[SOLO] Avoir une fille.

Bulwark vivait des jours meilleurs depuis la trêve officiellement annoncée après la conquête du Val par le prince – et désormais roi – Viserys. Le royaume pouvait enfin se reposer tout en restant sur le qui-vive. Dans l’Ouest, les Farman avaient été vaincus et, depuis, aucune maison traitresse ne semblait vouloir montrer son vrai visage. Les Ferren en avait également payé le prix. Le retour à la normale était presque possible mais jusqu’à quand ? Cette question, Ashter ne se la posait plus désormais. Il se consacrait, corps et âme, à Bulwark, au développement de son fief, à la bonne tenue de sa maison, à l’éducation de ses filles. Car si par deux fois les Sept avaient décidé d’arracher les garçons mis au monde par lady Melleah, le couple seigneurial avait été béni pour la naissance de leurs trois filles. Amabel, l’aînée, intelligente et calme. Allya, la cadette, discrète et sensible. Amarei, la benjamine, espiègle et hyperactive. Trois filles, trois caractères bien différents, trois façons de penser et donc trois manières d’apprendre. Elles donnaient bien du fil à retordre aux nourrices, aux septa mais également à leurs parents. Bien qu’il les aime toutes les trois de la même manière, Ashter était naturellement plus proche d’Amabel. Après tout, elle était, depuis sa naissance, son héritière et la future seigneuresse de Bulwark.

- Bientôt, tu auras sept ans, ma fille. Sache que si tu avais été un garçon, il aurait été temps pour toi de quitter Bulwark pour effectuer ton écuyage auprès d’un chevalier de renom. Mais les Sept ont décidé que ta mère et moi n’aurions, pour l’heure, que des filles. Là n’est pas un vice ni un affront. Tu feras une aussi bonne seigneuresse que n’importe quel homme devenu chevalier puis seigneur.

Ashter avait décidé de prendre sa fille aujourd’hui, laissant son épouse s’occuper des deux petites en compagnie de septa et nourrice. Amabel n’avait que six ans encore mais elle montrait un esprit vif et curieux, désireuse d’apprendre et possédant une facilité remarquable pour le faire. Bien sûr, son père ne lui apprendrait sûrement pas encore les rudiments pour faire un bon seigneur mais une leçon anticipée ne ferait pas de mal. Assis tous deux dans le bureau d’Ashter, celui-ci montrait à sa fille la montagne de missives qu’il recevait régulièrement. Il lui apprit ainsi qu’un seigneur avait des droits mais également des devoirs. Des devoirs envers ses vassaux, quand il en possédait, ou bien envers les gens qui vivaient sur son domaine et plus encore dans son château. Des devoirs également envers son seigneur-lige car il y avait toujours quelqu’un au-dessus et en-dessous. Même le roi, malgré son statut, n’était pas en haut de la pyramide. Il était soumis aux lois divines des Sept – pour les rois qui priaient ces dieux. Ainsi, il lui apprit que la maison Yarwyck était une maison mineure des terres de l’Ouest, une maison modeste qui avait su faire sa place au fil des siècles. Ils étaient vassaux de la maison Lannister de Castral Roc et répondaient ainsi aux ordres de Lord Tywin, suzerain de l’Ouest et actuel Régent du royaume. Le père et la fille parlèrent longuement, le premier racontant les anciennes histoires de la maison Yarwyck depuis sa fondation, la seconde écoutant attentivement les dires de son paternel. Ce fut une journée des plus instructives pour la jeune fille qui, toute contente, ne pouvait s’empêcher de tout raconter à sa mère le soir venu, quelques minutes avant le coucher.

Allya Yarwyck n’avait que deux ans mais montrait déjà des signes de timidité et de discrétion. Enfant sage, ne pleurant qu’en de rares occasions, elle se démarquait de sa sœur aînée et se démarquerait de sa benjamine dans les années à venir. Elle quittait rarement les jupons de sa mère ou de sa nourrice lors des événements. Arrivés à Port-Réal, les Yarwyck s’installèrent dans des tentes. Les enfants jouaient entre celles-ci, tous sauf Allya, réservée, qui n’osait allait se mélanger aux autres. Amabel, elle, n’avait pas hésité une seconde. La fille de Beren, Serenei, avait le même âge que la cadette d’Ashter mais lorsqu’elle voulut inviter celle-ci, elle fit face à un échec, Allya se cachant derrière la jambe de son père qui n’insista pas pour qu’elle aille jouer. Il la prit avec lui et tous deux s’éloignèrent. La petite semblait bien plus heureuse loin des gens et le seigneur de Bulwark savait qu’il devrait y remédier un jour. Sa fille ne pourra pas toujours vivre dans son ombre ni à l’abri des regards. Réclamant les bras alors qu’il marchait seulement depuis quelques minutes, Ashter prit sa fille dans ses bras et décida de s’installer sur un banc qui se trouvait sur leur chemin.

