[FB] Deus ex machina. (Avec Galladon Oldflowers)

« Je ne suis pas certaine que se soit une riche idée, mademoiselle. Si Dame votre mère me voyait ainsi… Je suis certaine qu’elle parviendrait à convaincre le Dieu Ivre de se lancer à mes trousses… Mademoiselle ne peut me demander une chose pareille. »


L’espace de quelques instants, Talya dévisagea sa servante. Calla était née à Tyrosh, dans leur maisonnée même. On la disait petite-fille, ou tout du moins descendante d’esclave. Elle-même était née libre cependant et avait toujours servi dans leur palais. Si elle avait débuté sa carrière dans les cuisines, elle avait aisément gravi les échelons et s’était trouvée une place confortable dans l’entourage de sa mère, suite à son mariage. Dès lors, elle avait assisté aux premiers moments de tous les enfants de l’archonte, elle comprise. Et aux derniers moments de sa maîtresse également, qui lui avait remis la garde de sa fille. Depuis cet instant, et dès que Talya se trouvait à Tyrosh, Calla venait la rejoindre, prenant très à cœur sa mission.


Trop à cœur sans doute. La femme n’était plus dans ses jeunes années et l’inquiétude n’arrangeait rien. Elle approchait la cinquantaine et déjà, des fils d’argent s’étaient glissés dans sa chevelure sombre. Plusieurs fois, Talya lui avait ordonné de prendre du repos, trouvant divers stratagèmes pour cela. Rien n’y faisait cependant et à l’approche de son mariage, Calla se montrait de plus en plus présente pour elle. « Comme Mère l’aurait voulu. » ne pouvait s’empêcher de songer la jeune femme, non sans un pointe de tristesse. A bien des égards, la servante était celle qui avait le mieux connu sa mère. Quoi de moins étonnant qu’elle ait obtenu d’elle des confidences que nul autre ne pouvait connaître ?


« Calla, le temple de Trios est sans aucun doute le lieu le plus sûr de tout Tyrosh, à l’exception de notre palais. La jeune femme avait esquissé un sourire, prenant doucement la main de la femme avant de la serrer dans la sienne. Cela ne me prendra pas longtemps, d’accord ? Je veux juste prier un peu. Mon départ approche et j’ai besoin d’un peu de solitude. Juste une heure ou deux, d’accord ? Ensuite, nous retournerons au palais. Rien de tout cela n’aurait causé la moindre inquiétude à Muña. Talya se tut quelques instants. Je te remercie de m’avoir accompagnée. C’est là tout ce qu’elle aurait voulu, tu as fait un bon travail avec moi et je suis sûre que ma mère en est très heureuse, là où elle se trouve actuellement. »


Mais il fallait qu’elle la laisse partir, à présent. Comme si ce moment préparait les prochaines lunes. La mission de Calla approchait de son terme. Talya avait déjà pris des dispositions à ce sujet. L’une de ses belles-sœurs avait accepté volontiers de la prendre à son service après son départ. La jeune Tyroshi était certaine que Calla serait à son aise, entourée par ses neveux et ses nièces. Elle aurait une nouvelle couvée sur laquelle veiller, comme cela avait pu être le cas pour ses frères et elles au début de son service chez eux. Ce fait attristait la jeune femme, bien sûr. Mais Calla n’avait jamais rien connu d’autre que Tyrosh et ne parlait que ce dialecte. Elle avait une famille ici, des amis. Malgré toute l’affection qu’elle pouvait lui porter, la déraciner de la sorte et l’emmener à Dorne n’était pas envisageable. Et ce, même si Calla n’aurait pas hésité un seul instant pour l’accompagner, aussi bien de part la parole donnée à sa mère, que par attachement à sa propre personne.


« Bien. Je serais de retour dans deux heures, alors. concéda Calla, la tête basse. Je vous attendrai à l’entrée du temple. Si Mademoiselle a besoin de moi, elle saura où me demander.
- Je te remercie, Calla. Prends donc le temps de te reposer un peu. Muña m’en voudrait si je te fatiguais de trop. »


La servante avait esquissé un sourire avant de disparaître par le couloir qu’elles avaient emprunté quelques instants auparavant. Elle rejoindrait les quelques gardes qui devaient les attendre à l’extérieur. Comme dans bien des temples, les armes étaient tout simplement interdites. Le sang ne devait se mêler dans l’eau. Sans doute était-ce pour cette raison que Talya avait choisi cet endroit. Si sa foi n’avait jamais été remise en question, fort était de constater qu’elle ne venait pas dans cette chapelle pour prier. Du moins, par uniquement. La pièce en question appartenait à sa famille, pour ainsi dire. Dans les faits, les hauts dignitaires de leur clergé avaient su récompenser la générosité des siens en leur allouant ce lieu de manière constante. S’il était ouvert à tous et à toutes, il était admis que le lieu leur soit réservé à leur demande.



C’était le cas aujourd’hui. Durant quelques instants, Talya admira les mosaïques qui se trouvaient sur les murs et le sol. Elle avait l’impression de se trouver dans une mer miniature, avec tous ces poissons, ces dauphins, ces coquillages et ces oiseaux marins qui avaient été représentés. Au fond de la pièce, derrière l’autel, se trouvait une niche dans laquelle une statue de Trios avait été déposée. Elle avait été sculptée dans un mélange de bois flotté et d’ivoire. De loin, les deux matériaux se mêlaient sans qu’elle puisse réellement les différencier. Il y avait également un petit bassin creusé dans le sol, au centre de la pièce. Des coquillages divers et variés se trouvaient au fond de ce dernier. Les plus grands servaient de coupes lors de certains rites. Les plus petits étaient parfois peints avant d’être déposés au fond, comme de nombreuses prières qui attendaient des réponses. Aucune bonne prière ne se faisait sans eau.


