Soit tu veux me parler de quelque chose, soit mon adorable nièce a mit des asticots dans tes bottes et tu viens me faire remarquer que ce n’était pas une bonne idée de lui montrer ça. Ce à quoi je te dirais que je n’ai rien fait et que pour une fois je suis parfaitement innocente à cette farce. Bien que très fière d’elle si c’est ce qu’elle a fait ! »

Oui, j’adorais mes nièces et j’adorais apprendre quelques bêtises à la plus grande !
   

Sans que ce soit tout à fait surprenant, Arya avait remarqué le trouble de son frère. Malgré leur enfance séparés, Robb et elle se connaissaient désormais fort bien et la jeune fille était tout à fait capable d’identifier ses humeurs, comme lui les siennes. Ce pupillage les avait seulement privés de quelques années qu’ils avaient désormais largement rattrapé. Pourtant, Robb se surprenait parfois à garder de cette époque une terrible envie d’être apprécié par les siens. A grandir si loin, il avait développé cette impression qui lui soufflait régulièrement à l’oreille qu’il devait faire ses preuves pour que sa propre famille lui reconnaisse sa valeur, comme s’il risquait sans cesse de perdre leur confiance. Au sujet du Nord et de ses sujets, cela lui semblait plus ordinaire de ressentir pareil sentiment : à son sens, on n’avait jamais donné à un suzerain ses galons sans qu’il ait à surmonter quelques épreuves, qu’il ait grandi dans un nid de dragons ou derrière les murs glacés de Winterfell. Faire ses preuves, encore et encore d’ailleurs, faisait partie du rôle qui lui était incombé. Son père lui avait appris que celui qui prononce une sentence doit en personne l'exécuter, et il le ferait jusqu’au jour où il périrait sans s’en lasser.

Avec sa famille toutefois, c’était plus insidieux, car tous lui disaient toujours combien il était chéri, et pourtant, il s’inquiétait sans cesse de faire de la peine ou d’être trop difficile à l’égard de sa famille, et d’ainsi risquer d’être rejeté. Il ne pouvait pas, toutefois, toujours éviter les moments difficiles et se contenter de ceux qui allaient certainement le laisser dans une position favorable aux yeux des siens. Parfois, il fallait aller au-delà de cette peur et se risquer à apparaître sous un jour défavorable auprès d’eux. Ce jour, face à Arya, était de ceux-là. Il fallait qu'il y arrive, toutefois. Pour le bien des Stark et du Nord, se soufflait-il, pour se rassurer.

La jeune fille lui demandait quelles affaires il devait régler ; Robb resta le plus vague possible : « je m’assure que tout continue de tourner en mon absence, c’est tout … » Puis, il la questionna sur ce qu’elle était en train de faire, mais ne l’écouta pas vraiment lui répondre, il gagnait simplement du temps pour trouver comment il amènerait son propos. « Braavos, hein – reprit-il, l’air songeur – j’ai souvent rêvé d’y aller … » Il se souvenait d’une correspondance, échangée autrefois avec @Talya de Tyrosh, dans laquelle il lui jurait de l’y retrouver un jour pour le Carnaval. Ce jour n’était pas encore arrivé, et la perspective que cette promesse s’accomplisse semblait plus lointaine que jamais...

La jeune femme lui confia que l’épée qui traînait dans ses quartiers avait été forgée pour Brandon. Le Seigneur sourit doucement : « on a eu la même idée, ma sœur. Je lui ai moi-même fait forger une belle armure, aux effigies de notre maison, dans le même but. Il aura ainsi tout l’attirail. Je suis certain que ça lui fera plaisir. » Il lui tardait de retrouver Brandon, ainsi que de pouvoir visiter Vivesaigues et de rencontrer ses nièces, dans les bras de sa sœur Sansa qu’il n’avait plus vue non plus depuis trop longtemps.

Il eut envie de détourner un peu plus longtemps la conversation en demandant à Arya si elle ne regrettait pas trop de ne pouvoir être de l’expédition, mais il ne pu que se mordre la langue, car la jeune fille fut plus rapide que lui et exigea de savoir ce qui le tracassait. Bien sûr, elle le fit rire, comme elle savait si bien le faire, en suggérant que Lyarra ait pu apprendre de sa tante préférée quelques farces, mais Robb réprima son éclat de rire en s’éclaircissant la gorge. Alors qu’il observait Arya croiser les mains sur ses genoux, grande dame qu’elle était trop peu souvent pour que son frère ne le remarque pas, il se dit que lui aussi devait afficher un air sérieux pour cette affaire. Il noua donc ses mains derrière son dos et se redressa, avant de chercher son regard, perçant. « Tout va bien, Arya, ta nièce n’a fait aucune bêtise, l’affaire que j’ai en tête ne concerne que toi. Je veux m’assurer que tu sais où es ta place dans cette Maison avant mon départ … ». Robb laissa flotter cette idée suffisamment longtemps pour qu’elle prenne la forme d’une question. Ses yeux bleus glacés avaient trouvés ceux, plus enflammés, de sa sœur, et il espérait qu’elle s’en détourne avant qu’il ne le fasse.  

