La première rencontre officielle

Un tournoi ainsi qu’une rencontre officielle. D’une pierre deux coups, n’est-ce pas ? Je ne le prenais pas mal, je savais très bien que mon tour était venu après celui de mes sœurs. Une union pour la gloire de ma famille. Un jeune écuyer, que j’avais déjà croisé à Forchant. Maegor Wydman. Mais aucune vraie discussion. Je le connaissais de vue. Je rajustai les plus de ma robe bleue, ourlée de violet et de broderies de cloche, j’avais laissé mes cheveux blonds tomber librement dans mon dos. Je me savais très belle et séduisante, il fallait se l’avouer. Mais je n’en avais pas honte ou je n’allais pas en rougir. Je sortis de mes appartements et Nestor me tendit élégamment son bras. Je posai ma main pour qu’il m’escorte aimablement jusqu’à la salle de réception. Mon père m’avait prévenu à qui m’attendre. Nestor serra doucement mon bras. Il n’était pas inquiet pour moi et resterait à quelques distances comme un aimable chaperon pour éviter je ne sais quoi. Il connaissait Maegor après tout.

L’ambiance était joyeuse, comme toujours après un tournoi. L’alcool coulerait à flot bientôt et je pourrais dire adieu à une conversation somme toute raisonnable et intéressante d’ici une heure ou deux. Ah… L’amour du conflans pour l’alcool. Quoi qu’il eût Gerolt quelque part, je pourrais peut-être échanger quelques mots avec mon neveu. Neveux qui avait presque mon âge. C’était cela être une enfant surprise après tout. Je soufflais légèrement par le nez alors que Nestor continuait d’avancer silencieusement au milieu des convives. Nestor n’avait jamais été un grand causeur après tout, c’était même tout l’inverse. C’était cela qui était agréable.

Nestor me lâcha gentiment le bras arrivé à destination, le lieu de rendez-vous. Mon père avait donné ses indications. Je pris une petite coupe de vin pour en boire une gorgée. Peut-être étais-je légèrement plus nerveuse que je ne voulais bien l’admettre ? Sans doute. Mais c’était autre chose. Nestor s’était installé à quelques pas et je finis par voir l’homme en question. Je le regardai avec attention s’approcher… Je fis une légère révérence avant de le regarder lui qui semblait fixer mon décolleté. Oh. Très bien…

« Mes yeux sont plus hauts Ser. Un petit effort et vous pourrez les apercevoir. »

Fis-je d’une voix très calme, froide, avec un mince sourire qui voulait tout rire. Nestor dû entendre parce que j’entendis une petite quinte de toux de son côté. Je le toisais légèrement, j’étais grande malgré tout, attendant sa réaction.

Chaque tournoi était une nouvelle épreuve pour Maegor Wydman. Chaque tournoi était une occasion de briller devant les yeux méprisants de son père. Chaque tournoi était une opportunité de montrer ce dont il était capable. Le tournoi de Murs-Blancs était le premier d’une longue liste. Maegor sortirait vainqueur, perdant, fier, humilié, vindicatif, désespéré. Mais dans les cas, il demeurera toujours le fils décevant qu’il était aux yeux de son père. Mais pour l’heure, il s’entraînait, il s’entraînait avec ardeur et force pour la mêlée. Mais un tournoi n’était pas simplement fait pour montrer sa bravoure à la mêlée, son ardeur aux joutes ou encore sa précision au tir à l’arc. Un tournoi était l’occasion de rencontres, de nouvelles alliances, de nouvelles amitiés.

- Je n’aurai pas à faire cet effort si vous faisiez en sorte de ne pas mettre en valeur autre chose que vos yeux.

Voilà donc la première phrase que Maegor Wydman avait prononcé en réponse à la remarque de lady Arwen Belmore qu’il venait de rencontrer alors qu’il tentait de rejoindre sa famille, ayant perdu à la mêlée. Il reportait l’échéance de voir le regard de son père sur tout le monde sauf lui, l’ignorant de plus belle, surtout face à cette défaite cuisante. Cela lui avait ainsi permis de rencontre la femme qui deviendrait sienne quelques lunes plus tard. L’impertinence de sa remarque se mariait plutôt bien avec l’audace de sa réponse. Ils ne se connaissaient aucunement pour l’heure. Maegor s’imaginait une dame du Conflans, une fille de seigneur, obligée d’être présente pour voir son père, son frère ou bien son promis se battre contre les autres participants. Il finit par la regarder dans les yeux, des yeux bleus sans pareille mais qui n’eurent aucun effet sur lui. Il ne recherchait nulle épouse, nul parti, nulle moitié pour lui. Il était l’héritier de Victorial mais n’aspirait pas au mariage, pas encore en tout cas.