A la protection du temple, Talya voulait s’adjoindre celle des Dieux dans l’affaire qui allait suivre. A dire vrai, la jeune femme n’en comprenait pas encore tous les tenants et les aboutissants. Elle l’avait toujours su, que ce Wart était particulier. Il était trop poli, au parler trop précis pour un simple homme d’équipage. Qui plus est, il était rare que les équipages qui naviguaient aussi loin en Essos soient composés de Westerosis. Mais son capitaine avait toujours été un homme honorable. Dès lors, la jeune femme doutait qu’il n’ait pas étudié, ne serait-ce qu’en surface, l’histoire de ses hommes. Ce n’était qu’une discussion. Une simple discussion. Les couloirs du temple de Trios regorgeaient encore de monde. S’il arrive quoique ce soit, la réponse n’en serait que plus vive et rapide encore.


Talya se retourna alors que la porte grinçait derrière elle. Elle n’allait pas tarder à avoir des réponses à ses questions. Avec délicatesse, la jeune femme réarrangea le long voile vert d’eau qui cascadait sur sa chevelure jusque dans son dos. Elle était prête. Prête à toutes les éventualités. Les femmes de sa qualité n’étaient que rarement fouillées, c’était un fait. Sous les voilages de ses robes, elle avait glissé la petite dague que ses frères lui avaient offerte. Un cadeau de mariage à l’avance. La Tyroshi espérait ne pas avoir à l’utiliser, cependant. La simple idée de faire couler le sang dans ce lieu saint entre tous lui donnait la nausée.


« Bienvenue dans le temple de Trios, Wart. Talya s’exprimait en langue commune, bien que conservant cet accent chantant de Tyrosh. Veuillez excuser toutes ces précautions. A mon sens, toutes les entreprises se doivent d’être placées sous l’égide des Dieux, qu’importe les noms qu’ils peuvent porter. Oh, mais vous êtes accompagné, semble-t-il. »


Le regard de Talya s’était posée sur la jeune fille qui se trouvait en compagnie du Westerosi. Voilà qui était surprenant. Elle avait ce teint particulier qui se trouvait si fréquemment dans la Baie des Serfs. Voilà qui était surprenant. Une autre question à laquelle la jeune femme espérait bien avoir des réponses. D’un geste amical, la Tyroshi indiqua les quelques bancs qui se trouvaient là. S’ils servaient à la prière en temps normal, ils seraient tout à fait confortables pour une discussion comme celle qui s’annonçait.


« Nous avons deux heures devant nous. indiqua Talya, en s’assurant que la porte était bien fermée. C’est là tout ce que je peux vous offrir dans la situation qui est la vôtre. Parlez sans crainte, nous sommes seuls ici. Seuls avec les Dieux. »


Ils avaient besoin d’aide. De son aide. Un fait des plus surprenants et qui méritait des explications.

« Pauvre petite. » songea Talya, tout en s’efforçant de ne pas se montrer menaçante. Était-ce la fille de Wart ? C’était une possibilité. La jeune femme avait l’impression de s’y tromper, pourtant. Si elle n’avait que trop conscience du fait que certains marins avaient pour habitude de semer leur descendance au gré des ports et des escales, Wart ne lui avait jamais semblé être adepte d’un tel mode de vie. Afin de ne pas effrayer de trop l’enfant, Talya détourna finalement son attention d’elle, l’invitant ainsi que son protecteur à s’installer sur un banc qui se trouvait non loin. Deux heures suffiraient à peine pour mettre cette histoire au clair. Peut-être même manqueraient-ils de temps. Car plus le temps passait et plus le mystère entourant le Westerosi s’épaississait.


« Vous avez toujours été un homme plein de surprises, Wart. commenta Talya, sur un ton qui se voulait léger, une fois qu’ils furent assis. Dites-moi tout ce que vous pouvez, en ce cas. »


Talya n’en faisait point l’étalage, mais fort était de constater que tout cela ne lui inspirait rien de bon. Aussi, elle écouta attentivement les propos de l’homme. Westeros ? Ainsi, Wart voulait rentrer chez lui ? A bien des égards, la jeune femme trouvait cela bien dommage. Son capitaine regretterait à coup sûr ce bon élément. Mais l’appel du foyer finissait toujours par naître dans le cœur des hommes. Quelque chose clochait, cependant. Quand bien même Belenos avait accepté de relever l’un de ses hommes de son équipage, il n’aurait pas manqué de remettre sa solde à Wart afin de lui permettre de mettre son dessein sur pieds. Même pour deux personnes, dont une enfant qui plus est, le voyage jusqu’à Dorne n’aurait pas coûté bien cher, surtout si Wart acceptait d’aider à l’entretien du navire durant la traversée.


Incognito. Si Talya parlait couramment la langue de l’autre côté du Détroit, il n’en restait pas moins que quelques expressions lui venaient bien plus difficilement. Au prix d’une sorte de jonglerie mentale, la jeune femme comprit le nœud du problème. Discret. Wart voulait que tout cela se fasse dans la plus grande discrétion. Avait-il causé du tort à Belenos ? Se cachait-il de lui ? Tout cela pouvait-il avoir un rapport avec cette enfant ?


« Pour rejoindre Westeros, fort est de constater que vous avez l’embarras du choix. commenta Talya, visiblement songeuse. Des navires quittent notre port pour celui de Port-Réal assez fréquemment. Cependant, si la rapidité vous importe davantage, je vous conseillerai Dorne. Le trajet ne durera que quelques jours et je suis certaine que si vous acceptez de mettre à profit votre force de travail et votre expérience, l’on vous fera un bon prix pour vous deux. »


Pourquoi requerrait-il son secours ? N’importe quelle taverne aurait pu leur permettre de trouver aisément un navire. Ou même la grande place ou la grève. Les négociations auraient été simples à mener, surtout pour Wart qui devait être familier d’un tel exercice. Alors pourquoi ? Que faisaient-ils ici ? Si la Tyroshi avait pour elle bien des connaissances dans la bonne société de Tyrosh, et de ce fait de certains capitaines de sa Cité, elle ne naviguait pas elle-même. Si la volonté que Wart avait d’assurer sa protection, il lui fallait en apprendre davantage sur cette entreprise qui se dessinait.