J’écoutais sagement mon frère qui semblait très nerveux pour rien. Qu’avais-je encore fait pour le rendre si nerveux au point qu’il semblait devenir liquide lorsqu’il devait me parler et visiblement il tournait tellement autour du pot qu’il allait finir par creuser un sillon autour ! Enfin, soyons patiente avec lui… Qu’allait-il m’annoncer ? Qu’il avait trompé Kylis parce qu’il était ivre et qu’il s’en voulait parce qu’en plus il avait un bâtard ? Oui non, impossible. Donc, ses affaires allaient bien…

« Oui, puis le Mestre et Kylis savent gérer le domaine quand même. Et puis je crois que Mère reste également. »

Pas que j’aurais aimé aller dans le sud… Mais j’aurais aimé voyager un peu… Mais c’était un autre débat et j’avais bien compris que je ne bougerais pas… Soit ! Alors je dessinais des cartes de citées lointaines comme-ci je pouvais y aller pour les découvrir d’une manière ou d’une autre… La carte serait sûrement fausse si j’en regardais une faite par un professionnel, mais c’était plus de l’entraînement qu’autre chose ! Il fallait bien que je progresse. Et après Penthos, cela serait Braavos. Et visiblement, il avait rêvé d’y aller.

« Tu rêves plus que Bran bientôt. »

Et pourtant qu’est-ce que Bran rêvait ! J’eus un petit pincement au cœur… il me manquait mon petit frère… Cela faisait très longtemps que je ne l’avais pas vu ! Je lui écrivais régulièrement, mais… ce n’était pas pareil, et puis Lyanna devait lui manquer. Ou il manquait à Lyanna. Dans les deux sens d’ailleurs. Alors je lui avais fait forger cette épée… J’eus un sourire à sa remarque sur l’armure.

« J’espère qu’il pourra bientôt revenir. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu. Tu lui demanderas s’il s’est amélioré au tir à l’arc de ma part ? »

Il était vraiment pas le meilleur dans cette discipline quand il était parti… Je retiens un soupir avant de pivoter face à Robb pour savoir enfin ce qui l’angoissait à ce point ! Et je réussis l’exploit à presque le faire éclater de rire. Je soutiens son regard sans ciller un instant. Qu’est-ce qu’il avait encore ! Merde, je n’avais insulté torturé… personne ! J’étais tranquillement dans ma chambre à travailler sur des cartes ou avec Kylis ou mère pour gérer le domaine l’après-midi. Je gardais mes matinées pour l’entraînement à l’épée et à l’arc. Alors… par les Anciens ! Qu’est-ce qu’il arrivait à Robb ! Je fronçais les sourcils à ses mots. Ma place…

« Ma place… ? Hé bien actuellement, je ne suis nullement ton héritière ou quoi que ce soit, disons que je suis une aide pour mère et pour Kylis… »

Je sentais que je n’allais pas du tout aimer cette conversation… Mais alors pas du tout. Je n’avais même pas mentionné le statut de dame, même si depuis le temps je l’avais accepté… moins je l’évoquais mieux c’était.

« Est-ce que tu souhaites que je devienne assistante du maître d’armes ? »

Sur le coup, j’avais bien l’impression de savoir où il voulait en venir… mais je n’avais pas du tout envie de cette discussion ! Ma main se repose sur la table et mes ongles commencèrent à pianoter dessus sans que je ne cille. Robb, je te donne cinq minutes…
   

Arya n’était pas la plus attentive des jeunes filles, ou en tous cas, pas sur les sujets qui ne l’intéressaient pas ou ne la concernaient pas au premier plan. Son frère et seigneur ne doutait pas qu’elle puisse écouter pendant des heures un maître d’armes ou un forgeron parler, ou qu’elle ait enregistré les moindres aventures que Catelyn Stark aie pu lui raconter les aventures guerrières de feu son mari. Toutefois, quand il était question de sujets qui ne l’impliquaient pas au premier degré … La jeune fille était bien plus tête en l’air. « Non, non. Mère descendra avec nous dans le Conflans, elle veut voir Vivesaigues maintenant que notre sœur a fait sienne cette demeure. Elle remontera pour la fin de grossesse de Kylis. » Robb insista sur ces derniers mots, pour signifier son inquiétude à sa cadette. Kylis vivait des grossesses toujours plus difficiles, ni sa belle-mère, ni son mari, ni son frère ne seraient à ses côtés pour l’accompagner pendant ces nouvelles Lunes qui la verraient tous les jours plus pleines, si les Anciens le voulaient. Elle aurait besoin du soutien d’Arya. « Jon sera là, en revanche, au moins jusqu'au retour de notre mère. C'est toutefois sur toi et Lyanna que je compte pour décharger la suzeraine au maximum. Et puis j’essayerai de négocier pour elle une nouvelle dame d’atour, une conflanaise … Ne lui en parle pas, je veux lui faire la surprise ». Robb adressa un regard entendu à sa sœur, qu’il savait gaffeuse, certes, mais aussi très liée à la Dame de Winterfell. Elle ferait attention à ne pas gâcher la fête, il en était certain.