- Regarde, Allya, le grand bâtiment que tu vois en face de nous est le Donjon Rouge, demeure des Targaryen. Tu savais que…

- Papa…

Ashter regarda sa fille qui semblait bien peu intéressée par les histoires qu’il pouvait raconter. En effet, la petite fille était moins curieuse que sa sœur aînée et le seigneur s’interrompit, laissant la fin de sa phrase mourir dans l’oubli. Amabel aurait adoré l’écouter mais il était conscient que ses trois filles semblaient prendre un chemin caractériel bien différent. Gardant sa fille dans ses bras, celle-ci n’ayant pas souhaité en descendre, il commença à la bercer tout en lui souriant. Le voyage avait été dur pour elle, tout comme pour ses sœurs. Au bout de quelques minutes, elle finit par s’endormir et Ashter demeura là quelque instant, face à l’immensité du Donjon face à lui. Il posa ensuite son regard sur sa petite-fille. Les Sept en étaient témoins, il aimait ses filles, il les adorait énormément. Mais au fond de lui, il espérait encore que Melleah et lui aient un garçon. Les mœurs avaient changé depuis le siècle passé, les lois aussi d’ailleurs mais le pouvoir était une si lourde responsabilité qu’il voulait protéger ses filles contre celle-ci. Non pas qu’il les croyait incapable, bien au contraire. Ashter était de ceux qui pensaient qu’une femme n’avait rien de moins qu’un homme et vice verse. L’un et l’autre se complétaient mais étaient tous deux capables, seuls, de diriger, de décider. Mais, quelque part, il ne le voulait pas pour ses filles. C’était là, sans doute, un résidu de la vision de son père et de la société dans laquelle ils vivaient tous depuis bon nombre de siècles.

Lorsqu’Ashter revient au campement, Allya dormait toujours dans ses bras. Les autres enfants ne jouaient plus et tout le monde semblait calme. Melleah le rejoignit et demanda si tout allait bien. Ashter lui répondit par la positive. Déposant délicatement sa cadette dans son lit, la confiant ainsi à la septa, Ashter posa alors son regard sur sa dernière fille qui dormait profondément à côté. Il s’était inquiété de savoir si les filles ne seraient pas trop fatiguées du voyage. La septa le rassura en disant que c’était normal, que demain, elles seraient sans doute en meilleure forme. Il sortit de la tente un peu plus serein mais étrangement pas moins inquiet et rejoignit son épouse dans les bras de laquelle il se réfugia. Dans quelques jours, il participera aux joutes et devra s’y préparer dans les jours à venir. Il aura moins de temps pour les filles et cela le peina quelque peu. Cette nuit-là, il rêva d’Amabel, Allya et Amarei à un âge bien plus avancée, son subconscient imaginant alors ce qu’elle deviendrait dans quelques années. Ce qui le perturba au réveil, c’est qu’il avait bien vu Melleah mais ne s’était pas vu lui et son rêve ne semblait pas être de son point de vue.

Les festivités qui conclurent le tournoi de Port-Réal s’achevaient, elles aussi. Il était temps pour les convives de tout le royaume de rentrer chez eux. Ashter et Melleah reprirent ainsi la route du retour vers Bulwark accompagnés de Beren, son épouse et leurs trois enfants, mais aussi de la famille Payne. Cette petite parenthèse enchantée était terminée et il fallait reprendre le chemin de leur fief respectif où, à n’en pas douter, des affaires les attendaient. Le trajet fut notamment l’occasion pour Ashter et Podrick de parler à nouveau de leur affrontement et de leur classement au tournoi. Cela changeait des discussions un peu plus sérieuses quant à la situation du royaume, cinq ans après la trêve. Bon nombre de gens s’accommodaient petit à petit à cette situation. Dorne et le Val étaient indépendants désormais et rejoignaient les Îles de Fer au rang de royaumes ou régions indépendantes de la Couronne. Trois cents ans après la conquête d’Aegon, voilà que le royaume se déchire. Est-ce là le début d’un retour à l’ancien temps, où chaque région était un royaume, où chaque royaume était indépendant ? Seul l’avenir pourra le dire. En attendant, cela ne changeait pas grandement la vie d’Ashter. Seigneur désormais aguerri, époux comblé par une épouse aimante, il était devenu, au fil des années, un père fier et heureux. Tandis que son aînée de six ans et demi s’essayait au cheval aux côtés de son oncle Beren, Allya demeurait dans les bras de sa nourrice tandis qu’Amarei était dans ceux de lady Melleah. Il avait toujours le sourire aux lèvres lorsqu’il regardait ses filles.

- Ashter, je crois que votre fille vous réclame.