« Mais tout cela, vous auriez pu l’apprendre dans n’importe quelle bonne taverne de la ville. Ou même à la capitainerie. La question de la discrétion aurait vite été effacée. Vous n’auriez pas été la première personne à formuler une telle demande. N’y voyez pas là une manière de vous refuser mon aide. tempéra immédiatement la jeune femme, avec douceur. Je dois vous avouer que je ne serais pas contre quelques détails supplémentaires, si vous voulez bien. Je crains que mes mains ne soient liées, dans le cas contraire. »


Si Wart avait des problèmes et que même Belenos ne pouvait l’aider, la situation devait être bien complexe. Il n’en restait pas moins que si le Westerosi était de bonne foi, Talya était certaine qu’elle trouverait bien une personne pour lui venir en aide. Son oncle lui-même se ferait un plaisir d’aider un ami de Belenos, la jeune femme en était certaine. Ces détails en étaient rendus plus vitaux encore. Il fallait qu’elle comprenne pourquoi c’était à elle que Wart s’était adressé.

Les jours suivant leur départ de Meereen étaient passés à une vitesse folle. Wart n’arrivait pas reprendre ses esprits. Il savait que son geste avait provoqué la colère des maîtres de Meereen mais surtout celle de son capitaine, Belenos. Celui-ci avait accepté de les emmener jusqu’à Tyrosh mais à contre cœur. À cause du sauvetage de la petite esclave, le navire marchand n’était sans aucun doute le bienvenu à Meereen ni même dans la Baie des Serfs, bloquant ainsi une grande part du commerce du capitaine. Wart s’en moquait quelque part. Malgré toutes ces années passées à son service, Wart demeurait, au fond de lui, le noble Bieffois qu’il avait toujours été avec des principes et une éducation bien différente de celle donnée en Essos. Il n’aurait jamais pu se pardonner de laisser cette pauvre enfant subir le sort que sa mère avait subi. Il aurait voulu sauver les deux s’il avait pu. Face aux questions de Talya de Tyrosh, le marin demeurait silencieux. Il n’avait pas le temps pour les explications. Belenos était un bon navigateur mais qui sait si les Meereeniens étaient toujours à leur poursuite. Mais, d’un autre côté, il avait fait appel à la nièce de l’archonte, non pas pour ses contacts hauts placés mais bien parce qu’il lui faisait pleinement confiance.

- J’en conviens…Je vous dois bien la vérité… Vous avez toujours été si bonne avec moi.

La petite Shedda à ses côtés demeurait proche de lui, ne voulant pas quitter son aura protectrice. Pendant tout le voyage, elle n’avait pas quitté les bras de Wart. Lui, se montrait distant pour le moment mais il était clair que dès les premiers jours, il montra inconsciemment des signes d’attachement qui grandiront avec le temps. Reportant son regard sur Talya, il acquiesçait ses dires. Effectivement, il aurait pu faire appel à des personnes moins haut placé, des personnes lambda, dans ses tavernes plus discrètes que le temple de Trios. Mais voilà, Wart était un homme intelligent. Sa vie passé et l’expérience qu’il en avait acquis lui ont permis de développer certaines capacités. La confiance était très importante pour lui. Elle ne se gagnait pas en une discussion, en une soirée ou en quelques échanges anodins. Ce lien s’établissait sur le long terme et c’est pour cela qu’il se présentait devant Talya aujourd’hui, alors qu’il faisait son retour à Tyrosh, fuyant la barbarie de la Baie des Serfs, répondant à l’appel des Sept qui le sommaient de retourner en Westeros. Il ne savait pas encore ce que ce nouveau chapitre allait lui réserver mais en aucun cas il n’allait se détourner une nouvelle fois des Dieux. Wart avait énormément changé depuis son départ de Villevieille cinq ans plus tôt. Il n’était plus du tout le même homme.

- J’espère que vous me pardonnerez ces fameuses « surprises » un jour...

Pour regagner Westeros, il devait redevenir l’homme qu’il était. Il ne voulait pas y croire, il ne voulait pas y penser mais face aux demandes de la Tyroshi, le rêve qu’il avait fait devenait limpide. Son retour chez lui ne se ferait pas sans quelques étapes intermédiaires. Il regarda à sa droite, vers les prêtresses qui s’occupaient de leurs affaires puis à sa gauche où se trouvait Shedda, accrochée à son bras, le regard apeuré, craintif, effrayé. Il demanda à une des prêtresses de s’occuper d’elle. Il soupira longuement, fermant alors les yeux, se repassant le fil de ce rêve spécial qu’il avait fait. Rouvrant les yeux, il reprit la parole avec un ton calme et posé.

- Elle est trop jeune encore pour apprendre mes secrets… Je lui devrai un jour tout comme je vous le dois aujourd’hui.

Il inspira une bonne fois et reprit, passant une main sur son visage et dans ses cheveux qu’il avait coupé quelques jours auparavant et qui commençaient doucement à repousser.

- Je ne m’appelle pas vraiment Wart et je ne suis pas qu’un simple marin… Je ne peux vous dire ma véritable identité, vous me le pardonnerez, je l’espère, mais je peux vous dire que je suis un noble Bieffois, issu d’une grande lignée. J’ai été déchu de mon titre, trahi par un membre de ma famille et laissé pour mort. Je crus l’être même à un moment donné. Je voulais l’être aussi. Mais le destin, ou plutôt, les Sept en décidèrent autrement. Pendant des années, j’ai erré en Essos jusqu’à rencontrer Belenos pour qui j’ai travaillé jusqu’à il y a quelques jours. Lors de notre escale à Meereen, j’ai malencontreusement interrompu la correction d’un maître sur une de ses esclaves. Cela engendra la mort de celle-ci et la colère des maîtres. Parce que je ne pouvais pas supporter de telles atrocités, j’ai causé la mort d’une femme et la colère de mon capitaine et ami. J’imagine qu’à l’heure où nous parlons, les deux maîtres Meereeniens me pourchassent ou pourchassent Bellenos. Quoiqu’il en soit, je ne pouvais pas laisser cette pauvre petite toute seule.