Arya évoqua Brandon, que Robb n’était que trop content de pouvoir revoir. Il entendit, dans la recommandation que lui adressait sa sœur, une pointe de nostalgie. Le jeune garçon avait quitté Winterfell depuis plus de six ans pour son écuyage auprès des Nerbosc. Entre temps, il avait découvert son don de vervue et il était devenu un homme, ne cessant jamais d’écrire à sa fratrie ses pensées, ses observations, ses inquiétudes et ses conseils par courrier. Bientôt, il reviendrait dans le Nord coiffé du titre de chevalier, une première dans leur région bien loin des habitudes des nouveaux Dieux. En attendant, Robb Stark avait l’occasion de le retrouver grâce à l’invitation du Suzerain du Conflans à venir le visiter. Tous les Stark ne pouvaient toutefois quitter Winterfell, l’adage le disait bien ; Arya resterait donc, tandis que son jeune frère Rickon effectuait sa première sortie officielle hors du Nord. « J’aurais aimé que tu puisses venir avec nous, Arya … » attendri, Robb fuyait le regard de sa jeune sœur. S’il avait pu faire autrement … « Tu es sûre que tu ne veux pas que je lui dise qu’il te manque terriblement et que Winterfell ressemble à un mouroir sans lui ? ça le fera peut-être revenir plus vite … » Robb était moins doué que sa sœur pour faire rire son monde, mais tout de même, il essayait.

Arrivait toutefois l’heure d’arrêter de tourner autour du pot, ce que le seigneur Stark avait fait en évoquant Braavos et Brandon. L’heure du grand départ approchait, et il ne voulait pas partir sans qu’Arya ait entendu ce qu’il avait à lui dire.  Heureusement, le sujet qu’il voulait évoquer avec la jeune fille ce jour-là, sous couvert de faux-semblants et de détours, la concernait au premier plan ; il était ainsi certain qu’elle y serait attentive. D’ailleurs, elle faisait souvent mine que ce sujet ne l’intéressait pas, mais Robb savait bien qu’il n’en était rien : qui n’était pas préoccupé par son avenir ?

Car c’était bien de cela dont il était question aujourd’hui : du futur d’Arya Stark de Winterfell. Elle pouvait s’imaginer aux côtés de Kylis ou aide de camp tant qu’elle le voulait, elle restait la sœur du Suzerain du Nord. « Ma sœur, quelque chose de plus grand t’attend qu’être l’assistante du maître d’armes de Winterfell. C'est de mariage, dont je veux te parler aujourd'hui. »
 

Qu’est-ce que Robb avait… Par les Anciens… Je sentais une migraine pointer alors je me servis une coupe d’eau pour boire un petit coup et éviter une migraine. Cela faisait du bien. Je posais quelques questions avant d’avoir une confirmation. Mère descendait dans le Conflans… Mais pourquoi c’était toujours les autres… qui… Non Arya… On se calme, ce n’est pas grave… Fin de grossesse. Je devais veiller sur Kylis et m’assurer qu’elle allait bien, l’aider. J’inclinai la tête sans rien dire. Jon sera là… forcément, on ne pouvait pas laisser Winterfell dans les mains de faibles femmes ! Mais qu’importe. Une nouvelle dame d’atour… Je retiens un soupir.

« Je sais Robb… Je sais quoi faire, je ne suis plus une enfant. J’aiderais Kylis, j’aiderais, comme toujours. Et je sais tenir ma langue. »

Quant à aller à Port Réal… Ou dans le Conflans. Je haussais les épaules sans rien dire. Qu’importe. Il fallait bien que Rickon fasse aussi son entrée dans le monde politique ! Bien sûr. Même si j’aurais aimé aussi voyager un peu… mais c’était autre chose.

« Faut bien quelqu’un pour veiller sur Kylis ! Puis… moi et le sud… Ça m’agace plus de ne pas voir Bran et Sansa ainsi que nos nièces… Mais bon, tu les salueras de notre part je pense. »

Je le taquinai un peu sur Bran, lui faire dire qu’il me manquait… Je claquai de la langue, un peu tentée… avant de secouer la tête.

« Nan, s’il doit revenir c’est parce qu’il sera un bon chevalier ! Dis-lui de travailler plus et mieux ! C’est seulement ça que je veux de lui ! S’il travaille plus, il rentrera plus vite. »

Et mon rôle… Non… non je n’aimais pas ça. Pas ça du tout ! Je croisais les bras en le regardant avec grande attention. Quelque chose de plus grand. Le mariage. Je me sentis devenir écarlate de colère et je me mordis les joues pour m’empêcher de lui sauter à la gorge. Je savais que cela serait bientôt mon tour. Bientôt à moi d’être vendue. Je le savais ! Je savais que je devais faire mon devoir… Seulement… Seulement… Je ne pus m’en empêcher, ma langue parla avant ma tête.