Je me répétais qu’il fallait faire montre de courage, mais avais-je le choix ? Nous étions dans un monde bien triste et violent… Impossible qu’un jour que ce monde qu’était Westeros connaisse un jour de paix prospère et longue. Longue comme des siècles avec peut-être à la tête des sept royaumes, non pas un roi ! Mais bien sept formant un conseil pour maintenir une paix entre ces sept royaumes. Œuvrant pour une grande œuvre… Cela serait sans doute bien agréable… Mais je doutais qu’un jour ce type de conseil soit possible[b]. C’était bien pour cela que je me retrouvais face à un jeune chevalier, qui devait en réalité avoir mon âge, qui serait mon époux d’ici quelques lunes selon les désirs de mon père. Quant aux miens, quelle importance ? J’étais une femme, mes désirs devaient être ceux de mon père ou mon époux… Qu’importe… Je haussais un sourcil à sa remarque. Le monde se teinta légèrement d’un joli violet comme le blason de ma maison.

« Je vois que vous avez plus de répondant que d’éducation. Car sinon, vous n’auriez nullement posé vos regards sur un balcon, à peine exposé ou non. J’imagine que les putains avec vous doivent avoir un certains conforts de vie. »

Nouvelle quinte de toux de la part de Nestor qui finit par prendre une coupe de vin pour se cacher derrière et s’installer assez proche pour continuer d’écouter mine de rien. [b]Mon regard accrocha un instant l’un des boutons du veston de Maegor, un beau bouton en argent, avec quelques gravures et rayures qu’il y avait dessus. Il devait avoir ce gilet depuis quelque temps maintenant qui avait sûrement voyagé avec lui… Ah les voyages… que j’aimerais pouvoir enfourcher mon cheval pour partir au galop sur les routes et sentir le vent dans mes cheveux et sur mes joues. À cet instant, lorsque je partais au galop… le monde devenait d’un jaune étincelant. Brillant, tout autour de moi. Solaire. J’étais si bien sur le dos d’un cheval, au triple galop… Heureuse. Et c’était les rares moments où je me sentais pleinement heureuse, où je me sentais libre et où sur mes lippes un grand sourire se plaquait… Jusqu’à la fin du galop et un retour au calme. Mais soit, il ne fallait pas que cette rencontre se finisse mal… J’étais censée être polie et douce avec les hommes. J’étais déjà polie, qu’on ne me demande pas plus. J’étais froide, certes, mais en aucun cas quelqu’un de mauvais qui prendrait plaisir à voir souffrir et blesser volontairement les gens. Ma langue trop agile n’était destinée qu’aux idiots.

« Cependant, j’apprécie grandement de voir que vous êtes capable de faire preuve de quelques esprits. »

J’étais malgré tout honnête et j’acceptais de lui concéder qu’il pouvait répondre. Bien des hommes auraient bégayé face à cette remarque ou se seraient stupidement énervés. J’inclinai légèrement la tête.

« Je suis Arwen Belmore. Mais je suppose que vous êtes au courant Ser Maegor Wydman. »

Oui, je savais également son nom après tout.


Le dernier Juré de John Grisham, aux éditions Robert Laffont, grand format
   

Maegor aimait les femmes qui avaient du caractère mais jamais il n’aurait pensé tomber sous le charme – les charmes même – d’une impertinente de la trempe de lady Arwen Belmore. Les premières secondes de leur rencontre furent insupportables pour le jeune chevalier. Il n’aimait pas sociabiliser et encore moins subir des remarques de la part des femmes. Mais il ne se démontait jamais. Il n’était pas genre à rougir pour un oui ou un non. Il ne faiblissait pas devant le sexe opposé, au contraire, il répondait. Il ne se laissait pas faire par les hommes, il ne comptait pas se laisser faire par les femmes. Son père ne lui a que trop bien montré depuis sa plus tendre enfance. La seule qui pouvait se targuer de pouvoir faire plier Maegor était sa sœur. Baela avait effectivement ce pouvoir sur le jeune chevalier. Autant dire qu’il est bien content que celle-ci soit désormais chez les Massey, cela réduit considérablement les chances pour lui de se faire mettre à terre par sa grande sœur, autant au sens propre qu’au sens figuré d’ailleurs.

- Tout comme vous. Il ne viendrait pas à l’idée d’une dame de parler de la sorte à un chevalier. Pourtant, vous le faites, sans trembler ni rougir.