Wart plongea la tête dans ses mains, revoyant le corps de la mère de Shedda allongé au sol, se vidant de son sens, le regard éteint, perdu dans le néant. Il revoyait la petite fille pleurer, ne voulant pas quitter sa mère. Il entendait les mots de Belenos qui le sommait de fuir. Il entendant également la colère des maîtres présents sur les lieux. Il tourna alors la tête, en direction de Shedda, dans l’autre pièce, bien entourée, qui mangeait une sorte de pain. Il était devenu son protecteur, son obligé, son gardien dans ce monde impitoyable. Westeros et Essos n’étaient finalement pas deux sociétés si différentes sur le fond. Wart l’avait appris à ses dépens et continuerait à en apprendre.

- Je ne peux faire confiance à personne ici, à part vous, qui m’avez toujours bien accueilli. Je vous en serai éternellement redevable. Sachez que je n’ai qu’une parole et que je tiens toujours mes promesses. Comme je vous l’ai dit, je ne suis pas un simple marin. Je suis un noble, un noble chevalier avec des principes, des codes, un honneur. Si vous m’aidez, Talya, un jour, ce sera à mon tour de vous aider.

Le chevalier n’avait pas énormément d’argent. Il ne pouvait en promettre à une femme qui était une noble de haut rang. Ici, être la nièce de l’archonte était l’équivalent du rôle de princesse ou bien de fille de suzerain, bien loin du petit rang de Wart qui s’obstinait encore à renier ses origines. Pas une seule fois il ne pensa à révéler sa véritable identité. Il ne le voulait pas et surtout ne le pouvait pas. Il n’était pas encore prêt à redevenir Galladon Oldflowers.

La vérité. A cet instant, Talya ne savait plus à quoi s’attendre. Bien sûr, Wart lui avait toujours semblé détonner quelque peu parmi l’équipage de Maître Belenos. Il avait pour lui cette aura surprenante, cette courtoisie qui n’était ni hésitante ni benête, cet accent si rare dans les équipages des Cités Libres et de la Baie des Serfs. Il venait de Westeros, son teint de lait le prouvait, bien qu’il soit devenu de bronze à force de vivre sous le soleil d’Essos. Talya pensait qu’il s’agissait-là de son secret, celui de venir d’un autre continent. Un secret qui n’en était pas un, les indices étant nombreux à ce propos. Peut-être que la raison de cette confidence était à trouver dans la raison de son départ premier ? Sans doute n’allait-elle pas tarder à le savoir.


Pour autant, la jeune femme n’était plus aussi certaine du bien-fondé de sa venue ici. Et pourtant, elle restait là. Wart lui avait prouvé qu’il n’avait rien d’un simple reître. Il devait y avoir une bonne raison derrière ce secret qu’il s’apprêtait à lui révéler. Elle devait au moins lui accorder le bénéfice du doute, se faire son propre avis avant d’agir ou de partir. Fort heureusement pour Wart, elle était plus téméraire et curieuse que rancunière. Il n’en restait pas moins que cette conversation prenait un tour inattendu, ce qui la rendait plus intrigante encore.


« La vérité ? Rien que cela ? Eh bien, en ce cas, je vous écoute. »


Talya avait jeté un regard dans la direction de la statue qui se trouvait derrière eux. Que Trios soit témoin de tout cela. Si les Mortels distillaient bien des mensonges, les dieux étaient à même de démêler le vrai du faux et Talya espérait que leur sagesse retomberait sur elle. Elle avait toujours fait confiance à son intuition. Elle tentait ce jeu une fois de plus, sachant intimement que rien ne pourrait lui arriver en ce lieu sacré entre tous. Un sourire dérida le visage de la jeune femme, alors que Wart reprenait la parole. Allons bon, elle-même avait plus d’une surprise sous son voile. Elle n’était pas âme à s’en lasser. Ce n’était pas pour rien qu’elle avait accepté de concrétiser l’alliance entre sa Cité et Dorne. Une surprise de plus, en quelques sortes.


« Je comprends. assura Talya avec douceur. Elle m’a l’air d’avoir déjà vécu assez de choses pour toute une vie. »


Et Wart aussi, semblait-il. La Tyroshie l’écouta avec attention, les mains jointes. Une telle épopée se retrouvait plus aisément dans un livre de contes ou dans une pièce de théâtre qu’en ce bas-monde. Et pourtant, les pièces de ce casse-tête énigmatique semblaient s’assembler, au grand étonnement de Talya. Le comportement de Wart à son égard, son parler, son maintien, il était vrai que tout cela se retrouvait davantage dans la noblesse que dans le petit peuple. Fut un temps, elle avait imaginé que Wart ait pu être le fils de quelques bourgeois de Westeros, ce qui lui aurait amené une meilleure éducation que le commun. Finalement, elle avait devant elle un chevalier, l’un de ces Ser qui faisaient la fierté de ces dames en tournoi. Non, plus encore ! Un ancien Lord, semblait-il. Un Lord que les siens pensaient au fond d’une tombe et non pas bien vivant devant elle. La jeune femme ne savait quel crédit accorder à tout cela. Elle voulait cependant bien croire que Wart ait été chevalier, à défaut de pouvoir être certaine qu’il ait bien été Lord de quelques terres dans le Bief.


Quant à l’histoire de la petite, il semblait à Talya qu’il s’agissait de la partie la plus réaliste de tout ce récit. Si des lois existaient concernant les esclaves, et les punitions qui pouvaient leur être données, tous n’avaient pas pour habitude de les respecter. La législation variait également selon les Cités et la Baie des Serfs n’était pas connue pour être la plus tendre pour ce qui était du traitement de sa population servile. Cela ne faisait que rajouter une touche de plus de vérité à ces explications. Alors que le récit s’écoulait, Talya s’en rendait de plus en plus compte que ce récit digne d’une réelle odyssée ne tenait pas du mensonge.


« Rien que pour cela, je peux en être assurée, vous êtes bien un chevalier du Bief ou du Val, Ser. » remarqua Talya, qui tentait vainement d’insuffler un peu de légèreté dans cette conversation.