« Oh… tu as trouvé à me vendre à ce que je vois. »

Non ! Arya ! Ce n’était pas le moment de dire cela… Surtout avec ce ton si cynique et presque agressif. Ce n’était pas parce que je savais que je devais le faire… que j’aimais cette idée. Même si je le ferais… J’avais très envie de lui coller une mandale pour cette idée, mais non… Mais non je ne le ferais pas, ce n’était pas le moment, ce n’était pas digne de moi, pas digne de mon rang.

« En même temps… à vingt ans… cela doit jaser que tu n’as toujours pas marié ta petite sœur. Qui est le pauvre sacrifié ? »

J’allais épouser quoi ? Un vieux croulant ?

« J’espère au moins pour toi que tu n’as pas pensé à m’envoyer vivre dans le Sud. »

Pour son cul… il valait mieux.
   

Robb pouvait sentir, dans la voix de sa sœur, un certain ressentiment : elle aurait aimé être du voyage, l’esprit libre qu’elle était ne pouvait lui cacher cela. Toutefois, Arya s’était aussi appliquée à devenir une jeune femme censée, capable de comprendre où était sa place et comment elle pouvait se rendre utile à la Maison Stark, tout comme elle comprenait bien l’importance qu’avait pour Brandon, ainsi que pour leur famille, cette écuyage. Elle lui souhaitait de devenir chevalier le plus rapidement possible, ce que Robb ne manquerait pas de lui souhaiter dès qu’il le verrait. « Promis, je lui dirait ça, au mot près » répondit l’aîné, non sans lui adresser un clin d’œil. Travailler plus pour gagner plus, un bien bel adage …

Il avait baissé les yeux devant ma première phrase. Je savais quel était mon devoir, ce que je devais faire… Mais malgré moi… Malgré toute ma bonne volonté… Je détestais l’idée même de me marier, l’idée de… juste devenir un ventre à pattes, de ne pas pouvoir décider par moi-même… Juste… Je le savais, ce qu’on attendait de moi… Mais ce n’était pas moi… Mais je devrais m’y plier… malgré moi… Pour le bien des Stark. Malgré mes envies de voyages, de découverte comme nos ancêtres… Mais je n’étais pas nos ancêtres, j’étais juste… une putain de pouliche à vendre. J’avais envie de hurler, de frapper… De repousser Robb plus loin malgré sa main sur mon épaule. De le repousser, de tous les repousser et de galoper loin… Loin d’ici. Je soutiens son regard, de mes yeux gris sans rien dire, les poings serrés à m’en faire mal.

Il avait reçu des courriers et avait tenté de m’en parler… Et j’avais refusé, esquivé… repoussé ce moment autant que possible. Dès qu’il commençait des phrases comme « Arya j’ai des lettres pour toi. » et que sa réponse à ma question « De qui ? », n’était pas Bran ou Sansa ou quelqu’un que je connaissais, je refusais même d’en parler. Une décision prise derrière mon dos.

« Tu aurais fait cela, mon dos aurait été la dernière chose que tu aurais vu de moi pour quelques lunes. »

J’aurais probablement fait trois fois le tour du Nord pour lui faire passer l’envie de recommencer. Je restais immobile, les bras croisés sur ma poitrine sans rien dire. Le Tournoi de Port Réal. Quel délicieux endroit pour nouer des alliances stratégiques et tout ce genre de chose. Même si j’aurais adoré voir Bran ou Sansa… J’étais presque sûre qu’il valait mieux que je n’y aille pas, j’aurais fait tache… Et Kylis avait besoin d’aide. La plupart… donc certains du Sud avait tenté. J’eus un rire rauque à sa remarque.

« Parce que tu m’imagines épouser un homme de l’Ouest qui n’a d’intérêt que pour l’or ? Ou mieux encore ? Un délicat seigneur Bieffois ? Tu sais très bien qu’à part un montagnard du Val… en dehors du Nord ils ne me toléreront pas. »

Enfin… ils le feront pour l’alliance et puis… Et puis je finirais sûrement dans un quoi à subir remontrance sur remontrance… Je sentis toutes les couleurs quitter mon visage à ses mots… J’aurais dû m’en douter, mais entendre mon frère le dire… Lyanna épouser Bran… Mon cœur se gonfla, se serra, se tordit. Ma sœur… Ma bouche devient sèche.

« Tu sais très bien… Tu sais très bien que je devrais me marier avant que Bran ne devienne chevalier. On ne sait pas encore combien de temps son écuyage va durer… Et moi, j’approche bientôt la date d’être une vieille fille. »

Sa dame Mormont… Lyanna… La boule dans ma gorge devient plus grosse, colère… tristesse… solitude. Encore… Encore… Je lâchai avec rage :

« J’ai que vous comme alliés putain ! »

Ma meute était ma seule alliée. Je ne pouvais pas rester ici, il fallait que je sorte. Je repoussais la main de Robb avec… peut-être trop de brutalité pour ne pas trahir mes sentiments, attrapai mon épée au passage.