Cette femme ! Il l’aurait bien ignoré mais, en dehors d’un décolleté plongeant intéressant, son regard avait quelque chose d’envoutant. Maegor était rarement attiré par la gent féminine. Il n’avait que batifolé avec quelques servantes séduites, rentrant dans leur jeu mais jamais par envie de son côté. Il n’avait fait que s’amuser avec elle et il les avait toutes, ou quasiment, déçu évidemment. À Victorial, Maegor ne faisait déjà pas l’unanimité auprès du couple seigneurial mais auprès de certaines servantes, il était devenu une personne à éviter. Pourtant, son charme opérait toujours, indépendamment de sa volonté. Mais voilà que c’était à son tour d’être séduit, par une dame qui avait toutes les chances pour devenir son épouse. Encore faut-il que lord Valarr le veuille. La jeune femme reconnait alors que Maegor pouvait faire preuve d’esprit. Tiens donc. Cela fit étrangement sourire le chevalier tandis qu’elle se présentait à lui. Arwen Belmore.

- Je suis évidemment au courant. Nos fiefs respectifs sont proches. Aujourd’hui n’est pas notre première rencontre, lady Arwen, ou l’auriez-vous peut-être oublié ?

En effet, Maegor et Arwen se sont déjà rencontrés. Une première fois au tournoi de Harrenhal dix ans plus tôt et une seconde fois au mariage de ser Karwyn, le frère d’Arwen, avec lady Aemma, la sœur du mentor de Maegor. Ils étaient encore jeunes, de simples enfants mais le chevalier Valois avait une très bonne mémoire. Il se souvenait de cette petite fille intrépide et espiègle aux cheveux longs et blonds. Il constatait alors, ici à Murs Blancs, des années plus tard, qu’elle avait bien grandi, qu’elle avait bien mûri mais qu’elle demeurait toujours aussi espiègle. C’est peut-être cela finalement qu’il lui plaisait chez elle, qu’elle ne soit pas comme toutes les autres dames, qu’elle sorte un peu du lot, se démarquant de l’insipide dame soumise au désir du père de la marier au meilleur parti possible. C’était sûrement le cas de lord Benedar qui voulait marier sa fille au meilleur parti possible mais lady Arwen était tout sauf insipide.

Le jeune homme, je savais que je l’avais déjà vu, mais à l’époque il avait semblé plus intéressé par les courbes et les regards de Lexise que par les miens. Est-ce que j’étais jalouse ? Non, Lexise était une femme fort délicieuse et bien plus aimable que moi, il fallait que je l’avoue. Mais je n’en prenais pas ombrage, chacun avait son caractère après tout. Mais ce Maegor était bien plus intéressant maintenant que lorsqu’il était plus jeune. Mais c’était autre chose. Il répondait à mes remarques, ainsi je répondais aux siennes sans aucune hésitation, ma langue était bien trop agile pour que je puisse la retenir trop longtemps. Parler de la sorte ? J’inclinai la tête en gardant mon regard ancré au sien.

« Pourquoi ? Devrais-je craindre votre colère ? Ou de vous froisser ? »

S’il se froissait pour si peu… il ne tiendrait jamais un mariage complet avec moi et il serait déjà parti en clamant qu’il ne m’épouserait jamais. Je voulais bien faire des efforts, cependant, je ne tolérerais pas un époux qui avait autant d’intérêt et de répondant qu’une huître ayant moisi. Cependant, j’avais l’impression que ce n’était point le cas de ce jeune chevalier.

J’avais l’habitude du répondant de mes frères, de mes sœurs et même de mon père ou de ma mère. J’aimais ces joutes verbales et c’était amusant de pouvoir ainsi discuter. Néanmoins je fis l’effort de me présenter au moins officiellement. Il fallait quand même le faire. Même si c’était inutile… Oh… et il avait une mémoire, fascinant.

« Nous nous sommes rencontrés par deux fois, je ne l’ai point oublié.À Harrenhal et au mariage de mon frère Karwyn. Cependant, à l’époque vous offriez vos regards à ma sœur aînée Lexise. Mais je me souviens effectivement de vous.»

J’entendis Nestor s’étouffer presque dans son vin derrière nous. Sans même le voir je l’imaginai se retenir de rire en s’enfonçant dans sa coupe de vin… Ah mon père n’avait pas été tendre de lui offrir mon chaperonnage. Il allait finir par s’étouffer avant la fin de la soirée ! Je poursuivis tranquillement sur le ton de la conversation :

« Je suppose que vous allez participer au tournoi, quelle discipline allez-vous choisir ? »

Voyons s’il aurait le courage ou l’envie de me demander mes couleurs à la fin de la soirée. Et j’en avais un peu assez d’être plantée ainsi.

« Souhaitez-vous passer votre soirée ici, ou accepteriez-vous de me donner votre bras que nous marchions un peu ? »

J’étais sans doute plus entreprenante que bien des femmes, mais c’était mon caractère, j’aimais décider, j’aimais montrer mon caractère. Qu’il l’accepte ou non. C’était son problème. Pas le mien, je ne jouerais jamais un rôle.