Ser Wart, à défaut d’obtenir son véritable prénom, Talya le nommerait ainsi, ne s’exprimait pas comme les hommes de Tyrosh, de Lys ou de Pentos. Il lui parlait d’honneur, de code et semblait croire dur comme fer en ces principes. Il s’était opposé aux Maîtres de Meereen, chose qu’aucun noble d’Essos n’aurait osé faire. Ou du moins, pas de cette manière. C’était son cœur qui avait parlé, le reflet d’une éducation effectuée de l’autre côté du monde. Un chevalier qui voulait rentrer chez lui avec l’enfant qu’il avait sauvé. Que pouvait-elle faire face à cette situation ? Le Dieu Ivre avait imposé un choix à Wart et il avait pris sa décision en conséquence. A elle de faire de même. Et la jeune femme n’était pas certaine que Trios verrait d’un bon œil qu’elle laisse un marin dans une situation si épineuse.


« Vous parlez devant mes Dieux et au nom des vôtres, Ser Wart. Vous venez quérir de l’aide jusque dans Leur demeure. lui fit remarquer Talya, dont la voix laissait poindre une douceur toute naturelle sous sa fermeté. Votre parole ne m’est pas uniquement destinée, Eux aussi l’ont entendue. Tout comme ils entendront la mienne. Car je ne peux rester sourde à cette histoire qui est la vôtre. »


A nouveau, Talya avait tourné la tête en direction de la statue du Dieu. Oui, il n’y avait qu’une réponse à apporter à Ser Wart. Une seule qui lui permettrait de trouver le repos ensuite. La seule qui serait juste.


« Je ne peux savoir ce que vous ont soufflé vos Dieux, Ser. Il n’en reste pas moins qu’ils vous ont guidé jusqu’à la bonne personne. Je ne demande guère votre aide aujourd’hui, mais je saurais glisser votre promesse dans mon esprit. Où comptez-vous vous rendre, que Trios puisse accompagner vos pas ? »


Talya n’en oubliait pas le fait qu’ils restaient dans la demeure de ses Dieux. Si cette chapelle était le plus souvent d’un grand calme, étant réservé à sa famille, il était de bon ton de montrer qu’ils étaient ici pour prier et non pas pour d’autres raisons. Aussi, tout malentendu serait aisément dissipable. De cette manière détournée, la jeune femme espérait savoir où Wart aimerait accoster. A Dorne ? A Villevieille ? A Port-Réal, peut-être ? Plus au nord encore ? Trios avait pouvoir sur toutes les mers où les Tyroshis voguaient, son influence s’attendait en des lieux bien lointains, à leurs yeux.

Jamais Wart ne s’était imaginé revenir à Westeros un jour. Son départ de Villevieille il y aquelques années était, pour lui, définitif. Plus jamais il ne retournerait dans le Bief, plus jamais il n’entendrait parler de son frère, plus jamais il n’aurait à s’acquitter des responsabilités qui l’accablaient. Il était devenu Wart, le marin marchand. Un inconnu aux yeux de tous, bien loin de la chevalerie ouestrienne, de la société ouestrienne mais aussi loin de sa famille, de son épouse. Voilà là le seul regret qu’il pouvait avoir. Avoir abandonné Delena le hantait et le hanterait jusqu’à sa mort. Aujourd’hui cependant, voilà qu’il revenait dans le droit chemin et qu’il demandait de l’aide pour retourner sur le continent occidental. Avec l’aide de Talya, il espérait traverser incognito et dans la plus grande discrétion. Mais où ? Où aller ? Il était évident que le Bief était à éviter. L’idée de croiser quelqu’un qui pourrait le reconnaître le terrifiait. Même à Essos, il y a quelques années, il avait réussi à croiser d’anciennes connaissances. Alors une fois en Westeros, il devrait s’attendre à croiser des gens qui le connaissaient. Il espérait pouvoir compter sur le temps qui a passé et qui n’a épargné personne.

La voix de la jeune femme était posée et douce, agréable. Elle était prompte à aider le marchand qu’elle savait très bien être chevalier de Westeros. Et tandis que Wart lui déclarait sa vérité, sans pour autant dévoiler sa véritable identité, il songeait à la destination à choisir. Dorne semblait être le choix le plus logique. Lancehélion était proche de Tyrosh et ils y seraient en à peine quelques jours. De là, ils pourraient partir où ils veulent, disparaître dans les terres. Mais Wart hésitait. Pourquoi pas l’Orage ou le Val ou même le Nord. Il n’était pas connu dans les régions du nord. Mais l’urgence était de mise. Il ne savait pas si les maîtres de Meereen étaient toujours à sa poursuite ni s’ils allaient oser venir jusque dans les cités libres. C’est un risque qu’il n’était pas prêt à prendre. Puisqu’ils étaient dans l’urgence et comme l’idée de se rendre à Dorne semblait être la plus judicieuse, il en fit donc sa réponse après quelques réflexions de quelques secondes.

- Dorne. Dorne semble être le choix le plus propice dans la situation qui est la notre. J’imagine également que vous avez principalement des contacts avec cette region voisine plus qu’un autre. Quand bien même, je ne voudrai pas imposer un voyage plus long encore pour cette enfant.

Il regarda dans la direction de la jeune enfant dont le regard semblait perdu et captait parfois celui de l’homme qui l’avait sauvé. Il reprit aussitôt, repensant alors à la promesse qu’il avait fait, celle qui le liait désormais, et pour toujours, à Shedda.

- Je n’ose imaginer ce qu’elle a pu vivre à Meereen. Tout va lui sembler étrange une fois arrivée sur Westeros. Dorne semble être un bon choix pour qu’elle s’adapte. La culture et les moeurs semblent plus proches des votres que des notres sur le continent. Cela l’aidera peut-être à avancer, à accepter que sa vie se fera désormais à mes côtés.

Puis, reportant son regard sur la jeune femme, une interrogation lui vint. Il avait à peine de quoi se payer un passage en mer. Il ne s’était, jusqu’ici, pas inquiété de cela, ne se focalisant que sur sa mission de protéger Shedda et la mener en lieu sûr. Il baissa le regard et poursuivit ainsi.