« J’ai besoin d’air. »

Je sortis en trombe de ma chambre, Nymeria sur mes talons. Mariage… La bête était réveillée… Le monstre était là… Pourquoi c’était moi… Robb aimait sa femme, sa femme l’aimait… Je me mis à courir. Peut-être que mère n’avait pas aimé Père au début, mais ensuite… ensuite elle l’avait aimé et c’était réciproque ! Je dévalai les escaliers à toute vitesse, la crypte. Sansa aimait son époux, je crois. J’ouvris une porte à la volée faisant sursauter une servante. Lyanna et Bran c’était une histoire qui durait ! L’air de l’extérieur me brûla les poumons alors que je courais vers la crypte. Tous… Tous avaient des hommes ou des femmes avec qui ils étaient heureux ! La porte claqua derrière moi alors que l’obscurité m’engloutit. Et moi… Et moi j’aurais quoi ?! Je tombais à genoux devant la statue de mon père, pressant une main contre ma poitrine. J’aurais ce qu’on voudra bien me donner. Une alliance… Une putain d’alliance… Avec un homme qui avait au moins dix ans de plus que moi… Si j’avais cette maigre chance…

En parler à qui ?! En parler à qui putain ?! Ma famille ? Personne ne comprendrait, Lyanna ? Elle ne verrait même pas comme moi le mariage… Un putain mariage d’amour voilà ce qu’elle allait faire… Et moi… Comme d’habitude je serais à l’arrière… Parce que je ne voyais pas ce mariage comme une opportunité, mais comme une prison… Un moule dans lequel on tentait de me faire rentrer…

À genoux devant mon père, je me recroquevillai sur moi-même pour me mettre à pleurer tout ce que je n’arrivais pas à exprimer. Pour une fois, ce n’était pas en éclatant de rage.
   

Arya n’avait pas tort, à vrai dire ; les hommes qui n’étaient pas des Nordiens et qui avaient évoqué l’idée d’un mariage avec le Seigneur Stark lui étaient fort mal assortis, pour la plupart. C’aurait été mentir, aussi, que de dire qu’Arya était une jeune fille facile à marier avec ces hommes-là. D’abord parce qu’elle était la sœur d’un suzerain, et que les hommes dignes de son rang n’étaient pas nombreux ; mais aussi parce que le peu d’entre eux qui l’étaient et qui connaissaient, un tant soit peu, la jeune Stark, étaient refroidis par ses allures peu conventionnelles. Robb s’inquiétait alors, et sans doute à juste titre, quand un Seigneur étranger au Nord, qui n’avait jamais rencontré Arya, proposait la main de son fils ; qu’espérait-il de cette alliance, à part l’appât d’un lien resserré avec le suzerain du Nord ? Cette idée alarmait Robb, qui n’avait encore négocié aucun mariage pour sa famille propre : celui de Sansa avait été négocié par feu leur père, de son vivant, et celui de Brandon s’était arrangé sans qu’il ait besoin de le négocier. Le sien, même, avait été arrangé, pour ne pas dire pressé, par sa mère. Catelyn n’était pas étrangère, d’ailleurs, aux discussions qui entouraient le mariage d’Arya. Toutefois, la matriarche n’avait manifestement pas évoqué le sujet avec sa plus jeune fille. « Nous ne les tolèreront pas non plus, alors. » Robb n’envisageait pas que sa sœur puisse être malmenée par son époux. Si lui, son frère aîné, sa première autorité à qui elle devait obéissance, ne lui demandait pas d’intriquer ses cheveux dans des coiffures compliquées, ou de laisser de côté les armes pour s’intéresser aux aiguilles, il lui faudrait un époux qui lui permettrait la même licence, et qui saurait comprendre que ses qualités se logeaient ailleurs. Autrement … Robb ne connaissait que trop bien le pouvoir des hommes. Autrement, Arya ne pourrait que s’écraser, s’oublier, face à un homme qui exigerait d’elle, par la force s’il le fallait, de se taire, de s’effacer, de se fomenter la personnalité de la Dame parfaite du Sud. Impossible, songeait Robb, qui balayait ainsi souvent la possibilité de marier sa sœur à tel ou tel noble car il le savait incapable de reconnaître les véritables qualités de sa sœur : c’était une jeune femme cultivée, loyale, stratège, capable de manier l’épée et de tirer à l’arc, qui avait survécu sans frissonner à l’hiver le plus dur que les Sept Couronnes aient connues et qui en survivrait d’autres, si les Dieux le voulaient bien.

Finalement, Robb s’étonnait de comprendre qu’Arya s’était elle aussi questionnée ce mariage. Elle soulignait en effet qu’elle aurait dû être mariée avant Bran, sous-entendant par là qu’elle était son aînée, et qu’elle était une femme. Elle parlait même d’approcher l’âge d’être une vieille fille, ce qui agaça son frère. Il envisageait tout cela bien autrement, et sentait un sentiment de trahison monter chez sa sœur qu’il n’arrivait pas à endiguer, ne trouvant manifestement pas les bons mots. Il aurait voulu lui rétorquer, immédiatement, que c’était Brandon qui était jeune quand il avait annoncé à son frère qu’il voulait épouser Lyanna Mormont : seize ans à peine. Ça n’était pas elle, qui était trop vieille, mais lui qui était trop jeune. Arya était la sœur d’un suzerain, âgée d’une vingtaine d’années, certes, mais toujours bien jeune, surtout au vu de son rang. Preuve en était les lettres qu’il recevait régulièrement : ne lui en déplaise, elle était une des ladies en vue du Royaume d’Aerion.