Le convoi venait de passer Valmont où les Payne les avaient laissés pour reprendre place chez eux. Il restait encore plusieurs jours jusqu’à Sauvelion et Bulwark. Ashter s’arrêta, puisqu’il était à cheval, près de la cariole qui transportait les trois filles, la septa, les nourrices et l’épouse du jeune seigneur. Il prit Amarei dans les bras et avança au pas avec sa monture, sous les recommandations et quelques inquiétudes de son épouse qui semblait prendre peur de voir leur petite dernière dans les bras de son époux qui devait également gérer le cheval. Mais tout allait bien, tout irait bien. Il gérait sa monture et avait bien calé la petite. Amarei était bien différente de ses sœurs. Les trois sœurs étaient de toute manière bien différentes. Chacune avait son petit caractère. Amarei c’était l’excitation et l’espièglerie. Même à son jeune âge, cela était perceptible. Elle gigotait très souvent et se faisait bien entendre lorsqu’elle requérait l’attention de ses parents. Dans les bras de son père, sur le cheval, elle babillait, tout sourire, gigotait au gré des pas de l’animal. Évidemment, Ashter ne fit pas le reste du trajet avec sa fille avec lui. Cela aurait été irresponsable, d’autant que le temps sembla se gâter sur les derniers jours de voyage. Ils s’arrêtèrent quelques jours à Sauvelion qui n’avait plus rien à voir avec le petit village d’il y a quelques années. La construction n’était pas encore tout à fait finie mais la famille de Beren pouvait y résider et accueillir quelques personnes. Le château était tout à fait modeste et semblait rendre un peu hommage aux Lannister avec une architecture proche, mais moins bien luxueuse, de Castral Roc. Après tout, lord Tywin lui-même avait anobli le jeune Dornien et en avait fait un chevalier fieffé. Beren voulait le clamer haut et fort.

- Amarei ! Non ! Attends-moi !

La petite fille n’avait que dix-neuf lunes et ne marchait pas encore toute seule, mais à quatre pattes, elle galopait. La scène était drôle à voir pour le couple seigneurial et lady Melleah : Ashter courant derrière sa fille qui semblait s’amuser. Il finit par rattraper sa fille qu’il fit voler dans les airs, la faisant alors rire aux éclats. Il se retourna alors et croisa le regard joyeux et attendri de son épouse. Ashter était véritablement un père comblé et elle était heureuse de le voir dans son regard. Le séjour à Sauvelion fut relativement court et rapide. Heureusement, le trajet entre le fief de son ami et le sien l’était tout autant. La maison Yarwyck retrouva ainsi son foyer après quatre lunes d’absence. Ils furent accueillis par lady Ellya dans les bras de laquelle Allya se rua. Ashter, lui, demeurait toujours avec Amarei qui ne l’avait plus quitté ces derniers jours tandis que la plus grande, Amabel restait auprès de sa mère, sage et calme.

- Je vous laisse, mes Dames, car je pense que cette jeune demoiselle a besoin d’aller faire une jolie petite sieste après tout ce voyage.

Lady Melleah acquiesça en déposant un doux baiser sur le front de sa fille avant d’en donner un à son époux. Ashter disparut alors dans le château, se dirigeant vers les chambres des enfants. Le couple seigneurial avait trois enfants et il se trouve que le couple précédent avait aussi trois enfants. C’était là une aubaine. Amabel avait été installé dans la chambre de sa tante Alerah qui résidait désormais à Castral Roc auprès de lady Walda et de son époux, ser Rohar. Allya était dans celle d’Arthur qui avait été rénovée à la mort de lord Weslar. Enfin, la petite Amarei avait hérité de la chambre d’Ashter qui, de son côté, avait aménagé une chambre qu’occupait il y a bien longtemps son oncle Othell, devenu une sorte de pièce fourre-tout. C’est à la naissance d’Amarei qu’il décida de faire ranger et aménager cette pièce pour qu’elle devienne la chambre seigneuriale, préférant laisser à sa mère la chambre qu’elle occupait depuis des décennies maintenant. Entrant dans la pièce qui était donc son ancienne chambre, Ashter avait toujours cette sensation de revenir chez lui après des années d’absence. Bien sûr, elle avait été aménagée pour l’enfant mais gardait tout de même une trace de son ancien propriétaire. Couchant la petite Amarei dans son lit, le seigneur s’assied à ses côtés et lui raconta une histoire pour l’endormir. En quelques minutes seulement, l’enfant s’endormit et ne voulant la quitter tout de suite, Ashter demeura assis, à côté du petit berceau, pendant de longues minutes, contemplant le sommeil de sa fille, profitant de chaque seconde. Il finit même par s’installer sur le petit lit qui se trouver non loin et qu’il déplaça à côté du berceau. Là, il finit lui-même par s’endormir, éreinté par le voyage et encore fatigué des joutes, des banquets, du brouhaha port-réalais. Ashter avait bien mérité un peu de repos. Il aurait bien le temps plus tard de reprendre ses responsabilités de seigneur.