- J’y songe… et je ne sais pas ce que vous attendiez en retour mais j’ai bien peur de n’avoir pas assez d’argent pour passer le détroit. Je doute que vous acceptiez, en retour, la simple promesse de vous aider un jour comme paiement. Puissent mes dieux ou les votres en être témoins, si vous accédez pleinement à cette requête désespérée, je vous serai éternellement redevable, qu’importe l’espace et le temps.

Jamais il ne s’était retrouvé dans cette situation mais Wart s’en remettait complètement à Talya de Tyrosh. À cet instant, elle-seule avait le pouvoir de l’aider ou bien de le laisser dans cette galère. Après tout, elle pourrait. Elle n’avait aucune obligation à son égard. Elle semblait néanmoins enclin à l’aider, à voir désormais si elle allait pleinement y consentir.

Dorne. Ce choix n’étonnait que peu de Talya, bien qu’il ne soit pas sans l’inquiéter. La région n’était pas des plus clémentes, plus encore pour une enfant. Une fois en dehors des terres des Martell, le désert devenait vite prépondérant. Le mieux restait peut-être de n’y faire qu’une escale afin de brouiller les pistes et d’embarquer au sein d’un autre navire en partance pour d’autres régions. Les caravanes étaient une autre possibilité, fort longues dans leurs déplacements. Leur sûreté était également toute relative, bien que Ser Wart puisse toujours jouer sur ce tableau afin de se faire engager le temps du voyage. Si cette partie ne la concernait guère plus, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour le curieux duo. Elle s’en voudrait profondément de les envoyer dans quelques tristes destins bien malgré elle.


« Bien sûr, bien sûr. Votre choix ne m’étonne guère, bien que je me dois de vous alerter quant aux déserts de Dorne. Je ne saurais que trop vous conseiller de prendre un autre navire, une fois arrivés à destination et de suivre les côtes selon leurs envies. Mieux vaut les vagues que les dunes, à mon humble avis. Je sais que vous ferez le bon choix. »


La Principauté était dotée d’un certain nombre de ports, plus ou moins importants. Le chevalier et sa protégée pourraient toujours mettre le pied à terre selon leurs besoins. Nombreux seraient les équipages à accepter la présence du chevalier sur leur pont. Quant à la petite, elle aurait bien des occasions de mettre le pied à terre et se faire à Westeros, bien que Dorne restait une contrée à part entière, moins marquée par les Targaryens que ne pouvaient l’être d’autres Couronnes. Les volontés de Trios étaient souvent surprenantes, de mener à la fois ses propres pas et ceux de Wart jusqu’à Westeros.


« Les enfants ont souvent des ressources insoupçonnées, je suis certaine qu’avec vous pour veiller sur elle tout ira pour le mieux. »


Talya y voyait là une affirmation. Les enfants étaient semblables à l’argile, il lui semblait que c’était-là les propos de l’un de ses précepteurs. Tout restait à faire dans son éducation pour lui offrir un avenir digne de ce nom. Un avenir que Wart semblait déterminer à lui faire un tel présent. C’était aussi pour cette raison que la Tyroshie acceptait de faire un geste en sa direction. Qui plus est, Trios l’avait préparée pour une telle tâche, à bien y regarder. Cela faisait plusieurs lunes qu’elle étudiait Dorne dans tous ses aspects en vu de son union. Aussi, elle avait toutes les cartes en main pour rendre ce voyage possible. Un voyage duquel elle n’attendait rien. Aussi, c’est d’un petit moyen de main qu’elle balaya les propos du chevalier Westerosi, un sourire aux lèvres.


« Considérez l’affaire comme entendue. Un certain nombre de personnes me doivent quelques services, vous ne me privez en rien de quoique ce soit. Je vous conseille d’accoster à Lancehélion et de vous rendre ensuite par la voie des mers jusqu’à Boycitre. La cité y est plus calme, vous aurez le loisir d’y songer à la suite de votre voyage paisiblement tout en laissant votre petite protégée prendre du repos. »


Talya jeta un nouveau regard dans la direction de la statue de sa divinité. Les accords ne se scellaient pas à la légère en ces lieux. Elle en avait conscience et s’engageait sans hésiter malgré la présence divine qui se dégageait de chacune de ces pierres, de chacune de ces statues. A ses yeux, la  venue de Wart était un signe. Un signe qui la menait encore et toujours vers Dorne. Trios lui faisait comprendre que la suite de sa vie devait se dérouler de l’autre côté du Détroit. Rassérénée face à ce constat, la Tyroshie reposa ses prunelles noisettes sur le chevalier. Tout irait pour le mieux, leur accord était placé sous la plus grande protection qui soit !


« Votre reconnaissance me suffit, Ser. Vous êtes un homme d’honneur, je ne doute pas que si les rôles avaient été inversés, vous n’auriez pas hésité à en faire autant. Je me doute que vous souhaitez partir au plus tôt. Plusieurs navires quitteront Tyrosh pour Lancehélion, demain. Rapprochez-vous du capitaine Illaphos. Il voyage à bord du Riña Calla, un petit navire à la coque verte zébrée de bleu. Il vous accueillera volontiers si vous acceptez de prêter votre concours à son équipage et si vous dites que vous venez sur les conseils de Kaerys. »


Illaphos était l’un des fils de Calla, sa nourrice. De par l’affection que sa mère portait à la fille de sa défunte employeuse, le capitaine en était vite venu à la considérer de même. Il avait veillé sur elle à de multiples reprises et avait dissimulé certaines de ses sorties avec son frère, également. Talya le savait acquis à sa cause et savait qu’elle pouvait compter sur lui pour amener Wart et sa protégée jusqu’à leur destination. Quant à Kaerys… Force était de constater que la Tyroshie ressemblait fortement à sa défunte mère. Il lui arrivait donc de reprendre son nom pour diverses raisons.