Robb n’eut toutefois que le temps de lui répondre : « pas du tout ! » avant que tout ne dégénère. Il ne put développer plus sa pensée puisque sa sœur, la voix tordue par la rage, assena : « J’ai que vous comme alliés putain ! » Robb serra les dents en appuyant son poing sur son front. Il s’était imaginé mille scénarios, en montant dans les quartiers d’Arya pour entamer cette discussion. La tournure que tout cela prenait signifiait qu’il n’était pas parvenu à faire comprendre ses intentions à sa sœur. L’idée qu’elle puisse se sentir trahie par lui l’affligeait. Ce n’était pas ce qu’il voulait, en la rejoignant-là…

Arya s’échappa, quitta sa chambre en prétextant qu’elle avait besoin d’air. Robb voulu la rattraper avant qu’elle ne lui échappe totalement, il arriva d’ailleurs à lui attraper le bras, mais il n’eut pas le cœur de serrer sa prise sur son corps, en tordant son poignet comme il aurait pu le faire, pour la tenir face à lui. Il ne voulait pas qu’elle épouse un homme capable de cela, alors il pouvait encore moins de la contraindre physiquement, lui. Pas plus qu’il ne pouvait la forcer à épouser un homme qu’elle ne voulait pas.  

Elle fila, alors, tandis que Robb restait planté sur le pavé de sa tourelle. Il soupira bruyamment, se repassant les images du désastre qui venait de se produire.

Un instant, il envisagea d’en rester-là. Il descendit machinalement les escaliers qui l’avaient amené, quelques minutes plus tôt, au chevet d’Arya, s’imaginant qu’il pourrait partir pour le Conflans en laissant-là cette discussion. Sans doute que les lunes qui passeraient suffiraient à la consoler, n’est-ce pas ? Arrivant en bas, toutefois, il ne trouva pas son loup, qu’il avait chargé de rester là en attendant son retour. Il le chercha du regard dans la cour, et le trouva, avec Nymeria, devant l’entrée de la crypte. Les mots d’Arya résonnèrent alors dans son crâne : j’ai que vous comme alliés. Il redoubla le pas, alors, jusqu’à courir, pour dévaler les escaliers qui l’emmèneraient dans le lieu de sépulture des Stark depuis des millénaires. Robb était certain qu’il la trouverait-là.

Il ne pouvait pas partir en la laissant s’imaginer qu’elle ne comptait pas. Qu’elle n’était pas son alliée, à lui aussi. Qu’elle n’avait pas voix, dans l’histoire des Stark.  

Il la retrouva recroquevillée aux pieds de la statue de leur père, simplement éclairée par les quelques torches qui éclairaient toujours les allées, le visage baigné de larmes. Cette vision l’enserra tout entier. Il se détestait de lui avoir fait du mal. Si elle se réfugiait aux pieds de leur père, c’est sans doute parce qu’elle savait que lui ne l’aurait jamais blessée comme lui venait de le faire. Robb soupira lourdement, s’approchant d’Arya doucement.

Il chercha le regard de Ned Stark dans cette statue de pierre, et appuya une main sur son bras en granit, comme pour lui demander conseil. Il devait trouver les bons mots, maintenant.

Il s’accroupit, posant un genou dans la terre, au plus proche d’Arya. « Ma sœur … » entama-t-il, ne sachant pas bien quels mots il finirait par choisir. « Arya Stark de Winterfell. C’est celle que tu es et que tu seras pour toujours. » Ses cheveux bruns, ses yeux gris, ne trahissaient que trop bien son nom et sa maison. Auprès d’elle, il y avait une épée, qu'elle ne maniait que trop bien. Au-dessus d’eux, à l’entrée de la crypte, les attendait un sombreloup qui la défendrait férocement s'il le fallait. Quiconque oserait oublier son nom en serait bien vite rappelé. « Tu es ma sœur, Arya, tu es la fille de Ned Stark – il attrapa son menton dans sa large paume. Un frisson le traversait alors que sa gorge se serrait. Dans la lumière tamisée de la crypte, le menton relevé par son frère, la noblesse et le caractère d’Arya étaient frappant. Tu as ta propre voix. Si tu le veux bien, tu seras la voix des Stark dans la maison que tu choisiras de rejoindre, comme Sansa est celle de notre père et celle des Tully dans la maison qu’elle a fondé avec son époux. Nous saurons trouver quelqu’un qui te laissera prendre celle place là, parce que c’est celle qui t’es due. Tu ne seras la jument d’aucun homme, je te le promets. Tu seras mon alliée là-bas comme tu sais l'être à mes côtés depuis toutes ces années. »  Il cherchait son regard, essuyant ses larmes du pouce, se battant lui-même pour n'en laisser échapper aucune. Sa voix s'était tordue plus d'une fois, trahissant son émotion de la voir ainsi et d'avoir été celui qui avait provoqué ces larmes, mais il ne voulait pas que l'émotion ne l'empêche de s'exprimer. « Je te demande seulement d'y réfléchir. »

J’avais senti la main de Robb se refermer brièvement sur mon bras avant qu’il ne me lâche alors que je détalais aussi vite que possible. Ma sœur louve me suivait sans attendre, elle devait bien sentir tout ce qui se tordait dans mon ventre. Je trébuchai une ou deux fois, repris mon équilibre avant de poursuivre ma course, Nymeria s’assit devant la porte de la crypte alors que je claquais la porte derrière moi pour m’effondrer devant la statue de mon père. Une douleur brûlant mes poumons et ma poitrine. Je levai les yeux vers ceux de pierre de mon père.

« S’il te plaît père… Je t’en supplie… aide-moi… aide-moi… Dis-moi ce que je dois faire… »

Comme-ci la pierre pouvait répondre, comme-ci on pouvait m’aider… Je devrais encore et encore plier, céder, dire oui, parce que c’était mon devoir. Juste oublier qui j’étais pour être une adorable plante verte qui devrait se taire. Et c’était comme ça que j’allais juste devenir invisible, mourir… Peut-être pas réellement, mais je devrais juste faire ce qu’on me disait, ne plus être moi… Parce que personne ne me laisserait être ce que je voulais être. Je n’étais pas née quand il fallait… Je comprenais la position de Robb, mais mon cœur hurlait de douleur… parce que je savais que j’allais devoir me tuer pour rentrer dans un moule que je détestai… Et en même temps je ne pouvais pas… Je me recroquevillais à nouveau sur moi-même en pleurant. J’entendis à peine la porte s’ouvrir et des bruits de pas s’approcher alors que je comprimais ma poitrine pour contenir mes propres sanglots en me mordant les lèvres, comme-ci ça pouvait aussi tenir loin de moi les larmes et la douleur. Mais je n’étais pas sûre que cela fonctionne… Je sursautais en entendant la voix de mon frère qui semblait s’être brusquement déplacé proche de moi. Je relevai les yeux vers lui en ravalant autant que possible mes sanglots.

Il me donna on titre. Celle que je serais pour toujours. Une Stark de Winterfell… Je ne dis rien. Je fixais à nouveau mes genoux toujours en silence. Jusqu’à ce que je sente sa main se glisser sous mon menton pour me le relever. Je soutiens son regard en ravalant autant que possible mes larmes et mes sanglots aussi loin que possible. Je détestais pleurer devant les gens, lui comme tous les autres… Une fierté sûrement mal placée, mais qu’importe. Je soutiens le regard de mon frère alors qu’il se mettait à parler.

J’entendais ses mots, je comprenais ce qu’il voulait dire. La voix des Stark… il savait comme moi que je ne choisirais pas. Enfin… Parce que la seule famille que je voulais rejoindre c’était les Stark, rester avec ma famille… Mais je savais que ce n’était pas possible, je ne pourrais pas… C’était impossible. Je devrais juste… servir de voix servant une autre famille que la mienne. Je me jetais au cou de mon frère, enfouissant mon visage au creux de son épaule face à ses mots.

« Promets-le-moi… Je t’en supplie Robb… Promets-moi… que ce n’est pas que des mots en l’air… Que tu le feras vraiment… S’il te plaît. »

L’un comme l’autre… nous le savions, nous n’avions aucune chance de faire autrement. Il devrait me faire épouser quelqu’un et moi je devrais épouser une autre personne… parce qu’il en avait besoin… pour une alliance et montrer qu’il ne laissait pas sa petite sœur faire ce qu’elle souhaitait…

« Je ferais ce que tu me demandes… tu le sais… je le ferais… »

Pas par choix, par obligation, mais s’il prenait soin de vérifier tout cela. Je le ferais. Pas joyeusement, mais je le ferais.

   

Ned Stark n’était pas parti en laissant à son héritier un mode d’emploi. Robb avait dû apprendre à ses côtés ce rôle de suzerain en tout et pour tout une moitié d’année, peut-être même moins, avant qu’il ne soit empoisonné et qu’il ne décède après de longues souffrances. Pourtant, par arrogance, sans doute, il lui était arrivé à l’époque de trouver les nordiens injustes quand ils l’accusaient d’inexpérience. Dix ans plus tard, Robb savait désormais ce qu’ils voulaient dire. Effectivement, le nouveau suzerain du Nord avait encore tout à apprendre. Pas parce qu’il avait grandi à Port-Réal ou parce qu’il n’avait pas connu la froideur de Winterfell, n’en déplaise aux plus mauvaises langues. Mais parce que certaines choses ne s’apprennent qu’en les vivant : à dix-sept ans, il n’avait encore jamais fait la guerre, il n’avait jamais négocié une alliance ni plus pris soin d’un peuple et d’une culture. Il avait tout à apprendre, tout à vivre, et personne pour l’accompagner sur ce chemin. L’âge offrait un semblant de maturité à ce propos, mais installé depuis dix ans dans sa fonction de suzerain et de seigneur, Robb ne pouvait qu’admettre qu’il ne savait toujours pas comment faire pour marier sa sœur. Elle pourrait, à son aise, l’accuser d’être naïf, ou même incompétent.