« Je ne saurais trop vous conseiller de vous rendre dans la cour principale du temple avec la petite, à présent. On y distribue de la nourriture à toutes les personnes qui en auraient besoin, plus encore lorsqu’il est question de prendre la mer prochainement. Vous avez besoin de prendre des forces et personne ne vous posera de questions ici. Vous devriez pouvoir y passer la nuit également, je ferais le nécessaire pour cela. La jeune femme se retourna complètement en direction de la statue. Je prierai pour vous, aussi bien pour la réussite de votre voyage que dans l’espoir de vous revoir, un jour prochain. »


Pour eux et pour elle-même également. Car Talya n’aimait pas mentir à Calla, quand bien même la situation le nécessitait. Elle comptait bien prier un peu avant de s’éclipser à nouveau. Malgré les signes qu’il lui semblait recevoir concernant Dorne, la jeune femme avait toujours une certaine appréhension qui lui nouait le cœur et le ventre. Elle avait besoin de faire le point, de trouver une forme de réconfort dans la prière et l’introspection que permettait ce lieu. Aussi téméraire pouvait-elle être, ce mariage représentait une situation qu’elle n’avait pas envisagé jusqu’à présent et la venue de Wart l’avait tirée de ses préparatifs aussi bien que de ses craintes. Et comme lui, elle ferait face à cette situation avec courage.

Caché dans l’ombre, Wart avait congédié Shedda qu’il avait autorisé à aller s’acheter de quoi manger en lui confiant une petite bourse avec quelques pièces. Il observa le flux de nobles qui allaient et venaient. Ils avaient quitté il y a plusieurs semaines Lancehélion qui ressemblait, pour lui, à une véritable fourmilière. Le voilà à Lestival qui prenait des allures de fourmilière également. Plus de nobles néanmoins s’étaient rués dans la demeure secondaire des Targaryen pour un tournoi royal impressionnant. Wart y avait fait une apparition quasi-grimée dans la mêlée. C’était un moyen pour lui de voir s’il était toujours digne, toujours compétent après des années sans réels entraînements. Il avait fini cinquième du classement, ce qui n’était pas mal. Tant mieux, s’était-il dit d’ailleurs car finir premier l’aurait trop exposé. Après une entrevue rapidement avec sa mère qui avait bien failli faire griller sa couverture, Wart demeurait dans l’ombre de Lestival. Après les péripéties dorniennes, Shedda et lui avaient bien besoin d’un peu de repos. C’est le lendemain du banquet de victoire du prince Oberyn qu’il aperçut à nouveau ce visage bien connu. Sa sauveuse. Son alliée précieuse. Sa promesse inoubliable. La princesse Talya de Tyrosh n’était plus simplement une citoyenne de Tyrosh mais une princesse de Dorne, s’étant mariée au prince Quentyn Martell. Il repensa alors aux derniers instants passés en compagnie de la jeune femme.

Wart n’en croyait pas ses yeux ni ses oreilles. L’aide demandée serait apportée. La Tyroshi le lui assurait de vives voix. Elle conseilla ensuite le presque quarantenaire de quitter Lancehélion au plus vite après le débarquement pour un fief moins bondé. Boycitre lui disait vaguement quelque chose mais ses connaissances géographiques sur la région de Dorne étaient limitées. Heureusement, les cartes lui seront plus qu’utiles. Bien sûr, rester dans cette région aride n’était pas une idée des plus judicieuses mais il préférait éviter au maximum de reprendre la mer. Même si les esclavagistes ne s’aventurent pas si près de Westeros, il ne voulait pas prendre le risque. Shedda passerait bien mieux à Dorne d’ailleurs, par son teint foncé et son accent très prononcé. Regardant la future princesse, il nota en mémoire les noms d’Illaphos, le capitaine auprès duquel il devait se rapprocher ; Riña Calla, le navire à la coque verte zébrée de bleu qui serait sa porte de sortie qui le ramènerait chez lui, du moins sur le continent qui l’avait vu naître (et mourir) ; Kaerys, le nom qu’il devait mentionner pour ce passe-droit.

- Ma reconnaissance, vous l’avez déjà depuis longtemps. Je garde malgré tout ma promesse qui tiendra jusqu’à ma mort. Qu’importe le lieu, les années, le contexte, si vous avez besoin d’un service, je serai votre homme.

Wart était un homme d’honneur. Talya ne le savait que trop bien. Il réitéra sa promesse, incitant la jeune femme à la prendre au sérieux. Car effectivement, si un jour l’offre et la demande étaient inversées entre eux, Wart répondrait présent et ferait tout ce qui est en son pouvoir pour aider la jeune femme. Maintenant que l’affaire était conclue, ils n’avaient plus rien à discuter. Wart avait obtenu son départ pour Lancehélion avec l’aide de Talya. Il pourra ainsi emmener Shedda en lui sûr, loin de la Baie des Serfs, loin des esclavagistes, loin d’Essos même. Il se leva, acceptant l’invitation de la jeune femme à se rendre dans la cour principale où sa protégée et lui pourraient se nourrir et prendre des forces. Voyant Shedda, il lui dit en quelques mots de s’y rendre et qu’il la rejoindrait d’ici quelques minutes. Les mots et les promesses de prières touchèrent Wart en son for intérieur. Il avait sa foi et respectait celle des autres sans problème.

- Merci. Merci infiniment, Talya. Je saurai me souvenir de tout ce que vous avez fait pour nous. Vous serez également dans mes prières et mes pensées. Peut-être nous nous reverrons si Trios et les Sept le veulent.

Après une révérence respectueuse, Wart laissa la jeune femme reprendre le cours de ses activités en ces lieux saints. Il rejoignit Shedda et tous deux purent se nourrir et dormir confortablement. Plongé dans ses songes quelques instants, Wart reprit ses esprits et remarqua alors que la princesse, au loin, s’était arrêtée. Son regard croisa, contre toute attente, le sien. Sans briser ce contact visuel, Wart lui fit un signe de tête et un sourire avant de disparaître à nouveau dans l’ombre pour retrouver Shedda et reprendre leur route vers le nord.

Un large sourire étira ses lèvres, alors que Talya voyait le désormais chevalier s’incliner devant elle. D’un signe de la main, elle lui fit signe de se redresser, toute flattée par cette marque de respect. Les Sers n’offraient pas un tel présent sans raisons, pour ce qu’elle avait pu en lire. Pour autant, le fait de s’être montrée secourable envers l’homme l’amusait. Les rôles étaient inversés, la dame se montrait serviable et secourable envers le chevalier, bien qu’en son for intérieur, Talya se réjouissait d’avoir trouvé là une silhouette familière qui précéderait son arrivée à Westeros. Que cela soit Trios ou les Sept, la Tyroshie en était persuadée, leurs rencontres au gré des voyages de son oncle ne s’étaient pas faites sans raison. Tout cela n’avait qu’un but, permettre à Wart de retourner en son foyer. Une noble cause que la jeune femme ne pouvait que servir à son tour.


« Que Trios apaise les mers sur votre passage et que le Dieu Ivre détourne son regard de vous, Ser. Nous nous reverrons, j’en suis persuadée. Certains chemins ne sont pas faits pour se séparer. »


L’homme ne tarda pas à disparaître, laissant Talya seule. Seule avec ses pensées. Seule avec son esprit. Seule avec cette promesse qu’elle s’était faite et avait faite à Calla en entrant. Celle de prier un peu, de s’imprégner une fois de plus de ce lieu qui avait tant de valeur pour les siens. Un lieu qu’elle délaisserait bientôt, pour le meilleur comme pour le pire. Les femmes étaient sans doute les plus grandes voyageuses que ce monde ait pu porter, volant d’alliances en alliances au gré de leurs destinées. D’un pas assuré, la jeune femme se dirigea jusqu’à un petit meuble, dont elle sortit une étoffe bleutée brodée ici et là d’animaux marins. Avec précaution, elle la déroula entièrement, l’installant au plus près du bassin avant de s’y agenouiller. Son sourire avait disparu, se mouvant en une mine apaisée, quoique grave, alors que ses phalanges jouaient sur la surface de l’eau.


Aucune bonne prière ne se faisait sans eau. Aucune. Et dire qu’elle s’en allait épouser le sable sans la moindre hésitation.


Mue aussi bien par habitude que par instinct, Talya plongea finalement ses deux mains dans l’eau. Elle les frictionna quelques instants, fredonnant un air léger. Elle louait les dons du Dieu, sa miséricorde, le courage inspiré aux marins par Son simple Nom dont elle souhaitait bénéficier également dans sa noce à venir. Elle lui confiant son envie de voguer à nouveau sur Ses flots malgré ses épousailles, ses espoirs et ses craintes. D’intercéder pour elle auprès du Dieu Ivre, pour qu’il se détourne d’elle le temps des festivités, pour que les meilleurs sentiments soient inspirés à son époux concernant sa personne. Puis vint Ser Wart et sa protégée. Talya pria pour que le vent leur soit favorable, pour la réussite de toutes leurs entreprises. Peut-être pour revoir leurs silhouettes, dans une autre vie. A la fois peu et bien des choses.


« Voilà le présent que te fais ton humble servante, Grand Trios. Puisses-tu te montrer prévenant à son égard car elle ne nourrit que piété filiale à ton égard. »


Sa prière presque achevée, Talya plongea sa main dans la petite bourse qui reposait contre sa hanche. Elle en sortit un petit coquillage peint par ses soins. Un petit coquillage plat, nervuré de rose et de gris. Elle n’avait fait que le rehausser ici et là d’un peu d’or et de vaguelettes bleutées. La beauté se cachait dans les plus petites détails et la Tyroshie avait fait en sorte de conserver toutes les veinules. Les plus petits coquillages étaient les plus appréciés, disait-on. Ils étaient mal aisés à discerner et y parvenir prouvait une sorte de conscience du vaste monde. Pour cette raison, aussi petite pouvait être la coque, elle en était presque plus précieuse que les bijoux qu’elle pouvait bien porter.


Admirant une dernière fois son présent, Talya finit par le plonger dans l’eau, le déposant au fond du bassin parmi les autres prières laissées là. Après s’être essuyé les mains avec une infinie précaution, la jeune femme se leva, rangeant l’étoffe à sa juste place avant de quitter la chapelle. A chaque pas, elle s’éloignait davantage de ce temple, de cette Cité qui l’avait vue naître et grandir, de cet Essos chéri.


Pas à pas, elle en était arrivée ici, à Lestival. Myria à son bras Talya conversait avec elle, s’émerveillant de ce tournoi qui était bel et bien son premier. La Dalt s’amusait de sa mine réjouie, sans doute plus proche de celle d’une enfant curieuse que de la princesse qu’elle était devenue il y a  une poignée de semaines. La Tyroshie voulait tout voir, tout essayer, tout écrire à ses frères restés à Tyrosh ! Bientôt, elle assisterait à sa première joute, activité qui l’intriguait fortement, intérêt d’autant plus renforcé que sa dame, et amie, ne manquait pas de l’abreuver en détails divers et variés.


Alors que ses prunelles se perdaient dans la foule qui s’égayait autour d’elle, Talya manqua de sursauter. Serait-ce possible ? Là-bas, il lui semblait reconnaître cette ombre, cette silhouette, cette carrure. Celle d’un marin devenu chevalier, d’un chevalier devenu marin. Pouvait-elle juste se tromper ? Myria poursuivit leur marche seule quelques pas, tandis que la Tyroshie restait là, troublée par cette vision. Non, ses yeux ne pouvaient la tromper. Ses espoirs avaient été entendus et récompensés. D’un sourire retrouvé, Talya hocha la tête, satisfaite. L’ombre se dissipa, alors que Myria se retournait, s’enquérant de son état. Brisant cet instant hors du temps, la jeune femme reprit le bras de sa camarade, expliquant qu’il lui avait semblé voir un oiseau bien curieux non loin.


La jeune Dalt s’en était amusée. Talya aussi, à vrai dire. Elle ne s’était pas trompée. Ser Wart retrouverait peut-être bientôt son foyer ? Elle l’espérait. Il semblait en bonne voie pour cela. Elle ferait de même dès son retour à Dorne. Alors, leurs chemins se recroiseraient peut-être en d’autres circonstances.