Arya ne voulait pas de cette union, quelle qu’elle soit, d’ailleurs. Son visage baigné de larmes et sa détresse quand elle attrapait son frère par le cou ne le témoignait que trop bien. Le corps de Robb se tendait tout entier alors qu’il essayait de tenir le cap qu’il s’était donné : celui de parvenir à ouvrir cette discussion. Il aurait aimé que ça se fasse sans douleur, sans peur, sans colère, mais il était manifeste qu’il avait échoué à cet ouvrage. Il s’en voulait terriblement. « Je te le promets, Arya, bien sûr que je te promets », lui souffla-t-il à l’oreille, espérant calmer un peu sa détresse. Il n’eut aucun mal à prononcer cette promesse, tant il savait qu’il ne la regretterait pas. S’il devait vraiment être confronté à cette situation, il préfèrerait toujours ne pas marier sa sœur que la voir épouser un homme qui la dénaturerait.

Il commençait à comprendre, toutefois, que ça n’était peut-être pas l’homme, qui la changerait. Peut-être serait-ce l’acte, en lui-même, le mariage, qui menaçait son intégrité. Plus que l’idée de partager la vie d’un nordien, Arya craignait peut-être de se perdre dans cette union, qui que soit l’homme … Dans ce cas, ça demanderait à Robb une plus grande reflexion : serait-il prêt à la sacrifier pour garantir aux Stark une nouvelle alliance ? De toute façon, il ne pourrait s’en prendre qu’à lui-même, s’il échouait à proposer à Arya un avenir dans lequel elle pourrait s'épanouir. Toujours dans le cou de son frère, elle lui promettait à son tour obéissance ; elle lui disait qu’elle le ferait, qu’elle se marierait. Ce que sa famille était prête à faire pour lui, les concessions qu’il leur demandait, l’effrayaient toujours. Quelles seraient les répercussions de tous ces renoncements dans leurs relations ? Au fond, Robb était toujours ce gamin, élevé à Port-Réal loin des siens, qui craignait de ne pas être aimé.

Relâchant un peu son étreinte autour du corps fin et sec de sa sœur, il chuchota : « je suis désolé de te demander ça, Arya. J’aimerais que les choses soient faites autrement … » Il espérait que personne ne l’entendrait-là, avouer pareille faiblesse. Heureusement, la crypte de Winterfell n’était pas des plus fréquentée. Se relevant, il s’accrocha au bras de son père, face auquel il ferma les yeux un instant.

Qu’aurait-il fait, lui, qu’aurait-il dit ?

Mon frère était mon seigneur, je savais très bien que je n’avais pas le choix… Seulement… ce futur de femme mariée me rendait malade. Ce n’était pas moi. Cela ne serait jamais moi. Ce que j’aimais c’était le voyage, comme nos ancêtres… C’était le combat… Mais le mariage, être une dame sage aux côtés de son époux, ouvrant juste les jambes pour attendre de pondre des enfants… Faire un bon mariage. Ce n’était pas. Cela ne serait jamais moi. Et pourtant, je le ferais… parce que mon frère me le demandait et que c’était pour le bien de ma famille. Mais cela ne serait jamais moi. Robb affirmait que je ne serais pas juste une poulinière, mais son alliée… Je le suppliais de me le promettre alors qu’il me serrait contre lui.

Il me le promit. Père… je savais que tu aurais fait pareil, parce qu’on n’avait pas le choix quand on était une femme… Dans ce monde, on avait de la valeur que parce qu’on pouvait faire des enfants, et c’était juste pour cela. C’était la seule valeur qu’on voulait bien nous donner… Alors qu’on en avait bien d’autres… Je sentis Robb desserrer son étreinte et sa voix se glisser à mon oreille. Je fermai les yeux plus fort avant de répondre sur le même ton.

« Ce n’est pas ta faute, Robb… Ce n’est pas ta faute. »

Je le laissai se redresser en premier avant de lui tendre ma main pour qu’il me redresse. Je levai les yeux vers la statue de mon père, je serrais la main de mon frère dans la mienne.

« Père n’aurait pas eut le choix non plus… Parce que c’est la seule valeur qu’on nous donne… Celle de faire des enfants… »

J’avais une boule dans la gorge que je dus avaler avant de reprendre la parole.

« Quand tu donnes à une personne comme valeur juste sa capacité à faire des enfants… Que tu donnes juste de la valeur parce qu’elle peut donner une alliance… On ne pourra jamais éviter le mariage quand on est une femme… »

J’eus un sourire triste en levant les yeux à nouveau vers mon Père. Son regard… C’était le même que de son vivant, mais fixe… Il me manquait.

« Nous n’avons pas le choix, Robb… Ni toi, ni moi. Toi parce que tu es seigneur et cela serait la honte que ta sœur cadette ne soit jamais mariée… et moi… parce qu’on me demandera toujours le mariage les enfants. »

Et pas mes autres aspirations. Dans ce monde… Une femme ne devait être qu’un support pour son époux, préparée à cela. Rien d’autre.